L'école est finie

Il est encore tôt mais déjà dans le ventre du Cerberus se font entendre les bruits des mécaniciens à l'oeuvre. Une légère avarie moteur qui nous a forcé à cette halte dans les hangards d'Esperanza et qui fait bien mes affaires.J'ai toujours aimé l'aube. Permission ou non, c'est le moment où tout bascule. Où l'on s'endort si l'on a veillé ou l'on se réveille si l'on a été sage. Je me réveille aujourd'hui. Plus jeune, je m'y endormais souvent. C'est la vie.

Une séance de sport, une douche et un change plus tard, il n'est plus aussi tôt même si la matinée n'est pas encore très avancée. Pour la première fois depuis mon arrivé, j'ai revêtu des habits civils. Un jean noir, des bottes noires, une ceinture...noire aussi avec une boucle argentée, une chemise bleu-gris qui, d'après Danilo, met mon teint en valeur. Ce petit a un vrai don pour la mode. Sur mon dos, je tiens négligemment un sac de marin, long tube informe couleur kaki. Je n'ai ni arme, ni médaille, ni bouclier, ni bijou, juste une grosse montre au poignet droit qui me dit que je ne suis pas en avance.

Je presse le pas. C'est toujours pareil, on planifie une surprise et, plus le temps avance, plus on a de doute. Et bien, aléa jacta est comme l'a dit je ne sais plus qui je ne sais plus quand je ne sais plus pour quoi. De mémoire ça veut dire qu'on ne peut plus faire machine arrière et cela me va bien. J'approche de la porte des quartiers du second et frappe deux coups secs. Tout est prévu. On y va.

"Capitaine de Moya ?"

Je m'étirais une enième fois face à la glace, en tenue d'officier, avant d'inspecter à nouveau les formes naissantes, les rides creusées un peu plus chaque jour. Je vieillissais. Plus lentement ces derniers temps, certes, mais le fait était indéniable. De la belle femme aux cheveux châtains, il ne restait plus que son double aux airs de sexagénaire précoce. Bon sang ... J'avais pris de belles claques, en seulement quatre ans.

Je fus extirpée de mes songes par deux toquements sur la porte-sas de ma cabine, prenant quelques instants pour offrir un dernier regard à ma silhouette, avant d'ouvrir. « Capitaine de Golazzo. Que me vaut le plaisir ? »

Je fais un sourire à ma supérieur. Le genre de sourire qui, même dans ma jeunesse, annonçait les ennuis et une petite dose de folie. Je me suis calmé et l'âge m'a appris à me contenir mais au fond, je reste le même et cette femme devant moi est peut-être ma supérieure mais elle fut aussi une amie. Une amie dont je ne veux pas perdre le souvenir. Il est temps de lui rappeler qui elle était.

"Je vous enlève Capitaine. Vous et moi allons sortir du vaisseau pendant deux jours au terme desquels je vous rends à votre cher Cerberus. Il vous sera interdit de travailler et n'essayez pas de vous cacher derrière le Capitaine de Aragon, j'ai déjà vu avec lui." Je lui fais un clin d'oeil, pour qu'elle comprenne bien qu'elle a tout de même la possibilité de dire non. Mais même si je plaisante, je suis déterminé à ne pas me laisser avoir par des fausses excuses. Seule la conviction qu'elle n'a pas envie de passer son temps de repos en ma compagnie me fera changer d'avis. Rien d'autre.

Je haussais un sourcil, connaissant parfaitement ce sourire. J'avais eu l'occasion de l'expérimenter de trop nombreuses fois, dans mes jeunes années ... Et pourtant, pas une fois je n'avais regretté de lui céder. Et à nouveau, je cédais par ce rictus qui suintait l'excitation et un désir simple : savoir ce que le cerveau bien trop imaginatif de Felipe avait pu concocter.

« Est-ce que je dois m'attendre à des problèmes ? », lançais-je, comme souvent à l'époque, presque une phrase qui laissait entendre l'acceptation tout autant que l'appréhension, une sorte de code que seuls nous deux pouvions comprendre.

« Donnez-moi le temps de me changer, et je vous rejoindrais à l'extérieur. » Autant éviter les rumeurs ou questions éventuelles de l'équipage, s'ils nous voyaient partir tous deux en tenue civile pour deux jours d'absence.

"Avec moi ? Allons...soyez sérieuse" fais-je avec humour et un sourire qu'elle saura déchiffrer. Jeune, j'aurais ajouté un clin d'oeil. Je suis dans un couloir du Cerberus, je reste sage, m'incline poliment, avec toute la rigidité de mon éducation. "Je vous retrouve embarcadère 10B. Si vous n'y êtes pas dans une demi-heure j'envoie mes artilleurs à votre recherche. Ne tardez pas."

Je reprends un air faussement très sérieux, fait un demi-tour impeccable comme à la parade et repart, toujours en civil, vers l'embarcadère en question. L'endroit est rempli de civils en tous genre attendant une navette ou une autre. L'embarcadère s'ouvrant en étoile pour des vol petite distance vers des points touristiques. On nous y attend, comme prévu et je discute avec notre chauffeur des dernières courses de speeder en attendant mon amie.

Sans même prendre la peine de lui répondre, je refermais doucement la porte - que j'avais à l'origine prévu de lui claquer au nez d'un air théâtral avant qu'il ne me coupe l'herbe sous le pied - dans le dos du Capitaine de Golazzo. Adossée, j'expirais profondément.

Dans quoi t'es-tu lancée, Mia ?, songeais-je. S'agissait-il là d'une simple sortie entre deux vieux amis, entre deux officiers impériaux, ou ... Non. J'avais passé l'âge des faux semblants. Felipe était peut-être un homme marié, mais c'était également un homme qui ne se sentait pas proche de sa femme. Si un simple coup d'oeil à son dossier m'en aurait convaincu, le fait qu'il ait été affecté volontairement en Dorado ne faisait que le prouver.

Pour autant, était-ce un mal ? Certes, au sein d'un même équipage, il s'agissait d'un acte tabou - voire interdit - que d'entretenir une relation amoureuse avec un subordonné. Cependant, j'étais destinée à changer de navire. Où serait le mal, si l'on s'en tenait à flirter ?

Soufflant à nouveau, je jetais mon dévolu sur un chemisier et une jupe noire simple, dont la longueur était un compromis entre pudeur et aisance dans les déplacements ; il ne fallait pas que monsieur de Golazzo me croit fille facile, en particulier si je me trompais sur ses intentions.

L'embarcadère 10B ne fut pas difficile à trouver : les astroports n'ont que peu de secrets pour ceux qui les visitent si régulièrement.

« Où allons-nous ? »

Nous sommes au milieu d'une discussion sur les derniers champions pro de speeder - sport que je ne suis que rapidement sur magazines, pour avoir de quoi discuter plus que par réelle passion, lorsqu'elle arrive à son tour, féminine dans un chemisier et une jupe sage qui la changent de l'ordinaire du vaisseau. Je lui souris, content de voir qu'elle avait fait un effort de tenue et lui tend mon bras.

"C'est une surprise, Capitaine. Je ne dirais rien, même sous la torture. Où auriez-vous aimé que je vous emmène ?"

Nous marchons donc dans la navette qui se ferme. Sans en rajouter, je m'assied à une place, sécurisant ma ceinture, attentif à mon invitée sans chercher de contact qui pourrait être mal pris.

Je m'y étais attendue, mais cela valait le coup d'essayer.

« J'aime particulièrement les ponts », lançais-je en référence à celui de commandement, un fin sourire malicieux au visage. « Si vous me découvrirez très adepte de la surprise et du subterfuge dans les mois à venir, vous risquez également d'apprendre durant notre petit périple que je gère très mal les événements pour lesquels je n'ai aucune information. Cependant, et eut égard pour le mal que vous vous êtes manifestement donné, j'accepte de subir - pour cette fois. »

Je m'asseyais à son côté dans la navette. Ce fut d'autant plus simple que cela m'évitait tout contact visuel direct, distraction dont j'avais fort peu besoin : mon habituelle introspection pointait le bout de son nez, et la farandole de scénarios d'un esprit trop souvent torturé par son intellect ne tarderait pas à la suivre. Dans le doute, je sortais simplement mon HCom, en profitant pour télécharger les dernières nouvelles locales - j'en aurais besoin durant le vol, si nous venions à partir dans l'espace. Et puis, quoi de mieux qu'une compagne muette et manifestement peu captivée pour déstabiliser un homme ?

"Qui sait, j'en ai peut-être fait construire un à notre destination ? Au dessus d'une rivière pleines de truites à pêcher ?" J'ignore si elle aime la pêche. En ce qui me concerne, je n'ai jamais réussi à me détendre en regardant un bouchon dériver au fil de l'eau, je lui préfère de loin la chasse et d'encore plus loin le simple exercice physique. Ce n'est pas parce qu'on fait l'armée qu'on est nécessairement cruel. Je crois en l'Empire et je crois que ce que je fais pour le protéger est pour le bien de tous ses habitants. Tel est mon credo. Les explosions ne sont qu'un moyen pour une cause, pas une fin en soi. Même si j'admet apprécier une belle combustion bien maîtrisée.

Elle s'installe auprès de moi, en silence. J'attends ses questions, son harcèlement, son agacement. Rien ne vient. Plongée dans ses lectures, elle m'ignore. Bon. Cela aurait pu me rendre mal à l'aise. Je me sens curieusement déçu, rien d'autre. La laissant à son repos - après tout c'est l'un des buts de l'aventure- je me plonge à mon tour dans des traités d'artillerie. Les deux heures passent rapidement, nous menant au Crust, sur le pont duquel l'on s'amarre.

"Chose promise, chose dûe Capitaine. Un pont rien que pour vous. Je vais commander les truites." J'ai retrouvé mon sourire moqueur tandis que je me dégrafe. Qu'elle se sorte de celui-ci, tiens !

Mmh. Je l'admettais à contre-coeur avec une brève grimace pleine d'humour : il m'avait bien eu. J'aurais dû y penser : si près de Renaissance, un passage au Crust devenait presque trop cliché, ces derniers temps. Cependant, je devais admettre que la perspective de revoir Van Haten n'était pas pour me déplaire. Les questions arrivent, pensais-je, les laissant affluer en tâche de fond.

Savait-il que nous nous connaissions, Raedhun et moi ? Si elle était aussi fourbe que je le pensais ce ne serait probablement pas le cas, mais rien n'était certain.

Le Capitaine était-il au courant de l'objectif de notre balade avant qu'il ne la valide ? Je n'osais tenter de répondre à celle-là, tant Zohar était imprévisible.

Qu'attendait-il de cette sortie ? Et surtout, s'attendait-il, en définitive, à ce que je le lui demande ? Sans doute. Eh bien, je ne lui offrirais pas ce plaisir, me promis-je, et me contenterait de profiter du séjour : je ne pouvais pas lui laisser la main éternellement.

... Bon sang Mia, pourquoi faut-il que tu gères absolument tout comme une bataille spatiale ?

« N'étiez-vous pas censée les pêcher ? Vous me voyez déçue, Capitaine », lançais-je en gloussant doucement, tout en imitant mon collègue. Rester amère quand on essaie de vous faire plaisir n'est décidemment pas chose aisée.

"Chaque chose en son temps, Capitaine."

Cette joute à coup de Capitaines m'amuse un peu même si une part de moi espère qu'on en viendra un jour aux prénoms. Au moins en privé ? Après tout, dans mon coeur elle reste une amie très chère. Je n'irais pas jusqu'à dire que je ne l'ai jamais oubliée, ce serait totalement faux, et pourtant, les souvenirs reviennent vite en sa présence. Mais là n'est pas la question pour le moment. J'attrape mon sac, le sien, fait un rapide détour à la réception et lui tend une clef.

"Votre suite est située au 3ème pont bâbord, avec un grand écran vers l'espace. Je vais vous conduire si vous me le permettez ?"

« ... ma suite ? », fis-je, le sourcil si haut qu'il en toucherait presque le plafond.

"Une suite oui. Une sorte de chambre, en plus grand avec plusieurs pièces. En voici la clef que je vous donne" je lui tends ladite clef, une sorte de bijou technologique ultra sécurisé.

"C'est la seule. Pour ma part, je suis au premier étage, sur le pont babord également mais plus vers l'arrière de la station. Vous venez ou vous avez l'intention de répéter mes mots jusqu'à épuisement de salive ?"

J'adoucis ma diatribe d'un sourire très content de moi, le genre suffisant qui, il y a tellement longtemps, m'aurait valu une taloche. Je teste, en fait, le degré de familiarité que je peux me permettre. C'est difficile, parfois, de trouver la juste dose. Mais si j'arrive à mes fins, cela le vaut bien.

J'inspirais très longuement, sans ciller, avant de relâcher la pression. Soit. Monsieur s'était vraiment donné du mal.

« Oh, incroyable. Et moi qui pensait que ma cabine était spacieuse », fis-je sur le même ton que le sien, pour ne pas paraître trop décontenancée, attrapant cependant la clé. « Je viens. Au prix où doit être la suite, vous avez bien mérité de me conduire. Par contre faites attention, je grince dans les virages. »

Sur la défensive toute une vie, il était agaçant de ... non, disons le clairement : il était effrayant de laisser un autre gérer sa vie, même l'espace de quarante huit heures. Et cela l'était encore plus quand il me lançait ce sourire coquin que je m'empêchais bien difficilement de baffer, mais contre lequel je me contentais d'un plissement vilain des yeux.

La mort d'Erika avait régit ma vie, ces dernières décennies. Balancée d'une mission suicidaire à une autre, à peine sortie de cela que m'étais-je jetée à bras ouverts dans la vendetta qui lui avait coûté la vie. Et, si ce n'avait été pour les réflexes éclairs de Zohar, sans doute l'aurais-je rejoint. Je devrais faire attention, et ne rien laisser au hasard. Qui sait, peut-être même pourrais-je me créer ici des alliés de poids : tout le monde ne fréquentait pas le Crust, après tout.

Je ne retins pas un rire léger à sa réplique. C'était bien vu. J'ai toujours aimé son sens de la réparti, bien plus piquant que le mien, tout comme je m'amuse de la voir plisser les yeux au lieu de me talocher. "Je demanderais de l'huile à la réception si vous grincez trop, Capitaine. Nous ne voudrions pas que notre chère Second se grippe." Nous avançons donc dans les couloirs. 391, 392, 328, 327, 315, 316, 317... je m'arrête, un peu perdu. J'ai pourtant étudié cet idiot de plan. La suite est au 394. Je regarde autour de moi, cherchant des yeux une pancarte que j'aurais ratée, marquant un tournant quelconque, je ne sais pas. Ma bonne humeur s'envole d'un coup, je me sens idiot et je n'aime pas ça. Cariño sort sa tête, me pinçant le doigt. "Pas maintenant toi." Il recommence. Ca fait mal. Je secoue la main, voyons. 317, 316, 315, 327, 328... qui a numéroté ce vaisseau, franchement !

Il était agacé, et il ne fallait pas être devin pour savoir qu'il était perdu. Parfait. L'avantage des hôtels, c'est qu'ils avaient tous pour habitude de placer le numéro sur la clé. Il aurait été bien malheureux que, sur un pont où les numéros ne se suivent pas toujours, quelqu'un ait discrètement inversé le 9 et le 4 pendant qu'un certain Capitaine regardait ailleurs.

« Un problème peut-être ? », lançais-je sur un ton moqueur. « Il faudrait se dépêcher, je ne voudrais pas me gripper. »

Je le laissais mariner quelques minutes supplémentaires, avant de feinter un baillement bien trop forcé pour être crédible au prochain passage devant la chambre 349. « Permettez, je prendrais celle-ci, elle sera parfaite », fis-je en attendant qu'il s'apprête à protester pour insérer la carte qui, magiquement, ouvrit la porte.

C'était enfantin, certes, mais se sentir aux manettes ne serait-ce que quelques minutes m'avait fait du bien.

Un problème ? Moi ? Jamais. J'ai beau savoir qu'elle me taquine, mon naturel a raison de ma patience et je lui lance un regard noir, vexé presque. Heureusement, j'ai assez d'auto-dérision pour reconnaître qu'elle n'a pas tort. Je cherche - en vain - une réponse à sa vanne et me voit obligé de lui accorder un point. Ca commence bien tiens. Je déteste quand elle se débrouille pour reprendre la main alors que j'ai tout planifié pour être aux commandes. Et là, je la vois ouvrir la porte 349. J'écarquille les yeux, imagine m'être fait trahir par la gérante mais quel intérêt aurait-elle eu à faire ça ? A moins que... je siffle, impressionné, puis rit à nouveau, toute ma colère envolée devant l'admiration que je lui porte.

"C'était remarquablement joué. Surtout en un laps de temps aussi court."

Deux points. Que voulez-vous, on ne peut pas toujours gagner. Et puis il y en aura encore tout un tas à distribuer d'ici la fin du séjour.

La suite est luxueuse sans être clinquante. De l'espace, de belles matières, une belle vue sur l'espace. Sur une table où sont posées deux sièges, deux assiettes ainsi qu'un assortiments de sandwiches divers, salades et fruits pour le dessert avec une bouteille d'eau. Je les lui indique d'un geste de la main.

"Si vous voulez bien vous donner la peine, Capitaine, il parait que les voyages ouvrent l'appétit."

« Vous n'imaginez pas à quel point il fut difficile de détourner votre attention. »

Au début, je savourais ma victoire au travers du rire de Felipe. En un sens, nous étions restés un peu les mêmes : déjà à l'époque, nous appréciions nous taquiner de la sorte, nous défier à piéger l'autre avant qu'il n'en fasse de même. Par moment, plus rien n'avait d'importance, à ses côtés, sinon de rire de tout, de s'amuser de rien.

Pourtant, en entrant dans la suite, je constatais avec une pointe d'amertume à quel point de Golazzo me connaissait. La chambre était à la fois grande et simple. Une part belle était offerte à la vue sur l'espace. Quant aux fruits en dessert, ou même à la bouteille d'eau, comment avait-il pu savoir ? Un bref instant, je l'interrogeais d'un regard indescriptible, sibyllin, à demi tournée vers lui, avant de me reprendre et de sourire simplement comme à mon habitude. Bon sang, j'allais me perdre.

« C'est bien aimable mais je ne mange pas pour deux », lançais-je pour briser volontairement le moment, comme pour l'exclure de la chambre, sur le ton de la plaisanterie. Puis, plus docile, je m'asseyais avant d'attraper un premier sandwich : pour avoir déjà goûté à la nourriture des lieux, je savais que je ne serais pas déçue.

"Pourtant, une ou deux filles en petite tenue font généralement l'affaire. Vous n'aviez pas pensé à en prendre, peut-être ?" Là encore, je teste le degré de familiarité. Jusqu'ici, tout est passé. Cette fois...je ne pense pas que cela passera mais j'ai besoin de savoir qu'elle me dira si je deviens un peu trop familier. Je fais un geste d'excuse. Celui que j'ai toujours fait lorsque j'ai soudain conscience d'avoir gaffé et m'approche à mon tour de la table.

"Permission de partager votre repas, Capitaine ?"

Après tout,c'est sa chambre et si je n'ai pas prévu de me faire mettre dehors, c'est tout à fait possible.

C'était à mon tour de rire devant son air un brin penaud.

« Accordé, Capitaine. »

Son rire dissipe immédiatement toute crainte que j'aurais pu entretenir sur l'effet de la surprise. Je m'assied sans autre forme de procès, attrapant un sandwiche. Ils sont bons. Après la daube que l'on nous sert sur le cerberus, tout semble bon mais ceux-ci le sont peut-être un peu plus qu'ailleurs. J'attrape une tomate dans la salade. Hors de question de manquer de vitamines.

"Pour la suite des opérations, Capitaine, vous êtes attendue au SPA à 14 heures. Je vous laisserais profiter de votre activité et vous retrouverais après si vous l'avez pour agréable."

Et même dans le cas contraire. Hors de question qu'il renonce à un dîner étoilé. Pas maintenant qu'il a goûté aux sandwiches.

Un spa maintenant. C'en devenait tellement ridicule que je n'arrivais même plus à m'en agacer. « Puisque je n'ai pas le choix », fis-je, un brin amère et tout autant honteuse de l'admettre. Felipe s'était très clairement donné du mal pour ces deux jours en dehors du Cerberus, et je continuais d'agir comme une vieille dame aigrie. Peut-être l'étais-je devenu. Peut-être le temps et les épreuves avaient-ils fait de la piquante mais aventureuse Mia un simple mur.

« Et qu'allez-vous faire pendant ce temps ? Et où nous retrouvons-nous après ? »

Je suis surpris par sa réaction. Si je n'avais pas anticipé un gloussement de gamine ni un enthousiasme délirant, je pensais au moins lui faire plaisir et ce n'était pas ce que je ressens à l'entendre. Est-ce si difficile pour elle de simplement me laisser la main pour deux jours ? Peut-être. Mais je préférais une résistance claire et nette à ce genre de reddition qui ne me disait rien qui vaille. Peut-être aussi prépare-t-elle une revanche. Ce n'est jamais à écarter lorsque l'on parle du Capitaine de Moya. Je lui souris d'un air encourageant.

"Allez, ne faites pas cette tête. Qui sait, peut-être allez vous apprécier de vous reposer un peu. Et puis si vous n'aimez pas, vous pouvez toujours dire non." Je vide mon verre d'eau, haussant les épaules. "Il y a une salle de sport et je n'ai pas encore fait mon entraînement quotidien. Je vais aller y passer je pense. Et pour après... je passerais vous chercher à 20h si vous ne m'avez pas fait appeler d'ici là. Cela vous convient ?"

J'expirais doucement. Il avait raison, et je le savais. « Pardon », fis-je simplement, en lui adressant un sourire d'excuses. Je n'avais pas pris de vacances de plus de quelques heures depuis si longtemps qu'il ne m'était pas naturel de ne rien faire. Ici, loin du Cerberus, de mes plans et mes stratégies, je me sentais inutile, mais ça n'était pas de sa faute et lui en vouloir pour quelque chose qui n'était pas de son ressort était profondément injuste.

« Vous avez raison, je vais simplement profiter du moment. Et ne vous y méprenez pas : j'aime les spas, alors ne tentez pas de me le retirer ou vous vous risquez à plus qu'un échange de deux chiffres. » Le ton était plus sympathique et détendu que quelques minutes plus tôt. Pour autant, il me restait quelques efforts à déployer pour réellement réussir à me relaxer.

Si j'avais secrètement espéré que le spa y parviendrait, le résultat fut bien plus qu'escompté. Le Crust n'était décidemment pas un établissement qui laissait les choses au hasard, et les différents services - massage, pedicure, manucure, et coiffeur - furent difficiles à départager.

En définitive, l'heure du départ fut bien moins attendue que je ne l'avais prévu. Il était temps de retourner à la chambre et d'attendre Felipe.

La suite est égale à elle-même mais les signes de passage des employés du Crust néanmoins visible. La table a été débarassée et décorée de fleurs fraiches dans les tons blancs. Sur le lit impeccable, une robe d'un gris profond, en soie sauvage, est déployée. Sa coupe est simple, confortable et élégante, prévue pour la mettre en valeur tout en restant étonnament sage. Les chaussures proposées ont un talon moyen et semblent confortable. Il n'y a pas de mot, pas d'indication, rien de spécial.

Vingt heures sonnent lorsque Felipe frappe à la porte. Il s'est changé également, après avoir passé plusieurs heures à s'entraîner à la salle de sport et à ennuyer les jeunes à la salle d'arcade. A 19 heures seulement, il s'est retiré pour prendre une longue douche et passer un costume anthracite, sans cravate sur sa chemise pourtant fermée jusqu'au dernier bouton. Il fait chaud dans la station et il a retiré sa veste qu'il porte tranquillement sur l'épaule.

"Capitaine ?"