L'école est finie

Chobin. Bah. C'était de la musique agréable. Je n'avais jamais fait vraiment attention aux compositeurs et interprètes. Je laissais ça aux organisateurs de soirée et de salons. Mais je devais avouer que, dans le cadre de la suite, la musique donnait une atmosphère cosy, presque sensuelle. J'entrais donc, souriant à l'échange de Capitaines qui avait pour effet notable de me remettre en tête les limites que je m'étais imposé et m'assit sur le lit, tirant à moi une sorte de banquette/tabouret sans dossier très long qui devait servir à poser des...bagages ? Sans doute ? Quelle idée d'utiliser du velour pour un porte bagage. Je me rappelais qu'on avait des meubles de ce style chez moi. Je pensais vraiment à n'importe quoi. Hum. Je me saisis d'une brosse, lui fit signe de venir s'asseoir devant moi.

"C'est très bien." fis-je d'un ton bourru avant de lui tendre le paquet enroulé dans du papier de soie gris perle et de commencer à peigner doucement ses longs cheveux. "Pour toi."

Pour une fois docile, j'obéissais, venant m'asseoir dos à lui,a fin qu'il puisse plus facilement brosser ma chevelure. Très bien, dit-il. Parfait, donc. « Pour moi » ... Comment ça « pour moi » ?

« Pour moi ? », questionnais-je, sur la défensive sans raison.

Ce fut sa réaction qui me ramena d'un coup sur terre. Une agressivité latente que je n'avais pas anticipé, que je ne comprenais pas. Je lâchais ses cheveux.

"Oui, c'est un cadeau. Ouvre le, ça ne va pas te mordre. Promis, ce n'est pas un oeuf de canard."

J'aurais DU prendre un oeuf en cristal, maintenant que j'y pensais. Ca aurait été bien mieux. Bon. Euh. J'attrapais la brosse, repris ses cheveux que je tenais pour ne pas tirer sur la racine et commençait à démêler sa crinière, doucement. C'était un exercice familier. J'avais commencé à le faire pour Arg à l'époque où nous faisions encore des efforts puis depuis avec des amantes . J'ai toujours aimé toucher les cheveux d'une femme. Je trouve cela très sensuel. D'ailleurs je n'ai pas mis mes gants.

C'était si bête, en y repensant. Un simple geste de défense, comme une crainte qu'il ne soit allé trop loin, n'ait gâché la fête avant qu'elle ne commence. Suspicieuse, je l'ouvrais, pour mieux soupirer discrètement à la vue de la fleur en cristal. Ouf, pensais-je. Pendant un instant, l'idée qu'il m'ait offert quelque chose de fou - pas une bague, c'était évident -, de voyant, de personnel, m'avait terrifié au point que je m'étais préparée de la seule manière que je connaissais, après des décennies de rejet : la colère.

« Oh », fis-je finalement, le ton bien plus détendu. « Merci, c'est très beau. »

Profitant d'un instant de calme, je cherchais l'épingle pour l'attacher à ma robe, capitulait avant de chercher le moindre point de colle à activer, de nouveau sans succès. Je soupirais longuement, agacée par le mécanisme mystérieux. Il y avait une raison pour laquelle je ne portais pas de bijoux : je les perdais ou les cassais systématiquement.

« Est-ce que par le plus grand des hasards on t'aurait livré une notice explicative avec ? », lançais-je, un peu amère mais lui offrant un bref sourire pour démontrer qu'il n'en était pas la cible.

Nous avions repris nos distances. Moi avec l'humour, elle avec sa légèreté. Le malaise que m'avait causé sa vue dans la robe que je lui avais faite faire et ses cheveux détachés avait disparu mais également...je ne saurais comment le dire, c'était un malaise proche, un malaise presque amoureux dans le sens physique du terme. Maintenant que nous avions repris notre badinage, je ne nous sentais plus aussi proche et cela avait le mauvais gout de me décevoir. Je continuais à brosser, la laissant s'agiter puisqu'il ne s'agissait, pour le moment, que de la démêler.

"Tu la pose sur le tissu, le long de ton corsage et la super technologie brevetée machin truc fait que ça tombe pas. Tu peux aussi la mettre sur tes rideaux mais franchement je vois pas l'intérêt."

C'était devenu un cercle vicieux, entre nous : la proximité amenait la distance, la distance amenait la proximité. Nous jouions avec l'interdit, et ce depuis un mois qui semblait avoir duré un an. Il était évident que nous en étions conscients tous les deux : c'était une relation impossible, tabou. Quelque chose qui ne devait pas se savoir. Quelque chose qui ne devait pas arriver. Je croyais savoir qu'il patientait, attendait sagement que je sois affectée à un autre navire. S'il avait su, alors, aurait-il réagit autrement ? Aurait-il organisé ce voyage ?

Cela faisait maintenant deux semaines, et Zohar n'avait cessé de me presser pour lui en parler. Mais comment ? Plus le temps s'était écoulé, plus il m'était devenu impossible de le lui dire. Non, je ne pouvais le lui dire. J'expirais doucement, ravalant ma salive, avant de ma rappeler sa présence.

« Pardon, qu'on me coiffe me détend », mentis-je.

Je ris soudain, vraiment amusé par cette remarque absolument pas crédible. Je savais que Mia mentait mal mais à ce point, pour une joueuse d'échec, c'était hilarant. Elle était aussi détendue qu'un cadet qui doit servir un général. J'appuyais doucement sur les muscles de ses épaules.

"Clairement. Cela se voit."

Elle aurait été une femme à conquérir, j'aurais massé son dos, relevé ses cheveux, volé quelques baisers sur sa nuque. Je n'osais pas avec elle. Pas encore et repris mon démêlage soigneux et aussi doux que possible. Elle avait le droit d'être nerveuse. Il y avait plein de raisons pour cela. Moi aussi je l'étais, parfois, avec elle. Notre situation, l'attente, les mains d'un homme dans son dos, l'inconnu de ce soir, le retour sur le Cerberus, les échecs, les motifs ne manquaient pas et je ne voulais pas la gêner en la questionnant plus avant. Il me fallait relancer la conversation, avant que le silence ne devienne gênant. Chobin ne me donant guère de sujet, je pris un autre prétexte.

"Elle te plait au moins ? Je peux la changer ou trouver quelqu'un d'autre pour l'offrir si tu n'aimes pas, ce n'est pas un soucis."

Ses deux mains pesaient comme deux enclumes sur mes épaules. Le geste qui se voulait apaisant n'avait fait que leur rajouter du poids supplémentaire. Fort heureusement, ce fut lui qui changea de sujet. C'était avisé, et appréciable. S'il m'avait percé à jour, il n'en avait pas fait commentaire, n'avait pas débuté d'interrogatoire. A la place, il s'était contenté de m'offrir une porte de sortie, que je me hâtais d'emprunter.

« Non, non. Elle est très bien, c'est juste ... J'ai mes propres démons, et ils ont tendance à pointer leur nez quand je m'y attends le moins. » J'inspirais discrètement, pour me redonner du courage. « Alors, quelle coiffure as-tu prévu d'expérimenter ? Je te préviens, si je ressemble à Tawtute tu risques de perdre un peu d'ouïe avant l'âge. »

Nous avons tous nos démons. Et j'appréciais qu'elle les laisse apparaitre lorsque nous étions tous les deux. Je ne savais que trop bien à quel point elle pouvait s'enfermer dans une carapace. De peur d'effaroucher ce début de proximité, je ne fis pas de remarque, pas de geste pour la rassurer, à part poser ses cheveux alternativement sur son épaule droite, puis la gauche.

"Une sorte de tresse de côté un peu spéciale. Tu as une épaule préférée ? Quitte à en dévoiler une, autant choisir le bon profil."

Certaines femmes étaient facilement complexée mais je trouvais que les épaules et le dos étaient extrêmement sensuels lorsqu'ils étaient juste dévoilés et, contrairement à la poitrine, les jambes ou le bas des reins, c'étaient des endroits qui embellissaient avec l'âge.

« Je pourrais t'inventer une excuse ou une préférence, mais en réalité tu peux faire comme tu le préfères. Disons la droite, au hasard. »

Je souriais, bien qu'il ne puisse le voir, un peu impatiente de voir si son oeuvre m'avait arrangée ou son contraire. Cela dit, je lui faisais assez confiance pour qu'il sache reconnaître sa propre erreur, s'il en était venu à se tromper.

Une fois certaine qu'il avait terminé, je me relevais pour faire face au miroir.

« Eh bien, j'ai sacrément sous-estimé tes dons. Je te dois des excuses. »

"Ta droite ou ma droite ?" fis-je avec un sourire idiot vu qu'on est vers la même direction avant d'obéir sagement, faisant ma coiffure à Tribord, donc, m'amusant à tresser en noeuds marins plutôt qu'avec des brins. Et ça rend pas mal.

"La chance du débutant", avouais-je alors avec mon sourire canaille. Elle était de plus en plus belle comme ça, dans cette tenue. Je me levais à mon tour et enfilait les gants blancs sans lesquels un homme n'est pas totalement habillé. J'attrapais au passage la fleur de cristal et la déposait légèrement pour souligner le décolleté de ma compagne. Le machin se colla automatiquement, comme prévu. Je remis une mèche bien à sa place, frôlant son front. "Là. Tu es parfaite. J'espère que tu as faim ?"

« Une faim de loup. Tu vas devoir me canaliser vis-à-vis des petits fours sinon je ne finirais pas mon dessert. Ou pire, je n'aurais pas d'énergie pour notre rendez-vous en fin de soirée. »

Courte et peu subtile allusion à notre rencontre avec la belle blonde, durant l'entracte du tournoi. J'offrais mon bras à Felipe - il l'avait bien mérité - avant de l'attirer dans le couloir. Si j'avais grossi le trait, j'étais effectivement affamée.

« Cela va nous paraître tellement lointain et étrange, demain. »

Je me mordis la lèvre pour garder en moi des pensées mal-venues que son discours, pourtant innocent, avaient fait naître, bien plus en l'imaginant affamée qu'à l'idée de ce pseudo-rendez-vous de fin de soirée auquel je ne croyais pas du tout. Je ne la voyais pas me jeter dans les bras d'une autre femme et, entre nous deux, il y avait le mur de verre des réglementations militaires impériales.

J'acceptais son bras, galamment et l'emmenais donc vers l’embarcadère. Sa remarque au milieu des couloirs richement décorés menant aux chambres de luxe me fit sourire à nouveau. "C'est le but des vacances, Mia. Dépayser pour reposer l'esprit des préoccupations quotidiennes. Je suis prêt à parier que tu n'en as pas pris beaucoup, ces dernières années. Je me trompe ?" Dans un hangar à l'écart des vaisseaux civils, une navette nous attendait, avec deux tables de deux, une table de quatre et un maître d'hôtel/stewart devant la porte.

« Si les congés se cumulaient d'une année sur l'autre, j'aurais de quoi partir en année sabbatique », déclarais-je, sans mentir, avant de jeter un regard perplexe au contenu de la navette que nous empruntions.

« On mange à huit dans la navette, ou tu me prépares encore un tour ? »

"Tu pourras négocier une retraite anticipée si c'est ce que tu veux, cela te permettrait peut-être de consacrer plus de temps ou d'énergie à tes autres projets." Je reste très prudent sur mes formulations pour ne pas la trahir sans le vouloir, -on ne sait jamais lorsque l'on est en public, mais je n'y crois pas. Elle est comme moi, elle mourra les armes à la main plutôt que de se laisser remiser dans un placard.

"C'est une navette pouvant accueillir jusqu'à huit personnes en effet mais nous ne serons que quatre. Les deux vainqueurs du tournois et nous deux. Et évidement le personnel. C'est plus prudent tu sais, d'avoir des témoins lorsque nous sommes dans ce genre d'ambiance. Une calomnie est vite arrivée et j'ai donné ma parole au Capitaine de Aragon." Et comme si je venais de parler de la pluie et du beau temps, je la fais passer devant. "Après toi, choisis la table que tu préfères."

« Le jour où je prends ma retraite sera le tiens, Felipe », fis-je à voix plus basse, sur le ton de la plaisanterie. Après un bref salut de la tête à l'adresse du stewart, je montais et, une courte hésitation plus tard, m'installais à la table de quatre. Après tout, nous séparer d'un fossé entre les deux tables aurait pu être insultant pour le jeune couple qui avait été invité. Je tournais à demi la tête, curieuse de savoir où Felipe déciderait de s'installer.

Je ris. "C'est de la triche, tu es plus jeune, je devrais pouvoir profiter d'au moins un an pour te narguer ! Même si cela veut dire que je serais un vieux croûlant." Je ne suis déjà plus tout jeune pour le service actif. Heureusement que j'ai une bonne santé et que je me maintiens. Je l'observe avec plaisir prendre la table à quatre, celle qui donne sur une grande baie vitrée vers l'espace. Je m'assied à sa droite. C'est ma place, à tel point que je ne réfléchis même pas. Le couple nous rejoint alors rapidement, la conversation s'engage autour du thème des échecs d'abord et puis, entre moi et la jeune femme qui s'est mise à mes côtés, sur les roses en cristal, puisque je lui ai offert sa tulipe jaune pour payer notre pari de tantôt. Dehors, une aurore caressait une lune tandis que nous nous envolions en souplesse vers un endroit plus sombre de l'espace environnant.

« Désolé, le comité des cheveux blancs me dit dans l'oreillette qu'il n'est pas d'accord », répondais-je du tac au tac. Et il ne pouvait nier que j'en avais bien plus que lui : je n'avais que ça.

Puis vinrent ceux qui contrastèrent tant en âge qu'en complicité ; en apparences, en tout cas, car il était rare pour tous deux de nous présenter sous un jour intime en public. Felipe était un hôte habile, un véritable noble de l'Empire : il avait su mettre à l'aise les deux jeunes gens. Soulagement : à aucun moment n'entendis-je le garçon me remercier, au contraire eut-il l'amabilité d'être un compagnon de jeu particulièrement habile pour barber nos compagnons respectifs à l'aide de grands discours sur les jeux d'échecs.

Si les deux se désintéressèrent de nous, je gardais instinctivement une oreille attentive aux propos échangés entre celui qui devrait être mon subordonné et la jeune et belle jeune fille, tentant de me convaincre - avec succès - que nulle pointe de jalousie ne pouvait naître.

Finalement, je profitais d'un silence pour laisser mon regard se perdre dans l'infinité galactique.

Je ris à sa répartie. Bien trouvé, à part en plaisantant sur une teinture que je ne ferais jamais, elle gagnait ce round. Reflexion faite, je préférais ne pas répondre du tout. Elle serait capable de me dire chiche et je n'avais pas envie d'accuser mon âge. Et puis c'était son week-end, elle avait bien mérité de gagner. Pour cette fois.

je discutais donc arrangement floral avec l'enfant près de moi, ma faible connaissance du sujet la rendant plus passionnée encore, surtout qu'elle tentait, je pense, ranimer l'intérêt de son compagnon en le rendant jaloux. Du coin de l'oeil, je surveillais le reste du groupe sans rien voir de particulier, si ce n'est que la première figure pyrotechnique commença juste alors qu'elle regardait l'espace.

Raedhun ne m'avait pas menti. Le spectacle qui dura tout le temps du repas était grandiose, poétique sans romantisme à outrance, jouant avec brio entre les obstacles naturels qui surgissaient tandis que la navette glissait doucement sur son parcours habituel. Le silence s'était fait autour de nous quatre. Nous buvions et mangions des lèvres et du regard. Et puis, après un bouquet final, le noir revint. Le week-end était terminé. Pour ma part, du moins.

C'était inattendu, à tel point que je m'étais soudain redressée, surprise. Magnifique fut le premier mot qui me vint à l'esprit, avant de secouer doucement la tête. A nouveau, Felipe marquait des points : j'étais, depuis mon adolescence, passionnée par l'espace. Ou plutôt que passionnée, captivée. Sa grandeur, son infinité, ses dangers ... tout me passionnait en lui. Si je l'aimais pour ce qu'il était, je savais trouver du charme à ces artifices, ces explosions de couleur.

Si l'itinéraire de la navette ne l'avait dénoncé, le regard de Felipe l'aurait fait : il avait placé là son dernier pion, sa dernière surprise. Expirant longuement, d'aise, je ne remarquais que maintenant le silence qui s'était construit autour de la table, que mon compagnon détestait tant. Il était temps de venir à son secours, à mon tour.

« Si j'attrape le plaisantin qui a lâché tous ces pétards dans l'espace, il va m'entendre. Il n'y a plus de jeunesse, que des délinquants. »

"C'est les artilleurs ça, tu sais bien. Il ne faut jamais nous mettre à portée d'explosifs. On ne peut pas s'en empêcher. Sans rien à tirer pendant plus de trois jours, nous dépérissons."

J'assumais complètement les feux d'artifice et appréciais de la voir se détendre, oublier ses projets meurtriers et le poids de ses responsabilités qui avaient blanchi ses cheveux avant l'âge. Amusé, je m'approchais de son oreille découverte par la coiffure que je lui avait faite.

"Que veux-tu. Les bêtises, c'est ce qui éloigne les cheveux blancs."

La jeune femme aussi, regardait émerveillée, les souvenirs de ces lumières qui s'étaient imprimées sur nos rétines. Même le jeune coq semblait ébahi. Je devais avouer que j'étais moi-même impressionné, malgré tout.

"Je propose un toast aux victoires et à la beauté."

La jeune rougit. Ce n'était pourtant pas à elle que je m'adressais en moi-même.

Je levais mon verre, pour montrer l'exemple, affichant un sourire simple, sans intention, offert à Felipe.

« A un séjour parfait. »

Nous trinquâmes au champagne devant un soufflé sombre aux notes d'épices et de sucre. Puis, le thé et le café expédiés, la navette retourna à son quai d'attache et il fallu réintégrer l'hôtel. Je m'inclinais cérémonieusement devant la jeune femme, lui chuchotant un conseil à l'oreille. Elle était sympathique. Mais tellement jeune. Je serrais la main du champion, qui ne savait pas trop comment prendre mes attentions envers sa fiancée et proposais mon bras à Mia pour la raccompagner à sa porte. Une nouvelle fois, je laissais planer ce silence que j'aimais si peu parfois et qui, par moment, s'imposait de lui-même. Je ne savais simplement pas quoi dire. Nous étions sur un fil. Et j'avais peur, par un mot ou un geste maladroit, de nous faire sombrer d'un côté ou de l'autre...

Je ne dis rien, parce qu'il n'y avait rien à dire, mais tout à regretter. Felipe avait été le plus proche de tous mes amants, le seul que je crois avoir réellement aimé. Qu'aurait été ma vie si, adolescente, j'avais fait le choix du coeur plutôt que celui de la raison ? Que serait la Mia d'aujourd'hui ? Une épouse. Une fille. Une soeur. Une mère. Tout ce que je n'étais plus. Tout ce que je ne serais jamais.

L'eau avait coulé sous les ponts, le temps filé, mais ... Un regard, quelques mots. Il n'en fallait pas plus pour que la flamme ne se réveille, entre Felipe et moi. Rien de plus qu'une lueur dans les braises, captivante mais dangereuse, qu'on ne peut toucher au risque de s'y brûler.

Le monde était fait d'interdits, m'avait retiré tout ce qui m'était proche. Ma mère. Erika. Noor'hayl. Et tôt ou tard, Felipe, toi aussi me quitterait.

Face à ma porte ouverte, j'avais levé vers lui le regard de ceux qui se perdent, qui ne savent où ils vont, ce qu'ils doivent faire, ce qu'ils sont. Je m'étais avancée, sur la pointe des pieds, pour lui offrir un court baiser. Non pas un baiser d'amour, ni de passion, mais de désespoir. D'excuse. Trop plein de regrets, d'instants que nous n'aurions jamais plus le droit de nous offrir, de vérités que je n'osais dévoiler.

Felipe me détesterait-il, lorsqu'il saurait que je lui avais caché le plus important ?