L'école est finie

Il hocha simplement la tête, blanc comme un oeuf, encore sonné par les nombreux macaques qui s'exclamaient autour de sa défaite à venir, osant prétendre qu'ils l'auraient vaincu, eussent-ils été confrontés à lui.

« Mais vous n'êtes pas que ça. » Il releva la tête, presque suppliant : il ne voulait pas davantage d'humiliation, celle-ci était déjà suffisante. Sans doute s'attendait-il à ce que je joue le jeu des autres gens de haute naissance. Il se savait faible, en cet instant, et ne perçut même pas la présence de la jeune femme qui vint lui poser une main sur l'épaule pour tenter de le réconforter.

« Vous êtes passionné. Vous vous moquez des critiques, tant que vous gagnez, n'est-ce pas ? Rien d'autre n'a d'importance. » A nouveau, il hocha. « Vous êtes exactement comme je l'étais, lorsque j'ai acquis mon titre de championne impériale », glissais-je avec un sourire tendre, tant pour le garçon que pour informer Felipe qu'il se jouait ici plus grand qu'un simple tournoi. « Prenez-en soin, mon garçon. »

J'avançais mon Roi, dans une position que personne n'attendait : ce coup était un appel à l'échec et mat, et par cet unique mouvement la défaite m'était ouverte. Tremblant, il m'offrit un regard surpris. Il hésita, et je devinais le pourquoi se dessiner sur ses traits.

« Je l'ai porté trop longtemps », fis-je simplement. « Ne laissez pas les macaques vous le dérober, ou vous aurez affaire à moi. »

Il n'hésita plus.

Elle n'en a pas fini. Elle prépare quelque chose, je le sens dans la foule qui regarde et en oublie presque de se moquer. Par réflexe, et entraînement je suppose, je passe à mon tour la barrière, m'approchant sans avancer trop près pour ne pas la gêner. Je croise son sourire et je comprends. Les joueurs, eux, sont interdits. Il n'est pas possible de croire que Mia de Moya pourrait perdre exprès. Mais penser qu'elle ait fait une erreur aussi stupide est tout aussi incroyable. L'expression du garçon change. Il n'hésite plus, il fonce. Si ça avait été un piège, il aurait donné droit dedans. Et c'est ce qu'il a fait, car maintenant, il va devoir se battre. Pour prouver que sa victoire contre l'ancienne championne n'est pas un accident. Pour garder son rang. Et s'il est aussi loyal qu'arrogant, pour rembourser sa dette. J'écarte les idiots qui gênent mon passage à mon ami, m'approche d'elle, m'incline profondément et lui propose mon bras. C'est fini. Le champion va être sacré, dans toute la gloire de sa victoire. Se rendra-t-il compte ce qu'il a perdu ? Peut-être. Cela fait longtemps que je ne m'embête plus à plaindre les jeunes. Je prends le prétexte d'une accolade de félicitation à mon amie pour chuchoter à son oreille.

"Bien joué, vous venez de vous gagner un formidable allié. Je vous dois une bière."

J'acceptais le bras du Capitaine, me relevant pour le suivre. Il était amusant de constater que les commérages s'étaient tus. J'avais peut-être perdu, mais en un sens, j'étais la gagnante de ce tournoi. Nombreux étaient ceux qui me regardaient bouche-bée d'avoir abandonné - ou perdu, le doute subsistait - mon titre si facilement, et face à quelqu'un d'aussi jeune. Je ne me retournais pas : le nouveau champion ne le méritait pas. Et puis, pour être tout à fait honnête, j'avais toujours trouvé l'effet d'un dos plus puissant que mille mots, et un égo trop grand pour ne pas en abuser. Je souris à mon compère lorsqu'il me chuchote sa remarque, répliquant sur le ton de la confidence à son oreille, sans m'en cacher.

« Cela tombe bien, j'avais soif. Pourquoi croyez-vous que j'ai volontairement perdu ? Et plus sérieusement, c'était si évident ? Moi qui espérais que le doute plane, histoire d'alimenter les histoires pour les générations de joueurs d'échecs à venir ... »

Nos deux dos quittent la scène tandis que l'étonnement fige encore les spectateurs. C'est une sortie d'impératrice que se fait Mia et que je cautionne en tenant très à coeur mon rôle d'escorte. J'ai pris mon plus beau maintient militaire et c'est presque solennellement que nous passons la porte. Nos paroles, elles, sont beaucoup plus légères.

"Votre sourire l'était pour moi. Mais les autres vous connaissent moins bien et je pense que vous avez parfaitement réussi votre coup sur au moins les 4 niveaux que je perçois, comme ça sans réfléchir." Je ne suis certes pas excellent aux échecs, mais je suis devenu un stratège plus que convenable, avec les années. "Pas déçue de votre journée, Capitaine ?"

Je fais mine de prendre un temps de réflexion. « Je pourrais vite m'en accommoder », fis-je simplement, accompagné d'un sourire espiègle. Si j'étais ravie, et que cela se lisait sur mes traits, je ne comptais pas l'avouer si facilement. Felipe avait vu juste sur beaucoup de choses, ces deux jours, et il me tardait de découvrir de quoi il retournait.

« Merci, Felipe », ajoutais-je quelques instants plus tard un ton plus bas, sans le regarder. « Dans quelle nouvelle aventure allez-vous me traîner maintenant, Capitaine ? »

"La Grande Aventure de la Pinte de Bière. C'est l'histoire de...euh... j'ai toujours été très mauvais en histoires mais c'est une belle histoire et à la fin, ils sont tous heureux et plein de bulles." Je souris à mon tour. Elle me connait, elle sait bien que je ne dirais rien sur ce qui l'attend. A part peut-être que... "Ensuite, je vous suggère d'enfiler la robe dans laquelle je ne vous ai pas assez vue hier soir pour une nouvelle tentative de diner entre adultes. J'hésite par ailleurs à proposer au jeune couple de champion de venir nous rejoindre. Je voulais vous en parler auparavant pour recueillir votre avis sur le sujet. Capitaine."

Je le regardais avec une pointe de amertume, fort heureusement passagère. Enfiler la robe, mh ? C'était l'excuse rêvée pour mettre mon plan à exécution.

« Ca me semble raisonnable. Quant à l'invitation des deux jeunes, j'admets avoir désiré un temps jouer la vieille mystique joueuse d'échecs dont il ne sait pas grand chose sinon ce qu'on en raconte, mais en définitive votre idée est bien meilleure. Espérons que ça ne rompe pas le charme de la soirée, car au final nous ne connaissons ni le coq ni sa dulcinée. »

"Il y a peu de risques. Voyez-vous, j'y ai longuement réfléchi."

Au moins... trois minutes. Tout en parlant, je continue à l'emmener vers la salle typée taverne, la laisse s'asseoir seule et reprend.

"Je vois à ce plan quatre issues possible. S'ils viennent, bien entendu. La première est que le couple est adorable et sympathique, auquel cas nous passerons une bonne soirée. Deuxième, le couple est prétentieux et arrogant, auquel cas nous échangerons des regards complices et nous moquerons l'air de rien, ce qui nous fera passer une bonne soirée. Troisième possibilité, nous n'avons rien à nous dire, je ferais donc la conversation et dirais des bêtises ce qui ne peut que vous faire sourire. Quatrième possibilité, il sont particulièrement stupides et nous nous moquerons et reprendrons le point un. Comme vous voyez, il n'y a pas de risque qu'ils gâchent quoi que ce soit."

A part peut-être une ambiance romantique. Mais c'est ce que je veux éviter. Je refuse de tomber dans le piège à nouveau. C'est trop tôt. C'est interdit. Ce n'est pas le but du week-end. Plein de raisons pour vouloir des témoins à nos tête à tête.

Ca me paraissait un peu farfelu, comme plan, mais après tout pourquoi pas. Je haussais simplement les épaules, pour afficher mon accord. De plus, j'étais curieuse de connaître le poulain sur lequel j'avais parié.

« ... attendez, ne seriez-vous pas en train de dire que je suis aussi fourbe que vous l'êtes ? », fis-je en lui offrant un regard vexé clairement surjoué.

Comment ça, aussi fourbe, plus même pensais-je immédiatement tandis que je laissais traîner sa question sans réponse le temps de lui mettre une pinte d'ambrée entre les mains. Je pris alors la peine de lui offrir mon plus bel air innocent, les yeux brillant d'amusement. "Capitaine, je m'acquoise et ne dit plus rien." Je n'étais pas certain de l'existence du mot et, au lieu de me poser des questions, je levais ma bière vers elle et en but une gorgée, le faux col se prenant dans ma moustache.

J'attrapais la bière, et le regardait avec deux gros yeux de poisson. Acquoire ... Acquoire. Bon sang, qu'est-ce que ça veut dire ? Il était impossible que monsieur soit plus lettré que moi, et pourtant ... Inventait-il le mot juste pour m'y faire réfléchir ? Ou peut-être était-il sérieux et je ne le connaissais pas ? Oh bien sûr, il aurait été plus simple de le lui demander directement, mais je risquais de passer pour une cruche ; un sentiment que je suis loin d'affectionner.

Je secouais la tête pour sortir de mes réflexions qui, bien malgré moi, avaient été plus longues que prévu. Je lui offre simplement un bref sourire, un peu faux, avant de me racler la gorge.

« Bref », envoyais-je finalement pour changer de sujet. « Je m'étais jurée de ne pas poser la question, mais je ne tiens plus, Capitaine : pourquoi tout ça ? Pourquoi moi ? »

Je regarde longuement ma supérieure, réfléchissant. Je pourrais noyer le poisson en racontant une bêtise. Ou improviser une raison qui soit logique et crédible. J'hésite. Maintenant que je suis devant elle, cette raison me parait stupide et beaucoup trop personnelle pour la livrer. Je me sens rougir un peu.

"Et bien...il y a très longtemps j'ai connu une jeune femme qui vous ressemblait beaucoup. C'était une amie chère a mon coeur, que j'ai perdu de vue. Et lorsque je vous ai rencontré, Capitaine, je me suis rappelé de cette amie que j'avais un peu oublié, voyez-vous. Et je l'ai entendue m'engueuler de vous laisser ainsi, vous rouiller dans le travail, sans rien d'autre, sans personne. Ce n'est pas juste. Vous méritiez un ami. Et comme je ne voyais personne de mieux placé que moi, je me suis en quelque sorte dévoué." Je souris à ma propre mauvaise-foi qui n'arrive pas à ne pas teinter d'humour et d'auto-dérision même mes décisions les plus honnêtes. Surtout celles là je crois. "Tu n'as pas à craindre que je te demande des choses ou que je cherche à t'arracher ce que tu ne veux pas donner. Pour une fois, ma démarche est sincère. Je t'ai vue sur le Cerberus, hantée par le devoir. Je sais ce que c'est que de n'avoir rien d'autre. J'ai voulu te rappeler, ce que c'était que vivre pour de vrai, te rappeler les passions que tu avais, avant, et les émotions qu'un vrai repos peut procurer. C'est tout."

Je l'écoutais sagement, sirotant ma bière pour ne pas marquer de pause dramatique, ou embarrasser Felipe davantage qu'il ne l'était déjà. Il n'avait jamais été le plus fort, pour me confier ses sentiments ; difficile de dire si j'en étais la raison, ou s'il en était ainsi avec tous.

« Merci », fis-je enfin. « Tu es un bon ami, Felipe. » L'emploi du tutoyement avait été appuyé, de même que son prénom. Il en comprendrait l'essence : j'étais véritablement reconnaissante qu'il essaie. Plus, qu'il y soit parvenu, ne serait-ce que pour quelques jours. M'éloigner d'Erika était ... Non. Ce temps était pour moi.

« Je n'ai jamais vraiment oublié qui je suis, c'est juste que ... Je n'arrive plus à la laisser sortir aussi souvent que je l'aimerais. Je crois que je me suis habituée à un fait qu'aucun ne peut oublier : tout le monde s'en va un jour. M'éloigner des autres n'est pour moi qu'un autre moyen de me protéger de davantage de pertes. Et pourtant, te revoir ... Je ne sais pas, je crois que cela a réveillé quelque chose en moi. Comme une jeunesse trop vite oubliée. Trop vite disparue. »

Je ne voulais pas rougir plus. Je ne voulais pas non plus détourner son remerciement d'une blague car je le sentais sincère et qu'il me touchait. Je posais ma main sur la sienne, serrait un peu, puis la retirait. Cela suffirait, je pense à passer ce que je ne pouvais nommer. Par chance, elle continua, un peu dans le vague peut-être. J'eu un sourire triste. J'avais eu plus de chance qu'elle dans le Jeu de la Vie, peut-être. Mais j'avais eu mon lot de pertes. J'avais passé les cinquantes ans, dans l'armée, et j'étais toujours là. Mia et moi n'étions pas la norme du service actif. J'ouvris plusieurs fois la bouche pour parler, incapable de savoir ce que j'allais vraiment dire.

"Ta vie n'a pas été facile." Il n'y avait pas de pitié dans mon ton mais l'expression factuelle d'une vérité. Plus dure que la mienne, c'était certain. "Juste, n'oublie pas que tu n'es pas obligée de la vivre seule. Et si la mort est un spectre qui plane au dessus de nous tous, la solution n'est pas de réduire les amis mais bien de les multiplier, elle ne pourra pas avoir tout le monde en même temps !"

Je souris d'un air bravache. Faites ce que je dis, pas ce que je fais. J'espérais qu'elle ne se rende pas compte que j'étais au moins aussi seul qu'elle, que ma pseudo-sociabilité n'était rien d'autre, au final, qu'un écran de fumée qui m'abusait moi-même, parfois. Il faut bien passer le temps.

Je ne me le cachais pas : il y avait toujours pire que soi, dans un univers aussi grand. De plus, je n'étais pas du genre à m'apitoyer sur mon sort. A l'inverse, je préférais amplement le combattre. Cependant, Felipe ne l'avait pas annoncé pour me plaindre, n'avait fait qu'énoncer un fait : ma vie n'avait pas été facile.

« J'essayerais », promis-je, me demandant combien d'amis par centaines il avait bien pu se faire depuis son arrivée. C'était ainsi que j'imaginais Felipe : sociable, accessible et fier. Je l'observais sans mot dire un instant, sans doute trop long, le regard sibyllin et pourtant si expressif.

Inconscient des ruses de Mia autour de ses silences, je le laissais s'étirer au moins tout ça avant d'en être un peu gêné. Je retierais ma main, repris une longue gorgée de bière puis toussait un peu. Le regard étrange qu'elle me lançait me perturbait plus que je n'aimais me l'avouer et je ressentais le besoin de retourner sur un terrain plus stable que celui des sentiments et des non-dits. Je souris.

"Donc." Bon début. Toujours un bon début. "Tu as un peu de temps libre avant notre dîner, que souhaiterais-tu faire ? Te reposer seule ? Un peu de..." j'allais dire sport, je me retins, sans savoir pourquoi "d'arcades ? Un tour au spa ou chez le coiffeur ? A moins que tu ne veuille te coiffer toi-même ?" A moins qu'elle ne veuille que je la coiffe ? Arg me demandait ça, à l'époque où nous essayions encore...

Son « donc » avait eu deux effets positifs : changer de sujet et me sortir d'un trop long silence. Je l'écoutais avant de laisser s'échapper un rire moqueur.

« Me coiffer, toi ? Bien sûr, quelle merveilleuse idée ! », lançais-je, sarcastique et peu certaine des talents de coiffeur de Felipe, tout en n'osant admettre ma curiosité. En plus, j'étais déjà allée au spa la veille.

"Hey ! J'suis pas si mauvais en coiffure. Je sais même faire les tresses. A trois brins, et ouais !" Je fais le fier, souriant à nouveau mais en vérité, je ne suis pas excellent coiffeur, loin de là et je n'avais aucun plaisir à manipuler la longue chevelure châtain clair de ma non moins mal-aimée moitié qui avait fini en désespoir de cause, par exiger une femme de chambre coiffeuse que j'avais été trop heureux de lui fournir. Pourtant, ce n'est pas un exercice que je déteste. Il y a quelque chose d'infiniment doux à toucher les cheveux d'une femme. Je lève un sourcil. "Tu as peur de me les confier, avoue."

"Chiche." Je ne réfléchis pas. Et pourtant, je ne suis pas du genre à accepter n'importe quel défi parce que s'en est un. Je sais dire non lorsque j'en ai envie. Je n'en ai pas envie, je suis heureux qu'elle ait marché dans ma provocation, amusé à l'idée de passer du temps à la coiffer, à la manipuler. Physiquement. J'en oublie la dangerosité de la situation. Pour moi j'entends. Je suis juste heureux et amusé de pouvoir à nouveau oublier l'adulte sérieux, le Maître d'Abordage, le Capitaine Impérial et d'être juste Felipe. "A la fin de la bière, tu retournes dans ta cabine, tu te prépares et lorsqu'il n'y a plus que la coiffure à faire, tu m'appelles dans ma chambre et je viendrais te rejoindre. Prépare un truc à regarder ou à écouter en même temps, si tu veux. Mais pas Dawn-sun, je t'en supplie..."

C'était délicieusement dangereux, mais je n'osais - ou ne pouvais, je ne saurais dire - arrêter le jeu ici. Quoi qu'il advienne, cela n'aurait d'avenir que durant notre séjour, me mentais-je pour me convaincre.

Presque par jeu, je descendais lentement ma bière d'une traite, avalant lentement gorgée après gorgée tout en lui jetant un regard de défi. Puis je me relevais, sans mot dire ni le quitter des yeux.

« Assures-toi d'être seul », lançais-je, énigmatique, avant de me retourner pour lui offrir mon dos et m'en aller. Un couloir plus loin, je pouffais doucement. J'espérais secrètement qu'il m'imagine lui ouvrir nue suite à ma remarque, pour mieux être déçu de ce qui l'attendrait, mais malheureusement Felipe n'était pas aussi naïf.

Nous vidâmes donc nos bières, liés par des regards et des sourires qui disaient tellement plus que ce que nous aurions osés par les mots. Sur la fin, elle me lança une flèche du Parthe que je lui laissais, avec d'autant plus de facilité qu'elle me fit froncer un peu les sourcils. S'imaginait-elle que je viendrais accompagné pour la coiffer dans sa chambre ? Je ne savais pas trop à quoi elle faisait référence et ne m'en souciais pas assez pour m'en inquiéter vraiment. Tranquillement, je retournais dans ma cabine, me changeant pour un costume de soirée, noir et blanc, avec une écharpe violine et argent à la taille pour masquer un peu les ravages du temps et rappeler mon allégeance à la famille De Golazzo. Puis, j'allumais mon Hcom pour regarder des tutos de coiffure. Il me faudrait visiblement des épingles et de la laque. J'appelais le service de chambre, me fis livrer tout ça, sans questions.

Je m'étais également préparée, prenant mon temps pour me faire belle - à l'exception de ma chevelure, bien entendu : cela faisait partie du marché. J'avais opté pour la robe qu'il m'avait faite faire ; ne pas l'utiliser aurait été un crime, et je ne souhaitais non plus décevoir De Golazzo.

Il ne restait plus qu'à l'attendre. Oh, et à préparer une activité ludique. Je l'admets, j'avais hésité à continuer Dawn-Sun là où nous nous étions arrêtés, avant de changer d'avis et d'opter pour de la musique classique : Federico Chobin, ou l'art de manier le piano comme un homme devrait caresser une femme. Si je n'y connaissais pas grand chose en musique, j'avais toujours trouvé certaines de ses mélodies, aux relents mélancoliques, profondes et puissantes tant par le jeu des notes que par les émotions qu'elles renvoient.

J'avais pris un sac besace en toile qui jurait un peu avec le reste de ma tenue décidément habillée. Lorsqu'elle m'avait appelée, j'avais décidé de faire un petit crochet par la boutique de l'hôtel qui vendait des fleurs en cristal délicatement colorées, toute en transparence dont les fins boutons en grappe se succédaient dans une courbe délicate. Le tout était monté sur un mécanisme dont la vendeuse assurait qu'il tenait sur n'importe quel tissu sans trous ni colle. Ne demandant qu'à la croire, j'avais donc pris une de ces babioles, dans un bleu/vert qui irait, à ce que je pensais, avec la robe.

Evidemment, il y avait le risque qu'elle ait décidé de se mettre en jean pour marquer des points.

Mais je pariais sur son désir de plaire, surtout maintenant qu'elle savait que nous ne serions pas seul au diner et qu'il y aurait les deux jeunes gens du concours d'échec.

J'avais par ailleurs acheté une tulipe jaune pour la belle compagne du jeune coq.

Par jeu.

Et puis j'avais frappé, et elle avait ouvert, et, pendant une demi seconde, j'avais perdu mon souffle.

"Jolie..." arrivais-je à balbutier de manière peu crédible. Je toussais. "Permission de rentrer Capitaine ?"

J'avais failli rougir, n'avait résisté que grâce à son embarras qui me fit glousser doucement. Il était élégant, dans son costume à deux tons. Si j'étais moins partisane de l'écharpe violette, une couleur que je n'appréciais que peu, je ne pouvais m'empêcher de constater que cela mettait en valeur certains de ses traits.

« Permission accordée, Capitaine », répondais-je simplement en m'écartant du chemin. « J'espère que vous aimez Chobin ; je me suis dit qu'il serait judicieux de préparer le terrain en occupant par la musique les grands silences et les râleries pendant que vous essayerez de défaire mon sac de nœuds capillaire. »

Je m'approchais d'une chaise accompagnée d'un petit plateau roulant sur lequel était disposé les différents accessoires nécessaire au chantier qui attendait de Golazzo.

Chobin. Bah. C'était de la musique agréable. Je n'avais jamais fait vraiment attention aux compositeurs et interprètes. Je laissais ça aux organisateurs de soirée et de salons. Mais je devais avouer que, dans le cadre de la suite, la musique donnait une atmosphère cosy, presque sensuelle. J'entrais donc, souriant à l'échange de Capitaines qui avait pour effet notable de me remettre en tête les limites que je m'étais imposé et m'assit sur le lit, tirant à moi une sorte de banquette/tabouret sans dossier très long qui devait servir à poser des...bagages ? Sans doute ? Quelle idée d'utiliser du velour pour un porte bagage. Je me rappelais qu'on avait des meubles de ce style chez moi. Je pensais vraiment à n'importe quoi. Hum. Je me saisis d'une brosse, lui fit signe de venir s'asseoir devant moi.

"C'est très bien." fis-je d'un ton bourru avant de lui tendre le paquet enroulé dans du papier de soie gris perle et de commencer à peigner doucement ses longs cheveux. "Pour toi."