L'école est finie

La suite est égale à elle-même mais les signes de passage des employés du Crust néanmoins visible. La table a été débarassée et décorée de fleurs fraiches dans les tons blancs. Sur le lit impeccable, une robe d'un gris profond, en soie sauvage, est déployée. Sa coupe est simple, confortable et élégante, prévue pour la mettre en valeur tout en restant étonnament sage. Les chaussures proposées ont un talon moyen et semblent confortable. Il n'y a pas de mot, pas d'indication, rien de spécial.

Vingt heures sonnent lorsque Felipe frappe à la porte. Il s'est changé également, après avoir passé plusieurs heures à s'entraîner à la salle de sport et à ennuyer les jeunes à la salle d'arcade. A 19 heures seulement, il s'est retiré pour prendre une longue douche et passer un costume anthracite, sans cravate sur sa chemise pourtant fermée jusqu'au dernier bouton. Il fait chaud dans la station et il a retiré sa veste qu'il porte tranquillement sur l'épaule.

"Capitaine ?"

La découverte de la robe ne m'avait même pas surpris. Je l'avais compris depuis un moment, déjà : l'intégralité de ces deux jours serait faite pour me surprendre. Puisque je me l'étais promis, autant poursuivre sur ma lancée : je me laisserais emporter par les événements.

Robe enfilée, j'inspectais ses formes sur les miennes, agréablement surprise par sa sobriété et son élégance combinées. Les chaussures, enfin, ne me faisaient pas l'affront de me forcer à porter des talons aiguilles : on ne me ferait porter ces instruments de torture sous aucun prétexte, même sous la contrainte.

« Capitaine », répondais-je après avoir ouvert la porte et effectué un aller-retour de haut en bas. « Vous êtes bien élégant. Heureusement que j'ai trouvé cette robe dans un coin de la pièce, autrement je me sentirais sentie un peu dépareillée. Un peu poussiéreuse, mais je ferais avec je suppose. » La plaisanterie était claire.

En robe et ses cheveux gris retenus par un chignon sophistiquée, elle était magnifique, bien plus belle qu'elle semblait le penser. Surpris moi aussi par la tenue que j'avais commandée à Raedhun mais en refusant de voir le produit fini avant qu'elle ne le passe, je souris, reculait d'un pas et l'admirait. "Ma foi, si les rebuts sont de cette qualité, les femmes de chambre doivent être millionnaires." Non, vraiment, cela changeait tout. Je lui proposais mon bras, galament, bien élevé.

"Puis-je vous proposer de descendre dîner ? Une table nous a été réservée au restaurant de l'hôtel." Je n'ai pas besoin de préciser qu'il s'agit de l'étoilé je pense, elle a du comprendre le thème du week-end, elle n'est pas idiote. Je décidais de lancer la conversation. "Cariño s'excuse de ne pas pouvoir nous accompagner, il semblait que ses frères étaient au menu et il a gentiment décliné mon invitation."

Il était inhabituel mais plaisant qu'un homme m'observe si ouvertement. Je gloussais doucement à son trait d'humour en attrapant délicatement son bras.

« Dans ce cas, ne faisons pas attendre nos hôtes. Et ne vous inquiétez pas pour Cariño, je peux aisément comprendre qu'il préfère s'éloigner des fourneaux ; les accidents sont si vite arrivés. Surtout qu'après les sandwichs de tout à l'heure, j'ai hâte de découvrir ce qu'ils pourront nous proposer. Après tout, c'est ma première visite », rajoutais-je, pour tester s'il était au courant de notre relation, à Raedhun et moi.

Je me sentis sourire un peu plus à l'aveu de ma compagne. Evidemment, évidemment qu'elle n'avait pas pris le temps de découvrir l'attraction touristique principale de Hope. Il me semblait que sa vie entière tournait autour du travail et de ses recherches sur une coalition pirate. Alors que je n'étais pas là depuis dix jours que j'avais une assez bonne vue d'ensemble des évènements mondains du système. Il faut dire que, malgré moi, j'avais été bien dressé par ma femme sur ce sujet. Enfin, au moins je n'avais plus à y aller, c'était déjà un progrès notable.

"Je n'en suis pas surpris. Je vous soupçonne très sérieusement de vous passer des rapports vocaux pendant votre sommeil pour les retenir malgré vous."

Nous descendions donc vers le restaurant étoilé où nous attendait une table pour deux près des étoiles et un menu déjà commandé, vin compris. Je décidais de tenter un petit flirt. Pour voir.

"J'espère au moins que ce sont les miens."

Je ne pouvais retenir un sourire de sastifaction, alors qu'il semblait avoir avalé le pieux mensonge, espérant qu'il prenne cela pour une réaction à son humour.

« Chacun trouve le sommeil comme il peut, Fe- Capitaine. » Cela m'avait échappé, mais j'avais à peu près réussi à masquer son prénom, qui avait failli m'échapper, derrière son grade. Tout du moins l'espérais-je, tentant de masquer mon léger embarras. J'accueillais ensuite sa seconde remarque avec une franche mais indolore taloche sur l'épaule la plus proche, retenant un rire.

Une table proche de l'espace, à nouveau. J'en venais à me demander si Van Haten n'avait pas tout simplement décidé de m'envoyer le cosmos en pleine figure à tout les coins du vaisseau que je visiterais. Ce qui, dans le fond, ne serait pas pour me déplaire puisque j'étais une passionnée d'espace.

Je m'installais de moi-même sans attendre qu'il ne me tire la chaise. Il en était capable, et je comptais bien lui couper l'herbe sous le pied.

Je n'avais rien vu de louche au sourire. Par contre, je n'avais pas raté le lapsus révélateur et si elle se rattrapa, je n'en étais pas moins content. Cela voulait dire que mon plan fonctionnait. Elle se détendait, elle oubliait les rangs, les vaisseaux, les devoirs et se laissait aller à une amitié que j'espèrais qu'elle ressentirait un jour. Bien sûr, il y avait les souvenirs entre nous qui nous rapprochaient et nous éloignaient à la fois. Sa bourrade en était un rappel. Je ris à mon tour, léger, heureux de la voir se laisser aller. Un rire qui s'intensifia lorsqu'elle s'assit sans me laisser le temps de lui tirer la chaise. Je tapais du pied, comme un enfant frustré, mes yeux pétillant d'amusement mal dissimulé.

"Vous êtes vraiment impossible. On ne peut pas être galant avec vous. Vous avez seulement pensé depuis combien de temps je me vois tirer cette chaise ? Hein ? Les entraînements pour le faire d'un geste souple, sans faire crisser les pieds, sans abîmer le parquet, avec juste la bonne distance de la table pour que vous puissiez vous y asseoir confortablement sans que vous ne chûssiez ? Vous devriez avoir honte de votre comportement, jeune fille."

Je pouvais me le permettre, elle était plus jeune que moi. Je m'assis. Le serveur nous apporta un kir royal pour commencer, au sirop d'un fruit de Renaissance et, toujours amusé, je laissais le silence s'installer.

« C'est justement parce que je j'y ai pensé que je l'ai fait », confirmais-je en lui tirant la langue, en bonne jeune fille.

Remerciant brièvement le serveur, j'attrapais le verre qui m'était offert, le reniflant brièvement avant qu'il ne porte un éventuel toast. Ni fraise, ni cerise. Parfait. De nouveau, comme pour lui couper l'herbe sous le pied, je levais mon verre.

« Au travail bien fait. » L'allusion était à la fois une plaisanterie - puisqu'il m'avait amené ici pour m'éloigner du travail - mais aussi un compliment. Après tout, c'était vrai : il avait bien travaillé, et son plan semblait marcher.

Je fais semblant de grommeler, pour la forme, et parce que c'est ce qu'on attend de moi alors qu'arrivent les entrées. Menu dégustation complet avec choix du sommelier, soit un (petit) verre de vin différent pour accompagner chaque plat, le tout sans avoir besoin de commander quoi que ce soit. Contrairement à ma camarade, j'aime bien déléguer le contrôle, de temps en temps et me contenter de me laisser servir. Un souvenir de mon enfance sans doute. Je souris et lève mon premier verre. Nous trinquons. Mon regard se perd dans les étoiles.

"C'est vraiment un très bel endroit." Je secoue un peu la tête. "Alors, bilan de cette première journée. Est-ce que les masseuse ont eu besoin de sortir un marteau pour vous détendre ou bien un miracle s'est-il produit ?" Platitudes, platitudes. J'ai du mal à trouver quoi dire entre des taquineries légères et amusantes et des phrases toutes faites sur des sujets prudents. Je crois que j'ai un peu peur de me lâcher, moi.

Je souris en coin. Les masseuses, comme les masseurs d'ailleurs, n'ont eu aucun problème à me maîtriser. Ce qui ne m'empêchait pas de blaguer sur le sujet.

« Il faudra le leur demander quand elles se relèveront de leur comas, je suppose. »

A nouveau, il me semblait que, contrairement à moi, Felipe était étranger au silence. Peut-être même avait-il du mal à le gérer. En temps normal, il aurait payé cher cette faiblesse, mais maintenant n'était pas l'instant des taquineries trop mesquines. Les masseurs n'y étaient sans doute pas pour rien. Et peut-être, m'avouais-je paradoxalement sans oser l'accepter, souhaitais-je voir ressortir plus que de simples blagues de ces deux jours. Soit, prince Felipe. Votre chevalière arrive à votre secours.

« Vous ai-je déjà parlé d'Erika ? »

Je souris à nouveau à la blague, malgré ma nervosité sous-jacente. C'est idiot, je le sais mais c'est ainsi. Ce n'est pas à 55 ans que je vais me refaire. J'ai plus ou moins appris à accepter cette vérité là. Maintenant, il fallait me prendre avec mes défauts ou pas du tout. Regarder par la fenêtre me permis de cacher au mieux une pensée... inavouable, mettons. Bon réflexe que j'avais eu car le ton de ma camarade avait changé, brusquement comme cela arrivait souvent avec Mia. Elle semblait d'un coup mortellement sérieuse. Je me creusais les méninges un moment, puis secouait la tête.

"Je ne crois pas. Pas récemment, et je n'en ai pas souvenir." Une camarade de promotion ? Une amie de l'époque ? Elles n'étaient pas nombreuses celles que j'avais gardé en mémoire.

« Erika est ma petite-soeur », débutais-je en plongeant mon regard vers le vide spatial, un léger sourire nostalgique au visage. « Enfant, elle était ce petit pot de colle qui souhaite tout faire comme vous, vous agace au point que vous planifiez comment vous en débarasser. » J'émets un rire succinct. « Et puis les années passant, j'ai commencé à développer une indépendance qu'Erika n'arrivait qu'à m'envier. Oh, et que mon père détestait, bien entendu. Elle était la princesse de la famille, la petite chérie qui prenait la bonne voie. N'importe quelle grande soeur se serait sentie trahie, mise de côté ... Ca n'était pas mon cas. Erika une aura, voyez-vous ? De celles qui vous attirent. Elle est le soleil autour duquel vous êtes forcé de graviter, ébloui par sa lumière. La suite, vous la connaissez en partie : je suis devenue militaire. L'espace est devenu ma maison. L'armée ma famille. Quant à la mienne, elle m'a renié depuis bien longtemps déjà, et je ne m'en porte que mieux. Pourtant, nous n'avons jamais perdu le contact, Erika et moi. Et si cette dernière n'a jamais ne serait-ce que pensé suivre ma carrière, elle s'est lancée dans l'art difficile de la diplomatie. Nos parents n'ont accepté de mauvaise grâce que parce que son tuteur était riche, influent et surtout célibataire. Sa première mission à ses côtés ayant été à destination de Dorado, vous n'imaginez pas la réaction effrayée qu'arborait mon paternel, lorsqu'il m'a supplié de l'y accompagner. »

J'écoute. Je ne sais pas trop pourquoi elle me raconte ça. Je me souviens vaguement en effet d'une petite soeur à l'époque qui avait été importante mais ce n'était pas dans mes priorités. Parler de la famille était, à l'académie, presque plus tabou encore que ceux que l'on brisait ensemble. Elle en parle en présent. Et pourtant elle ne me regarde pas. Je la fixe, et, doucement, pose une main sur la sienne. Sans tension, sans arrières-pensées autre qu'un soutient inconditionnel. A la fin, je souris malgré moi en imaginant en effet la tête de Senõr De Moya en voyant qu'il n'arriverait pas à séparer les deux femmes. Mais derrière, se joue comme un pincement l'inquiétude que le mentor en question puisse en pincer bien plus pour l'aînée que pour la cadette. Je sens comme une peine de coeur que je n'ai pas envie de voir venir.

Je ne savais pourquoi l'instant avait été propice à la confession, ni où s'arrêterait mon récit. A vrai dire, j'étais même sur le point de m'arrêter, avant qu'il ne place sa main sur la mienne.

« Comment le lui refuser ? Je n'avais pas plus que lui envie de la laisser aux prises avec les pirates de Dorado que mon père. Je dirais même, ironiquement, que nous nous sommes rapprochés dans notre quête commune du bien-être d'Erika. » Je soupirais doucement, avant de reprendre. « A cette époque, j'étais Capitaine du Sloop La Muerta, un petit navire sans prétention, et grâce à l'influence des De Moya il ne fut pas difficile de le faire affecter à la protection du vaisseau d'Alphonzo de Vegas - le diplomate, son mentor », précisais-je, avant de déglutir, puis de cligner deux fois des yeux. « Nous sommes arrivés en Dorado sans rencontrer le moindre problème, et elle s'est mariée à un autre diplomate. Je ne sais pas pourquoi je vous raconte ça, désolée. »

Je secouais la tête comme pour reprendre mes esprits. C'était vrai : il n'y avait là nul calcul ou besoin stratégique. Mettre Felipe dans la confidence ne m'aurait rien apporté, si ce n'est le mettre en danger, ou mettre en péril mes plans. Avec le recul, je crois qu'à force de me faire des ennemis, je recherchais un allié, quelqu'un sur qui m'appuyer. Quelqu'un qui me comprenne.

Mais cette guerre était la mienne.

Il y a sa main sous ma main et sa voix qui se rappelle de souvenirs qu'elle n'a pas oubliés. La vivacité des détails qu'elle donne me surprend sans pour autant m'empêcher de me laisser porter par ce qu'elle raconte. J'ai légèrement froncé les sourcils, concentré que je suis à suivre l'histoire de cette soeur dont j'ignorais jusqu'à l'existence et qui pourtant semble prendre plus d'importance que notre assiette d'entrée étoilée. De Vega. Elle se souvient même du prénom. Il y a combien d'années déjà ? Et puis, par peur ou pudeur, elle s'arrête. L'histoire a un goût d'inachevé. J'hésite, cela se voit et je me fiche de le cacher. Je souris alors, retirant ma main pour ne pas la gêner, prenant une bouchée d'un fruit de mer à la chair blanche et ferme.

"Pourquoi pas. C'est intéressant. Quel est cet autre diplomate que votre soeur a finalement épousé ? Est-elle heureuse avec lui ? De Vega et votre père n'ont pas été trop déçu ?"

J'ai pris un ton léger, pour ne pas qu'elle s'inquiète mais mon instinct est toujours en alerte et je surveille du coin de l'oeil ses réactions à mes propos délibérément mondains.

« Ils sont morts en 89 ADD. Elle et lui. »

La vérité était sortie d'un coup sec, mais non hostile. Je continuais de fixer l'infini, la tête et le coeur ailleurs. « Il n'y a pas grand chose en dire », fis-je simplement avant de lui offrir un regard dénué d'expression, et de l'imiter en goûtant un plat qui, soudain, semblait sans saveur. Erika me hantait. Il en avait toujours été ainsi, ces vingt dernières années. Il en serait toujours ainsi. Tant que les Saldivar responsables et la coalition seraient en vie, Erika et moi ne saurions trouver le repos.

En essayant d'étouffer un blanc, j'en avais sans doute créé un autre.

« Pardon, Felipe », tentais-je pour me rattraper. « Je ... C'est excellent. »

Je ne réfléchis plus. Ma main retourne sur la sienne et la serre, fourchette ou pas. Dans mon regard, je sais qu'elle peut lire tout ce que j'aurais voulu cacher. Mon affection, mon amitié, mon envie d'être là pour elle, sans pitié, comme un égal. Il y avait des choses plus importantes qu'un plat. Plus précieuses qu'un dîner. Cet aveu en fait partie. "J'en...suis désolé, Mia." J'oublie les faux semblant, j'oublie de me remparer derrière les titres, j'oublie de jouer. "Je ne la connaissais pas mais je vois à quel point cette disparition te peine toujours. Je n'aurais pas du parler si légèrement. Permet moi de t'offrir mes condoléances sincères. Je...bon sang, je suis un vieil imbécile."

Je secoue doucement la tête, lui adressant un triste sourire. Les larmes étaient montées, mais j'étais passée maître dans l'art de les contenir. Tu étais toujours égal à toi-même, n'est-ce pas, Felipe ? Un autre aurait sauté sur l'occasion pour se défendre, déclarer qu'il ne pouvait pas savoir. Pas toi. L'espace d'un instant, je nous ai retrouvé, toi, moi, deux adolescents innocents dans un monde d'adultes. Deux âmes destinées à plus grand qu'on n'avait bien souhaité nous offrir.

« Non, c'est moi, et tu le sais », tentais-je pour me rattraper, avant de soupirer une nouvelle fois, plus doucement, le regard bas. « Tu ne pouvais pas savoir, et je suis maintenant trop mûre pour ne pas admettre qu'intérieurement, je souhaitais que tu fasses le faux pas. Je ... La vie n'a pas été facile, ça n'est pas ta faute. »

Je n'ai pas vu de larmes. Je n'en ai pas besoin pour voir qu'elle est triste, un aveugle s'en rendrait compte. Et je sais qu'il y a des douleurs qui ne pleurent pas. J'ai un geste pour toucher sa joue, tenter de lui relever la tête mais je me rappelle que nous sommes en public et je l'interrompt. Soudain, tous ces anonymes m'ennuient. Et la solution me parait claire comme de l'eau de roche.

"Tu sais quoi, je me suis trompé de cadre. Ca ne va pas du tout !" Je me lève sans violence mais assez soudainement, un sourire engageant aux lèvres. Je lui tends la main. J'espère que la transition n'enlèvera pas l'intimité qui s'est soudain tissée entre nous. Elle est dangereuse, c'est vrai, mais également terriblement agréable. "Allez vient. Je vais rattraper mes bêtises." Le serveur s'approche, surpris - après tout j'ai payé ce diner une demi-fortune, je le congédie de ma main libre. Tant pis. Il y a des choses plus importante dans la vie.

Il avait hésité. A quoi, je ne saurais le dire. Puis, sans prévenir, il s'était exclamé en se relevant d'un bond d'un air joyeux, et j'attrapais sa main tendue dans la mienne sans trop y réfléchir, sans pudeur.

« Je ... Euh ... D'accord ? », répondais-je, surprise et perplexe, en offrant dans ma fuite un sourire d'excuse au serveur qui l'était tout autant. « Laisse-moi deviner, c'est une surprise ? » J'ajoutais un léger sourire sincère à ma remarque. Difficile d'être dupe : Felipe souhaitait me remonter le moral, et je lui devais bien de le laisser essayer. De plus, De Golazzo avait à l'époque ce grain de folie qui vous faisait des larmes au rire, je n'avais donc qu'à espérer qu'il le possède toujours.

Sa main est à nouveau dans la mienne mais si je serre à présent c'est aussi pour qu'elle ne m'échappe pas. Je n'irais pas jusqu'à m'avouer soulagé de son acquiescement mais il me facilite la tâche. Sans hésiter, je la mène dans les couloirs d'un pas vif jusqu'au 1er étage. Ma chambre. Elle est spacieuse mais simple, impeccablement rangée, avec une toute petite fenêtre sur le vide. Un Grand écran fait face au lit. Je fouille dans mes placards, en sortant un jersey aux couleurs d'une équipe de brutaball et le short assorti. Je les lui tends.

"Si tu veux te changer, la salle de bain est sur ta droite."

Pendant ce temps, j'enfile un pantalon de sport noir et un t-shirt kaki. Par la vod, je commande mon nanard préféré. Un film de combat spatial sur fond de romance avec des acteurs mauvais, des effets spéciaux en carton et une stratégie a faire hurler nos instructeurs. Puis, par téléphoneje fais monter sa sucrerie préférée, du pop corn, de la glace et des planchas/tapas salées. Soirée 1 prise 2

Je l'admets, l'espace d'un instant, en l'accompagnant dans sa chambre, je m'étais préparée à bien pire que ce qui m'attendait réellement. J'acceptais les vêtements en secouant la tête, amusée, pour ensuite rejoindre la salle de bain sans broncher.

« A titre informatif, j'espère que nous ne partons pas en balade, car je risquerais bien de me retrouver seule femme cul nul sur le plus luxueux des navires », lançais-je en me changeant, élevant la voix pour qu'il m'entende depuis l'extérieur.

Mon oeuvre achevée, je rejoignais la chambre dans mes vêtements bien trop grands et observait le titre qui s'affichait à l'écran : Les héros de l'Empire, le retour des croisés.

« Tu veux vraiment que je pleure pour de bon, ma parole ! », gloussais-je en grimpant sur le lit, attrapant un coussin pour m'y adosser contre le mur. Il ne me faudrait pas longtemps pour commencer à râler et à discourir un peu trop longuement sur l'impossibilité physique des déplacements des vaisseaux et la stupidité des stratégies de combat. Ici, on ne tire pas en feux croisés sans tirer sur ses propres unités. Là, la frégate ne peut pas dépasser la corvette puisqu'elles sont toutes deux à pleine vitesse. Enfin, on ne peut arrêter net un vaisseau, ce n'est pas un speeder, bon sang !

Et pourtant, derrière la fausse colère commençait à se dévoiler autre chose, comme l'écho d'une adolescence trop vite oubliée.

L'image fait pétiller mes yeux. Je suis bien heureux qu'elle ne puisse pas me voir l'imaginer courant à moitié dévêtue dans la moquette moelleuse du couloir. Et bien Felipe, tu te laisses embarquer dans des rêveries de gosse. Je secoue la tête avec un rire amusé pour me reprendre et la regardais sortir de la salle de bain. C'était un tout autre style. Le Jersey couvrait ses formes et tombait un peu partout mais c'était Mia dans mes affaires ce que je trouvais assez affriolant. Domage toutefois pour la robe. Bah. Elle la reporterait peut-être un jour, qui sait.

Mon choix de film ayant eu l'approbation de ma camarade, nous nous installâmes sur le lit, côte à côte. Je râlais aussi, avec bonne humeur et souvent mauvaise foi. A un moment, un coup discret à la porte m'averti que notre second essai de nourriture était arrivé et je vins poser le tout en équilibre précaire sur le lit, comme l'adolescent que j'avais été. Sous les imprécations et les longs discours de tactique, je décelais une décontraction réelle. Erika n'était pas oubliée, évidemment. Je ne me flattais pas de ce pouvoir. Mais, pour un temps, elle n'empoisonnait plus le présent. Le film se termina. Trop vite. Il était 22h30, à la fois trop tôt et trop tard. Je m'étirais, un sourire aux lèvres, amusé moi aussi.

"Partante pour un marathon ou tu préfères retourner dans ta chambre ?"

« D'accord, si j'ai le droit de choisir le film, cette fois », fis-je sans vraiment attendre son accord, attrapant la télécommande. « Voyons-voir ... Lequel est le plus cher ? » La remarque était peu en adéquation avec mes recherches : en effet, je sautais du nanard d'action chéri de monsieur au soap opéra spatial par excellence.

Je ne connaissais pas cette série, mais on m'en avait dit du bien, il y a très longtemps. Je ne saurais dire d'où j'en retirais le souvenir, ni ce qui me l'avait rappelé. Et après tout, est-ce vraiment important ? Tout ce dont j'étais consciente, c'est qu'il y avait du drame, un peu de combat et tout juste ce qu'il faut de romance pour garder les choses intéressantes sans aller frôler la barrière de l'interdit de trop près.

Comme si le prix d'un film changerait quoi que ce soit à la fortune dépensée. Comme si elle ne le savait pas. Mon sourire tranquille était en soi une réponse à sa provocation. J'étais heureux qu'elle se sente assez à l'aise pour le faire. Content de la voir sourire et oublier le monde près de moi, dans cette bulle que nous avions recrée. Et puis elle lança la série. Je levais un sourcil.

"Dawn-Sun ? Vraiment ?" En vérité je me fichais pas mal de ce que nous allions regarder. Naturellement, sans arrière pensée, je posais la main sur sa taille pour l'attirer plus vers moi. Je sentais son odeur et c'était bien. Le soap était nul. Ces gens ne comprenait rien à la vie. Je soupirais, pensant à ma femme et laissant échapper. "Il y a vraiment des gens qui aiment regarder ce genre de choses ? La vie de famille n'est pas déjà assez catastrophique dans la vie réelle qu'ils s'amusent à cette accumulation de drames clichés ?"

« Vraiment », confirmais-je, manifestement satisfaite que le choix lui déplaise, par pure mesquinerie. Quand il avait bougé son bras pour m'attirer à lui, j'avais masqué tant bien que mal l'inconfort lié à la manœuvre, ne présentant qu'une absence de réaction de façade. Il s'agissait-là moins d'une gêne liée à une absence de proximité ou de l'embarras que de simple principes moraux que, par mon inaction, j'acceptais de braver : Felipe était un homme marié. C'était, de surcroit, mon subordonné, au moins pour un temps. Deux facteurs qui, combinés, me vaudraient au mieux d'être la risée de l'armée, et au pire mon renvoi. Pourtant, je me surprenais à m'appuyer légèrement contre lui, me creuser un nid confortable.

« Eh bien je suppose que s'ils l'ont même ici, c'est que ça a du succès. Quant à la vie de famille, certes les nôtres sont un peu particulières, mais les gens du commun vivent une vie en générale tranquille. » L'espace d'un instant, j'hésitais à aborder le sujet qui me brûlait les lèvres, bien trop curieuse pour m'abstenir. « Depuis quand ça ne marche plus, entre vous ? »

C'était, en un sens, évident : Felipe pouvait bien se draper derrière le fait que Dorado soit le seul endroit où il pourrait encore commander, on n'abandonnait pas la personne qu'on aime, avec laquelle on a vécu toute sa vie, pour cette simple raison, et aucune de ses missions ou presque ne l'avait amené à se rapprocher de son lieu de résidence.