Un Super Séminaire Super Sérieux

Ce monde. Ce monde. Je vais mourir. Des huiles. Des pointures. Des internes. Et des docs. Surtout des internes, les pointures font rarement le déplacement jusqu'en Dorado. Mais des pointures quand même. Pas Philippe Favier évidemment, on a pas de projet de recherche commun avec les autres factions, pas de séminaires, rien du tout. Comme l'UC est à la pointe, elle veut pas partager. Je trouve ça d'une connerie abyssale.

En attendant y a toujours des pointures dans la salle, comme genre le Professeur Gardenia qui finit un exposé absolument passionnant, et j'peux pas noter, et j'vais devoir dire un truc. Présenter l'état de mes recherches. Oskour. Si je m'étais écouté j'aurais bouffé la boîte de calmants, mais j'en ai même pas pris un. Rester clair. Et pas commencer parce que sinon je saurai pas m'arrêter. J'me connais.

"Je vais à présent laisser la parole à un jeune et prometteur interne sous la direction du Professeur Clegg du programme ReXen, Wynnstan Searuweard."

...je vais mourir. "Prometteur". Il prononce mon nom sans se tromper. Et on applaudit. Et on me pousse gentiment vers le pupitre. Et je serre la main du Professeur Gardenia.

"Merci beaucoup Professeur, merci" je bafouille, l’œil humide, jesuisvotreplusgrandfan.

Il a l'air gentil et rassurant d'un grand-père, mais c'est une telle sommité, c'est... c'est... Allez. Te fous pas à chialer. Pense que plus t'es connu, et pas pour tes bafouillements de préférence, plus on lira tes articles et plus ça fera des sous pour maman. Et plus t'auras de chances, à terme, de trouver ce que tu cherches. Réseautage. Projets validés. Crédits.

"Bonjour à tous." Rhooo. "Avant toute chose, je tiens à remercier..."

Dévider le protocole, ça va, c'est la partie "facile". Le problème, c'est la suite. J'inspire. Allez Wynn. Allez. Tu peux le faire. T'as deux secondes pour trouver quelque chose à fixer pendant ton blabla. Au fond. Loin. ...euh. Qu'est-ce que ce singe fout là ? Et qu'est-ce qui est arrivé au gens à côté ? J'arrive même pas à voir si c'est un homme ou une femme, mais de loin on dirait une défiguration à l'acide ou une horreur comme ça... J'fixe le singe. Ouais. Lui il en aura rien à carrer de c'que j'raconte, c'est bien. Pis il fait moins peur.

Et puis une fois que j'arrive à embrayer... ça se passe. Ca se passe plutôt bien. C'est une présentation plutôt qu'un dialogue, s'il y a des questions ça sera après, dans la foule. C'est vachement rassurant. En plus le singe il pane rien, c'est parfait.

"...et c'est pourquoi nous pouvons placer de grands espoirs dans les études transdisciplinaires actuellement menées dans le cadre du programme ReXen. Je vous remercie et je laisse à présent la parole à mon collègue et ami William Jones, également sous la direction du Professeur Clegg."

Ouf. Fini. C'est lui le dernier avant la conclusion. Après j'pourrai me cacher dans un coin et paniquer.

Dodu et moi, on n'a pas trop l'habitude de ce genre de choses. Mais ce super séminaire super sérieux, on pouvait pas le manquer, ça non. Surtout qu'on était à côté. Et puis, c'est important de se tenir au courant de ce qui se passe dans la médecine.

On s'est assis au fond, proche des amplis qui permettent d'amener le son jusque là. Devant, y avait plus de place, et puis au milieu, je suis pas sûre de bien entendre, parce que j'entends pas très très bien, et puis Dodu il peut pas trop me retranscrire. Il est super intelligent, mais pas à ce point-là quand même. Y a de grands monsieurs, et de grandes madames qui parlent super biens, et qui expliquent leurs recherches et puis ce qu'ils font. Je me dis que ça doit être sacrément chouettissime de présenter son travail comme ça, mais on préfère soigner des gens plutôt que d'être enfermés dans nos recherches, ça oui.

Et puis y a un rouquin qui parle, et on le reconnait tout de suite. Pas à cause de son visage, mais son prénom. Wynnstan, c'est le frère de monsieur Cathwulf, ça, c'est sûr. Je le dis à Dodu, et puis même s'il comprend rien, il est très intéressé. Moi, je trouve ses recherches fantastiquouillettes. Alors quand il termine de parler, on le suit du regard, et puis on se lève pour aller le rejoindre. Je marche avec ma canne, Dodu sur mon dos, jusqu'à lui.

- Monsieur Wynnstan ?

Je suis mort. Mais ça va. Les gens ont pas l'air de me regarder comme si j'avais commis des outrages ou des impairs nécessitant l'expiation par les flammes rituelles ou je sais pas quoi. M'sieur Clegg a l'air satisfait, le Professeur Gardenia aussi - honneur suprême.

Et puis j'vois que des gens commencent à regarder au fond de la salle plutôt que William, et quand j'regarde j'vois le singe qui dodeline sur... le dos de quelqu'un. Et puis de près, houlà. Houlàlà. J'crois que je deviens tout blanc. Ca doit être une femme. Défigurée au couteau ou à... euh... non attends, y a plusieurs traits on dirait... une bestiole ? Et bossue et voûtée et avec un singe. Et elle veut me parler à moi. Qu'est-ce que j'ai fait à l'Univers pour mériter ça ? C'est pas fini ! Pis en plus elle est moche et je sais pas ce qu'elle a fait à l'Univers elle aussi pour mériter ça, et en plus de près j'crois que ses yeux sont pas d'origine, mais quand même surtout c'est pas fini. Puis le singe.

"Oui oui, c'est moi... après, s'il vous plaît ?" je murmure, pas paniqué mais super gêné, pointant mon collègue qui continue sa présentation presque comme si de rien n'était. Il est beaucoup plus à l'aise que moi, clairement. Mais vu comment il me regarde, j'crois qu'il va me tuer. Elle avec. Et le singe avec.

On fixe le monsieur, et puis il vire au rouge pivoine, ou plutôt au rouge cramé. Il a pas l'air vraiment très très à l'aise, et nous on comprend pas trop pourquoi. Y a bien quelques autres types qui murmurent çà et là, et puis la présentation du monsieur sur la scène, elle est pas très intéressante. Mais bon on hausse les épaules.

- D'accordinou, c'est comme vous voulez !

J'parle tout doucement, et puis je suis discrète - Dodu un peu moins, mais bon, voilà quoi. C'est Dodu, faut pas lui en vouloir. Et puis aussi, mes gros sacs lourds que je me trimballe toujours, ils m'aident pas trop à être discrète. Dodu commence à s'impatienter, et il fait quelques petits bruits en gambadant pas trop loin devant moi et le monsieur Wynnstan.

- Sapristouille Dodu, tiens toi bien, tu veux.

Alors, il s'approche de monsieur Wynnstan, et il le fixe avec de grands yeux curieux. Je lui donne une framboise au passage, et puis il s'assoit sur le sol, en grignotillant sa framboise et sans quitter l'interne du regard.

Je fais un sourire un peu gêné à la femme - mais qu'est-ce qu'on lui a fait, la pauvre ? - puis je me détourne vers le pupitre. C'est pas mon domaine de prédilection, mais c'est pas une raison pour le snober, en plus quand on est dans les derniers on a parfois l'impression de parler à des collégiens tellement la salle est dissipée alors la moindre des choses c'est d'écouter pour deux, je sais pas. Enfin j'imagine... la dernière fois que j'ai parlé à des collégiens j'étais encore au collège.

Le singe commence à faire des... euh... des trucs de singe ? Du bruit et du mouvement en tout cas, et quand je baisse les yeux j'vois qu'il me regarde. Qu'il me fixe. Euh. J'le regarde aussi, puis je regarde William. On peut pas non plus exiger d'un chimpanzé qu'il suive ce genre de conférence en prenant des notes avec des étoiles dans les yeux, mais ça serait bien quand même. Qu'est-ce qu'il fout là par contre, j'ai pas trouvé la réponse. Enfin j'imagine qu'il est avec la moche - enfin la femme toute cassée-abîmée-défigurée - surtout qu'elle lui donne une framboise pour le faire tenir tranquille et que ça marche... mais pourquoi ?

William finit par arriver au bout de son truc, j'applaudis avec tout le monde, et la conclusion est expédiée un peu vite à mon goût mais bon, ça fait des heures qu'on est là et y a un buffet dans la pièce à côté.

Le monsieur qui parle finit par ne plus parler. C'est intéressant aussi ce qu'il dit, c'est sûr, mais y a rien de très nouveau. J'applaudis avec mes mains trop grandes, et puis Dodu m'imite, en restant par terre, à fixer le grand monsieur Wynnstan. C'est vrai qu'il est vraiment très grand. Quand c'est terminé, tous les monsieurs et les madames commencent à marcher vers l'autre salle dans laquelle y a toute la nourriture. Dodu aimerait bien les suivre, c'est certain, mais moi je veux d'abord parler avec le grand roux. Je donne une autre framboise à Dodu, et il la grignote tranquillement en restant assis par terre. Je me racle la gorge et je me retourne vers lui, en lui tendant ma main qui tient pas ma canne.

- Monsieur Wynnstan, nous sommes Billy et Dodu Jenkins. Vous êtes le frère de Cathwulf, pas vrai ?

Et puis Dodu, en entendant le nom de Cathwulf, il se relève et recommence à sautiller en regardant partout autour de lui, comme si il attendait que le monsieur apparaisse ici.

C'était bien. Un super séminaire. Avec plein de Docteurs, de Professeurs, et même quelques internes comme William et moi. J'vais pour les suivre dans la salle à côté et discuter avec des étoiles dans les yeux, mais presque aussitôt je croise le regard du chimpanzé et j'me souviens de la moch- de la femme abîmée par la vie qui voulait me parler. Et qui me parle, d'ailleurs, en me tendant une main bizarre. Un peu moins moche que le reste cela dit. De près elle est encore plus abîmée quand même, vraiment, donc je lève vite les yeux pour la saluer mais je préfère regarder la main, et un peu ses pieds du coup, et quand je percute qu'il faudrait peut-être lui serrer la main elle en est à parler de Wulf et donc je me fige en plein geste.

"...oui ? Comment vous connaissez mon frère ?"

J'attrape quand même, fermement parce que c'est un truc qu'on m'a appris, serrer les mains pour de bon et pas comme une chiffe molle. Pis elle est médecin. Au moins. Sinon elle serait pas là. Surtout qu'avec son singe et sa dégaine elle passe pas inaperçue. Mais le Runny est pas exactement un antre de médecins en goguette...

Puis je demanderais bien qui est Billy et qui est Dodu, mais je me souviens à temps l'avoir entendu dire "sapristouille Dodu" donc je la regarde juste, prêt à me carapater à la moindre mention suspecte. Elle est déjà bien assez flippante...

Il a l'air gentil, Monsieur Wynnstan. Comme son frère ! Mais en différent quand même. Il a pas vraiment la même tête, et puis lui, il a même plein de cicatrices partout. Avec un peu de mes préparations à moi, et ben on aurait pu éviter que ce soit si visible, ça oui ! Je reste le regard fixé sur toutes ces marques, et puis je me demande comment qu'il s'est fait ça. Il finit par attraper ma main, et puis par la serrer et je souris.

- Je l'ai rencontré y a pas très très longtemps au Runny Amber ! Et puis il m'a parlé un peu de vous, mais il m'a pas dit que vous étiez médecin du genre à parler dans un séminaire super sérieux, ça non ! Et puis il m'a encore moins dit que vous faisiez des travaux si sapristouillement intéressant !

Dodu, il se relève, et puis lui aussi il veut serrer la main à monsieur Wynnstan, même si je crois qu'il comprend pas trop pourquoi on fait ça. Il nous a vu le faire, alors il veut le faire et puis c'est tout.

- Je crois que Dodu, il vous aime bien. Mais dites-moi, sapristouille, comment qu'vous vous êtes fait toutes ces cicatrices-là, sur le visage ?

Oh. Ah. Ouais. Ca se tient. Qu'est-ce qu'elle a été foutre au Runny, ça me dépasse, mais bon hein à la limite c'est pas mes oignons. Par contre pourquoi elle parle comme ça ? Elle a un truc qui a disjoncté ou..?

"Ouais, c'est bien le genre de mon frère ça." Il comprendrait pas de quoi je parle, t'façon, et j'ai pas l'impression que ça l'intéresse alors j'essaie même pas de lui expliquer.

Le singe veut que je lui serre la main on dirait, alors bah... j'lui serre la main. Moins fort parce que j'crois me souvenir que ces bêtes-là ça a beaucoup plus de force qu'un humain, proportionnellement, et j'ai pas envie de devoir garder la main dans le plâtre pendant trois mois. Je sais pas lequel des trois a l'air le plus bizarre, pour le coup.

"Merci, ça m'fait plaisir que vous ayez trouvé ça intéressant. C'est vraiment un honneur d'être parmi tant de chercheurs éminents et d'avoir pu prendre la parole..." ...devant le Professeur Gardenia...

A la question je... cligne des yeux. Euh. Attends, c'est elle qui me demande ça ? Elle ?

"J'ai toujours été très maladroit. On s'habitue vite à toujours avoir des pansements sous la main." Et j'ai toujours eu un grand frère un peu trop porté sur l'expression physique à défaut de verbale, et qui a pas capté tout de suite que les bras en ferraille ça laissait plus de traces que les mains de chair. "Et euh..." je commence. Et vous ?

- Par contre, Monsieur Cathwulf, il a dit qu'il faisait confiance qu'à vous comme médecin ! Il avait l'air super fier, ça oui !

Je souris un peu en me rappelant la façon dont il parlait de ses frères et soeur, Monsieur Cathwulf. C'est qu'il en est sacrément fier, ça oui ! Et puis quand je vois l'exposé de Monsieur Wynnstan, je comprends tout de suite pourquoi !

- J'imagine que vous faites beaucoup de recherche, pour avoir ce niveau-là, ça oui ! Pourquoi donc que vous avez choisi ça comme sujet ?

J'hoche la tête quand il me dit qu'il est juste maladroit. Et puis je comprends à son air qu'il se demande pour moi. J'en parle jamais, mais c'est moi qui ai tendu le gros perchoir pour ça, alors faut que je réponde !

- Saperlipopouille, c'est que votre peau, elle marque beaucoup beaucoup ! Et puis moi, et ben c'était un accident, quand j'étais toute petite ! Si c'était plus récent, j'aurais moins de marques, ça oui ! C'est que les plantes, ça fait des miracles sur la peau. Si vous voulez, j'peux vous faire essayer !

Et puis Dodu, il s'impatiente. Il doit avoir faim, alors il s'accroche à mon bras, et puis il me secoue un peu.

- Ah, oui Dodu, mais oui, on va aller manger, mais tu veux bien patienter, hein ! Sapristouillette !

Ah bon ? Ben ça s'voit pas, ni qu'il me fait confiance ni qu'il est fier de moi. Pfff. Quel con.

"Bah..." J'ai pas vraiment choisi à vrai dire, mais ça faudra me péter les doigts au marteau pour que j'le lâche. "La faune et la flore de Renaissance offrent vraiment beaucoup de possibilités pour la recherche médicale, plus on s'y penchera et plus on pourra en tirer de nouveaux soins contre les maux de tout le monde."

Je hoche la tête, ouais, je marque beaucoup, ça aide clairement pas surtout que cet abruti de Wulf l'a toujours pas capté.

"Vous vous y connaissez en plantes ? Des plantes de Renaissance ?" Si j'étais un chien j'aurais sûrement levé les deux oreilles et je serais en train de remuer la queue en me demandant si c'est une bonne occasion de sauter partout en jappant ou s'il faut attendre encore un peu. "Si vous pouvez m'en parler oui, ça pourrait m'intéresser. On a déjà pas mal travaillé sur les liselles marbrées au labo, si vous connaissez d'autres plantes du même type ça serait super ! Enfin pas pour moi, pour ces cicatrices-là j'pense que c'est mort, mais..." Mais y a ptet pas que les liselles marbrées qui peuvent servir à effacer les cicatrices, et d'autres végétaux peut-être encore inconnus... pour les botanistes du labo...

Les liselles marbrées:

Il s'intéresse aux plantes tout comme moi, et puis ça, ça me met beaucoup beaucoup de baume dans le coeur, ça c'est sûr. Dodu aussi, il relève la tête, soudainement intéressé, même s'il comprend pas. Plante, il comprend, et puis il connait aussi le nom de beaucoup d'entre elles, parce qu'il est sacrément intelligent et qu'il peut en reconnaître plein.

- J'm'y connais un peu, ça oui ! C'est que, j'suis médecin herboriste, et puis je travaille sur la flore de Renaissance depuis qu'j'suis toute petite ! J'fabrique mes remèdes moi-même, et presque tout le temps, bah c'est uniquement à base de plante. C'est que les plantes, quand on les connait et qu'on sait comment leur parler, elles nous disent beaucoup beaucoup de choses, et puis elles sont fantastiquouillettes, ça oui !

Moi j'adore ça les plantes, alors pouvoir en parler comme ça avec monsieur Wynnstan, je trouve ça vraiment trop trop bien, et puis je me laisse un peu emportée par mes émotions.

- C'est que, pour les cicatrices, les liselles marbrées, elles sont pratiques, mais leur problème à elles, c'est qu'elle réagisse vraiment pas bien du tout avec le borealium, qui est vraiment vraiment très très super cool comme cicatrisant, pour les marques anciennes et puis les douleur aussi. Moi, j'utilise un remède avec du borealium et puis de la girole argentée, parce que c'est un méga bon reconstructeur de tissu, ça oui. Mais le souci de la girole argentée, c'est que ça pue sacrément, ça oui !

...comment ça "depuis qu'j'suis toute petite" ? Pas que j'doute qu'elle ait pu être petite un jour - encore que - mais ça veut dire qu'elle est sur Renaissance depuis toute petite ? Des parents colons sûrement, comme nous... ça sonne tout sauf mo'at, "Billy Jenkins", et accessoirement si elle était mo'at ils l'auraient pas laissée rentrer. Bah, on s'en fout.

"Tant que ça marche, vous savez, l'odeur..." je commente en me grattant vaguement la tête. Elle est vraiment moche, mais elle fait un peu moins peur maintenant qu'on parle botanique. "Juste au cas où, vous avez essayé de mettre un peu d'essence de fleur de Saint-Jean ou d'un autre parfum ? Ou ça interagirait avec les principes actifs ?" je demande, en me disant qu'elle a certainement essayé.

J'ai pas entendu parler de beaucoup d'herboristes corpos par ici, elle sait sûrement des choses qui pourraient nous faire avancer d'une façon ou d'une autre. Tant que c'est pas une de ces hurluberlus qui se soigneraient uniquement en broutant de l'herbe et en foutant des cristaux partout chez eux... on a je sais pas combien de millénaires de tradition médicale derrière nous, si les plantes et les cailloux ça suffisait à tout soigner on aurait pas eu besoin de se faire chier à inventer tout ça.

"J'ai déjà croisé du borealium oui, c'est mes collègues qui bossent dessus. Vous me parleriez un peu de la girole argentée par contre ?"

J'suis vraiment toute excitée, et je sautille un peu sur mes pieds alors qu'il parle et que je l'écoute. Quand on commence à parler de ma passion, moi je m'arrête plus, et puis le monsieur Wynnstan, on dirait qu'il s'ouvre un peu et puis que ça l'intéresse vraiment ce qu'on dit.

- Oh bah, vous savez, quand moi je fais un remède, et bah c'est pas un produit de beauté. L'odeur de la girole argentée, c'est vraiment très très fort, alors même les fleurs de saint-jean, ça marche pas beaucoup, ça non ! Même que ça rend ça encore pire, parce que ça fait tourner la tête. Au tout début, j'avais essayé et puis j'ai abandonné, et puis de toutes façons, la formule que j'utilise maintenant, moi, elle me convient vraiment très bien. Ca aide beaucoup sur les blessures toutes fraîches, et puis pour faire des cataplasmes, ça oui ! Tenez, j'vais vous montrer.

Et puis je sors un pot assez imposant ou y a mon cataplasme dedans, et puis je lui montre. La mixture est un peu visqueuse et a une couleur verte caca d'oie, et puis elle dégage une odeur vraiment pas agréable.

- La girole argentée, on l'appelle comme ça parce qu'elle a une fleur qui ressemble un peu à un champignon et qui est d'une couleur un peu ben... Argentée ? Moi, j'utilise surtout ses feuilles, qui sont épaisses et puis qui renferment ce jus qui pue, mais qui est bien utile pour les blessures.

J'inspire avant qu'elle ouvre la boîte de Pandore. Si vraiment ça pue comme elle dit, j'ai aucune raison de vouloir renifler ça. J'me penche, je regarde. C'est un peu moche aussi. Je hoche la tête et j'attends qu'elle ait refermé pour respirer.

"Uff..." Ah ça pour puer, ça pue. J'suis bien content d'être assez grand une fois redressé pour y échapper encore quelques secondes... "L'odeur part facilement ? Parce que sans parler du confort, si le patient va bosser en sentant comme ça il va se faire virer..."

Non mais sérieux. J'suis sûr que son bocal, si on le balançait dans la pièce à côté, y aurait de quoi croire à une attaque chimique.

"C'est vous qui avez élaboré la formule si je comprends bien ? Vous pouvez me parler un peu plus de ce cataplasme ? La posologie, tout ça ?"

Je souris devant l'air de Monsieur Wynnstan, et puis j'hoche la tête.

- Après avoir mis ça, je mets un bandage, et puis ça suffit à étouffer un peu l'odeur, et ça la rend supportable. Et après, en séchant, l'odeur elle devient un peu meilleure aussi. Mais ça peut pas poser de problèmes, parce que quand je mets ça sur un de mes patients, bah c'est qu'il va pas pouvoir aller travailler tout de suite le bougrinet, ça non.

Et puis je tourne mon pot de cataplasme entre mes mains.

- Absolumentissime, c'est tout à fait exactif. On a fait ça, Dodu et moi, après quelques essaies ratés aussi, mais cette formule là, elle me convient bien. Elle permet d'accélérer très très vite la guérison pour des grosses blessures bien moches, d'empêcher les infections et puis de laisser aucune trace après ! C'est fantastiquouille. Moi, je le mets après avoir opéré, nettoyé et puis recousu les plaies. Après, je pose un bandage, et puis je laisse tout ça sécher 24 à 48h, et ensuite, ça s'enlève comme une croûte, et là je re-nettoie, et puis selon la blessure, j'en remets ou pas, mais moins longtemps cette fois. Parce qu'après, je change le pansement toutes les huit heures à peu près, et au bout d'un moment, hop, plus rien !

Elle est moche à crever et elle parle comme une simplette mais ce qu'elle dit est très intéressant, alors j'enregistre. Dans ma tête. Les facilités naturelles et les études ça aide vachement pour ce genre de choses...et ce genre de choses ça aide vachement aux recherches.

"C'est uniquement pour les blessures graves donc que vous l'utilisez ?"

J'hésite. Normalement c'est pas mes oignons, et puis je suis même pas sûr qu'elle soit si qualifiée que ça, mais... eh, si on l'a laissée rentrer c'est au moins qu'elle a un vrai diplôme de médecine en poche, alors malgré sa gueule, son élocution et son singe, elle est qualifiée.

"Vous avez élaboré beaucoup de formules en plus de celle-ci, docteur Jenkins ?"

Je pense qu'un professeur pareil, on en aurait entendu parler, alors je prends pas un gros risque à l'appeler "docteur". J'espère.

Je passe une de mes mains trop grande dans mes cheveux, en réfléchissant un peu.

- C'est que, c'est bien précieux la girole argentée, ça oui. Ca demande beaucoup d'amour pour le faire bien pousser, ça oui. Et avec un seul plant, et bah on peut fabriquer tout plein de ce cataplasme là, mais aussi, on doit en mettre vraiment pas mal du tout sur les blessures et tout. Alors moi, je préfère garder ça pour les blessures plus grave, et puis pour les moins graves, et ben j'ai autre chose !

Et puis je me gratte la tête, et Dodu il m'imite. Il aime bien quand je fais ça, et puis c'est pour ça qu'il le fait aussi.

- Oh bah, je sais pas trop, c'est quoi beaucoup, pour vous ? C'est-à-dire que, comme j'vous ai dit, ben nous, on fabrique tous nos remèdes et puis nos médicaments nous-mêmes et on utilise que ça, oui. Parce que vous savez, c'est pas toujours très très clair, ce qu'il y a dans certains médicaments. Alors moi, j'préfère être sûre de ce que je mets dedans, ça oui ! Et puis on aime bien ça, faire nos mixtures à nous, ça oui ! Vous aussi, vous faites des nouvelles créations, Monsieur Wynnstan ? A part ce que vous m'avez dit là, sur les cicatrices et puis tout ça, bien sûr.

"Ah non non, je suis pas herboriste moi... je suis en neurologie. Interne. J'étudie les éventuels effets neurologiques des molécules découvertes par mes collègues. Entre autres. Mais j'suis pas en botanique ou quoi... et j'suis pas praticien non plus. J'suis juste interne pour l'instant. Et je vais me spécialiser dans la recherche." Ce malentendu dissipé, je me racle un peu la gorge. Je prends mon ton et mon air super sérieux. "Docteur Jenkins. Est-ce que vous auriez élaboré des formules pour traiter des affections neurologiques ? Tout ce qui aurait trait aux paralysies surtout." Tu les vois mes étoiles dans les yeux là ? Je lui laisse pas le temps de répondre parce que je sais pas, le stress, et j'enchaîne : "Dans tous les cas, est-ce que vous accepteriez que je vous mette en contact avec mes collègues botanistes ? Vos connaissances pourraient nous fournir une aide inestimable."

Je souris et puis je passe une main dans mes cheveux.

- Oh oui, c'est que comme vous parlez de tout ça, j'me suis bien demandée si vous faisiez quelques préparations aussi dans vos laboratoires avec vos collègues, parce que voilà. C'est que, c'est sapristouillement intéressant la recherche, ça oui ! J'suis sûre qu'avec ce que vous avez dit ce soir et puis le reste, et bah vous serez un sacré grand chercheur !

Et puis sa question très pointue me surprend un peu.

- Oh, bah... J'ai bien déjà eu des cas de paralysie, oui, mais c'est que, c'est pas vraiment super courant, ça non. Et puis, c'était surtout des paralysies temporaires, à cause de venins ou bien de chocs. Mais les vraies vraies paralysies, j'ai jamais fait, ça non. Vous connaissez quelqu'un comme ça ? Parce que j'pourrais bien essayer de voir, ça oui. Ca pourrait être intéressant, et j'aurais peut-être quelques idées pour essayer un peu... Même si je sais pas trop ce que ça peut donner pour le moment.

Et j'me sens très très touchée par sa proposition, et je le regarde avec des yeux brillants.

- Oh bah dites donc, Monsieur Wynnstan. C'est un sacrestouillement grand honneur que vous m'faites là ! J'aimerais beaucoup ça, ça oui. Moi, si je peux aider, alors j'veux aider ! Et puis si je peux être utile même pour vos recherches à vous, alors n'hésitez pas, vraiment pas !

Je rougis au compliment. Même s'il vient d'une moche qui ressemble à son singe. Les compliments me font toujours rougir.

"Je connaissais. Mais c'est surtout l'objet de mes recherches. Guérir les lésions et rendre la mobilité aux blessés et aux malades quand la cybernétique peut rien faire... moi c'est à ça que je travaille depuis tout gamin."

Je hausse les épaules genre tout va bien, je parle pas de mon père qui aurait eu la mauvaise idée de partir trop tôt, tout ça. J'ai pas envie d'en dire plus.

"C'est gentil docteur Jenkins. Vraiment."

On a tous les deux bien des passions et puis des obsessions même, parce qu'on veut en apprendre plus et puis on veut guérir des gens, et puis je trouve ça sapristouillement courageux ses recherches à lui, ça oui. Il a l'air d'avoir une sacrée histoire avec ça, mais j'vois bien qu'il veut pas en parler, et puis moi, je force bien jamais les monsieurs ou les madames à parler si ils veulent pas le faire, ça non.

- Et bah, c'est sacrément courageux et puis chouette comme sujet de recherche, ça oui ! Vous arrivez à bien avancer ? C'est que, on pourrait bien essayer de travailler un peu ensemble, même si j'ai bien des progrès à faire, avec des plantes et puis autre chose, on pourra trouver une solution à ça, ça oui ! Et puis, moi j'doute même pas qu'on verra le nom de Monsieur Wynnstan à côté de ces recherches fabulissimeuses !

Et puis, monsieur Wynnstan et moi, on va voir ses monsieurs botanistes, et puis on parle un moment ensemble, et je vois bien qu'ils sont sapristouillement intéressés par mon travail à moi, et puis même qu'ils se demandent comment que ça s'fait qu'on se soit pas connus avant, ça oui. Au début, ils me regardent un peu tous bizarres, mais après ça, ils ont l'air totalement d'oublier que je suis pas très très jolie à regarder, et puis ils voient juste que je m'y connais, ça oui.

"Ca avance... comme des recherches."

J'suis un peu amer. Ca avance jamais assez vite. On trouve jamais assez. Et puis un jour, on a le tableau d'ensemble sous les yeux, et pour parler comme un Trinitaire, on a des épiphanies.

Mais bordel qu'est-ce que c'est long à venir les épiphanies.

"Votre optimisme fait plaisir, Docteur." J'allais dire "plaisir à voir", mais elle est toujours aussi moche donc euh, non. "Il y a toujours des progrès à faire pour tout le monde, même le professeur Gardenia le dit alors que c'est un des plus grands." C'est mon héros le professeur Gardenia, pour celui au fond qui aurait pas suivi. C'est la plus grande sommité de tout Dorado, forcément vu le système c'est pas dur, mais même à l'échelle de la galaxie c'est la pointure des pointures, la crème de la crème, le Professeur des Professeurs - enfin passons.

On va donc papoter avec un petit groupe de botanistes, qui réagissent sensiblement comme moi d'abord à ce demander ce que c'est que ce truc et à s'émerveiller progressivement, et mine de rien la conversation est partie pour se prolonger looongtemps. J'espère juste que le singe va bien se tenir.

Je comprends bien ce qu'il veut dire, ça oui. Nous, quand on fait des recherches pour de nouveaux remèdes ou bien ce genre de machinous, ça nous prend bien des dizaines, parfois des centaines d'essais et puis des mois et des mois et des mois avant qu'on puisse être un peu satisfounets. Il y a des fois où ça fonctionne bien mieux que d'autres fois.

- Moi je dis toujours qu'on arrête d'être un bon professionnel le jour où on arrête d'apprendre pour progresser, ah ça oui !

Et puis il nous présente à des botanistes, on parle bien et longtemps et puis certains d'entre eux ont un peu entendu parler de nous, et puis nous on a aussi un peu entendu parler de certains d'entre eux. Dodu est sage, il écoute bien ce qu'on dit. Parfois il réagit à des remarques, ou bien quand j'oublie de parler d'un point importantounet. On échangeationne nos coordonnées, et puis ils prennent congés. Dodu et moi, on reste un peu tous seuls avec Monsieur Wynnstan.

- Sapristouillette, j'vous dis bien merci pour ces rencontres, et puis c'est un véritable plaisirounet de parler avec vous, ah ça oui ! Vous avez prévu de refaire des conférences comme celle-ci, dites ? Dodu et moi, on aimerait beaucoup pouvoir assister à vos progrès, ah ça oui !

Le singe se tient bien. C'est cool. J'aurais cru qu'il irait piocher dans le buffet ou je sais pas, mais en fait non, tant mieux. J'écoute beaucoup, je prends quelques notes, je mémorise, mais je dis pas grand-chose au fond parce que la botanique et l'herboristerie c'est vraiment moins mon truc que les neurosciences et ça ben ils en parlent pas. J'aime bien écouter les gens qui s'y connaissent, et la réaction des collègues montre bien qu'elle raconte pas du vent.

A la fin, on est donc dans les derniers, il reste plus grand-chose sur le buffet, et euh... elle est toujours aussi moche. Je relève pas que Dodu, mes progrès, a priori il en a un peu rien à foutre. Elle a l'air de le traiter un peu comme son gamin, et on dit pas du mal des enfants des autres.

"Oh euh... il y a plusieurs colloques et séminaires prévus pour la suite oui. Enfin j'en fais pas beaucoup, j'écris plutôt des articles, mais j'y assiste souvent par contre." J'suis encore interne, c'est déjà une chance incroyable qu'on puisse parler de nos recherches une fois de temps en temps, alors devant toutes ces pointures... "Mais tout le plaisir était pour moi docteur Jenkins, c'est vraiment une joie d'échanger avec des gens aussi savants que vous !" La mocheté et les "sapristouillette", ça entre pas en ligne de compte quand y a des trucs à apprendre. Et mon carnet, là, il est plein à craquer.