Sois un homme, mon frère

Putain Wulf, tu fais chier.

Qu'est-ce qui lui a pété de m'envoyer à un resto avec une bonne femme ? Avec un costard ? J'en ai bien un pour les colloques et les soutenances, un premier prix d'occasion un peu fatigué mais encore potable, mais je l'ai laissé au labo. Il a fallu en louer un, bonne chance d'ailleurs pour trouver assez long et pas trop large pour ma carrure de carotte, et bordel il a une idée du prix que ça coûte ces trucs ?! En plus si c'est pour essayer de me caser avec une de ses copines bizarres, là, c'est bon, merci. Il a déjà essayé. Puis merde, il croit qu'ils vont s'écrire tous seuls les articles ? Faut que je bouffe moi des fois !

Môssieur ayant comme d'habitude balayé toute objection d'un énergique mouvement de bras, c'est la joue encore un peu douloureuse que j'arrive devant le resto. Je sais même pas à quoi elle est censée ressembler, sa copine, là, mais j'ai bien l'intention de l'envoyer balader dès que possible. Enfin, balader. J'me comprends. Me débiner en bafouillant serait sûrement plus juste... comme d'habitude...

La brune ne sait que très peu de choses sur l'homme qu'elle rencontre ce soir. Elle ne l'a jamais vu, sinon en photo, et si ce que lui en a dit son frère, Cathwulf, elle a bon espoir qu'ils aient une bonne compatibilité d'esprit, Laylia ne sait pas vraiment à quoi s'attendre. Elle sait qu'il est relativement plus jeune qu'elle, ce dont elle n'a pas l'habitude, mais sa formation et sa culture de la Guilde des Compagnons l'empêche d'en être dérangée outre mesure. Pour le reste... elle devra apprendre au contact de son client.

Aussi, Laylia a mentalement préparé une liste de sujets à aborder - il est interne en neurologie alors elle s'est renseignée sur les dernières avancées médicales et technologiques - et d’activités possibles à faire ce soir. Néanmoins, Cathwulf l'a prévenue qu'il risque d'être réfractaire, puisqu'il est renfermé, et la Compagnonne n'a aucune intention de lui imposer quoi que ce soit qu'il ne désire pas. S'il souhaite simplement dîner en sa compagnie puis partir, elle n'insistera pas. Son frère espère qu'elle pourra l'aider à s'ouvrir et se détendre un peu, ce qu'elle espère aussi pouvoir faire.

Elle n'est devant restaurant que depuis quelques de minutes, vêtue d'une longue robe bleu nuit agrémentée d'une simple chaîne en or, lorsqu'elle le voit arriver. Il semble à la fois énervé et mal à l'aise, ce qui n'est pas très bon signe. Aussi, Laylia se pare d'un large sourire chaleureux plutôt que charmeur et va à sa rencontre.

"Wynnstan Searuweard?"

En plus j'ai toujours mal à la joue moi avec ses conneries à l'autre, et je sais pas avec qui il va essayer de me caser cette fois mais...

...

"...oui ?"

On dirait la nuit, le ciel et ses étoiles. Elle a de ces yeux !

"Enfin j'veux dire. Je veux dire. Oui. Bonjour madame."

Je tends la main, machinalement, pour serrer la sienne. Comme si c'était genre un Super Grand Professeur de la Super Grande Université du Super Grand Loin. Je donne la patte quoi. Raide comme un passe-lacets. Pis elle est toute petite en plus, enfin par rapport à moi quoi, comme tout le monde, et donc euh... j'espère qu'elle croit pas que je regarde dix degrés plus bas. J'y ai honnêtement même pas pensé. J'regarde son nez, là. Il fait moins peur que les yeux.

Malgré son sourire et sa bienveillance, Wynnstan semble malheureusement encore plus troublé et mal à l'aise qu'avant. Laylia ne se laisse pas démonter aussi facilement néanmoins. Elle n'est pas une des Compagnonne les plus reconnues de la Guilde pour rien, alors elle a plus d'un tour dans sa poche pour le mettre à l'aise. Aussi, bien qu'elle ait plutôt l'habitude de faire la bise à ses clients, elle serre la main tendue sans hésitation.

"Enchanté. Je suis Laylia Mercè. Votre frère vous a-t-il parlé de moi?

La brune ignore ce que Cathwulf lui a dit sur cette soirée ou sur elle, surtout qu'il lui a bien précisé qu'il serait surement réfractaire. Sait-il seulement qu'elle est Compagnonne? Si la réponse est non, elle le lui précisera. Autant le secret est un art qu'elle maîtrise parfaitement, autant elle évite le mensonge à tout prix.

Il est joli son nez. Elle me serre la main. Je suis tout bugué. Y a trop de trucs qui clochent d'un coup.

"Enchanté madame. Wynnstan Searu... weard. Mais vous l'savez déjà oui. Et euh non, jamais. Enfin pas vraiment, il m'a dit de venir ici." Parlons pas de la baffe. "En costume." je précise comme si c'était super important.

J'me sens complètement ridicule d'ailleurs. J'aurais dû en louer un qui m'aille mieux. Même si pour coller à ma carrure et à ma taille il faudrait du sur-mesure et que j'ai pas les moyens. Celui-là est un peu court, un peu large. Y a des moments où le manque d'argent fait plus mal qu'à d'autres...

"Et euh vous avez connu mon frère comment ?"

Non parce que Wulf il traîne pas avec des filles comme ça. J'le saurais.

Laylia aurait préféré que le frère de Wynnstan lui explique la situation, mais elle devra faire sans. Elle craint un peu la réaction du jeune homme, en réalité, puisqu'il semble déjà si nerveux. La brune lui sourit donc de plus belle et prend délicatement son bras.

"Ce n'est rien. Peut-être pourrions-nous rentrer à l'intérieur pour en discuter?"

Elle l’entraîne doucement avec elle dans le restaurant, sans le forcer, mais en prenant les devants, assurée. Elle a l'impression que si elle ne l'avait pas fait, il aurait pu rester planté devant l'édifice un bon moment, ou simplement tourner les talons pour s’enfuir. Le serveur de l'endroit - qui est d'ailleurs bien renommé sans être trop luxueux - les accueille rapidement et les mène à la table que Laylia a réservée plus tôt dans la journée. Lorsqu'ils sont installés l'un en face de l'autre, elle cherche son regard avant de répondre à sa question.

"En réalité, je ne connais pas votre frère. Une connaissance commune nous a simplement mis en contact il y a quelques jours. J'imagine que vous connaissez ce qu'est la Guilde des Compagnons?"

D'après l'accent, le nom et le lieu, les Searuweard sont du moins en partie originaires de l'UC, aussi la brune a bon espoir qu'il sache déjà ce que sont les Compagnons. C'est avec les membres des autres factions que les choses se compliquent parfois, quoique même à l'intérieur de l'UC, Laylia a déjà été confrontée à des résistances, conceptions erronées et incompréhensions vis-à-vis la Guilde.

Euh. Oui ? Non ? Elle m'a déjà pris le bras et on est rentrés avant que j'aie réussi à trouver quelque chose à bafouiller. J'suis tout tassé, moitié parce que j'suis toujours tassé moitié parce que j'veux pas lui faire lever le bras. J'aime pas les endroits comme ça en plus... on voit tout de suite que j'y mets rarement les pieds.

On finit par se poser à une table et je cherche quelque chose de pas trop dangereux à fixer, un mur ou quelque chose de plus haut que ses yeux. Si je baisse les yeux j'ai peur de l'incident diplomatique.

...ah. Elle connaît pas le frangin. Aaaaah. Une C... wait. J'en oublie qu'elle a des yeux magnifiques qui font peur et je la regarde, désarçonné.

"'tendez, z'êtes en train d'me dire que le frangin vous a payée ?"

Doit y avoir une erreur quelque part. Elle attendait un autre Wynnstan Searuweard. Je veux même pas savoir combien de reins il faut vendre pour une soirée avec une... euh... dame comme elle. Avec des yeux comme elle. Et sûrement une tête bien pleine comme elle, ça fait partie du boulot. Pis quelque part y a la moutarde qui monte un peu aussi. Je suis pas un cas désespéré à ce point quand même ! Enfin si, sûrement, mais moi je suis pas désespéré au point d'avoir besoin de payer pour de la compagnie... même belle et pas trop flippante comme elle. J'ai du boulot pour m'occuper. Tout ça.

Au moins, Wynnstan semble effectivement connaitre la Guilde. Sa surprise est néanmoins assez intense pour inquiéter la brune, et elle semble déceler également de la colère derrière son expression, ce qui est d'autant plus problématique. Elle doit désamorcer rapidement la situation et choisis l'humour pour y arriver. Elle hausse donc simplement un sourcil et rétorque :

"Bien sûr. On paie les musiciens et les danseurs pour leurs performances, les psychologues et les historiens pour leurs services, et je suis tout cela à la fois. N'appréciez-vous pas être payé pour votre travail?"

Un sourire vient adoucir ses traits et une lueur amusée dans ses yeux bleus vient indiquer à Wynnstan - s'il ose seulement les regarder - qu'elle ne lui en veut pas du tout. Laylia aurait pu se vexer de son commentaire, mais elle voit bien que là n'était pas du tout l'intention du jeune homme.

"Ne vous inquiétez de rien. Tout a été vu avec votre frère au préalable. Cette soirée est un cadeau, tout simplement, pour vous permettre de vous détendre et vous amuser un peu. Je ne suis là que pour m'assurer que ce soit le cas, peu importe ce que vous désirez en faire. Cathwulf m'a dit que vous travaillez énormément, aussi j'aimerais réussir à vous faire oublier vos soucis. J'espère seulement que vous m'en donnerez la chance?"

...rho le bouleeet. Rouge tomate, la carotte. Je regarde un peu partout, à moitié en panique déjà, puis je baisse les yeux sur mes mains et ils y restent.

"Non mais c'est pas... j'veux dire... euh... hum." Je me racle la gorge derrière mon poing. Respire. Improvisation de séminaire sur la famille Searuweard. Introduction. "Cathwulf est..." Regarde le jury. J'regarde son front. "...enfin d'habitude, c'est pas vraiment quelqu'un de dépensier, vous voyez ?" Je veux un cookie pour cet euphémisme putain. "Et plus on a de compétences plus on est payé, alors si vous savez faire tout ça euh..." Il avait de l'argent sale à blanchir ou quoi ? "...vous êtes sûre que c'est mon frère qui vous a contactée, vraiment ?"

Le reste j'avoue que ça a glissé un peu. Surtout que mes soirées d'habitude je "désire" en profiter pour bosser ou pour être avec maman ou les deux, et là j'crois qu'aucun des deux sera trop possible. Putain Wulf tu fais chier. Pourtant y a un truc qui me fait tiquer.

"Mais j'ai pas d'soucis moi vous savez."

Juste mes articles à rédiger et puis le bouquin de Philippe Favier à vérifier si c'est du sérieux ou du bullshit... et puis mes cours évidemment... et puis le Runny et les gens qui traînent dedans... et maman... et Sunny et Niaw et même cet abruti de grand frère... je m'explique toujours pas ce qui a pu lui péter, si c'est bien lui. Mais j'ai pas de souci.

Laylia sourit, amusée, devant la tentative d'explication du jeune homme. Il est maladroit, mais d'une manière particulièrement attachante, et elle comprend mieux ou il veut en venir maintenant.

"À part si vous connaissez un autre dénommé Cathwulf n'étant pas votre frère, je suis certaine, oui. Et puis, si vous n'avez vraiment aucun souci, vous avez beaucoup de chance. Néanmoins, ce n'est pas une raison pour ne pas s'amuser le temps d'une petite soirée, non?"

Elle penche la tête de côté et soupire doucement. Ce client-ci va être difficile à mettre à l'aise, même pour elle qui excelle pourtant dans ce domaine. Elle l'observe quelques instants en silence, notant une nouvelle fois tout son inconfort dans ses vêtements, dans l'endroit où ils se trouvent et vis-à-vis sa compagnie. La mesure qui lui vient alors en tête est un peu drastique, mais aux grands mots, les grands moyens, non? Lorsqu'elle voit le serveur approché pour prendre leur commande, elle lui fait donc discrètement signe de la tête que ce n'est pas le bon moment. Puis elle cherche de nouveau le regard de Wynnstan, mais ne le trouve pas.

"Vous n'avez pas envie d'être ici, n'est-ce pas?"

Sa voix est douce, dénudée de reproches. Elle attrape de nouveau son sac puis se relève avant de lui tendre la main.

"Allons-nous-en alors. Nous n'avons pas encore commandé après tout, rien ne nous oblige à rester ici."

Nan j'en connais pas d'autre non. Ouais j'ai de la chance, pas comme l'autre abruti qui s'est amusé tout seul à faire le père de substitution alors que j'en avais toujours un. Puis non c'est pas une raison mais euh voilà quoi, j'm'amuse pas moi. Pas avec des vrais gens et surtout pas des... dames. Comme elle. Et euh non j'ai pas envie d'être ici, sans parler du rein qu'il a vendu l'autre abruti j'me sens... pas à ma place, mais alors pas du tout. Mais mais attends elle s'en va ? Quoi ? J'suis une loque à ce point, qu'il faut partir ? Je donne la main, piteux comme un gamin qui a fait une connerie et que maman ramène à la maison. Plus jamais de ma vie je mets les pieds dans ce resto. Plus jamais de ma vie je passe devant ce resto.

Il est... effrayé. Tout semble lui faire peur. Être dans ce restaurent ou en sortir, parler ou se taire. Laylia comprend mieux maintenant ce qu'a voulu dire Cathwulf lorsqu'il lui a parlé du besoin d'aide de son frère. Ce dernier ne semble pas croire avoir un problème, mais s'il est nerveux ainsi, un poids énorme doit peser continuellement sur ses épaules, qu'il en soit conscient ou non. Peut-être n'arrive-t-il pas à confiance en qui que ce soit? Peut-être n'a-t-il nulle part ou se sentir réellement à l'aise? Peut-être encore se dévalorise-t-il constamment, n'a aucune confiance en lui, ce qui provoque cette gêne violente qu'elle perçoit sur ses traits? Cette réalisation vient toucher le cœur de Laylia avec plus de force qu'elle s'y attendait. Sans le prendre en pitié, la pitié n'ayant jamais aidé personne, elle est soudain triste pour lui.

La brune prend sa main dans la sienne et l'escorte hors du restaurant. Personne ne les regarde de travers. Tout le monde a bien autre chose à faire, et le serveur à compris le signe de la Compagnonne, qui lui a d'ailleurs laissé un pourboire sur la table. Il offre d'ailleurs déjà leur table à un nouveau couple. À l'extérieur, elle ne lâche pas la main de Wynnstan et, un sourire toujours accroché aux lèvres lui demande sur un ton amusé :

"J'ai quelques idées ou nous pourrions aller pour manger, mais j'aimerais savoir si vous avez des endroits préférés. Après tout, cette soirée est la vôtre!"

"Baaah..." J'mentionne qu'en temps normal c'est nouilles instantanées et nutrisoja, que les trucs frais c'est surtout pour maman ? "...c'est qu'en général j'mange pas trop au resto." Ouais hein, on en parle pas. Te gratte pas l'occiput, c'est moche. "Navré pour, euh, tout ça." je lâche, tête basse.

À sa réponse, Laylia balaye la question du revers de la main pour lui signifier que ce n'est rien.

"Aucun problème, je m'occupe de tout alors."

La brune prend donc la direction d'une rue passante, la main toujours dans cette de Wynnstan, en direction d'un stand de crêpes qu'elle a remarquées quelques jours plus tôt. Avec ce genre de repas, plus de pression d'étiquette, et ils pourront aller manger tranquillement dans un parc. Le tout sera beaucoup plus décontracté, moins formel et plus simple. L'idéal pour évacuer toutes sources de stress inutile.

À son excuse, la Compagnonne ralentis néanmoins le pas et tour la tête vers lui, mais elle ne trouve toujours pas son regard puisqu'il abaissé la tête. Aussi, la brune s'arrête et se met devant lui avant de relever doucement son menton des doigts, jusqu'à ce qu'enfin elle trouve ses prunelles cuivrées.

"Vous n'avez rien à vous reprocher. J'ai mal jugé la situation, c'est donc plutôt à moi de m'excuser pour ce faux départ."

Elle lui offre un sourire encourageant avant de reprendre la route et bientôt ils arrivent devant le stand de crêpes ou quelques personnes font la queue. Ils prennent place à l'arrière, puis Laylia sort une autre de ses cartes dans l'espoir de le mettre un peu plus à l'aise.

"Pendant qu'on attend notre tour, peut-être pourriez-vous me parler de votre travail? J'ai lu quelques articles à votre nom et vos recherches en neuroscience sont particulièrement intéressantes."

Gnihellemetouchekeskejféoskour - tiens elle a les mains chaudes - aaaaahellemetoucheellemeregardejefékoiii ? Bah euh on rougit et on fait le poisson rouge. C't'un bon plan pour mourir de honte et échapper à ses beaux yeux. Bloup-bloup. Et elle sourit. Et elle est belle. Et j'ai eu beau faire j'ai croisé ses yeux une seconde, je sais pas où regarder pour pas tomber sur un incident diplomatique, l'inconvénient de plafonner à presque deux mètres quoi. Là normalement j'suis tellement rouge que j'ai de la vapeur qui me sort des oreilles.

"...maisnonvousexcusezpas..." j'arrive enfin à marmonner, très concentré sur mes pieds, alors qu'on est déjà repartis.

On finit par arriver devant une petite file d'attente, et je me demande enfin où elle a décidé de m'emmener. Mais faut lever les yeux. Dilemme. Je les lève vite fait. Une crêperie. A emporter. Euh. J'vais m'en mettre partout, à tous les coups. J'ferai attention ?

Et puis là. Là. Le drame. Elle a lu mes articles. Elle les trouve intéressants.

"...vous avez lu mes articles ?" je répète, tout bête. Non parce que bon c'est clair que c'est pas le Professeur Gardenia, mais merde. Elle a lu mes articles. "Vous vous intéressez aux neurosciences ?"

J'vais pas lui dire que c'est bien la dernière chose qu'environ l'humanité moins trois péons trouve intéressante, mais...

Il est surpris, ce qui étonne légèrement Laylia. Pense-t-il à mal de son travail? Il semble avoir une tendance à sa dévalorisée, mais si la Compagnonne croyait avoir compris quelque chose du caractère de Wynnstan en discutant avec lui et son frère, c'est bel et bien son amour pour son travail. Peut-être est-il simplement surpris qu'elle s'y soit intéressée? Il est vrai que la recherche en neuroscience n'est pas le sujet de salon favori de tout le monde, après tout. Elle lui sourit, rassurante.

"Bien sûr. J'essaie de me tenir au fait des dernières recherches dans plusieurs domaines, et la médecine en fait partie. Je trouve d'ailleurs hautement fascinant ce que la neuroscience parvient à faire de nos jours, et m'avoue impressionnée par ce que vous entrevoyez pour le futur."

La file avance et Laylia suit doucement le mouvement. C'est au couple devant eux à commander, et la brune remarque que la petite fille d'environ trois ou quartes ans qui les accompagne les regardent curieusement elle et Wynnstan cachée derrière les jambes de son père. Elle lui fait donc un subtil clin d'oeil qui la fait rire avant de retourner son attention sur son client.

"Malheureusement, je n'ai personnellement pas pu étudier la médecine. J'aurais aimé, et je ne perds toujours pas l'idée d'un jour apprendre les premiers soins, mais du coup certains concepts plus complexes m'échappent. Serriez-vous assez obligeant pour m'expliquer ce sur quoi vous travaillez actuellement?"

Elle s'intéresse à la médecine. Elle a lu mes articles. Elle a l'air de les comprendre. Oh bien sûr, j'suis pas complètement stupide, quand on s'intéresse de loin à un sujet on lit quelques articles de Professeurs bien en vue, ou des résumés de vulgarisation (parfois écrits par les mêmes Professeurs d'ailleurs), pas Wynnstan Searuweard, petit interne de rien du tout. Elle a dû faire des recherches pour la soirée. Mais peut-être qu'elle s'intéresse vraiment à la médecine. Ca serait bien.

"Je sais pas si on peut vraiment dire que j'entrevois des choses... Je les suppose, au mieux. C'est des voies à explorer pour la suite mais rien ne dit que ça sera ça." je réponds à retardement quand elle me demande des éclaircissements.

Euh. Sur quoi je travaille actuellement. Plein de trucs.

"Idéalement, à terme, sur la régénération des tissus nerveux. En ce moment je travaille sur des algues de Renaissance. Certaines ont une capacité de régénération impressionnante. Je suis pas phycologue ou microbiologiste donc je me repose beaucoup sur les résultats de mes collègues, mais j'essaie de voir si certaines molécules, certains processus, pourraient ouvrir des pistes pour le traitement des lésions neurologiques. Pour l'instant c'est pas très concluant sur ce plan-là, mais ça pourrait avoir des applications intéressantes pour les tissus cicatriciels. Essayer de rendre les cicatrices moins visibles. Mais vous savez, transférer des processus issus du monde végétal dans le monde animal... si c'était facile, ça ferait longtemps qu'on se nourrirait tous par photosynthèse."

D'un coup, plus de bégaiements ni de phrases hachées. Sous ses yeux, le jeune rouquin se métamorphose, passant de l'inconfort et la gêne extrême à une étonnante articulation intelligente et passionnée. Laylia ne peut s'empêcher de sourire, aussi heureuse d'avoir enfin réussi à trouver un terrain pour le rendre à l'aise avec elle que touchée de le voir enfin sous son vrai jour. Elle ne relève pas l'amélioration à haute voix néanmoins, ne souhaitant pas briser la nouvelle bulle dans laquelle ils se trouvent ni ramener Wynnstan n’a ses réflexes embarrassés.

"Bien de grandes découvertes ont eu lieu alors que les chercheurs expérimentaient sur des sujets complètement différents. Vos recherches n'ont peut-être pas encore abouti ou vous l'espériez au départ, mais cette découverte médicale pour les tissus cicatriciels pourra certainement aider beaucoup de gens. En soi, c'est déjà une grande réussite, vous pouvez en être fier. Je suis curieuse d'en connaitre davantage sur ces algues aux capacitésde régénération, s'il ne vous ennuie pas de m'en parler bien sûr."

Le couple devant eux s'en va puis c'est à leur tour de s'avancer au comptoir. Laylia regarde avec envie le menu affichant une grande variété de crêpes sucrées ou salées. Elle lance un sourire à Wynnstan puis lui demande avec enthousiasme :

"Tout semble délicieux. Qu'est-ce qui vous fait le plus envie? Personnellement, je crois que je pourrais me laisser tenter par celle aux lardons, champignons et béchamel. Nous pouvons également partager, si n'en choisir qu'une seule s'avère un choix trop difficile."

Oh. Euh. Elle sourit. Merde. J'me suis laissé emporter. Mais ça a l'air de l'intéresser et... et la carotte redevient écrevisse et regarde vite ailleurs parce que le sourire de la dame fait mal aux yeux.

"C'est vrai oui." Mais je m'en fous moi d'avoir une belle gueule après m'être pris un énième coup de bras métallique dans la tronche, je veux rendre leur vie et leur dignité aux paralysés.

"Les algues, oui. Bah celles-ci c'est des liselles marbrées, des macroalgues pélagiques, comment dire. Elles sont longues, fines, plates, et on dirait qu'elles ont une espèce de tige au milieu, mais c'est pas une tige, les algues ont pas de tige, c'est une pseudo-nervure. En général on travaille sur des petites, dix à trente centimètres, mais certains spécimens peuvent atteindre plusieurs mètres de long. Elles sont bleuâtres, assez solides mine de rien, et en fait leur nom vient du fait que quand on les froisse elles se comportent un peu comme du papier. Vous voyez une feuille qu'on aurait roulée en boule et dépliée ? C'est tout couvert de petites rides, et bon courage pour arriver à la ravoir. Ben la liselle elle a l'air bonne à jeter pareil, sauf qu'au bout de dix minutes on dirait qu'on l'a jamais touchée. Toute lisse, toute plate. A l'intérieur pourtant il y a toujours une fragilité, c'est d'autres mécanismes qui entrent en jeu, mais à l'extérieur... comme neuve."

Ah. Crêpe. Euh.

"Je... aucune idée. Deux secondes ?"

En plus d'apprécier de le voir enfin parler avec aisance, Laylia apprécie vraiment le sujet. Curieuse de nature, elle a toujours adoré apprendre, et la médecine comme l'herboristerie sont des domaines qu'elle n'a que trop peu approfondis à son gout. Son intérêt comme son enthousiasme ne sont donc pas feints.

La brune ne lui pose pas de nouvelle question tout de suite néanmoins, le temps que Wynnstan fasse son choix, s'arrêtant finalement sur une crêpe au saumon, fromage et algues. Ils reçoivent rapidement leur commande à laquelle Laylia a ajouté deux thés glacés maison, puis Laylia prend de sa main libre celle du rouquin pour l’entraîner vers le parc. Ainsi, ils n'ont rien de différent des autres couples qui profitent de la soirée sous la bulle tempérée d'Hope. Toutes les tables à pique-nique sont déjà prises, aussi la brune choisit un grand arbre un peu isolé puis s'assoit à même la pelouse, repliant ses jambes gracieusement sous elle.

"Nous allons être tranquilles ici."

Tout en sortant leur repas encore fumant du sac en papier à effigie de la crêperie, elle sourit de nouveau à Wynnstan et relance la conversation.

"J'ai une amie médecin et herboriste. Elle serait encore plus fascinée que moi par votre découverte. Si j'ai bien compris, d'ailleurs, l'effet médical de l'algue aurait un impact plus esthétique que de régénérescence? Puisqu'elle présente toujours une fragilité intérieure?"

Elle est belle. Elle est gentille. Elle est intéressée, ou en tout cas elle fait bien semblant. J'ai un peu moins envie de me planquer dans ma poche. Uuun peu.

Mais mais... de l'herbe. J'vais tacher mon costume. J'ai laissé une caution. Mais de là j'vois que le dessus de son crâne... c'est pas poli, j'ai pas envie de lui faire attraper un torticolis, et puis surtout j'ai une vue imprenable sur euh... des choses à pas regarder ? Dilemme, dilemme, mais finalement faut bien s'asseoir, du bord des fesses. Je reprends, pendant ce temps je sors ma crêpe mais je mange pas encore. C'est chaud.

"Oui, voilà, c'est ça le problème. A l'extérieur la liselle a l'air comme neuve, mais à l'intérieur elle se régénère au même rythme que les algues de la même famille. Si on arrivait à appliquer cette régénération à l'ensemble du processus de cicatrisation et pas juste aux couches superficielles, ça pourrait permettre de sauver tellement de gens."

Mais c'est pas pour sauver ces gens-là que je bosse comme un dingue depuis que j'ai l'âge de le faire, celui que je voulais sauver il est mort avant. Et c'est pas avec ça qu'on rendra son bras à Wulf. Ce con.

"Seulement il me manque trop de connaissances en dermatologie, et niveau traumatologie j'suis spécialisé sur le système nerveux, alors c'est sans doute pas moi qui trouverai. Pour l'instant, le mieux que j'attends de cette affaire, c'est des applications cosmétiques."

Wynnstan semble de nouveau mal à l'aise, mais au moins il prend place face à elle. Avec de la patience et du temps, peut-être réussira-t-elle à réellement lui offrir un moment agréable? La perspective d'échouer à y parvenir ou de n'être qu'un problème ou un agacement pour lui provoque un petit pincement au cœur à la Compagnonne, à moitié par fierté professionnelle, moitié par réelle considération pour le rouquin. Au moins, maintenant qu'il est relancé sur le sujet de ses recherches, il semble de nouveau un peu plus à l'aise.

"C'est déjà beaucoup pour certaines personnes, mais  la possibilité d'étendre les propriétés de régénérescence à l'ensemble du processus de cicatrisation est très prometteuse. Je suivrais l'évolution de vos recherches et de celles de ceux qui se pencheront sur votre découverte avec intérêt. D'ailleurs, j'ai toujours trouvé particulièrement admirable l'esprit de collectivité dans le monde médical. C'est surement grâce à ce travail d'équipe que le progrès est possible après tout."

En comparaison, son travail à elle est bien solitaire. C'est peut-être pour cela que l'enseignement l'attire autant, et qu'elle s'y adonne de plus en plus au Conservatoire depuis les dernières années. Un besoin de collectif, d'apprentissage par les autres, de donner et recevoir aussi. Cette réflexion lui inspire une question de relance, en attendant que leur repas soit suffisamment refroidi pour être mangé sans risque de brûlures.

"Vous savez bien communiquer vos résultats, Wynnstan. Est-ce que l'enseignement est une voie qui vous intéresse? Où avez-vous trouvé votre voie dans la recherche?"

"Baaah..." Et qui c'est la carotte pivoine, mmmh ? "...j'préfère chercher, pour l'instant. Anthema aussi préfère que je cherche. En Dorado t'façon on croule pas sous les facs de médecine, enseigner ça serait hors système. Ou alors ici mais dans longtemps. Et dans les paperasses que j'ai signées y a plusieurs années y avait un engagement à revenir bosser ici. C'est c'que j'voulais hein, j'ai toute ma famille ici. Je me plains pas."

J'entrouvre ma crêpe avec un regard blasé. Elle fume toujours, mais elle fait quand même moins peur que la dame. J'devrais la regarder en parlant mais euh... j'regarde ses genoux. Ses pieds sont cachés et le reste... voilà.

"Puis j'me vois pas enseigner. Z'avez vu comme je suis à l'aise avec les gens. J'préfère vraiment rester avec mes bouquins... ça sera mieux pour tout le monde. Plus efficace."

"L'important est que vous fassiez quelque chose que vous aimez vraiment."

Wynnstan n'ose toujours pas la regarder, ou du moins la regarder en face. Elle a bien remarqué qu'il évite son regard, baissant les yeux sur ses mains, ses pieds ou, comme maintenant, ses genoux. Est-il ainsi avec tout le monde? Si elle se fie à ce que Cathwulf lui a demandé, la réponse est oui. La brune se demande alors ce qui l'a rendu ainsi, qu'est-ce qui provoque cette peur, cette gêne et son manque de confiance en lui si flagrant alors même qu'il aurait tout pour être le contraire? Aux premiers abords, il est grand et a un physique agréable, mais plus encore, il est vif, brillant, intéressant aussi. Il sait communiquer sa passion, même s'il l'ignore.

Lorsqu'il aborde lui-même le sujet de son inconfort avec les autres, elle hésite un instant, mais finalement choisis qu'elle ne puisse pas rater l'occasion de rebondir sur ses paroles. Elle aurait préféré tenter davantage de le rendre à l'aise avec elle avant de lui en parler, mais son malaise semble si profond qu'elle réalise qu'elle n'y arrivera probablement pas avec ses méthodes habituelles. Aussi, Laylia vient prendre la main libre du jeune homme dans la sienne et cherche son regard sans le forcer.

"Vous avez beaucoup à offrir. Beaucoup plus que vous semblez le penser."

Elle prend une courte pause avant d'ajouter, une infinie douceur sur ses traits et dans sa voix :

"Avez-vous peur de moi?"

Elle me prend la main. Je lève les yeux de surprise et... bleu. Professeur Gardenia qu'elle est belle.

...euh. Euuuh. C'est quoi ce compliment ? Et c'est quoi cette question-piège là ?

"Nan." je mens en détournant les yeux.

Crédibilité zéro. C'était totalement la voix du gamin à qui sa mère demande s'il aurait pas volé des bonbons par hasard et qui en a plein la bouche. J'ai les joues qui brûlent, c'est affreux. Je regarde ma crêpe toujours fumante. Elle fait moins peur.

"J'ai pas peur." Sans blague. Arrête d'enfoncer le clou, t'es ridicule. "...c'est juste que..." Oh qu'elle est intéressante cette crêpe. "...bah j'ai peur de mon ombre en fait alors euh..." Tais-toi, tais-toi..."...ben vous êtes quand même vachement plus, euh..." J'me rends compte que je louche sur son genou derrière la crêpe. "... baaah... 'fin vous voyez."

Ben oui elle voit. Elle est belle et intelligente et compagnonne et euh... tout ça, quoi. Et puis elle fait trente centimètres de moins que moi au moins et elle est toute gentille et tout, mais elle a une présence... une présence...