Mère mo'at, raconte-nous une histoire [Way'si & Croyance]

Quand je descends du machin qui-va-vite qui m'a amené jusque là, y a des grands trucs partout. J'avais jamais jamais vu des maisons aussi grandes woaaaaah. Serge, il est dans mon cou, il me fait des guillis. Ca me fait rigoler. Je suis jamais allée ici, et c'est bizarre. Y a tout qui sent différent. Mais j'oublie pas ma super mission de super héroïne. Faut que je trouve Modestie. Je vois pas beaucoup des gens autour, mais c'est pas grave, j'en vois quand même un ou deux ou trois. Je chantonne un peu, et je commence à demander.

- Bonjour Monsieur, vous aurez pas vu Modestie Profitendieu s'il te plaît ?

On me dit non, alors je vais demander à une madame, cette fois.

- Dis Madame, vous aurez pas vu Modestie Profitendieu s'il te plaît ?

Retour à Vanguard. Port d'attache. Presque la maison. Presque. Ma nouvelle maison est de métal. Que diraient les miens s'ils savaient ? Rien. La maison de chacun est son abri contre le danger et sa famille est sa richesse. Le Ni'huan me rend riche de plein de frères et de soeurs. Et il me protège. Je l'aime. J'aime aussi, cependant, retrouver le poids de ma Motuani natale. Malgré les horreurs que les envahisseurs y construisent partout, ce port est celui de ma liberté retrouvée.

Je marche dans les rues, inconsciente des gens qui se retournent sur mon passage, perdue dans mes pensées, une mélodie au bord des lèvres. C'est un vieux chant mo'at, mes préférés et je l'entonne plus fort que je ne l'aurais cru, alors que je passe devant une enfant parlant à une femme bien habillée.

La dame, elle me répond je crois, mais y a une madame bien plus belle qui passe en chantant à côté de moi. De la musique, moi j'peux pas résister. Avec un grand sourire, je sors ms baguettes de mon sac, et puis je fais ce que moi j'adore faire le plus de tout le monde. Y a un bout de verre, un morceau de tuyau, un truc qui résonne bien, et puis je commence à accompagner la madame, avec des petits ratés parfois mais je corrige ça tellement vite que ça rend pas si mal. Toum toum toum, touuuum. Si, la, siiiiii.

On tape derrière moi. C'est une musique d'un son étrange, une musique de machine qui n'est pas sans rappeler celle des immenses vaisseaux qui décollent ou encore des portes qui claquent. C'est tellement différent du sens de la mélodie que j'ai en tête et pourtant cela s'y mêle tellement bien que je m'arrête, surprise, pour regarder autour de moi. Des gens. Des tas de gens. Ils sont tellement nombreux, ces envahisseurs. Et puis, au milieu des gens, une enfant aux cheveux châtains qui tape avec des bouts de bois polis. Je m'approche d'elle, m'accroupis à sa hauteur.

"C'est joli ce que tu fais, Axi'la."

Elle s'arrête alors que c'était trop joli. Fuuuu. J'ai pas arrivé à comprendre ses mots à elle, mais c'était très juste. Et la musique, ça se parle beaucoup avec le coeur, et son coeur à elle, il parle beaucoup. Mes baguettes elles arrêtent de taper, mais j'ai encore le rythme dans les doigts. Toum toum touuum. Et la madame à la jolie voix, elle me parle à moi. Je fronce les sourcils et puis je lui souris vraiment beaucoup.

- Merci ! Mais je m'appelle pas Axila, moi. Moi, c'est Croyance ! Et toi, tu t'appelles comment ?

"Je suis Way'si, du clan Tompa et enchantée de faire ta connaissance, Croyance." Elle a l'accent de mes geoliers. Quelque chose qui me fait frissonner au plus profond de mon être. Et pourtant, c'est une enfant. Je sens à quel point ce qu'ils m'ont fait ma changée. Je ne le veux pas. Aussi, au lieu de m'enfuir comme me le crie mon corps, au lieu de me venger comme me le conseille mon coeur, je reste auprès de Croyance et de sa musique si différente de la mienne.

"Tu aimes beaucoup la musique ?"

Waysi du clan Tompa ? Woaaaah, coooool.

- Il est rigolo, ton nom. T'es une esclave mo'at ? Parce que papa et maman ils ont disez que les esclaves mo'ats c'est que des animaux dangereux et pas très intelligents et qu'il faut pas leur parler. Mais t'as l'air gentille, toi, et t'es trop jolie, même si t'as un nom rigolo.

Et je lui montre fièrement mes super baguettes en secouant bien la tête.

- J'aime trop ça, la musique ! C'est trop coooool ! Et toi, t'as une trop jolie voix. Ca veut diser quoi ce que tu dis dans ta chanson ?

"Je suis une mo'at et je ne suis pas une esclave." Ma voix est douce, triste. Je devrais être en colère d'entendre cette enfant dire ces choses là sur mon peuple mais cela m'emplis plutôt de lassitude. Elle n'y est pour rien. Elle ne fait que répéter ce qu'on lui a apprit et l'on ne peut reprocher l'ignorance à un enfant. "Nous ne sommes pas des animaux, Croyance, nous sommes des humains comme toi et comme tous les humains, il y a des mo'at dangereux et pas très intelligents mais la plupart sont normaux. C'est comme... comme les oiseaux. Tu en as de différentes sortes mais ce sont tous des oiseaux, tu comprends ?"

Je hausse les épaules. C'est vrai qu'elle a l'air normale, la mo'at pas esclave. Je regarde sa main, et puis son visage, et elle a juste des cheveux rigolo et puis un nom bizarre. Mais si elle avait pas dit son nom bizarre, j'aurais pas savu qu'elle est mo'at. Peut-être que ça aussi, c'était un vilain mensonge moche. Ca me fait gratter la tête, et je comprends plus trop.

- Ah, d'accord. Mais t'es pas un oiseau, toi. T'es une jolie madame. Et pourquoi les autres grands comme toi, ils disez ça, alors ?

Je réfléchis. Parler de l'esclavage avec une petite fille en pleine rue est peut-être incongru mais cela ne me choque pas, les voies de la Dame sont impénétrables. Doucement, je lisse la longue tunique blanche qui couvre mon torse et m'assied par terre. Mon pantalon vert un peu trop court dévoile mes chevilles jusqu'à mes sandales brunes. Là, je suis à sa hauteur. Parce que la discussion peut durer longtemps.

"Certaines personnes pensent que parce qu'ils peuvent obliger d'autres à faire ce qu'ils veulent, par la force, ou parce qu'ils sont plus nombreux par exemple, alors ces gens deviennent des animaux. C'est plus facile pour eux, parce que c'est très dur de se dire qu'on fait du mal à un autre humain alors que sur les animaux, beaucoup pensent que ce n'est pas si grave. Alors, ils disent ça pour se rassurer, pour faire semblant d'être plus fort ou plus grand. Et ils se le disent tellement qu'ils finissent par y croire."

Je réfléchis beaucoup à ce qu'elle a dit.

- Alors, c'est des gros mensonges tout moches, que vous êtes comme des animaux ? Et puis, c'est comme quand Dieu il veut qu'on se marie et qu'on ait plein d'enfants parce que sinon on va dans l'enfer ? Les plus forts, ils font comme s'ils étaient un peu Dieu et ils décident la vie de d'autres gens ?

Je pense à Serge et puis à Serge, aussi, et j'étais très triste.

- Moi, je pense pas que c'est plus mieux bien de faire le mal aux animals. Je suis triste quand les animals ils ont bobo ou quand ils sont morts aussi, mais c'est comme ça, c'est la vie aussi, la mort. On est tous mort un jour. Les grands, ils disez que il faut pas faire des pêchés et qu'il faut qu'on soit gentil et sage et que je vais aller en enfer quand je suis morte parce que je suis pas gentille, mais eux ils sont pas gentils non plus et ils racontent pas la vérité.

Les mensonges ne sont pas tous moche et la mocheté n'est que rarement un mensonge. Je me demande ce que l'on a appris à cette fillette. Malheureusement, je ne comprends pas tout ce dont elle parle. J'ai bien entendu parler de l'enfer et du Dieu des envahisseurs mais uniquement par allusion, ou moquerie. L'enseignement de la religion n'était pas considérée comme utile aux esclaves et j'ai la Dame qui veille sur nous. Pauvre enfant. Je cherche son regard, souriant doucement, sans moquerie dans l'espoir que ça lui remonte le moral.

"Je n'ai pas ton dieu. J'ai une déesse qui veille sur moi. Elle n'a pas d'enfer et elle ne nous demande pas d'être sages ou pas. Qui sait si c'est ton dieu ou ma dame qui a raison à la fin ? Moi je sais que la mort donne la vie, elle nourrit la vie. Elle en fait partie. C'est l'essence de la personne qui disparaît dans l'espace. Alors je ne vais pas te mentir. Je ne vais pas te dire ce que je ne sais pas sur l'enfer et les péchés et ce genre de choses. Mais je sais que chaque personne est unique et doit être respectée. Que les animaux ont autant de droits que nous à vivre libre et heureux. Que c'est à nous de nous adapter à la nature et pas le contraire. Voilà ce que je pense. Toi, petite, tu dois grandir et regarder autour de toi pour trouver ce que tu penses vraiment.

- Ca veut dire que j'allerai pas dans l'enfer et que Dieu, c'est une madame ? Woaaaah, trop cooooool.

Elle me dit que je dois grandir, mais elle sait pas que je vais pas grandir.

- Eh, je suis pas petite d'abord ! Moi je suis une géaaaante grande comme ça, même plus que toi !

Je me mets moi sur la pointe des pieds et je lève ma main pour lui montrer comment que je suis grande. Et puis je rigole.

- Moi, je pense que vous, les adultes, vous racontez plein des histoires, et moi, j'adore ça, les histoires, même si elle est triste à la fin ou que y a des vilains monstres mangeurs d'enfants groaaaaa ! Mais c'est pas tout vrai, parce que la preuve, toi je t'aime bien et... Ooooh, dis, j'pouvrais être mo'at moi aussi, si je suis grande comme toi ?

Je sautille un peu sur place, en attendant sa réponse. Ce serait trop cool !

Sur la pointe des pieds, elle est plus grande que moi assise alors je souris aussi. Les enfants se croient toujours gigantesques. Ils ont une foi dans la vie qui les dépasse et les renforce. Et celle là brille comme un jeune soleil. Comment peut-on menacer une telle joie, cela me dépasse.

"Non, ce n'est pas possible." Je réfléchis à comment exprimer mon refu sans la blesser mais pour qu'elle comprenne bien ce qu'il se passe. "Imagine deux chiens par exemple. Il y en a un, c'est un grand chien, il est beige avec le poil court et les yeux bruns. C'est un chien de chasse fait pour courir après les proies plus grande. L'autre chien est petit, il est de la couleur des feuilles d'automne avec un peu de noir et de beige. Son poil est un peu bouclé et ses yeux noirs. Il est fait pour aller dans les terriers dénicher les lapins. Imagine qu'ils aient tous les deux des bébés. Pas ensemble, chacun un. Et bien les bébés, quand ils vont grandir, ils seront différents. Et pourtant, ce seront toujours des chiens. Et il n'y en a pas un meilleur que l'autre, ils ont des buts et des forces différentes. Toi, tu dois grandir pour devenir toi. Tu comprends ?"

- Olala, c'est compliquééééé. Eh mais, attends. T'as dit que toi, t'es pas des animaux, alors pourquoi on fonctionne pareil alors ? Et pourquoi toi t'es une mo'at trop cool et moi je suis normale ? C'est pas rigolo que je suis normale. Toi, je suis sûre que t'es une super héroïne dans les histoires. Et puis même que, si on est pas mieux que nous, pourquoi toi tu t'appelles une mo'at et moi que je m'appelle une trinitaire ?

Toutes façons, je m'en fiche, moi, je grandis peut-être un peu comme ça et puis plus du tout jamais.

Les questions qu'elle pose sont complexe, surtout à rendre en mots simples mais elles sont intelligentes et ouvertes, preuve qu'il est possible d'enseigner des choses aux envahisseurs en s'y prenant assez tôt. S'ils avaient été moins nombreux, cette solution m'aurait tentée. Dans l'état actuel des choses, malheureusement, cela est impossible.

"Je m'appelle Way'si. C'est moi, ce que je suis, mon nom. Je suis du clan Tompa. C'est le nom de ma famille, ainsi, s'il y a d'autres Way'si, on sait que moi, je suis celle née dans le clan Tompa, on ne peut pas se tromper. Je suis Mo'at car je suis née sur Motuani que vous appelez Renaissance. Je suis adaptée à la planète, je fais partie d'elle par mon corps, mon coeur et mon âme. Si j'ai des enfants, même s'ils ne sont pas nés sur Renaissance, ils seront mo'at aussi, par leur corps, leur coeur et leur âme. Toi, tu es Croyance, c'est ton nom. Tu as surement un nom pour désigner ton clan, ta famille qui fait que tu si tu rencontres une autre Croyance, vous ne serez pas les même. Et tu es Trinitaire car tu es née dans cette tribu, par des parents trinitaires. C'est dans ton corps, dans ton coeur et dans ton âme. Ce n'est normal que pour toi, car tu l'es, mais pour les autres, ce sont eux qui sont normaux et toi qui est "trop cool". Comme quand un fruit est beau d'un côté et gâté de l'autre."

Peut-on changer de tribu ? Ce que l'on est au plus profond de soi ? Je pense que c'est possible. Peut-être que si elle grandit et qu'elle apprend, alors elle apprendra à ses enfants à ne plus être trinitaires. Et peut-être qu'un jour, les enfants de ses enfants de ses enfants seront mo'at. Mais c'est trop complexe pour que je me lance là dedans avec elle alors je me tais quelques instants pour réfléchir à ses questions. Et à comment y répondre.

"Ce n'est pas parce que tu es trinitaire que tu es obligée d'être mauvaise avec les mo'at. Comme tu l'es, que c'est ton coeur, ton corps et ton âme, alors tu peux changer les choses. En changeant ton coeur, en changeant ton âme, tu peux modifier l'âme et le coeur trinitaire. Parce que tu en fais partie. C'est un pouvoir que moi je n'ai pas, qui est en toi. Et si tu arrives aussi à convaincre d'autres trinitaires de modifier leur âme et leur coeur, alors, un jour, dans très longtemps, être trinitaire aura changé de sens, cela ne voudra plus dire "être mauvais avec les mo'at". Et ce sera grâce à toi."

- Ca veut diser que moi, j'ai des super-pouvoirs ?!!

Ca, j'aime ça, c'est trop cool ! Mais après, j'arrête de sourire.

- Ah bah, ça prend combien de temps pour que je convaincre le trinitaire, alors ? J'ai pas beaucoup de jours, moi. Alors si ça fait cinq jours, je peux faire ça, peut-être. Ou même un mois ! C'est beaucoup, un mois. Ca fait tout ça !

Je lui montre tous mes doigts. C'est beaucoup beaucoup.

- Mais c'est pas grave, si c'est beaucoup comme ça. Parce que, après, si les trinitaires ils sont gentils avec toi, toi, tu sara heureux, pas vrai ?

Le temps est aussi une notion complexe qu'elle ne semble pas avoir encore. Cinq jours, un mois, ce n'est rien à l'échelle du temps comme le considère la Dame. Seulement je ne veux pas doucher ses espoirs. Pas plus que je ne veux lui mentir. Cette petite a besoin de retrouver foi dans les adultes.

"C'est vrai, je serais heureuse. Et mes frères et soeurs mo'at seront libre ce qui est encore mieux qu'être heureux. Mais ce super pouvoir que tu as, on ne le voit pas quand il s'active, c'est pour ça que les gens ignorent souvent qu'ils en ont un. Alors, tant que tu essaie tous les jours d'apprendre à voir les choses comme elles sont vraiment, tant que tu expliques dès que tu peux aux autres ce que tu sais et que tu as compris, tu utilises ton super pouvior et les choses changent. Pas assez pour qu'on voit mais un peu. Et un peu, plus un peu, plus un peu, un jour, ça finit par faire beaucoup. Et un jour, ça fini par faire assez. Ce qui est important ce n'est pas de le faire pendant cinq jours ou un mois, c'est de le faire tous les jours. Un par un. Comme quand on marche. On ne compte pas ses pas. On les fait juste un après l'autre et puis à un moment, on est arrivé."

Tous les jours ? Woaaah, c'est beaucoup grand ! Le médecin il a dit quelques mois ou un an ou peut-être deux, alors ça laisse quelques beaucoup de jours pour le faire !

- Tous les jours, ça fait beaucoup de jours, ça. Je sais pas si ça va suffiser. Mais bon d'accord alors, je vais essayer de faire un peu comme ça, si ça rend toi et très frères et soeurs heureux et plus que heureux encore. Mais dis, ça veut dire quoi, quand t'es libre ? C'est quand les esclaves mo'ats ils sont plus des esclaves ? Et dis, t'as beaucoup de frères et soeurs, toi ? Moi j'en ai seize !

Woaaah. Ce qu'elle dit Way'si, c'est vraiment triste. J'en ai pas vu des esclaves mo'ats, moi, mais ça a pas l'air rigolo d'être ça. Ca, c'est pas cool du tout comme histoire. C'est même tout pourrite. C'est des vilains qui font tout ça, ça c'est sûr.

- Ca a l'air toute pourrite de être un esclave. T'es libre toi, pas vrai ? C'est ta vie de toi que tu dis ? Moi je veux être libre aussi et puis librérer les ceux qui sont pas libres encore.

Moi, je veux pas qu'on est méchant avec des quelqu'uns.

- Et puis, toi, t'es vilain et tu fais des bêtises, dis ? Parce que le truc de le fouet, papa il le fait quand j'a fait une bêtise et je suis pas sage.

- Mais je sais pas moi, si c'est des bêtises ça... Je crois pas, mais alors pourquoi il vous font le fouet si c'est pas des bêtises ça ?

Je fronce un peu les yeux et puis moi je m'assois en face de Way'si et je mets ma tête contre mes genoux. Je me sens bizarre, un peu.

- Papa il dit que le fouet c'est pour le bien. Ca aussi c'est un gros mensonge tout moche ?