Out of the darkness, we came running

T'es un imbécile, Diaz. Qu'est-ce que tu fou, merde?

Il se répète ses mots depuis des heures. Depuis qu'il a encore décidé de se rendre au Crust sans raison professionnelle. Il y est beaucoup ces derniers temps. Trop peut-être. Il n'a d'abord pas cherché à se poser de questions : il aime y être, la nourriture est bonne et puis, merde, il a bien le droit de se détendre un peu, non? Il se justifie à lui-même également en se disant qu'il a autant de chances de trouver des informations intéressantes ici qu'à Tortuga. Mais si tout cela est vrai, alors pourquoi est-ce qu'il sent le besoin de se justifier? Pourquoi a-t-il l'impression de faire quelque chose qu'il ne devrait pas?

La réponse lui vient alors qu'il réalise la chercheuse des yeux dans la foule, à peine quelques secondes après être arrivé au bar, et tire une grimace en jurant de nouveau intérieurement. Leur amitié s'est étonnamment développée au cours des sept derniers mois, lui qui avait cru ne jamais repasser de nouvelles soirées avec la propriétaire du Crust, après leur rencontre particulière. Gaël en est encore surpris aujourd'hui, mais au final, ils ne font rien de mal, non? Ils ne font que boire, manger, fumer, discuter... Il remarque alors que Querida, assise au pied de son tabouret, le regarde avec un drôle d'air, la tête penchée sur le côté. Il grogne alors entre ses dents :

"Me r'garde pas comme ça, toi."

Ou comment tenter de se convaincre lui même, oui! Il déteste cette sensation. Il ne veut pas réfléchir à ce que tout cela veut dire et simplement apprécier le moment, comme d'habitude. Pourtant, la piste de danse derrière lui, sous les lumières colorées des néons, est bondée et ce n'est définitivement pas le genre d'endroit qu'il apprécie normalement... mais c'est ici qu'elle lui a dit qu'elle serait. Alors une nouvelle fois, après avoir commandé un verre et en avoir pris une bonne gorgée, il se tourne vers la foule pour analyser les visages et tenter d'y trouver celui qu'il espère.

Depuis l'début de la journée, je surveille l'heure avec une impatience pas ordinaire. On a beaucoup de monde en ce moment, et bien sûr, Rob' est pas là. Mais même si parfois je râle à cause de ses absences répétées, cette fois, c'est pas le cas. Il a même insisté pour savoir si ça me dérangeait vraiment pas, par une période d'abondance comme ça. Mais en fait, j'crois que j'étais contente qu'il parte. Pourquoi j'étais contente qu'il parte ?

Gaël Diaz. Un nom à la con, comme on en trouve des centaines et des centaines partout dans la galaxie. Mais lui, il a un truc en plus. Un truc qui fait que depuis ce matin, je regarde l'heure tout le temps. Reste concentrée. En plus, il a même pas dit exactement quand il viendrait, alors je laisse un peu l'info de côté et je bosse.

J'm'occupe surtout de la salle de spectacle ce soir. On reçoit un groupe important, et faut que je gère le truc comme je peux. Waalan est sagement enroulée autour de moi, et elle moufte pas d'une écaille depuis ce matin. Moi je cours partout, jusqu'au moment où je le vois. Je souris pas, mais j'suis heureuse de le voir. C'est un ami, après tout. Nan ? Il est assis de dos, et je m'approche en silence de lui - pas compliqué quand on voit le bruit que font les autres autour.

- Te retourne surtout pas, Diaz. J'crois qu'y a une bombe derrière toi.

Cette voix. Pourquoi je souris comme un con? Gaël se recompose une expression normale, sertie simplement d'un petit sourire sarcastique en coin, avant de tourner légèrement la tête pour apercevoir la silhouette de Raedhun du coin de l'oeil.

"Les bombes ont changé d'formes depuis la dernière fois qu'j'ai regardé. À mois qu'ce soit une métaphore pour Waalan qui veut me bouffer. J'ai fait quoi pour l'énervé cette fois?"

Il se retourne finalement complètement vers elle, un coude toujours appuyé contre le bar, et il peut donc mieux la voir. Bon sang qu'elle est belle dans cette lumière. Nope, Diaz, focus.

"Grosse soirée. Pas trop débordée, Rae?"

Querida, de son côté, qui s'est habitué à la présence de la blonde depuis les derniers mois, se lève pour aller la renifler prudemment. Elle ne grogne plus contre Raedhun et Waalan, ce qui est déjà un miracle. Gaël est certain qu'elle les aime bien au fond, et qu'elle ne reste froide que parce qu'elle a une fierté grosse comme Oscuro et une tête de mule plus solide que du Durilium.

J'lui ai dit de pas se retourner, alors il se retourne. Classique.

- Pour une fois, pas grand chose. Elle est plutôt calme depuis c'matin. Et puis je te rappelle que Madame a des goûts de luxe. Elle bouffe pas n'importe quoi, surtout quand elle sait pas où ça a trainé. Naaan, j'parlais de moi. Mais t'inquiètes, peu de chance que je t'explose à la gueule.

Je lève un sourcil en le regardant, une main sur la hanche, un air de défi dans le regard. Je jette un coup d'oeil rapide par-dessus mon épaule, et j'profite d'une seconde pour me poser à côté de Gaël.

- M'en parle pas. En plus, j'ai pas tous mes effectifs et mon idiot de mari s'est encore cassé à l'autre bout de la galaxie. Tu crois que si je mime une plante verte j'peux espérer passer la soirée dans un coin sans personne pour venir me faire chier ? Avec Waalan en plus, j'suis plus vraie que nature en arbre, nan ?

Je lève les bras et je prends une espèce de pose qui doit être super ridicule vue de l'extérieure. Ca relève mon haut déjà trop court sur mon ventre, mais j'm'en fiche. Ca fait de l'air.

- Et toi Diaz, tu profites bien de la soirée ? Tu t'amuses au moins ? Dis moi qu'tu t'amuses. J'me suis vraiment cassée le cul pour organiser ça.

Le brun hausse un sourcil.

"C'est un défi intéressant, pourtant."

Alors qu'elle s'assoit à côté de lui, il en profite pour ajouter à la plaisanterie de ses paroles en la poussant doucement de l'épaule. Elle mentionne ensuite son mari et Gaël se détourne pour prendre une nouvelle gorgée d'alcool. Il se sent toujours étrange lorsqu'elle parle de lui. Pourtant, ce n'est pas comme s'il le connaissant, ni comme s'il faisait quoi que ce soit d'inapproprié avec Raedhun. Ils sont amis, c'est tout. Mais il ressent également du ressentiment pour lui, à chaque fois qu'elle lui parle de ses absences, alors Gaël se dit que c'est simplement ses soucis pour le bonheur de la blonde qui le met mal à l'aise.

"Tout à fait convaincante. Mais si j'te peins en brun et vert, ça aura plus de chances de fonctionner. Si la peinture te branche pas, je peux te proposer d'autres solutions pour passer inaperçue t échapper à tout le monde, aussi. J'suis assez doué pour ça."

Les questions suivantes de Raedhun sont prononcées sur un ton si désespéré que Gaël ne peut que sourire un peu plus et répondre :

"Ouai, t'inquiète, je m'amuse. Depuis que t'es là, c'est beaucoup mieux par contre. J'dois t’avouer que ce n'est pas mon genre de soirées habituelles, mais les gens ont l'air de beaucoup apprécier, regarde."

Il lui pointe la piste de danse où une foule de jeunes et de moins jeunes se déhanchent au rythme de la musique.

- Me tente pas, Diaz, me tente pas. J'te rappelle que c'est moi la patronne. J'suis censée montrer l'exemple. En plus ça fait au moins six heures que j'ai pas fumé, ça commence à faire long. Si ça tenait qu'à moi, j'me serais déjà envolée. Tiens, j'peux prendre une gorgée dans ton verre ?

En fait, j'attends pas son autorisation. Si j'me prends un verre à moi, je sais bien que je vais le vider beaucoup trop rapidement, et j'dois rester à peu près clean pour la soirée, et surtout pour l'accueil du groupe. Je choppe donc son verre, et je bois deux gorgées du liquide avant de lui rendre.

- En plus, le vert et le marron, il parait que c'est mes couleurs. Ça fait ressortir mes yeux ou ce genre de conneries.

Et puis je regarde partout autour de moi, histoire de surveiller qu'il se passe pas une catastrophe pendant mes quelques minutes de pause. J'en profite pour frotter un peu la tête de Querida.

- J't'avoue que t'es pas hyper convaincant. Et puis merde, qu'est-ce que tu fous dans une soirée comme ça si t'aimes pas ça de base, Diaz ? Si tu restes, va falloir danser, en plus. Ouais, j'veux vraiment te voir danser.

Je fais claquer mes mains l'une contre l'autre, ce qui fait sortir Waalan de sa torpeur et elle relève sa tête en observant partout autour d'elle. Et puis j'me lève en sautant, et j'attrape le poignet de Gaël.

- Allez, impressionne-moi, Diaz.

Il la regarde s'expliquer et s'emporter avec un sourire amusé, sans rien dire, pas même lorsqu'elle vient lui voler son verre. Il aime lorsqu'elle est aussi impulsive et pleine d'énergie, même s'il reconnaît cette fois dans son comportement quelques signes du manque de drogue. Il note mentalement d'essayer de l’entraîner à l'écart de la foule et de ses obligations pour fumer avec elle, question d'être son prétexte à ce qu'elle puisse prendre sa dose. Il connait trop bien les effets négatifs des longues périodes de manque et la soirée semble vraiment importante pour elle alors il préfère qu'elle évite de la gâcher avec une crise d'angoisse ou de panique.

Il vient finalement pour ouvrir la bouche, mais elle ne lui laisse pas le temps de répondre qu'elle l’entraîne déjà sur la piste de danse. Il proteste en grognant pour la forme, mais la laisse le guider. Il n'a jamais été bon danseur, mais bouger en rythme sur de la musique ne l'a jamais mis mal à l'aise comme certains. Beatriz aimait beaucoup danser et il l'a souvent amené dans des soirées, ou encore mettait de la musique pour eux deux seulement dans leur salon. Merde pourquoi il pense à Bea, là maintenant? Il choisit de répondre à sa question précédente avec humour pour tenter de la chasser de ses pensées avant de se mettre à danser.

"J'allais pas t'laisser seule dans ce chaos, non? Faut bien que quelqu'un s'assure que tu n'exploses pas, comme tu disais plus tôt, justement."

Je l'entends râler, mais il me suit quand même, et ça m'arrache presque un sourire. J'passe par un chemin un peu détourné pour aller jusqu'à la piste de danse, déjà parce que j'ai pas envie de me faire chopper par un de mes gars, et puis aussi parce que se perdre parmi la foule, ça permettra peut-être que Rob' apprenne pas ça et que j'ai pas à lui expliquer... Merde, mais pourquoi j'aurais à lui expliquer ? J'fais rien de mal, et puis c'pas comme si on avait pour habitude de se rendre des comptes, hein.

- Ta gentillesse te perdra, tu l'sais, pas vrai ? A moins que... A moins qu'tu sois pertinemment là pour me voir exploser. Salop !

Je lui donne un coup très léger sur le torse, et puis, puisqu'on est arrivés sur la piste de danse, je commence à me déhancher au rythme de la musique. J'suis pas une pro, mais je me débrouille plutôt bien. Faut dire que les bals et autres conneries, ça me connait, et ce depuis que j'suis gamine. J'ai même pas fait l'effort de mettre des chaussures, alors j'fais quand même attention à ce qu'aucun connard ne vienne m'écraser les pieds. Waalan aime bien quand je danse, et elle pose sa tête sur mon épaule, en fixant Gaël, elle aussi.

Jouant le jeu, Gaël fait la tête de quelqu'un ayant été pris la main dans le sac, sans toute fois perdre son sourire amusé.

"Grillé. C'est quoi ton secret pour toujours savoir quelles sont mes intentions cachées?"

Il commence à danser lui aussi, les yeux fixés sur Raedhun. Ils se déhanchent face à face, et Gaël se risque même à quelques mouvements audacieux pour la faire sourire. Il la fait ainsi tourner sur elle même en la prenant par la main et mime un peu plus tard la danse ridicule de quelques jeunes non loin d'eux. La musique devient ensuite encore plus dynamique et les lumières changent rapidement de couleur dans un effet stroboscopique. Chaque geste semble alors être une photo, une image découpée dans un temps qui n'avancent plus de la même manière qu'avant. Le moment a un effet envoûtant, et le rythme battant puisement dans sa poitrine, Gaël regarde la blonde danser avec une étrange sensation de sécheresse dans la gorge. Cela aurait dû être un signal d'alarme pour lui de s'éloigner, de réaliser ce qui se passe t de partir, mais un mouvement de foule les fait plutôt se rapprocher d'avantage. Son corps qui bouge toujours en rythme, emporté par la musique, frôle donc le sien et il marque un moment d'hésitation. Avec les effets de lumière, pourra-t-elle le remarquer? Parce que malgré son talent pour le mensonge et cacher ses émotions, il échoue complètement à garder une expression normale.

J'réponds à sa question seulement par un clin d'oeil, déjà emportée par la musique. J'ai toujours aimé ça, la musique. J'saurais pas trop dire pourquoi ni comment, mais p't'être que c'est un peu ça aussi qui m'a sauvée. Et là, le temps semble passer différemment. Gaël tente quelques mouvements qui auraient fait rougir de honte n'importe quel ado qui aurait la malchance de voir son père faire ce genre de trucs. Moi, ça m'amuse, et même si je souris pas, je réponds à ses gestes par d'autres. Tout le monde autour de nous me parait un peu plus flou, comme si y avait plus que lui et moi, alors que je sens bien le gars derrière qui me frôle le cul à chaque fois que je bouge et l'odeur de la meuf d'à côté qui a vidé la bouteille de parfum.

Avec la lumière qui nous inonde et nous hypnotise, j'ai du mal à savoir si Gaël fait réellement une drôle de tête ou si c'est juste l'ambiance qui lui donne cet air bizarre. Je profite d'un temps fort dans la musique pour lever une main, lui intimant d'attendre, et je vais déposer Waalan sur un fauteuil. C'est qu'elle est lourde, ça aide pas. Et puis je reviens vers lui, je me mets sur la pointe des pieds pour m'approcher de lui, et je lève la voix pour couvrir la musique vraiment forte.

- Tu te débrouilles pas mal Diaz. T'en as encore sous l'capot ou t'es déjà fatigué ?

Lorsqu'elle s'éloigne, Gaël cesse de danser et en profite pour se recomposer. C'était quoi, ces conneries? Surement un effet étrange à cause de la musique et de l'ambiance. Depuis combien de temps n'a-t-il pas fumé aussi? Ouais, il doit en avoir besoin. Il lance alors un regard vers le bar, ou Querida est restée sagement, mais qui le regarde avec anxiété. Elle déteste être séparée de lui, et il devrait surement la rejoindre pour la rassurer, mais Raedhun est déjà revenu vers lui, et lorsqu'elle se met sur la pointe des pieds pour lui parler à l'oreille, il se dit qu'il peut bien se permettre une nouvelle danse.

"Me prend pas déjà pour un vieux croûton, c'est pas encore une danse qui va réussir à m'épuiser!"

Il lui offre un clin d'oeil puis profite qu'elle soit près de lui pour l'attraper par la taille et tourner avec elle dans ce qui ressemble à un pas de valse, absolument pas approprié au genre de musique jouant actuellement. Il s'empare ensuite de sa main et l’entraîne avec lui alors qu'il reprend des mouvements de danses plus contemporains. Il y met encore plus d'énergie que précédemment, bien décidé à lui prouver qu'elle ne peut pas tout de suite le classer chez les "vieux".

Quand je reviens, il a l'air normal, alors j'me dis que ça devait être l'angle et la lumière, une connerie dans le genre.

- C'est exactement ce que j'insinuais. Fais gaffe quand même, tu risques d'avoir mal au dos, papy.

Mais aussitôt, il m'attrape par la taille et je frissonne légèrement. J'aime bien ça, le contact de ses mains sur moi. Faut dire que je laisse pas n'importe qui me toucher, et surtout pas dans n'importe quel contexte. J'pourrais presque me croire dans une des soirées à terre, mais là, j'ai pas besoin de me forcer. Il m'entraine dans une danse dans laquelle je m'abandonne complètement. La musique est endiablée, et je tente des mouvements un peu provocateurs, mais jamais sérieux. Je serre sa main dans la mienne et puis je tourbillonne sur moi, avec un air un peu malicieux. Il veut jouer apparemment, alors j'suis bien décidée à ce qu'on joue. J'le laisserai pas partir avant qu'il s'avoue vaincu !

Mais brusquement, la musique change. Ca passe de rythmes violents et rapides à une musique beaucoup plus douces. Les lumières se tamisent, jusqu'à offrir une ambiance qui, cette fois, invite à une valse ou ce genre de danses plus lentes. Alors je passe mes mains derrière sa nuque, en le regardant dans les yeux, et je continue à danser.

Il se surprend à prendre beaucoup de plaisir à danser malgré à foule, à jouer avec les mouvements en enchaînant les conneries ou simplement les pas agréables. Un sourire est d'ailleurs venu se coller sur son visage sans qu'il n'y prenne garde. Il s'abandonne au moment, chose qu'il ne fait que très rarement, et se retrouve donc un peu hébété lorsque le rythme change drastiquement et qu'il réalise que Raedhun a passé ses mains derrière sa nuque. Puisqu'elle est presque aussi grande que lui, ils sont plus ou moins nez à nez, et Gaël ne peut faire autrement qu'être aspiré dans le vert de ses yeux. Il hausse ensuite un sourcil, interrogateur, comme pour lui demander si la situation lui convient. Il ne le lui demande néanmoins pas à voix haute, et lorsqu'elle ne s'éloigne pas de lui, Gaël pose doucement les mains sur ses hanches pour une danse plus lente dans des gestes familiers qu'il n'a pourtant pas pratiquée depuis des années. Elle peut s'échapper à tout moment, il ne la retient absolument pas de force. Au contraire, il est soudain particulièrement attentif à ses réactions, comme s'il s'engageait sur un chemin miné.

"Regarde-nous, on a l'air de deux ados."

Il rit doucement, faisant saillir les rides en pattes d'oie aux coins de ses yeux, tout en lui désignant les couples de jeunes se dévorant des yeux autour d'eux.

"Et je crois que c'est plus efficace pour passer inaperçue dans la foule que de faire l'arbre. Mission accomplie."

- Tu dis ça parce que je t'ai traité de papy y a cinq minutes ? La tentative de diversion fonctionne pas avec moi Diaz. J'vois clair dans ton jeu, l'oublie pas.

Mais quand il reparle de cette histoire d'arbre et que je me rends compte qu'il a clairement tout juste, un rire sincère s'échappe de mes lèvres et presque tout de suite, je détache une de mes mains de sa nuque pour la mettre devant ma bouche, avant de reprendre mon sérieux.

- Ok, ok, j'suis impressionnée. T'es plutôt doué niveau camouflage, j'avais même rien vu venir.

Y a un truc étrange, dérangeant mais agréable à la fois dans la situation. Un truc que j'aime et que je déteste, un truc qui fait que je me sens bien et affreusement mal à la fois. J'ai l'impression qu'il se passe un truc entre Gaël et moi, mais j'sais pas trop quoi. Un genre de lien amical très fort, que j'avais pas créé avec quelqu'un depuis... Depuis quand ? Je me sens étrange, et quand la musique douce se termine, j'me sens même un peu honteuse d'avoir trouvé ça si bien, avec lui. Alors je me détache de lui.

- Ok superman, maintenant que t'as fait tes preuves sur le camouflage, tu nous trouves un moyen de s'éclipser discrètement cinq minutes ?

Je mime le fait de fumer, parce que là, c'est clair que j'en ai vraiment besoin. Ca doit être pour ça que je me suis sentie si bizarre.

Elle rit. C'est rare qu'elle le fasse, et Gaël ne peut s'empêcher de sourire, heureux de l'entendre. Il se sent étrangement fier d'avoir réussi à la faire rire ainsi. Il est beau ce son, en plus.

"Sans problème."

Il lui fait signe de le suivre alors qu'il se faufile dans la foule de danseurs pour rejoindre de nouveau le bar. Alors qu'il laisse le temps à Raedhun d'aller rechercher Waalan si elle le désir, lui va poser sa main sur la tête de Querida qui est visiblement soulagée de le ravoir près d'elle. Il se penche ensuite au-dessus du comptoir, attirant l'attention du barman, et lui souffle :

"J'veux pas me mêler de ce qui ne me r'garde pas, mais y a deux types sur le point de se battre sur la piste de danse, là bas."

Le barman fronce les sourcils, inquiet, et fait alors signe aux agents de sécurité près de la sortie d'aller jeter un oeil à cette histoire. Gaël en profite pour rejoindre rapidement Rae, l'attrapant par la main et l’entraînant au pas de course vers la sortie, comme deux gamins voleurs de bonbons s'enfuyant d'une confiserie, l'Atikaya sur les talons.

Il dit ça comme si c'était un putain de jeu d'enfants. Je le vois se diriger vers le bar, et j'en profite pour aller récupérer Waalan. Elle boude un peu, mais elle hésite pas longtemps avant de venir récupérer sa place autour de moi. Elle aime pas quand je la mets à l'écart ou quand je la pose alors qu'elle est accrochée comme ça. Et elle a à peine le temps de se caler sur moi que Gaël m'attrape par la main et m'entraîne vers la sortie en courant. Je sens une sorte d'euphorie en moi, et une fois qu'on est sortis de la salle, c'est à mon tour de l'entraîner jusqu'à une petite salle prévue pour les employés, dans laquelle on sera tranquilles, au moins pour les vingt prochaines minutes. De toutes façons, faudra bien que je retourne bosser tôt ou tard.

- T'sais quoi, j'oublierais pas de te prévenir la prochaine fois que j'ai une réu chiante, quand j'aurais besoin de ta technique plante verte. T'es vachement plus efficace que tout ce que j'ai pu tester avant.

Et là, je remarque que je tremble, et vraiment fort. J'avais presque oublié c'que ça faisait.

- Il était temps qu'on sorte. Fait chier.

Alors, je sors une petite pochette d'une de mes poches. A l'intérieur, y a tout le matos pour que j'me pique, et d'ailleurs, je commence à préparer mon bras pour l'injection. Quand je tremble, c'est déjà super mauvais signe. J'ai pas envie d'passer au stade supérieur.

Ils se retrouvent dans une petite salle privée, probablement un lieu réservé pour les pauses des employés, et Gaël lui offre un sourire cachant à peine sa fierté avant de lancer une nouvelle plaisanterie.

"Quand tu veux. Mais j'te préviens, je charge à l'heure."

Il remarque alors qu'elle tremble et il fronce les sourcils. Il connait trop bien les signes du manque pour devoir lui demander ce qui ne va pas, mais il n'aime tout de même pas la voir comme ça. Il lui tire donc une chaise et s'installe en face d'elle à la petite table au centre de la pièce. Lui même sort de la poche de son jean un étui de tissu dans lequel il garde son matériel pour faire des joints de feuilles d'Yäiewt. C'est ce qu'il prend le plus souvent comme drogue, ainsi que ce qu'il a toujours pris avec Raedhun. Néanmoins, il réalise rapidement que ce n'est pas une cigarette qu'elle se prépare actuellement. Ayant déjà essayé à peu près tout ce qui se fait en terme de drogues, et étant un habitué de celles populaires en Dorado, il n'a aucun mal à identifier le venin de Näa'ngi. Avec la sa compagne reptilienne, il s'en doutait un peu, mais il ne l'a jamais vu s'injecter avant. Il ne sait honnêtement pas quoi en penser, n'étant pas en position de juger qui que ce soit dans ce domaine.

"C'est celui de Waalan?"

Je relève pas la tête vers lui, concentrée sur mes gestes.

- Si tu réfléchis trois secondes et demie à où on se trouve et qui est la proprio, tu devrais arriver à la conclusion que l'argent, c'est pas trop un souci. Et au pire, il reste le paiement en nature.

Ma voix reste monotone. En fait, j'dis ça comme si je lui avais dit que ce matin, j'ai mangé une pomme. Je reste concentrée sur ce que je fais. Je fais un garrot autour de mon bras, et je cherche ma veine. Pas difficile à trouver, même si elle est dans un sale état, depuis le temps que je me pique. On voit d'ailleurs toutes les putains de cicatrices, d'un côté comme de l'autre. Ca fait 25 ans que je me pique plusieurs fois par jour ou presque, alors bon. J'prends la seringue, la dose, je plante, je me l'injecte et hop, c'est fini, j'remballe. Et finalement, je relève la tête vers lui.

- Pas cette dose-là, nan. J'garde Waalan et son venin pour les cas d'urgence, les pénuries, ce genre de conneries. Elle aime pas trop que je prenne son venin, et y a tout une période pendant laquelle faut la laisser recharger ses batteries après. J'en ai quelques doses d'avance, mais j'm'amuse pas à faire n'importe quoi avec.

Et je marque un temps d'arrêt.

- T'es pas en train de me juger là, Diaz ?

À la mention du paiement en nature, Gaël tique puis grogne dans sa barbe, à moitié audible alors qu'il est déjà concentré à rouler deux joints.

"Plaisante pas avec ça, Rae."

Il termine rapidement sa préparation, offre l'une des deux cigarettes à Raedhun, puis range son matériel  tout en écoutant les explications de la blonde. À sa question, il hausse un sourcil de surprise puis lui offre un bref sourire.

"Te juger? Nan. Tu parles à un type qui peut pas s'réveiller le matin sans prendre ses feuilles d'Yäiewt, je serais mal foutu de juger qui que ce soit. J'étais juste curieux. J'ai pas eu l'occasion d'essayer le venin de Näa'ngi souvent. Ça coûte la peau du cul."

Il sait néanmoins que cette drogue est particulièrement addictive et dangereuse, donc il ne peut faire autrement que de s’inquiéter un peu pour Raedhun, mais il la connait suffisamment pour savoir qu'elle est plus qu'intelligente, sait parfaitement ce qu'elle fait et n'est pas du genre à faire des conneries avec ses doses. Il allume donc son joint et propose d'un geste d'allumer celui qu'il a préparé pour la blonde.

Je lève un sourcil interrogateur devant sa réaction peu habituelle - pour ne pas dire complètement bizarre. Ca lui ressemble pas trop, d'être sérieux comme ça et de dire qu'on peut pas plaisanter avec un sujet.

- Pourquoi ? Il est où le souci avec ça, Diaz ?

Je prends la roulée qu'il me tend avec gratitude. C'est sympa de sa part d'avoir pensé à moi et d'm'en avoir roulé une. J'aime bien ça aussi chez lui, il est toujours très attentionné et à l'écoute. J'le remercie d'un mouvement de tête et je la fous entre mes lèvres avant de l'allumer. La première bouffée est salvatrice, et j'pousse une sorte de grognement de bien-être.

- Sois pas si sérieux, Diaz, c'est cool.

Je me laisse un peu couler sur mon fauteuil, rejetant ma tête en arrière, et alors que je m'occupe de ma clope avec une main, je tripote mon collier avec l'autre.

- S'tu veux, j'pourrais t'en faire essayer une dose. Rien qui te rendra accro, t'inquiètes. Mais mon venin à moi, c'est d'une autre qualité que celui qu'tu trouves sur les marchés, beaucoup trop cher pour la merde que c'est, d'ailleurs. Ah, ils s'emmerdent pas les trafiquants.

Le brun ne répond que par un grognement. Il n'a pas envie de s'expliquer sur le pourquoi du comment il n'aime pas l'idée que Readhun vende son corps, surtout qu'il aime encore moins le fait que qui que ce soit lui dise quoi faire de son corps. De plus, elle plaisant, non? Il va pas en faire tout un plat. Mais il grogne un peu, parce qu'il ne s'appellerait pas Gaël Diaz s'il n'était un minimum bourru. Il s'adosse donc au dossier de sa chaise et prend une bonne bouffée de sa cigarette. À peine la fumée est-elle entrée dans ses poumons qu'il a l'impression d'aller mieux, d'être plus détendu. La drogue n'a clairement pas eu le temps d'agir, et c'est définitivement un effet placebo dû au fait qu'il est accro.

"Mmm. J'avoue que j'dirais pas non. Et puis si j'veux réussir à te suivre ce soir, j'ai intérêt à être sur la même chose que toi."

Déjà qu'il a effectivement mal au dos d'avoir dansé un peu trop... Fuck, il se fait vieux, c'est pas sérieux. Il lui offre finalement un nouveau sourire en coin amusé et complice avant d'ajouter :

"J'te dois combien pour la dose?"

Il a visiblement pas envie de répondre, et je laisse tomber. Dans ma tête, j'me dis quand même que s'il savait ce que je fais dans la vie à côté du Crust, l'enjeu de cette phrase à la con aurait été tout autre. Bon, c'pas vraiment moi qui paie en nature, mais ça revient au même. Je baise pour mieux prendre. C'comme ça. Quand il me dit qu'il est partant pour l'expérience, j'hoche la tête et je me redresse d'un bond.

- Va falloir qu'on bouge chez moi, par contre. Je me trimballe pas avec le venin de Waalan dans les poches. J'en chie trop pour faire un truc potable, j'ai pas envie de les perdre ou les casser.

A peine j'ai dit ça que j'ouvre la porte, la clope toujours entre les lèvres. Je regarde dans le couloir si y a personne, et quand j'me suis bien assurée que la voie est libre, j'commence à me diriger vers l'aile qui est normalement fermée à tous ceux qui ne font pas partie du staff.

- Et tu m'dois rien. On va dire que c'est ma façon de te rembourser ce nouveau sauvetage.

J'lui fais un clin d'oeil et on marche.

- T'es un privilégié Diaz, tu sais ? Personne n'a l'droit de venir, normalement. C'même un motif de renvoi, pour les employés.

Gaël la suit sans discuter, Querida sur les talons. Il n'est jamais allé dans les quartiers privés des Van Haten, mais n'en fait pas grand cas. Le Crust en entier est "la maison" de Raedhun et de son mari après tout. Il ne proteste pas non plus lorsqu'elle lui dit qu'il ne lui doit rien. Il a appris il y a déjà quelques mois qu'il est parfaitement inutile de s'obstiner avec Raedhun sur de tels sujets, la blonde étant encore plus têtue que lui. C'est pour dire. Il réplique donc simplement, avec humour :

"J'devrais faire ce genre de sauvetage plus souvent alors."

Lorsqu'ils arrivent dans les quartiers privés, ce que Gaël remarque en premier, c'est le calme des lieux. Bien insonorisés, les murs ne laissent pas passer la musique ou les conversations des dizaines et dizaines d'invités à bord du vaisseau restaurent. C'est apaisant, agréable. Il siffle ensuite d'admiration devant le décor, même si comparé à sa chambre au-dessus d'une taverne sur Tortuga, n'importe quoi à l'allure d'un palace.

"Je note l'honneur que tu m'fais alors. Et t'en fais pas, j'suis doué pour garder les secrets, personne en saura rien, ça fera pas de jaloux parmi tes employés trop curieux."

C'est toujours particulier, quand je rentre dans nos appartements. Y a cette sensation de familiarité, parce que c'est moi qui ait dessiné les plans selon mes envies et qu'on y habite depuis quelques années maintenant. Et en même temps, j'y passe tellement peu de temps que c'est toujours une sensation étrange quand je m'y retrouve pour faire autre chose que dormir, sauf quand Rob' est là.

- Prends pas trop la confiance, hein. Au fond, c'est juste parce que j'suis fière de nos productions, à Waalan et moi.

D'ailleurs, Waalan descend de mes épaules dès qu'on a passé la porte, et elle va se poser dans son panier, pas loin de mon grand lit. Elle croit sûrement que c'est l'heure de dormir, parce qu'on rentre pas ici sinon. Mais je la laisse faire, et je me dirige vers un large meuble richement sculpté. J'ouvre un tiroir, et j'en sors un petit tube cristallin que je brandis fièrement.

- La dernière crue. Tu m'en diras des nouvelles. Tiens installe-toi.

Je désigne le lit pour qu'il s'assied au bord - c'est le plus proche - et je sors le reste. Une seringue neuve, et de quoi faire un joli garrot. J'ai toujours ma clope au bec, et je pose le matos sur le lit avant de tirer une grande bouffée de fumée.

Gaël sourit à la réplique de la blonde tout en la suivant, quelques pas derrière elle, en observant tranquillement la décoration. C'est riche et de bon gout. Il y reconnait certains effets de style qu'il a particulièrement connu dans sa jeunesse dans la noblesse impériale, d'ailleurs. Il s'assoit ensuite sur le lit, puis remercie son amie d'un signe de tête. Puis, avec des gestes qui démontrent clairement une habitude - certes pas aussi prononcée que Raedhun, mais définitivement pas débutant en la matière - il noue le garrot à son bras avant de s'occuper de la seringue. Il lance finalement un regard à Walaan qui somnole déjà dans son panier à leurs pieds.

"Voyons voir ce que t'as dans le ventre, bellísima."

Il trouve assez facilement une veine dans le creux de son coude, puis injecte la solution de venin sans hésitation. Il défait ensuite le garrot et commence à ranger l'équipement lorsqu'il sent déjà les effets de la drogue électriser son corps. Il a un peu l'impression de recevoir une douche froide en pleine tête en plus d'avoir bu une énorme quantité de café, sans les effets désagréables du tout. Il est impressionné par la rapidité et la force de la drogue, et sa surprise peut se lire dans ses yeux lorsqu'il les tourne vers Raedhun avec un rire amusé.

"Joder. Tu plaisantais pas sur la qualité. Je doutais pas de toi ou de tes produits, j'te jure. Mais... whoa."