Out of the darkness, we came running

A mesure que nos corps se mêlent, à mesure que l'on s'unit, j'ai la sensation qu'un univers nouveau s'ouvre à moi. Ce moment est à la fois doux et passionné, violent et délicat. Et lorsque tout s'arrête et que nos corps transpirants retombent sur le lit, il reste un léger sourire sur mes lèvres, fin et éphémère. Oh, il ne reste pas longtemps. Juste assez pour qu'il ne puisse pas avoir de doute sur ce que j'ai pensé de ce moment. Et là, encore dans l'ivresse de ses bras, je m'installe à moitié sur son torse, mes seins collés à lui, et je l'observe. Du bout des doigts, je redessiner les traits de son visage. Ses premières rides qui font une grande partie de son charme, ses sourcils, sa barbe, ses lèvres qui m'attirent encore.

- Pas mal pour un vieillard, Diaz, que je souffle à mi-voix.

Le souffle court, la tête bourdonnante et le coeur battant encore la chamade, Gaël retombe sur le lit en fixant le plafond. Cette image simple lui permet de rester encré dans la réalité et se persuader que ce qu'ils viennent de faire, de vivre et de ressentir n'était pas un rêve. Une part de lui hurle dans le fond de sa tête qu'il vient de faire une énorme connerie, mais il se sent encore trop bien pour vouloir l'écouter et lui donner raison. Il entoure alors la blonde de ses bras et lui répond d'abord avec un sourire. Un vrai sourire cette fois.

"Tu doutais d'mes talents? J'suis offusqué."

Il vient chercher de nouveau ses lèvres puis d'un mouvement, les fait pivoter de sorte que se soit à son tour de la surplomber. Il l'embrasse longuement, avec douceur, puis se recule juste assez pour pouvoir la détailler des yeux.

"Je t'ai déjà à quel point t'es magnifique?"

- Pour être tout à fait honnête avec toi, j'y avais pas franchement réfléchi. Mais entre la danse et ça, je ne peux qu'être impressionnée. Quoi que, j'peux encore croire que c'était juste de la chance. Va falloir être un peu plus convaincant, Diaz.

Je me laisse entraîner par lui, répondant avec fougue à ses baisers, profitant de chaque instant passé dans ses bras, avec sa peau contre la mienne, son odeur qui m'enivre, son coeur qui bat fort dans sa poitrine, à l'unisson avec le mien. Je caresse ses cheveux grisonnants.

L'instant d'après, il me complimente sur ma beauté, et je continue à le fixer, détaillant son visage comme si je voulais le photographier dans mon esprit à jamais. Et je lève un instant un sourcil, avec une moue pensive. J'ai l'habitude des compliments, mais venant de sa bouche à lui, c'est différent. Tout est si différent... Pourquoi tout est différent comme ça ? Je ne comprends pas trop ce qui m'arrive, mais je ne suis pas sûre d'avoir envie d'y penser maintenant.

- Mmmh, non, je crois pas. Mais t'es pas mal non plus, dans ton genre.

J'lui tire un peu la langue, joueuse.

- Je t'ai déjà dit que j'aime quand tu souris ?

Prenant sa réplique pour un défi, il l'embrasse d'avantage puis vient caresser des lèvres la peau nue de son cou, de ses épaules et de sa poitrine. Son coeur bat, fort. Celui de Raedhun aussi. Ensemble. C'est hypnotisant, même maintenant que la tempête est passée.

"Non plus, je crois pas."

Il lui offre alors un nouveau sourire et doucement, du bout des doigts, vient dessiner le contour de ses lèvres. Il n'est pas avare de sourire comme elle, malgré con coté vieux ours mal léché, mais il n'avait pas réalisé jusque là qu'elle appréciait, tout comme lui pour elle, de le voir sourire. Y a-t-il encore beaucoup d'autres choses sur leur ressenti qu'ils partagent sans avoir osé se l'avouer?

"Moi aussi, j'aime te voir sourire. Tu sembles plus... heureuse, quand j'arrive à t'en arracher un. Ça fait plaisir à voir."

Ses doigts trouvent leur chemin dans les boucles blondes de son amie, et désormais amante, et son expression redevient sérieuse. Il aimerait que ce soit aussi simple qu'avec les autres femmes qui ont partagé ses nuits depuis Beatriz. Qu'il ne s'inquiète pas du lendemain, qu'il n'ait pas à poser les questions qui virevoltent dans son esprit actuellement, car avec elles, il n'y a aucun sentiment. Mais avec Raedhun, c'est différent. Tout est tellement différent avec elle. Alors, hésitant et avec une nouvelle étincelle de détresse au fond de ses yeux sombres, il demande :

"Dis-moi franchement. T'as pas l'impression qu'on vient de faire une énorme connerie?"

Je réponds à chacun de ses baisers avec la même fougue et la même passion, comme si j'avais attendu ça depuis des mois. Et peut-être qu'au fond, c'est pas si faux, qui sait ?

- Alors j'te le dis. J'aime bien quand tu souris.

Espiègle, je dépose un baiser au coin de ses lèvres.

- C'est pas parce que j'souris pas que j'suis pas heureuse, tu sais ? J'reconnais que je suis pas la femme la plus souriante au monde, mais ça veut pas dire grand chose. C'est juste une vieille habitude.

Une vieille habitude ? Un vieux traumatisme, ouais. Quand on vous force à sourire jusqu'à en avoir mal aux joues, quand on vous arrache de force vôtre enfance et vôtre famille, quand à dix ans vous pensez déjà à mourir, vous avez plus franchement envie de sourire. Mais c'est principalement par esprit de contradictions. Pas de sourires faux sur mon visage. Jamais.

- Si, va franchement falloir que je trouve une excuse béton pour justifier mon absence. J'vais bosser même quand j'suis malade comme un chien, alors ça va pas être évident de trouver un truc qui peut tenir la route.

Je sais qu'il parle pas de ça. Mais peut-être que ça va suffire à détourner son attention ?

"Je sais."

Puis il vient déposer un baiser sur le bout du nez de la blonde. Gaël a effectivement appris à reconnaître les signes chez Raedhun autre que les sourires pour identifier son humeur, néanmoins, s'il sait qu'elle ne sourit jamais pour rien ou par courtoisie, il aimerait quand même qu'elle ait davantage de raisons pour avoir réellement envie de sourire. Il ne le lui précise pas, ceci dit, et se fait simplement la promesse d'essayer encore et encore de la faire sourire.

Lorsqu'elle répond à sa question par un moyen détourné, Gaël ne peut s'empêcher de tirer une demi-grimace. Il sait qu'elle a compris qu'il ne parlait pas de ça, alors il en déduit qu'elle ne veut pas en parler. Cela se comprend, certes, mais cela veut également dire que oui, ils ont fait une connerie. L'homme se laisse donc tomber sur le lit aux côtés de Raedhun sans rien ajouter, l'attirant simplement dans ses bras pour la tenir tout contre lui.

Il dépose ensuite un baiser sur le sommet de sa tête, tant pour elle que pour se rassurer lui dont le cœur et l'esprit s'échappent déjà de leur bulle de bonheur hors du temps, puis ferme les yeux un instant. Les paroles qu'il lui offre finalement au bout d'un moment peuvent alors s'appliquer autant au détournement de sa question de Raedhun qu'à son sens d'origine. Il sait qu'elle comprendra.

"J'veux pas te causer de problèmes."

Du bout des doigts, je caresse son torse, dessinant des cercles irréguliers sur sa peau. Quand il recommence à dire qu'il veut pas créer de problèmes, je stoppe néanmoins mes gestes et je me redresse un peu pour le regarder dans les yeux.

- J'suis pas une gamine, Diaz. Je fais mes choix comme une grande, et j'en assume pleinement les conséquences. Tu m'as pas forcé, hein. Que ce soit pour m'éclipser de la soirée ou pour me retrouver à poil dans tes bras.

Je le fixe toujours, sérieuse.

- Et puis, Rob et moi, on n'a pas une relation exclusive. On fonctionne comme ça depuis toujours. Alors t'inquiètes pas, va. Et ouais, désolée Diaz, mais t'es pas une source de problèmes comme t'essaies de t'en persuader.

Ouais, ça change pas des autres fois, hein ? J'couche avec un gars ou une nana, on prend du bon temps, et c'est tout. Pourquoi j'essaie d'me rassurer ? Pourquoi j'ai tellement l'impression que cette fois, avec lui, c'est tout sauf comme d'habitude ? Pourquoi est-ce que j'ai pas envie qu'il me lâche, ni de quitter ses bras ? Je reste impassible, mais mon sang bouillonne intérieurement. J'voudrais bien me sentir rassurée, mais je le suis vraiment pas. Merde, merde, merde.

Alors je fais le seul truc qui me vient à l'idée. Là, en le voyant devant moi. Je me mets à califourchon sur lui et encore, je pars à la conquête de ses lèvres.

Gaël hoche simplement la tête à sa réponse et la serre un peu plus fort contre lui. Elle a raison. Elle fait ce qu'elle veut et si elle ne regrette rien, tant mieux. Et lui? A-t-il des regrets? Il ne peut se résoudre à appeler ce qu'il vient de vivre avec Raedhun un regret. Pas avec le bonheur qu'elle lui a offert. Mais il ne peut s'empêcher de penser à Beatriz, au Serpent de Mer et à toutes les autres choses qu'il a détruites. Il ne veut pas que la seule histoire qu'il ait jamais connue se répète avec elle. Déjà qu'il ne se pardonne rien de son passé, s'il devait blesser Rae en plus...

Mais ce qu'elle dit ensuite est à la fois rassurant et lui fait l'effet d'une douche froide. Une relation non exclusive. Alors ils ont l'habitude d'aller voir ailleurs. C'est juste pour le plaisir. Il n'est pas différent, juste un divertissement de passage. Tant mieux. Si les émotions ne s'en mêlent pas trop pour elle, alors elle a moins de risque de se brûler à lui. Mais alors s'il en est soulagé, pourquoi est-ce que ça fait aussi mal?

Elle revient alors au-dessus de lui et Gaël se laisse de nouveau aller. Ses lèvres prenant avidement les siennes alors que ses mains explorent son dos, regrettant seulement qu'un seul de ses bras soit de chair. Sans un mot, il va chercher en elle avec une pointe de culpabilité un réconfort qu'il ne croit pas mériter.

J'ai pas envie de penser. Pas envie de réfléchir. J'ai pas envie de comprendre, tout ce que ça veut dire. Juste de profiter de ce moment avec lui, en oubliant tout le reste. C'pas comme si ça avait de l'importance. Si ? Eh merde, là, dans ses bras, peau contre peau, je me laisse allée comme jamais. Je me sens unie à lui, en une fusion presque parfaite ; la symbiose se crée, et nous entoure d'un cocon doux et agréable, dans lequel j'ai envie de flotter pour toujours. Quand je me laisse à nouveau tomber à ses côtés, je me sens bizarre. Pas mal, pas bien non plus. Juste bizarre.

Et je ne dis plus un mot. On a baissé les lumières, et au travers de la semi-obscurité, je fixe le plafond. J'ai comme des fourmillements dans le ventre et dans le coeur, et je sais plus trop où je suis. J'les avais jamais vus sous cet angle, mes appartements. Et lui non plus, j'l'avais jamais vu comme ça. Un type qui se met à nu et se découvre, et qui montre des faiblesses que j'aurais même pas pu soupçonner. Et en même temps, ces faiblesses là, elles le rendent brillant. Gaël, il brille dans l'obscurité.

Je tiens sa main de chaire en otage entre les miennes, posées à plat sur mon ventre. Et j'voudrais plus jamais la lâcher.

Le cœur battant à tout rompre de nouveau, Gaël pousse un soupir de plaisir comme de bien être. L'odeur, la chaleur et les battements de coeurs de Raedhun l'enveloppent en lui faisant tourner la tête. Il a l'impression qu'il pourrait boire de sa présence et de son corps sans jamais s'en lasser. Collé contre elle, il ne bouge maintenant plus et en silence, dans la pénombre, il la détaille lentement des yeux. Son visage avec ses grands yeux verts magnifiques, la courbe de son nez, celle de ses lèvres ainsi que le grain fin de sa peau claire... Bon sang qu'elle est belle. À lui en arracher le cœur.

Mais ce qui est encore plus beau,bien-être c'est ce qui se cache derrière cette façade déjà magnifique. Une personne incroyablement forte, fière de ses convictions et de ce qu'elle a accompli. Une femme qui rêve et fait rêver, uniquement en la regardant vivre. Quelqu'un qui, contre toute attente, a su réveiller des choses éteintes en lui et lui a donné une nouvelle raison de s'éveiller chaque matin. Peu importe s'il n'est pas aussi important pour elle, finalement. Elle est là, dans ses bras, en cet instant, t rien d'autre ne compte. Il soignera seul son cœur plus tard lorsqu'elle ne voudra plus de lui.

Dans les bras l'un de l'autre, comme si la distance entre eux pouvait faire mal, ils ne disent plus rien et lentement, le sommeil l'emporte. Chose rare, il ne fera aucun cauchemar.

Apaisée, tranquille, épuisée, je finis par sombrer lentement dans un sommeil paisible, sans jamais lâcher sa main. J'ai l'impression étrange de le connaître depuis toujours, et qu'il connait tout de moi. Je sais bien que c'est loin d'être vrai. Très loin d'être vrai, même. Mais je m'en fiche. J'ai la sensation qu'il pourrait tout comprendre, tout savoir, tout écouter et tout surmonter. Et que moi, avec lui, je pourrais aussi me sentir un peu plus vivante. C'est le son strident du réveil qui me tire de ma bulle. Je grogne et je l'éteins rageusement. Il est très tôt, comme tous les jours.

- Mmh... J'déteste ce machin.

Alors toujours la tête dans le cul et les yeux fermés, je roule pour me blottir contre l'homme qui a partagé ma nuit. J'enlace son bras, encore à moitié en train de dormir et je me rends compte que je suis en train de sourire un peu. J'ai toujours pas envie de réfléchir à tout ça. J'ai pas envie non plus de le lâcher. Je me rends pas encore compte de tout ça. Je me rends pas vraiment compte que c'est le premier homme autre que Rob à dormir dans notre lit. J'me rends même pas compte que je me suis réveillée à ses côtés comme si je dormais avec lui depuis des années déjà. Et je pousse encore des espèces de petits grondements.

Une sonnerie fait froncer les sourcils à Gaël dans son sommeil. Ce n'est pas le son de son HCom, aussi, dans la brume qui englobe son cerveau, l'impérial se dit qu'il ne s'agit que de l'alarme de quelqu'un d'autre dans une chambre voisine de son auberge sur Tortuga. Puis quelqu'un lui prend le bras en se calant contre lui, et instinctivement il se tourne vers elle pour la prendre dans ses bras.

C'est à cet instant que la brume se diffuse suffisamment, alors qu'il s'éveille, et que l'odeur de Raedhun l'enveloppe en lui faisant se rappeler d'un seul coup où il est et la nuit qu'ils ont passée. Gaël cligne donc plusieurs fois des paupières et pose les yeux sur la belle tout contre lui, comme s'il souhaitait s'assurer ne pas avoir tout imaginé. Un sourire étire alors ses lèvres et sa tête retombe sur l'oreiller alors qu'un rire vient secouer ses épaules. D'une voix encore plus rouillée qu'à l'habitude, il lâche :

"Damn... j'me disais bien que j'pouvais pas avoir rêvé tout ca."

Gaël glisse ensuite son nez dans le cou de Raedhun, se blottissant à son tour contre elle, puis l'embrasse doucement. Sa main de chair, quant à elle, remonte et redescend paresseusement le long de son dos alors que le brun répond aux grondements endormis de la blonde par des grognements de plaisir. Il est bien en cet instant. Beaucoup trop bien pour vouloir penser à quoi que ce soit d'autre que la femme dans ses bras.

Il me prend dans ses bras, et je me blottis contre lui. J'ai encore moins envie de me lever. Nos lèvres se trouvent et je glisse une main sur sa joue. J'ai pas envie que ça s'arrête, j'ai pas envie de devoir sortir de cette bulle qui nous entoure. J'ai l'impression que le retour à la réalité sera tout sauf agréable. Entre deux baisers, et d'une voix encore terriblement endormie, je souffle :

- Ca peut pas être si agréable un rêve, si ?

Et j'ouvre difficilement les yeux, le regardant un instant avant de l'embrasser à nouveau. J'ai jamais autant de mal à me lever, d'habitude. Et puis je soupire. Faut que je me lève. J'ai pas le choix. Alors je me détache de lui, après un ultime baiser, et je roule sur le côté du lit. Je m'y assied un moment, essayant de recouvrer mes esprits et de lutter contre l'envie de retourner dans les bras de Gaël. Putain, c'est juste un coup d'un soir, faut se calmer, Van Haten. Waalan me fixe, et j'ai presque l'impression qu'elle me juge.

- Me regarde pas comme ça, Waal.

Je lui flatte la tête, et puis je trouve le courage de me lever. Mon premier réflexe, comme chaque matin, et de me diriger là où je garde ma drogue. Là, j'attrape un paquet. Debout mais toujours nue, je me tourne vers Gaël et je lui lance le paquet.

- Tu roules ?

Lorsqu'elle s'échappe de ses bras, Gaël la laisse aller sans protester, mais il se redresse sur un coude pour pouvoir continuer à embrasser son dos nu. Ouais, disons qu'il ne l'aide pas, mais il se dit que si c'est la seule fois qu'il se retrouve ainsi avec la blonde, si ce n'était pour elle qu'un coup d'un soir ou un écart de parcours, alors il veut en profiter au maximum. Puis, lorsque Raedhun grogne contre Waalan, il rit et ajoute :

"Merde. Moi qui croyais commencer à m'faire aimer, j'crois que j'ai perdu des points, là.

Il la laisse finalement se lever en paix et s'assoit à son tour avant de se passer les mains sur le visage dans une tentative pour y chasser les dernières brides de sommeil.

"Ouai. Merci."

Il ne peut pas commencer la journée sans fumer, de toute façon, ou son corps se met à faire n'importe quoi, alors il s’emploie, toujours dans sa tenue d'Adam, à se rouler un joint. Il se lève ensuite, cherche un instant son jean qui traine quelque part sur le sol de la chambre de Raedhun, le trouve finalement et prend son briquet dans l'une de ses pocher. Il va ensuite vers la blonde pour allumer sa cigarette d'abord, puis allume la sienne avant de prendre une longue bouffée. Alors qu'il souffle lentement la fumée par le nez, ses yeux retombent sur la belle et il hésite un instant avant de dire :

"Bien dormi?"

- Ouais. C'est qu'elle est jalouse et capricieuse. Pire qu'un duque.

Mais, si elle a un caractère de merde, elle est pas fâchée contre lui. Elle est intelligente, Waal. Elle sait aussi bien que moi que ce soir, c'était pas comme d'habitude. Je grimace un court instant, en espérant que Diaz le remarque pas. Et puis il allume ma clope, et je laisse la fumée s'échapper par mes lèvres.

- Pas trop mal. Et toi ?

Pas trop mal, dans mon langage à moi, ça veut dire que ça fait vraiment longtemps que j'ai pas aussi bien dormi. Et en même temps, merde, le réveil est vraiment dur. Du bout des doigts, j'effleure un sourcil, la tempe et la joue de Gaël. Ensuite, je replis ma main vers moi et je me détourne pour être dos à lui. J'ai encore envie de l'embrasser, j'ai encore envie de me blottir dans ses bras. J'me sens attirée par lui comme un putain d'aimant, et putain, fais chier. C'pas le fait de baiser qui m'emmerde, qui me dérange. C'est cette putain d'attirance. Ouais, mes amants, j'les trouve beaux, parfois. Mais lui, c'est différent. C'est différent de tout. Et j'arrive pas à comprendre ce qui m'arrive.

- Faut que j'aille me préparer. J'peux te trouver une piaule, si tu veux te reposer.

"Pas mal aussi."

Menteur. Il n’a pas aussi bien dormi depuis des mois, si ce n’est pas des années. À vrai dire, il ne se souvient pas la dernière fois qu'il a passé une nuit sans cauchemars. Peut-être que c'est également un effet secondaire du venin de Naä'ngi, mais Gaël ne se leurre pas et sait que la sensation de bon être et de bonheur qu'il a ressenti dans ses bras et qu'il n'a pas connu depuis plus de vingt ans y est très certainement pour quelque chose. Il n'a cependant pas envie d'avouer complètement à Raedhun ce que cette nuit à réellement représenté pour lui, surtout pas maintenant qu'il sait que pour elle, ce n'était rien d'autre qu'une histoire d'un soir. Alors il joue le jeu. Il a l'habitude de faire semblant, après tout.

Elle lui tourne le dos et Gaël ne peut néanmoins pas résister à vernir se coller derrière elle, glissant ses mains sur ses hanches puis son ventre et ses lèvres dans son cou. À sa question, il grogne d'abord avant de répondre avec des mots.

"Non ça va aller. Je devrais rentrer, j'ai du boulot moi aussi. Par contre j'imagine que..."

Il se raidit un peu et ses mains cessent leurs caresses sur la peau de Raedhun. Il n' pas vraiment envie de parler de cela, mais de toute évidence, il ne peut faire autrement vu les circonstances.

"J'imagine que tu préfères qu'on me voie pas sortir d'ici?"

Ses mains sur ma peau. Bordel, ses mains sur ma peau. Ca m'électrise, et j'ai encore envie de céder aux désirs interdits qu'il éveille en moi. J'attrape ses mains, et je les décolle de moi, sans pour autant les lâcher, dans un premier temps. J'voudrais lui dire que j'ai envie qu'il reste, que j'ai pas envie qu'il s'en aille. Je sais pas quand on se reverra, et je sais pas non plus ce qui se passera quand on se reverra. Y a tellement de trucs qui ont changé cette nuit, tellement de trucs pour lesquels je sais pas quoi penser ni quoi dire. Je sais pas comment je dois me comporter et comment je devrais me comporter la prochaine fois que je verrais Gaël. J'sais pas non plus comment Rob' réagirait s'il apprenait que j'ai couché avec quelqu'un d'autre dans notre lit. Ca fait partie de nos interdits. Alors je lui dirais pas. C'est déjà assez compliqué. Alors je lâche ses mains.

- Ouais. Il vaudrait mieux que tu sois discret.

Y a un demi milliard de choses que j'aimerais lui dire mais j'ai ni l'envie, ni la force. J'veux juste aller prendre une douche trop chaude et après, aller me noyer dans mon travail. J'ai pas envie de réfléchir. Pas à tout ça. Toujours dos à lui, je serre les poings, et je prends un ton détaché.

- Tu connais la maison ; tu repasses quand tu veux, Diaz.

Elle retire ses mains de sur elle et l'expression de Gaël se fige. Elle ne peut néanmoins le voir, puisqu'elle lui fait toujours dos et ne se tourne pas vers lui après ses paroles. L'homme se recule alors de quelques pas, fixant son dos alors qu'il répond simplement d'une voix neutre, faussement détachée :

"T'en fais pas. Personne me verra ou saura quoi que ce soit."

Gaël ramasse ensuite ses affaires, se rhabille et se dirige vers la sortie avant de siffler pour appeler Querida. Il a l'impression qu'un vide s'est déjà ouvert dans sa poitrine et là où il y avait le bonheur quelques minutes plus tôt, il ne lui reste plus qu'un gout amer au fond de la bouche. Il a fait une connerie. Une grosse connerie en se laissant aller à des sentiments qu'il aurait du réprimer. En mettant en danger, par la même occasion, l'amitié déjà si précieuse qu'il avait avec Raedhun. Il est trop tard maintenant pour revenir en arrière et il ne peut qu'assumer les conséquences et disparaître pour un moment. Être loin d'elle est la seule chose qui puisse à terme faire s'éteindre la flamme dangereuse qui s'est allumée en lui la veille.

"Merci pour la soirée. Fais attention à toi."

L'homme lance un dernier regard à Raedhun puis ouvre légèrement la porte, s'assure qu'il n'y a personne dans le corridor, et lorsque le passage est libre, il quitte les appartements des Van Haten.

C'est dur. Putain c'que c'est dur. Et j'ai pas d'autres choix que de le laisser partir. J'me retourne pas. J'ai pas la force de me retourner. Je vois pas son visage, mais y a un truc dans sa voix qui me fait l'effet d'un coup de poignard dans le coeur. Et j'saurais même pas dire quoi, ni pourquoi. Quand j'entends la porte se refermer derrière lui, je lâche un soupire, et j'ai l'impression que le poids retombe sur mes épaules. Et en même temps, j'ai envie de chialer comme une gosse qui aurait fait une connerie, ou pire : comme une gosse qui aurait cassé son plus précieux jouet.

J'ai besoin de bouger, de surtout pas rester là. Alors je me dirige vers la salle de bain, et je saute sous le jet d'eau brûlante. Je garde les yeux fermés, comme si j'étais en train de me noyer, et j'essaie d'oublier. Oublier sa peau, ses lèvres, son odeur. Oublier le putain de vide que son départ a laissé en moi, et cette envie d'hurler. Je sais pas pourquoi je ressens ça. Je sais pas pourquoi j'ai envie de courir à travers les couloirs du Crust en espérant qu'il soit pas trop tard pour le rattraper, et lui dire que je ne veux plus jamais qu'il parte. Mais j'en fais rien. Je termine de prendre ma douche, beaucoup trop longue. Je mets les draps à laver, j'enfile des vêtements propres. Et silencieuse, je vais travailler, comme s'il ne s'était rien passé.