Out of the darkness, we came running

Gaël sourit à la réplique de la blonde tout en la suivant, quelques pas derrière elle, en observant tranquillement la décoration. C'est riche et de bon gout. Il y reconnait certains effets de style qu'il a particulièrement connu dans sa jeunesse dans la noblesse impériale, d'ailleurs. Il s'assoit ensuite sur le lit, puis remercie son amie d'un signe de tête. Puis, avec des gestes qui démontrent clairement une habitude - certes pas aussi prononcée que Raedhun, mais définitivement pas débutant en la matière - il noue le garrot à son bras avant de s'occuper de la seringue. Il lance finalement un regard à Walaan qui somnole déjà dans son panier à leurs pieds.

"Voyons voir ce que t'as dans le ventre, bellísima."

Il trouve assez facilement une veine dans le creux de son coude, puis injecte la solution de venin sans hésitation. Il défait ensuite le garrot et commence à ranger l'équipement lorsqu'il sent déjà les effets de la drogue électriser son corps. Il a un peu l'impression de recevoir une douche froide en pleine tête en plus d'avoir bu une énorme quantité de café, sans les effets désagréables du tout. Il est impressionné par la rapidité et la force de la drogue, et sa surprise peut se lire dans ses yeux lorsqu'il les tourne vers Raedhun avec un rire amusé.

"Joder. Tu plaisantais pas sur la qualité. Je doutais pas de toi ou de tes produits, j'te jure. Mais... whoa."

J'm'assieds sur le lit, en tailleur, à côté de lui. Et puis patiemment, je le regarde faire. Moi j'ai eu ma dose, et quand je le vois réagir à celle qu'il s'injecte, j'suis presque jalouse. L'inconvénient quand on se drogue régulièrement, c'est qu'on ressent moins les effets. J'imagine que Gaël, c'est la première fois qu'il teste un produit de cette qualité.

- Alors, Diaz, tu prends ton pied ? Certifié 100% bio, pas coupé avec de la merde, et en plus t'as la provenance. Une jolie dame libre comme l'air et bien traitée - j'parle pas de moi, hein. Evidemment que j'me fous pas de ta gueule.

Je reste silencieuse un moment, et je finis par replier mes genoux contre ma poitrine en le fixant intensément. Je garde ma clope entre mes doigts, et elle se consume lentement sans même que je la fume - ni même que je m'en soucie.

- Eh, Gaël ?

Je sais bien que mon expression a changé.

- Dis moi ce que tu ressens.

"Ah ça... Et je sais pas si c'était ton but, mais clairement, j'hésiterais encore moins qu'avant à faire de la pub pour ton réseau. Damn."

L'homme se passe les deux mains dans le visage avant de se secouer, pour tenter de reprendre ses esprits, mais rien n'y fait. Il ne lutte pas néanmoins, et alors que Raedhun s'installe plus confortablement sur le lit, lui se laisse tomber sur le dos. Il inspire un grand coup avant de froncer les sourcils à sa question.

"Là tout d'suite?"

Il rit un peu puis prend une bouffée de sa cigarette le temps de réfléchir à ce qu'il ressent actuellement avant d'ajouter :

"J'ai l'impression que tout est plus clair, vibrant. Genre comme si on venait de me fouetter pour que j'me réveille. C'est étrange, j'ai déjà souvent pris des drogues stimulantes, mais j'ai jamais ressenti quelque chose comme ça."

Gaël tourne finalement la tête vers son amie et avise son expression étrange. Soudain inquiet, il se redresse à demi sur un coude.

"Hey. Ça va pas?"

- Tant que tu fais pas de la pub auprès de ceux qui veulent notre peau, fais toi plaisir.

Et puis je l'écoute. Je l'écoute me raconter, et j'essaie de me souvenir de ce qui n'est plus qu'un lointain souvenir. Les premières prises, quand j'étais là-bas, ailleurs. Mes premières rencontres avec Rob et cette sensation grisante d'être toujours plus vivante. A nouveau, j'ai attrapé mon collier et je joue avec, nerveusement.

- Si, ça va.

Menteuse, menteuse. Ton nez s'allonge, Raedhun. Je lâche mon collier et prends la petite fiole vide, qui contenait la drogue quelques minutes auparavant, et je la mets devant mes yeux. J'hésite un instant, et puis je finis par m'ouvrir un peu à lui. J'sais pas trop pourquoi, mais c'est facile de lui parler, même pour moi qui mens comme je respire.

- Ca me fait toujours une sensation étrange, quand je vois l'effet que ça fait chez les autres, et que je pourrais jamais retrouver pleinement.

Je joue avec une petite goutte qui reste dans la fiole, comme hypnotisée.

- Tu sais, cette sensation d'être... Vivant. Ouais, vivant. De tout ressentir et en même temps, d'être détaché de tout. Comme si tu pouvais tout contrôler, et comme si t'avais plus rien à craindre du dehors. Un espèce de cocon dont t'es le seul maître, qui te protège et t'élève en même temps...

Il se redresse en position assise cette fois, tout rire ou sourire disparut de son visage. Raedhun ment bien, mais Gaël connait le mensonge sur le bout de ses doigts et est particulièrement doué pour reconnaître les véritables émotions des gens derrière leurs mots. Ça ne va donc pas aussi bien qu'elle le prétend.

"Tu te sens pas vivante?"

C'est con dit comme ca. Mais souvent, Gaël le sait, c'est dire les choses comme elles sont sans tourner autour du pot avec mille métaphores et pincettes qui est le plus efficace. Il se passe une main dans les cheveux et inspire un bon coup, cherchant des mots qu'il a du mal à trouver, comme il comprend trop bien ce que son amie veut dire, puis trouve son regard.

"C'est une illusion. C'que j'ressens là, ce que tu ressentais avant aussi en prenant la drogue... c'est une illusion d'être vivant. Le contrôle et tout le reste, c'est toi qui le fais, c'est en toi. Ça vient pas de la drogue. Alors ne regrette pas ce qui existe pas et n'a jamais existé."

Il s'y perd consciemment, lui, dans cette illusion, parce qu'elle est plus supportable que sa réalité, ses pertes et sa culpabilité. Néanmoins, il ne se leurre pas et sait très bien que la drogue n'arrange rien. Elle leurre son esprit, au plus, afin qu'il puisse continuer d'avancer sans trop se détester.

- Te fatigue pas, Diaz. On sait tous les deux qu'on tombe pas dans la drogue pour rien. Alors l'illusion, elle est salvatrice parfois.

Je me redresse, talons sous mes fesses, et je m'approche un peu de lui, encore.

- L'illusion de vivre, et puis celle de mourir. L'illusion d'exister et de devenir invisible. Disparaître pour réapparaitre encore et encore et encore et encore.

J'ai conscience, au moins un peu, qu'il va pas forcément comprendre où je veux en venir. Moi-même, je suis pas certaine de le savoir. Je sais juste que là, maintenant, tout de suite, je m'en fiche. Je sais juste que le voir lui, plus vivant, plus vivace, ça me donne la sensation d'être moi, plus morte. Et en même temps, c'est agréable. Vraiment agréable, de se sentir flotter comme ça. Comme si tout le poids du monde s'était envolé de mes épaules. Comme si je prenais conscience là et maintenant de l'existence de ce poids-là. Ou de l'existence de son absence. Qu'importe ?

- L'illusion de savoir qui on est, ce qu'on veut, et même ce qu'on sait. Qu'il suffit de tendre la main...

Et je tends ma main vers lui, vers son visage, ses pommettes fortes, ses yeux vifs et incroyablement tristes, ses lèvres entourées de ridules qui lui donne ce truc qu'on ne peut pas nommer. J'effleure sa joue, à peine, presque pas, et je replie mes doigts vers moi.

- Juste une illusion, parfois.

Il sait qu'elle a raison. Bon sang, il le sait beaucoup trop bien, en réalité. Il voudrait lui dire qu'il aimerait qu'elle n'ait pas besoin de cette illusion. Lui dire qu'elle brille suffisamment pour ne pas avoir besoin de ces artifices en plus pour briller davantage. Mais ce n'est pas sa place. Il n'a pas le droit. Alors il se tait et détourne les yeux. Si elle savait à quel point son illusion à lui est grande...

Puis elle s'approche de lui. Ses doigts effleurent sa joue, et quelque chose hurle à l'intérieur de lui. La même alarme que plus tôt, mais immensément plus audible et puissante cette fois. Il ne sait pas bien si c'est la drogue qui lui fait cet effet, mais l'adrénaline s'empare de son corps et son souffle se fait plus court alors qu'il se sent aspiré dans le vert de ses yeux. Attiré comme un métal à un aimant, son visage se rapproche du sien aussi, mais elle met soudain fin à l'illusion. Elle le laisse alors figé, presque pétrifiée, alors qu'il réalise le moment passé et qu'il reconnait cette vague d'envies que lui hurle son corps et sa poitrine. Il n'a ressenti cela pour personne depuis...

Non.

Pas encore. Pas ici. Pas avec elle. Il n'en a pas le droit, pour mille raisons. Alors Gaël se détourne d'elle, le coeur battant, et pose un instant la tête dans ses mains.

"On devrait y aller. J'veux pas d't'causer d'ennuis, on doit t'chercher."

Il se passe quelque chose, entre lui et moi. Un truc que je saurais pas nommé, et que j'ai peut-être pas envie de nommer, en fait. Je me sens attirée vers lui un instant, juste un instant. Le temps de l'illusion. Ou peut-être que l'illusion, c'est de croire que ce n'était qu'un instant ? Je le vois prendre sa tête entre ses mains, il affiche une expression bizarre, se détourne. Y a comme un vent glacial qui souffle tout à coup, et je frissonne. Je pose alors une main sur son épaule, un peu inquiète de le voir comme ça. Il est mon ami, nan ? J'ai l'droit de m'inquiéter pour mes amis.

- Eh... Tout va bien, Diaz ?

Ma propre gorge est nouée, et j'sais même pas pourquoi.

- T'as raison, on devrait y aller.

J'refous ma clope entre mes lèvres et je me lève du lit.

La main de Raedhun sur son épaule le fait se raidir, mais il se dessine un petit sourire rassurant et lui répond rapidement, en bon menteur qu'il est :

"Ouai ca va, t'inquiètes. C'est que le contre coup du venin j'crois."

Il évite de la regarder néanmoins. Il doit éteindre ce qui s'est allumé en lui, c'est primordial. Il ne veut pas ressentir cela pour elle, l'idée même et réalisée maintenant qu'il est déjà un peu trop tard le terrifie. Il ne peut pas, pas après Beatriz. Pas avec la vie qu'il mène. Pas avec les fautes impardonnables qu'il a commises. Il veut qu'elle soit heureuse, et lui ne pourra jamais lui offrir le bonheur. Elle mérite mieux, tellement mieux. Sans compté qu'elle est mariée, merde! Fuck, mais qu'est-ce qui te prend, Diaz...

Il se lève à sa suite puis émet un petit sifflement pour rappeler Querida. L'Atikaya, qui était en pleine exploration des quartiers des Van Haten, revient rapidement en trottant vers lui. Comme pour se rassurer lui même, Gaël pose alors la main sur la tête de sa vieille amie. Elle avait raison, il n'aurait pas dû venir. Enfin... pour les intentions qu'il prête à la créature, projection de ses propres angoisses, bien sûr. Le brun cherche ensuite quelque chose à dire, une excuse, une explication, une plaisanterie même peut-être, mais rien ne lui vient et sa gorge se serre. FUCK!

Au début, j'fais le choix de me la fermer, et de juste faire semblant que tout est profondément normal. Je me dirige vers le panier de Waalan pour la récupérer, mais je m'arrête alors que je suis à moitié baissée. Alors, je me relève et je me tourne vers lui.

- Mon venin, il est pas censé faire ce genre de contre-coup. J'te préviens Diaz, j'te lâcherais pas, j'aime pas ça, qu'on me mente.

Je sens un truc se nouer dans mon ventre, comme une drôle de sensation sur laquelle j'peux même pas mettre de nom. Et je reste debout, là, comme une conne, à le regarder.

- J'ai fait une gaffe ? J'ai dit un truc qui fallait pas ? J'ai fait un truc qui fallait pas ?

Gaël se fige de nouveau. Il veut quitter cette pièce, repartir sur Tortuga et éviter de s'enfoncer plus loin là où il SAIT qu'il ne doit pas aller. Mais il reste là. Il ne peut pas la laisser comme ça. Ça non plus ce ne serait pas juste. Ils sont amis, merde. On n’abandonne pas ses amis comme ça. Il en a trop peu pour être physiquement capable d'accepter de la blesser, même si c’était pour lui éviter plus grande blessure encore. Alors il n’y a pas de bonne solution. Pas de bonne réponse à ses questions non plus.

"Non, t'as rien dit ou fait de mal. Vraiment, Rae."

Il a envie de faire un pas vers elle, mais se retient. Ces quoi ces conneries d'envies contradictoires, aussi? C'est pas sérieux. Il doit reprendre le contrôle, étouffer tout. Il est doué pour ça, pourtant, il le fait à toutes les putains de jours depuis plus de vingt ans! Alors pourquoi il n'y arrive pas là, maintenant?

"J'suis juste... Comme t'as dit, on tombe pas dans la drogue pour rien. J'ai des putains d'problèmes."

Il voudrait s'expliquer davantage pour qu'elle comprenne et ne croit pas que c'est sa faute. Néanmoins, il ne sait pas comment le faire sans parler de ce qu'il ne peut pas ni sans lui avouer l'inadmissible. Alors il reste là, comme un con, relevant de nouveau les yeux sur elle de nouveau. Il ne peut pas les garder éloignés très longtemps, qu'il le veuille ou non.

- J'peux pas te forcer à en parler, si t'en as pas envie. Si t'en as envie, j'sais que j'suis pas la meilleure des oreilles, mais j'sais écouter et garder des secrets.

Je hausse les épaules, parce que Gaël, c'pas le type le plus loquace du monde. Et en même temps, je peux pas dire grand chose. Il y a plein de trucs qu'il sait pas sur moi, et qu'il continuera à pas savoir. Mais ce que je sais, c'est que quand je suis avec lui, j'oublie facilement tout ce poids là. C'est un chouette pote. J'ai vraiment pas envie de le perdre.

- Quoi que t'en dises, j'sais bien que j'ai fait une connerie qui t'a rappelé ça. Peut-être mon truc sur les illusions. J'sais même plus ce qu'il y a, à part les illusions. En fait... Y a qu'une vérité dont je suis sûre, là, maintenant.

Je continue à le regarder, et on se fait face comme deux cons, loin et proche à la fois. Y a une espèce de tension dans l'air, et j'sais pas dire d'où ça vient, et ça me donne la nausée, et des crampes d'estomac.

- J'aime pas ça, quand t'es triste.

Pourquoi tu me dis ça, Rae? Pourquoi tu m'envoies pas balader? Pourquoi tu m'engueules pas même? Ça serait mieux. Merde, pourquoi tu dois dire la bonne chose et me faire réaliser encore une fois à quel point tu... Fuck...

Aux derniers mots de la blonde, la tempête dans le coeur de Gaël devient juste un peu trop grande pour qu'il puisse maintenir tous ses masques. Aussi, l'espace d'un bref instant, Raedhun peut entrevoir la personne qu'il est derrière. Quelqu'un de brisé, de désespérément triste aussi, d'usé par une vie trop peu clémente. Mais aussi quelque chose d'autre, dans ses yeux. Comme un appel à elle. Un regard qu'il ne veut pas s'autoriser à avoir, mais qui lui hurle pourtant bien des choses, notament que lui non plus ne veut pas la voir triste.

"J'suis désolé."

Désolé d'être qui il est. Désolé de ne pas pouvoir dire plus. Désolé d'être un imbécile. Désolé pour tellement d'autres choses aussi.

"J'veux pas que tu t'en fasses avec ça. J'aurais pas du faire cette tête. J'suis désolé. Oublie ça."

Putain de merde. J'le vois, là, avec son visage, son air triste, brisé, déchiré, son âme à nue et mon coeur rate un battement. Je me sens mourir un peu plus, alors que lui, il est toujours plus vivant. Merde. Il a ce truc. Ce truc. Ce truc qui le rend unique et extraordinairement ordinaire, ce truc qui le rend vulnérable et fort, ce truc qui le rend beau et touchant.

- Pourquoi tu t'excuses ? T'as rien fait, idiot.

Et puis j'hausse encore les épaules, encore.

- C'est clair, t'aurais pas dû. Parce que si tu crois que j'vais oublier, tu te fourres le doigt dans l'oeil jusqu'au coude, Diaz.

Et puis dans un élan un peu con, je m'approche de lui, et je lui pose encore une main sur l'épaule. J'suis assez tactile, comme nana. Faut dire que le contact physique, c'est un truc que j'utilise beaucoup dans mes pratiques, quelles qu'elles soient.

- T'es pas obligé de faire semblant. Pas avec moi. J'm'en fiche que t'es des putains de blessures, des fantômes à la con, des peurs ou des regrets. C'est aussi ça qui fait de toi qui tu es, Diaz. Et t'as pas d'bol, généralement, les gens que j'apprécie, j'les apprécie pour tout ce qu'ils sont, même leurs démons.

Elle s'approche et vient poser une main sur son épaule. Les yeux sombres de Gaël suivent ses gestes avec une attention particulière et l'impression soudaine de manquer d'air. Elle ne le lâchera pas. Elle veut rester avec lui. Elle lui dit ce qu'il a désespérément besoin d'entendre aussi, mais qu'il n'est pas encore prêt à accepter.

Peut-être ne le sera-t-il jamais, d'ailleurs, à ce qu'on l'accepte et l'apprécie pour lui, malgré tous ce qu'il est et ce qu'il a fait. Lui même ne parvient plus depuis longtemps à s'aimer, et il lui est impossible de se pardonner. Il devrait maintenant feindre d'aller mieux, la remercier et l'enjoindre à retourner travailler. Garder ses pensées et sentiments absurdes à l'intérieur que pour mieux les battre lorsqu'il sera seul.

Alors pourquoi est-ce qu'il lui rétorque simplement, à mi-voix, comme s'il espérait qu'elle ne l'entende pas :

"Tu vois, c'est bien ça le problème. J'ai pas envie de faire semblant. C'est dangereux."

Elle est si près. Trop près. La tête penchée légèrement vers elle, il y a à peine trente centimètres qui séparent leurs visages l'un de l'autre. C'est dangereux, en effet. Tout comme la manière dont il la regarde.

Je le lâche pas, mais ma main glisse le long de son bras, jusqu'à aller prendre sa main. Il a pas l'air bien, ça me fait vraiment de la peine. Et puis ça doit être exacerbé par les doses que je viens de prendre, aussi. J'suis toujours un peu plus à fleur de peau quand j'ai fumé.

- Y a aucun problème, Diaz. Si t'as pas envie de faire semblant, fais pas semblant. Ici, t'as le droit. Et puis parfois, le danger, c'est ce qui nous maintient en vie, nan ?

Nos regards sont plantés l'un dans l'autre, et on est si proche que je peux sentir son souffle sur mon visage.

- Merde quoi, tu viens de t'injecter une dose complète de venin de Naän'gi sans sourciller, tu vas pas me faire croire que c'est le danger qui t'arrête. J'te rappelle que t'es un super-héros, avec le slip au-dessus du collant et tout l'bordel qui va avec.

J'essaie de faire de l'humour un peu, et je sais pas trop quoi dire. J'ai jamais été douée pour ce genre de truc, et merde, cette tension.

- Ca t'empêche pas d'avoir des faiblesses. Et t'sais quoi ? J'vais te dire un scoop, mais tu le répètes pas, hein ? Moi aussi, j'ai des faiblesses. Y a même des faiblesses qui sont un peu des forces.

Je lui lâche pas la main, et nos visages sont toujours aussi proches, nos regards se maintiennent l'un dans l'autre.

- Comme toi, Diaz.

Il secoue d'abord négativement la tête doucement et ouvre la bouche pour s'excuser de nouveau et en profiter pour s'esquiver et partir, mais à cet instant, Raedhun lui prend la main et il ne dit rien. Son coeur s'emballe dans sa poitrine et il est perdu quelque part entre raison, craintes et désirs. Il l'entend parler, mais son sang bat un peu trop fort à ses oreilles pour qu'il n'en fasse vraiment du sens. Lui, une faiblesse et une force pour elle? Qu'est-ce que ça veut dire? Elle est trop près d'ailleurs. Juste là. Il n'aurait qu'à tendre les doigts et... Un peu d'elle-même, sa main se lève et vient effleurer la joue de Raedhun.

"Le danger pour moi, j'm'en fou. Mais le danger pour les autres..."

Il met une pause, ses yeux plantés dans les siens avec cette impression qu'il n'arrivera plus jamais à les y arracher de lui-même, et son pouce vient caresser un instant la courbe du menton de la belle.

"... pour toi, je peux pas."

Je laisse tomber ma clope sur le sol. J'm'en fous, je la ramasserai après. J'fais pas la connerie de l'écraser avec mon pied nu, par contre. Mais là, entre lui et moi, c'est hypnotique. Sa main sur mon visage, sur mon menton, ça fait battre mon coeur tellement fort que j'ai l'impression que je vais exploser. J'ai froid et chaud, et ça fait du bien. Putain, c'que c'est bon, comme sensation.

- T'es sûrement le truc le moins dangereux dans ma vie, Diaz.

Alors, ma main libre, celle qui tient pas déjà la sienne, vient attraper la main qu'il a perdu sur mon visage.

- T'es même la putain d'bouffée d'air qui m'aide à respirer.

Et là, ma voix, elle est plus qu'un murmure. J'ai la gorge tellement serrée que j'me demande si j'vais pas crever là, étouffée, bouffée de l'intérieur par une bestiole ou un truc. Mais ça a pas tellement d'importance. Parce que mon regard quitte le sien pour se figer sur ses lèvres. J'aimerais tellement qu'il sourit, putain. Et puis j'me rends compte que maintenant que ses putain de lèvres, elles se rapprochent des miennes. Je contrôle plus rien, je panique un peu, et pourtant, c'est un truc que je fais tellement souvent que ça devrait être juste banal. Mais avec lui, avec ce type-là, c'est tellement pas banal. Mes lèvres effleurent les siennes. On s'embrasse pas. Pas encore. J'sais pas, j'sais plus. Autour de nous, le temps s'est déjà arrêté, et moi, j'respire même plus.

Elle a tort. Il est un putain d'problème en lui même. Il attire les emmerdes et les dangers, volontairement comme involontairement. Il blesse, il trahit, il brise. C'est tout ce qu'il a jamais su faire. Il est un danger. Par son travail comme sa personne.

Elle ne le connait pas vraiment, n'a vu que les masques qu'il a bien voulu lui montrer. Mais quelque part, Gaël sait qu'elle le connait mieux que personne aujourd'hui, qu'elle a vu de lui ce qui se rapproche le plus de la personne qu'il est. Il peut laisser tomber certaines illusions avec elle, et c'est bien ce qui l'a d'abord attiré comme un aimant. Puis il y a découvert cette femme forte, magnifique et profondément touchante qui à chacun de ses gestes, de ses mots ou de ses regards, frappe une masse contre les murs qu'il a élevés autour de lui. Et lorsqu'elle s'approche encore, que leurs souffles s’entremêlent, le dernier mur qui l'empêchait de bouger s'effondre. Il est perdu et elle le tient au creux de ses mains, maintenant.

Il réduit la distance qui les sépare à néant en fermant les yeux. Ses lèvres trouvent les siennes et ses mains viennent se perdre dans ses cheveux clairs, l'attirant à elle. Maintenant qu'il a franchi le pas, son cœur explose et plus rien n'existe que l'instant présent. Il ne sait pas ce qu'il fait, ne réfléchis plus. Il sait seulement qu'il a besoin d'elle en cet instant comme un assoiffé a besoin d'eau pour survivre.

C'est lui. C'est lui qui rompt la dernière distance, qui brise le dernier mur, qui franchit le dernier pas. C'est lui qui colle ses lèvres contre les miennes, et à ce moment-là, j'ressens un truc, fort et puissant, beau et limpide. Un truc que j'ai jamais ressenti avant. Jamais. Et je m'abandonne à ça, je passe une main sous son bras pour venir m'y agripper, tandis que j'ai l'impression de découvrir un truc nouveau, comme une ado un peu niaise.

Merde. Merde, merde, merde. Qu'est-ce que tu fous, Van Haten ? Merde. Pourquoi est-ce que j'me sens coupable comme ça, pourquoi est-ce que je pense à Rob', alors qu'on a cet accord entre nous ? Alors même que j'ai embrassé et même baisé tant d'autres que lui, et lui de son côté aussi ? Alors j'le chasse de mes pensées, parce que je veux pas que ce moment-là s'arrête. J'veux pas que Gaël retire ses mains de moi, j'veux même pas avoir à reprendre mon souffle.

Je lâche sa main, et j'me retrouve à m'agripper à lui, à son t-shirt, à son corps. J'connais pas tout de ce type, mais il est comme un putain d'ouragan qui balaierait tout sur son passage. Un incendie ravageur qui brûlerait tout ce que j'ai en moi. Un danger harassant et pourtant déjà addictif. Ma main passe dans son dos, sous son haut.

Gaël revoit les heures passées avec Raedhun dans différents coins du Crust, à discuter, à se raconter n'importe quoi comme à parler de choses plus sérieuses. Il revit son bonheur des fois ou il a réussi à la faire sourire. Il se souvient de leur danse, un peu plus tôt, de leur folie aussi. Et alors que cette amie s'accroche à lui, que le souffle lui manque et que son odeur lui fait perdre la tête, il se sent bien. À sa place. Comme si tout était finalement en ordre après avoir erré longtemps dans le chaos. Plus rien d'autre n'existe, pendant quelques instants, qu'eux dans cette bulle hors du temps. Parfaite.

Mais la réalité rattrape toujours l'illusion. Lentement mais surement. Pour lui, ce sera quand les images de Raedhun de mêleront à celles de Beatriz dans son esprit et que la chaîne qu'il porte autour du cou lui semblera soudain peser des tonnes. La culpabilité lui serre alors le ventre et il redescend sur terre, la tête toujours étourdie et le souffle court. Sa main qui était descendue dans le bas du dos de la blonde pour la serrer contre lui ralentit alors ses caresses, et au bout d'un moment qu'il juge à la fois beaucoup trop long et beaucoup trop court ses lèvres se détachent des siennes. Il ne s'éloigne pas pourtant. La garde contre lui et dépose son front contre le sien. Il murmure alors, comme s'il avait peur qu'on les entende :

"Qu'est-ce qu'on fait, Rae?"

A ce moment précis, je pourrais mourir dans ses bras, je pourrais me laisser emporter juste par son parfum, enivrant et entêtant. La drogue est sûrement responsable de cette sensation étrange qui me fait tourner la tête. J'oublie rien, mais lui seul a encore de l'importance. La salle de spectacle, la soirée, Rob, mon passé, rien ne compte. Et à ce moment-là, je ne veux pas laisser partir cette sensation qui me brûle au creux du ventre. J'ai peur que d'une seconde à l'autre, elle s'éteigne. J'ai peur que d'une seconde à l'autre, ce doux rêve éphémère se transforme en cauchemar éternel.

Alors je veux que, lui et moi, ça se prolonge. Jusqu'au bout de la nuit, jusqu'à ce que je recouvre mes esprits, jusqu'à ce que le réveil sonne. Juste quelques heures durant lesquelles on pourrait arrêter le temps, juste quelques heures durant lesquelles il n'y aurait que lui et moi et cette sensation qui réchauffe mon coeur.

- Finis ce que t'as commencé, Diaz.

Et j'attrape sa tête par l'arrière pour venir à nouveau plaquer mes lèvres contre les siennes.

Elle n'aurait eu qu'un seul mot à dire, qu'un seul geste de recul ou pour le repousser, et tout se serait arrêté. Il aurait reculé, ne l'aurait plus jamais touché. Il serait parti, peut-être pour ne plus jamais revenir. Et ce pouvoir, elle l'aura toujours. Mais plutôt que faire tout cela, c'est l'inverse que Raedhun choisit.

Lorsqu'elle vient de nouveau l'embrasser avec passion, Gaël se laisse entrainé par la vague, laissant à quai ses peurs, ses regrets et sa culpabilité. Dans ses bras, il ne veut plus qu'une chose : retrouver cet instant de plénitude parfait qui a, avec infiniment plus d'efficacité que n'importe quelle drogue, chassé cette noirceur et cet univers de douleur et de haine qui l'habite depuis si longtemps.

Sans cesser de l'embrasser, il la soulève afin qu'elle enroule ses jambes autour de sa taille, la soutenant sans difficulté. Elle est encore plus légère qu'il s'y était attendu. Il les fait ensuite se retourner et adosse la blonde contre le mur alors que ses lèvres viennent trouver le chemin de son cou pour y embrasser fiévreusement sa peau si douce. Il se perd en elle et pour une fois, laisse son corps et son cœur le guider plutôt que sa tête.

C'est officiel. Raedhun le rend fou. Complètement fou.

Je me laisse emporter par lui. Il me soulève presque comme si j'avais rien pesé, pour venir me coller contre le mur. Moi j'enroule mes jambes autour de sa taille, en ayant pris soin de ne pas coincer son t-shirt pour pouvoir lui enlever. Je veux sentir sa peau contre la mienne, nos souffles qui se mêlent et nos coeur qui s'emmêlent. Ses lèvres trouvent ma peau et y tracent un chemin qui, je le sais, sera indélébile.

Je passe une de mes mains sous son t-shirt, le relève pour pouvoir me coller contre son torse aux muscles saillants. Pas de doute, c'est vraiment un bel homme. L'autre main continue d'agripper ses cheveux, l'accompagnant sans jamais le contraindre dans ses gestes. Ma tête tombe en arrière, lui offrant totalement mon cou et mon décolleté vertigineux. Comme une impression d'irréel me transporte, et je soupire son prénom avec une passion que je ne me connaissais même pas.

- Gaël...

L'entendre prononcer son nom ainsi lui arrache un violent frisson des pieds à la tête, et c'est le souffle court et la voix tout aussi chargée d'envies que la sienne :

"Raedhun..."

Il n'a pas ressenti quelque chose d'aussi intense, d'aussi violent depuis des années. Il ne croyait plus pouvoir ressentir quoi que ce soit de semblable un jour, et pourtant... Il a connu d'autres femmes après Beatriz, bien sûr, mais jamais il ne s'est attaché et jamais il n'en a désiré aucune comme il la désire. Comme elle semble partager ce qu'il vit, Gaël les éloigne finalement du mur et sans la lâcher des yeux, les mène jusqu'au lit ou il la dépose doucement. Il détache ensuite ses mains d'elle quelques instants, simplement le temps de finir de retirer son t-shirt, puis retourne vers elle pour équilibrer les choses.

Il veut la sentir contre lui, la voir toute entière. Il fait glisser ses doigts et ses lèvres sur sa peau alors qu'il lui retire ses vêtements, par moment avec douceur et parfois avec plus de passion, la découvrant petit à petit. Il veut lui appartenir à elle et elle seules, non plus à l'Impérium, non plus à ses mensonges. À elle. Tout entier.

A mesure que nos corps se mêlent, à mesure que l'on s'unit, j'ai la sensation qu'un univers nouveau s'ouvre à moi. Ce moment est à la fois doux et passionné, violent et délicat. Et lorsque tout s'arrête et que nos corps transpirants retombent sur le lit, il reste un léger sourire sur mes lèvres, fin et éphémère. Oh, il ne reste pas longtemps. Juste assez pour qu'il ne puisse pas avoir de doute sur ce que j'ai pensé de ce moment. Et là, encore dans l'ivresse de ses bras, je m'installe à moitié sur son torse, mes seins collés à lui, et je l'observe. Du bout des doigts, je redessiner les traits de son visage. Ses premières rides qui font une grande partie de son charme, ses sourcils, sa barbe, ses lèvres qui m'attirent encore.

- Pas mal pour un vieillard, Diaz, que je souffle à mi-voix.