Des jouets par millier [Suu & Hush]

Le Ni'huan s'était posé dans le port de Tortuga. Même si l'astéroïde était bien pauvre face aux trésors de Mo'tanui, une sortie à terre ne faisait jamais de mal à Hush. Il n'avait pas été habitué aux longues périodes dans l'espace. Il s'y plaisait et ne se languissait jamais de la terre, mais lorsque le vaisseau se posait, il était heureux de pouvoir faire de longues balades sans cloisons de métal pour le retenir. La dernière fois qu'il était venu sur Tortuga, il en avait profité pour faire des repérages prudents. Il avait noté quelles étaient les zones à éviter, et quelles étaient les zones "sûres". Il ne souhaitait pas imposer l'enfermement à son fils, sous prétexte que quelques hommes risquaient de vouloir s'attaquer à eux. Alors, dans les zones dites "sûres", il avait cartographié mentalement quelles étaient les zones à "risque zéro". Le risque zéro n'existait bien évidemment pas, mais c'était un repère qu'il jugea suffisamment fiable pour qu'en ce jour, il soit accompagné de son fils, pour la première fois depuis qu'ils avaient failli y mourir.

Ils avaient marché ensemble pendant un moment. Tobias venait tout juste de faire ses premiers pas, et il était encore hésitant. Il n'avait pas parcouru beaucoup de chemin avant que l'attention du petit garçon ne soit happée par des cailloux qui trainaient sur le sol. Lorsqu'il avait voulu les mettre à la bouche, Hush avait sorti un jouet en bois pour le substituer aux gravats dangereux. Puis, il s'était assis sur le sol pour surveiller son fils, passionné par le jouet et le jeu qui allait avec. Cela inspira à Hush de nouveaux jouets qu'il voulait fabriquer pour son fils. Il sorti de son sac un morceau de bois qui tenait à peine dans sa main ainsi que son couteau de taille, et tranquillement, il commença à créer.

- Hmmmm-mm ?

Il est doux ce son. Interrogatif aussi. Il ne veut pas faire peur alors qu’il sait parfaitement que ça peut arriver : un inconnu sur un fauteuil, un sac bizarre sur les jambes et une lame -même dans son fourreau- accrochée derrière, c’est pas l’image la plus rassurante du monde.
Mais il est curieux. Pour une fois il l’est, plus exactement, et c’est juste parce que le type en face de lui a l’air d’être en train de sculpter quelque chose. C’est intrigant, surtout pour le pilote qui apprécie cette discipline artistique.

- Tu graves quoi ?

Perdu dans son monde, enfermé dans une bulle où il n'y a que Tobias et lui, Hush manque de ne pas entendre l'homme qui s'adresse à lui. Il réagit avec quelques secondes vers lui, levant un regard d'abord interrogateur vers l'homme. Curieux, il regard son fauteuil, avant de lui sourire. Il pose son ouvrage, se frotte les mains pour éliminer les sciures de bois qui se sont posées sur ses doigts, et il sort son carnet d'écriture de son sac, ainsi qu'un crayon.

"Je crée un nouveau jouer pour mon fils. Il fait ses dents. Celui avec lequel il joue ne résistera pas longtemps."

Il lui tend le carnet, et aussitôt, il reprend son travail là où il l'avait laissé.

Un carnet ? Un carnet. Allons bon. Cette fois c’est quoi, le paraplégique et le muet ? Pourquoi il se retrouve toujours dans des débuts de blagues… ?

- Tu utilises quoi comme bois ?

Le cahier est tendu dans l’autre sens, rendu à son propriétaire. Suu se penche en avant pour essayer d’observer le jouet couvert de bave, ce qui n’est pas exactement une opération rondement menée.

- De la corne… C’est peut-être mieux, de la corne. Ca se grave aussi.

Hush prend le temps d'avancer un peu son œuvre, quelques lambeaux de bois tombent à ses pieds. Il repose à nouveau son oeuvre, prend le carnet.

"Ce bois-ci vient d'un Telem Te Krüu, acheté à un ébéniste de Renaissance.
Pour avoir de la corne, il faut tuer l'animal, le découper. Je préfère utiliser ce qui ne fait pas de mal.
Tu sculptes aussi ?"

Poche du pull, ha non. Poche du pantalon alors, il y fouille une petite minute avant de trouver ce qu'il y cherchait : un croc gravé de motifs géométriques, qu'il passe à l'inconnu muet en même temps qu'il lui rend son carnet.

- Un peu.

Suffisamment pour pouvoir placer des hexagones réguliers et propres sur une grosse dent en tout cas. Il ne va pas dire qu'il est un artiste de talent et un gros cador ou quoi que ce soit dans le genre -lui son truc c'est plutôt de nettoyer et conserver les os- mais il s’y connaît de loin. C'est bien pour ça qu'il est curieux.

- Mais moins que toi. Et pas du bois.

Ca aide à l'intriguer en fait. Le bois, il n'en a jamais vraiment manipulé et c'est fascinant de voir des copeaux bien propres, une méthode de travail totalement différente.

- Ça t'ennuie si je te regarde faire… ?

Hush récupère l'objet entre ses mains, dépose son carnet par terre pour pouvoir avoir tout loisir de faire tourner l'oeuvre de Suu entre ses doigts. Il affiche une moue impressionnée. Ce n'est pas du niveau de ce qu'il peut faire, mais il y a un potentiel énorme. Hush le rend respectueusement à l'homme, puis, il fouille dans son sac. Il sort un joli morceau de bois foncé pas travaillé, ainsi qu'un couteau spécialement conçu pour la sculpture sur bois. Il tend le tout à l'homme, insistant jusqu'à ce qu'il le prenne. Puis, une fois qu'il a les mains libres, il reprend son carnet et son crayon.

"Fais-le avec moi. Essaie sur du bois. Je te montre, et je te guide, si tu as besoin."

Oh, fait tout doucement Suu en prenant le bout de bois. Oh. C'est doux sous ses doigts. Il sent les nervures comme des vagues, le sens de pousse de l'arbre dont il provient. Oh. C'est moins et plus vivant que ce dont il a l'habitude et c'est… Quelque chose. Quelque chose de positif.

- Je te regarde.

Prêt, un peu penché en avant, le bout de bois donné dans les mains et le couteau coincé entre les pouces et le végétal. Attentif aux gestes pour les reproduire avec application.

Une fois qu'Hush est sûr que Suu regarde, il reprend son oeuvre qui, pour le moment, ne ressemble pas à grand chose. Doucement, il fait les gestes qu'il a déjà effectué des milliers et des milliers de fois. Le pousse posé en contre-bas sur le bois, le couteau qui glisse lentement, le copeau de bois qui tombe sur le sol. Il répète le geste trois fois, lentement, tout en gardant un oeil sur son fils qui joue sagement sur le sol. Après, il relève la tête vers Suu et lui fait un signe de tête, l'air de dire "C'est à toi, montre-moi ce que tu sais faire".

Ils sont longs, les gestes. Fluides aussi, bien plus que lorsqu’il travaille sur ses propres petits bouts de bêtes mortes, alors il y fait attention. Le pouce sur le bois. Le couteau qui glisse. L’épaisseur du copeau. Compris.

Ou pas. Le premier est trop profond, le second n’est pas droit. Suu ronfle de vexation. Le troisième manque de déraper et lui entailler le doigts. Nouveau ronflement.

- C’est plus difficile que de l’os.

Ou alors c’est juste qu’il n’a pas du tout l’habitude du matériau. Mais il ne va pas se laisser intimider par un bout de bois idiot ! La quatrième tentative est un peu moins ratée et lui permet de comprendre qu’il doit suivre le grain du bois au lieu de se battre contre lui. Un marmonnement satisfait s’en suit, il a l’air de prendre un peu le pli.

- C’est grave si ça ne finit pas du tout avec une tête de jouet pour enfant ?

Là c’est parti pour être… Une oeuvre d’art moderne au mieux. Un truc difforme au pire. Au moins s’il le donne à mâchonner il y aura une utilité à la chose.

Hush observe les mouvements de l'homme, penche la tête, fronce les sourcils, acquiesce finalement. Entre deux oeillades, il fait tomber un nouveau copeau de bois sur le sol. Il est attentif aux mouvements de son élève, qui apprend vite de ses erreurs, sans même qu'il n'ait besoin de lui expliquer ce qui ne va pas dans son geste. Il rectifie seul, continue à avancer. Hush a un rire silencieux, avant de poser au sol ce qu'il fait. Il hausse alors les épaules. Il fait glisser ses mains l'une contre l'autre dans une tentative de se débarrasser de la sciure de bois. Puis, il prend son carnet.

"N'essaie pas de sculpter avec ta tête. Sculpte avec ton cœur."

Il faisait référence à ce que serait sa création. Ca n'avait pas d'importance. Il ne fallait simplement pas trop y réfléchir. Il se rappelait encore des mots silencieux que lui avait offert sa mère, alors qu'il n'avait pas encore sept ans. La beauté ne se pense pas. Elle se vit. C'était en pensant à elle qu'il écrivit à nouveau.

"N'ait pas peur du couteau. Laisse-le aller. Si toi tu ne sais pas, lui sait où il va."

Puis il tendit son carnet à l'homme, et dans un même temps, il sortit une protection de cuir qui s'enfilait sur les doigts sans gêner les mouvements. Il le tendit à Suu. Comme ça, il ne craindrait plus de se couper.

Sculpte avec ton coeur. Ben voyons. Avec l’âme des cartes aussi ? Non, ça va, c’est bon, il fait un effort. Avec le coeur on a dit.
Il ferme les yeux.
C’est une idée débile. Il les réouvre.

- J’ai pas trop peur du couteau.

Au pire il se coupe, du coup il refuse d’un petit “non” de la tête la protection, pas tant par fierté que pour continuer de sentir le grain du bois et le fil du couteau. Il trouve ça plus facile pour apprendre.

- ‘gentil d’avoir proposé.

Bien, il apprend aussi la politesse. Et il en retourne à son oeuvre manuelle, essayant de sentir l’âme du bois ou un truc du genre.
Elle lui dit de s’y prendre autrement. C’est un drôle de mélange entre sa manière de tenir le couteau lorsqu’il grave des os et celle que lui montre l’inconnu : pas exactement à la verticale, pas totalement horizontal non plus, il commence à creuser une hélice dans la matière organique.

- Tu as appris comment ?

Certainement pas en faisant n’importe comment contrairement à lui-même, qui recommence distraitement à mieux tenir le couteau pour arrondir un des bords de son oeuvre.

Il ne souhaite pas de l'aide que lui propose Hush. Loin d'être vexé, l'homme sourit et range sa protection dans son sac. Il le regarde toujours faire, en se concentrant en même temps sur ce qu'il fait et en surveillance son fils. Sa concentration demeure fébrile, mais puisque sa touche son art et son fils... Il réfléchit un instant à la question de l'homme, repose à nouveau son bout de bois et écrit.

"Ma mère était artiste. Elle m'a appris tout ce que je sais faire en art Mon père aimait beaucoup tailler le bois, lui aussi. Puis j'ai continué à apprendre tout seul, en me servant de ce que je savais déjà.
Et toi, où est-ce que tu as appris ?"

Ha tiens oui, c’est pas pratique cette histoire. Difficile de papoter tout en s’occupant les mains lorsqu’on ne parle pas, il n’y avait pas totalement réfléchi. Il fera mieux la prochaine fois.

- Sur le tas.

Suu hausse les épaules. L’information ne lui semble pas vraiment importante.

- J’avais beaucoup de temps libre et il fallait quelque chose à faire qui demande pas beaucoup de matériel. C’était jouer aux cartes, raconter des ragots, ou trouver une activité manuelle.

Il frotte du doigt du le bois pour souligner l’idée autant que pour chasser les débris issus de sa gravure.

- J’ai trouvé celle-là. ‘Fin non, j’ai trouvé que nettoyer des os ça m’amuse, et après je me suis rendu compte que les rendre jolis c’était bien aussi. Mais du coup j’ai jamais eu de prof et j’ai toujours fait avec ça.

Il sort un couteau à cran d’arrêt fermé de son pantalon, le tend vers l’homme silencieux s’il veut le voir. Ce n’est qu’une bête lame et un manche en carbone mais c’est son bête couteau, ça change tout.

- Ca doit être plus efficace d’apprendre avec des artistes ? Je sais pas. Ca doit aider à faire des trucs jolis en tout cas.

Hush écoute Suu parler, lui raconter comment il appris et ce qu'il sait. En sommes, même s'il avait les bases, Hush aussi a appris sur le tas. Au fil du temps et des essaies, jour après jour, saison après saison, alors que l'orage ou le soleil frappaient sur sa tête. L'un ou l'autre, l'un et l'autre. Il ne sait plus. Il profite du son de la voix de l'homme pour continuer son œuvre, se laisser bercer par ses mots et par les babillements de son fils. Lui aussi, aurait beaucoup a raconté. Plus tard, peut-être pourra-t-il dire comment il a appris à tailler le bois et la pierre - ou peut-être n'aimera-t-il pas ça. La parole revient finalement à Hush, et le jeune homme reprends son carnet.

"C'est une belle façon d'apprendre. L'instinct sait beaucoup de choses que la conscience ignore.
J'ai appris avec des artistes jusqu'à mes sept ans seulement. J'avais déjà une idée de la technique. Le reste, mon instinct l'a fait pour moi.
Tu t'en sors bien. Je n'ai jamais essayé avec des os."

- L’instinct c’est bien mais sur une base propre, c’est mieux. Je crois. Ca empêche pas de faire des trucs bien de pas avoir de maître d’apprentissage, hein, m’bon…

Mais bon, c’est pas ses oignons ça. Hop, haussement d’épaules, on passe à autre chose. Dans le cas présent, autre chose c’est farfouiller dans le sac qui contient ses achats louches de plus tôt pour essayer de trouver quelque chose qui puisse convenir.

- Tu veux essayer ?

Suu relève le nez de ses affaires. C’est vrai que demander avant de sortir une corne comme ça au débotté ça serait mieux.

- Travailler de l’os, je veux dire.

Hush le regarde, surpris. Il ne s'attendait pas à ce que l'homme sorte de l'os comme ça de son sac, il faut bien l'avouer. Pourtant, il le fait, et Hush observe la pièce pendant de longues secondes. Il est déchiré entre sa curiosité et son envie d'appendre et les principes qu'il a en lui depuis toujours ; ce respect du vivant et de ce qui l'a été. Est-ce vraiment un manque de respect que de sculpter sur un os que l'on a pris sur un animal certainement pas tué spécialement pour l'occasion. Hésitant, il fronce légèrement les sourcils avant de se redresser pour s'accroupir, en équilibre sur ses orteils.

Et finalement, il hoche la tête, presque timidement et tend ses deux mains pour aller récupérer la corne. Il n'a d'yeux que pour elle et l'histoire qu'elle renferme, qu'il ne peut qu'imaginer. Il ne sait pas de quel animal elle vient. Il ne connait ni son âge, ni l'endroit dans lequel il a vécu. A-t-il été heureux ? Avait-il une famille ? Est-il mort jeune, ou vieux ? A-t-il rendu l'âme d'une façon naturelle ? Ou Suu a-t-il eu cela ? Hush relève la tête vers l'homme en fauteuil roulant, le regard plein des questions qu'il ne saurait posé.

C’est quoi, ce regard interrogatif ? Ca veut tout dire, ça veut rien dire, il faut pas demander à un handicapé de la compréhension des autres comme Suu de lire une âme dans une paire de mirettes…

- C’est de l’antilope. Pas une espèce rare.

Il fait avec ce qu’il a compris de la culture Mo’at, ce qu’on lui a expliqué. C’est pas beaucoup. C’est déjà mieux que rien.

- Je l’ai pas achetée à un type louche, c’est un Mo’at alors je pense qu’il fait les choses proprement, j’aurais préféré nettoyer la carcasse moi-même mais j’ai pas pu. Ca se taille avec la pointe du couteau plutôt que le tranchant.

Est-ce qu’il a oublié quelque chose… Ha, oui !

- T’es pas obligé de le faire si tu veux pas.

Hush hoche la tête, satisfait par les informations que le jeune homme lui donne. Il n'est pas obligé, il le sait. Plus personne ne peut l'obliger à rien, désormais. Il est libre. Depuis trop peu de temps pour que ce soit négligeable. Et c'est bien parce qu'il est libre qu'il a envie d'essayer ; de pouvoir dire librement s'il aime ou pas. Sans pour autant le refaire une seconde fois, ni déroger à ses croyances profondes quant à la nature et le respect qu'il faut lui vouer.

Alors, il prend la corne dans ses mains, délicatement, comme s'il avait peur de la briser ou de l'abîmer. Il la fait tourner entre ses doigts, s'imprégnant de la texture, des aspérités qui la jonchent, des imperfections qui la rendent si odieusement parfaite. Il fouille dans son sac, jusqu'à en sortir le couteau qu'il utile pour tailler les bois les plus durs. La lame comme le manche sont larges, d'une forme particulière qui lui offre une plus grande solidité. Doucement, il la pose sur la corne, demeurant immobile. Il ne veut pas rater. Il ne veut pas abîmer. Il ne veut surtout pas gâcher. Alors, il relève la tête vers Suu. Et maintenant ?

- Pointe.

Suu dépose son bout de bois sur ses jambes, retourne prendre le croc et ses motifs géométriques pour montrer l’idée. Le couteau bien tenu, le pointe contre l’émail, il prend tout son temps pour faire son geste. Lui apprend comme ça, en regard, en reproduisant, alors il ne sait pas vraiment expliquer autrement.

- C’est un peu comme le bois, faut sentir… Je sais pas trop. La corne. Pas appuyer trop fort, sinon tu sors des bouts trop gros.

Et il se penche un peu en avant, pour essayer de mieux voir les gestes de l’inconnu. Ca l’intrigue de savoir comment il va s’y prendre.

- C’est comme tout, ça vient avec l’habitude.

C’est ce qui se fait de plus rassurant comme affirmation, quand on est un gros pas doué comme monsieur Galwaïn.

Hush observe. C'est sûrement une des activités dans lesquelles il est le meilleur : l'observation. Lorsqu'il était petit, son père lui a appris à observer autour de lui. Depuis, il n'a jamais rien perdu de ce qu'il lui a appris. Alors, Hush essaie de sentir la corne dans sa main. Son énergie, sa forme, ses forces et ses faiblesses. La vie, puis la mort. L'artiste fronce les sourcils, et doucement, il entreprend de découper un premier bout, essayant d'imiter au mieux les gestes de Suu. C'est très différent du bois. En réalité, il trouve que c'est tout à fait entre le bois et la pierre. L'esprit du bois, le corps de la pierre. Alors il essaie d'ajuster, de caresser l'objet, de le creuser sans l'abîmer. Lorsqu'il termine son premier mouvement, il relève la tête vers Suu, demandant silencieusement son approbation et ses conseils.

- Hm-hm.

Ca c’est Suu, qui ne perd pas une miette de ce qui se passe devant lui. Le geste est analysé, décortiqué, autant qu’il le peut à cette distance. Vu le petit bruit appréciatif que sort le pilote c’était un bon mouvement.

- Le truc c’est de faire les mouvements les plus longs possibles. Sinon ça fait… Des traits poilus.

Il rit tout seul de sa formulation tellement elle est débile. Des traits poilus. Franchement.

- Des accrocs dans la corne. C’est plus dur à poncer que le bois alors avec un long geste, il y a moins de faux raccords.

En parlant de bois, il a un bout à finir de travailler. Il s’y remet après s’être redressé, avec les gestes tranquilles de celui qui commence à prendre un peu d’assurance -et qui manque de s’ouvrir le doigt au passage.

- Tes parents ne travaillaient pas de matière animale ?

Balancer qu’il a rencontré une Mo’at qui lui a parlé d’artisanat en os ne se faisant pas, il reste très poli et se contente d’y penser.

Hush se concentre à nouveau, hochant la tête pour signifier à Suu qu'il a bien compris ses conseils. Apparemment, il n'a pas l'air de trop mal s'en sortir. Il est pourtant bien incapable de dire s'il aime ou déteste ce qu'il est en train de faire. C'est une sensation nouvelle, particulière ; une série d'action qu'il n'a pas l'habitude d'effectuer, sur un support qu'il n'a pas l'habitude de tenir entre ses mains. Lui qui a une bonne mémoire du toucher se retrouver presque désœuvré devant cette matière qu'il connait pourtant. Il recommence son geste, de façon plus longue, comme le lui a dit Suu. C'est effectivement plus joli. Moins "poilu". Il avait souri devant la formulation de l'homme, trouvant cela très joli et bien imagé. Peut-être cela resterait-il. Finalement, il pose un instant son ouvrage pour prendre son carnet.

"Si. Nous avons les peaux pour les vêtements, les os pour les outils, et nous mangeons la viande. Mais nous n'utilisons pas les os pour faire de l'art. Nous utilisons l'animal avec respect, pour ce dont on a besoin pour vivre. Les armes, la nourriture, les constructions. Parfois, nous avions des colliers avec les petits os restants. Mais les gros os ne servent pas pour l'art. Ils servent pour la vie."

En fait il s’est fait à la communication par carnet. Il repose le bois, prend le papier, lit, rend le papier, reprend le bois. Un cycle facile, répétitif. Il aime bien les répétitions.

- Les boutons et les manches d’armes et les montants de tente. Je vois le truc.

Et les flûtes. Il veut toujours en faire une, l’idée ne part pas même s’il ne sait absolument pas faire de musique.

- Pas le temps et le besoin de faire des jolis peignes en corne quand on essaie de survivre chaque jour, ça serait fiche en l’air des ressources.

Ce qui semble rendre songeur Suu. Les pensées doivent finir par se faire la malle, puisqu’il reprend vie d’un coup. Sa question suivante est posée respectueusement, avec une attention particulière pour ne pas être une grosse brute trop franche.

- Du coup tu travaille le bois que pour les jouets de ton fils ?

Aäsh'an hoche la tête et sourit. L'homme semble avoir compris rapidement ce qu'il voulait dire, ce qui lui fait penser qu'il est peut-être déjà familier avec l'univers des mo'ats. Lui-même a vécu plus de temps avec les envahisseurs qu'avec les mo'ats, dans sa forêt natale. Cela ne l'empêche pas d'avoir une certaine culture de son mode de vie ancestral, et il sait que ses parents portaient une importance particulière aux ressources qu'ils utilisaient. Il s'agissait de respecter la nature et ce qu'elle pouvait offrir ; ne jamais prendre plus que de besoin, et rendre en retour. Hush passait du temps à planter des arbres avec ses parents ; parfois, des hommes de la tribu soignait des animaux blessés - ceux qui pouvaient survivre encore et qui ne pouvaient pas être des ressources utiles pour les Hommes. C'était une harmonie particulière, que les envahisseurs avaient totalement perdu de vue, s'appropriant ce qui ne leur avait jamais appartenu. Perdu dans ses pensées, il n'eut pas même le temps de reprendre son ouvrage qu'il avait déjà, à nouveau, son carnet entre les mains.

"Non. Je fais des outils, des meubles, et parfois des sculptures ou des maquettes. Mais je fais beaucoup de jouets, depuis la naissance de Tobias.
Tu as des enfants ?"