Well my heart is gold and my hands are cold

Assis au bar d'une des salles principales du Crust, Gaël fixe le fond de son verre ou les lumières se reflètent au travers l'alcool qu'il ne boit pas. Il a prit de la drogue plus tôt bien sûr, aussi ses mains ne tremblent pas et les signes de manque sont loin, mais il ne souhaite pas s'intoxiquer outre mesure. Pas ce soir. Pas avec ce dont il doit parler avec Raedhun. Mais la nervosité, l'inquiétude et le sentiment qu'on lui serre la gorge depuis que toute cette histoire a commencé lui font regretter cette résolution.

Ce ne sera pas la première fois qu'il aborde la question avec la belle propriétaire du Crust. Il lui a déjà dit que sa mère cherchait à le marier. Lui a déjà parlé de ses obligations familiales, de ses obligations de noblesse qu'il fuit depuis des années. Lui a déjà parlé de cette soirée avec Bartolomea et des plans fous de sa mère alors. Il ne l'a simplement pas revu depuis que les choses ont bougées, que leurs familles se sont parlées, ont prit un accord et que tout est allé beaucoup trop vite. Et cette conversation qu'il doit avoir aujourd'hui avec celle qu'il aime, il préférerait ne jamais l'avoir.

S'il pouvait, c'est elle qu'il voudrait épouser. Mais Raedhun ne laissera pas son mari pour lui, et jamais Gaël ne le lui demanderait. Alors quel autre choix lui reste-t-il? Il pourrait rester son amant, dans l'ombre et l'ignorance de tous, jusqu'à disparaître. Mais il ne peut pas faire ça à ses parents. Il ne peut pas abandonner ce devoir qui est encré en lui malgré tous ses efforts pour le fuir. Alors il a les pieds et poings liés.

Alors il l'attend simplement, ravalant sa nervosité et son impression de s'éteindre, que sa vie ne lui appartient plus. Au moins, simplement la voir, même si elle lui en voudra, même si elle lui hurle dessus et même si elle lui dit qu'elle ne veut plus jamais qu'il l'approche le fera peut-être se sentir réellement vivant une dernière fois.

C'est une putain de journée. Tout se passe bien, mais on est débordés. Non pas que ce soit super différent de d'habitude. En fait, c'est même plutôt la routine. Et au-delà de ça, on s'y habitue, et je sais très bien que je me ferais chier comme un tawtute crevé si ça changeait. On engage pourtant des gens, dans l'espoir que ce soit un peu moins intense, mais au fond, je sais bien que j'aime ça. Bref, je règle des trucs en cuisine - les derniers détails pour notre buffet à volonté de ce soir, à base de centaines de petits fours et autres gourmandises. Mais en vérité, j'arrive pas trop à être super concentrée. Et pour cause ! J'ai rendez-vous avec Gaël, que j'ai pas vu depuis plusieurs... Semaines, déjà. Il avait l'air un peu inquiet par message, alors je sais pas trop à quoi m'attendre.

Je termine donc rapidement mes obligations en cuisine, et c'est avec une promesse de revenir aider un peu plus tard que je m'éclipse. Je trouve Gaël dans notre lieu de rendez-vous, et je sais qu'il m'attend depuis certainement un petit moment déjà.

- Salut, toi.

Égale à moi-même, je souris pas en le voyant, mais c'est clair que je suis heureuse qu'il soit là. Waal' aussi est heureuse, et elle siffle sur mes épaules, alors que je vais le serrer dans mes bras. Bordel, c'que je suis contente de le voir.

Gaël entend sa voix et relève la tête pour la voir arriver, et dès que ses yeux se posent sur elle deux choses simultanées se passent. À la fois, il a enfin l'impression de pouvoir mieux respirer, que la tempête autour de lui s'apaise et qu'une vague d'affection saisit sa poitrine, ainsi que l'impression  que la tristesse l'emporte sur tout le reste. C'est peut-être la dernière fois qu'il la voit l’accueillir comme ça. C'est peut-être la dernière fois qu'il sera le bienvenu, ici comme dans ses bras. Et ça, peut-être encore plus que tout le reste, ça le tue de l'intérieur.

"Hey..."

Il sourit doucement, sans chercher à cacher la pesanteur sur ses traits pour une fois, et referme ses bras autour d'elle pour la serrer fort contre sa poitrine. Il enfouit son nez dans son cou et ses cheveux, respirant son odeur en fermant les yeux, juste... bon sang qu'elle lui a manqué et qu'il est terrifié à l'idée de la perdre. Il la relâche néanmoins et se dessine une expression plus douce.

"Comment tu vas? J'ai cru comprendre qu'c'était une grosse soirée, c'soir. J'peux... revenir plus tard, ou un autre jour, s'tu préfères."

Pour ne pas la déranger, certes, mais surtout pour ne pas lui lâcher cette foutue bombe alors qu'elle doit encore travailler ce soir.

Il est là, presque plus pâle que d'habitude. Il a son air grave, qui est à la fois pareil et différent des autres fois. J'sais pas trop si je dois m'inquiéter, entre ça et le ton de ses messages quand on a fixé ce rendez-vous... J'vais sûrement être rapidement fixée de toutes façons. J'sais pas franchement si je dois déjà m'attendre au pire ou pas. Boarf, à quoi bon ? J'suis pas du genre à trop m'inquiéter, et puis même s'il m'annonce une maladie incurable, j'aurais qu'à profiter de lui jusqu'au dernier instant. On meurt tous un jour, non ? Je ferme les yeux quand il me serre contre lui, et je profite de cette douce ivresse qui m'emporte juste un moment.

- Nan t'inquiètes, j'ai un peu de temps devant moi. Et ça va bien, la routine, les affaires, les journées toujours aussi intenses, tout le bordel. Il faut absolument que je te fasse goûter ce que j'ai fait pour ce soir. Tu restes ce soir, d'ailleurs ? Ca me ferait plaisir de te voir à la soirée. Mais j'en oublie mais putain d'bonnes manières. Comment tu vas toi ?

Il m'a tellement manqué. Pourtant, j'suis pas du genre à souffrir de l'absence de quelqu'un qui est pas là. Mais maintenant qu'il est devant moi, j'ai l'impression d'avoir des milliards de trucs à lui raconter.

Gaël l'écoute parler avec un léger sourire fatigué au coin des lèvres et une affection évidente au fond de ses yeux sombres. Juste entendre la voix de Raedhun lui fait un bien fou. La question tombe néanmoins sur comment lui se porte, et bien qu'il soit particulièrement doué et habitué de mentir, l'Impérial ne se sent pas de tromper la blonde. Il opte donc pour une demi-vérité.

"Ça va mieux, maintenant qu't'es là."

Il la serre un peu mieux et vient déposer un baiser sur son front. C'est un poil trop cliché comme phrase, mais il est sincère. Gaël hoche ensuite la tête et, même si c'est loin d'être le genre de soirées qu'il apprécie, lui répond :

"Ouais, j'peux rester. T'crois qu'on pourra s'voir après, juste toi et moi?"

Parce que pas question qu'il lui annonce la nouvelle avant sa soirée et qu'il y a toujours la possibilité que Robert soit sur le Crust et donc que Gaël doive s'éclipser sans revoir la belle après la soirée. Il aimerait vraiment pouvoir être honnête le plus rapidement possible avec elle, mais pas à n'importe quel prix, alors il espère vraiment que le marie de Rae, comme souvent, est absent.

J'souffle par le nez pour manifester mon amusement, mais au fond, j'suis plus inquiète qu'autre chose par tout ça. J'sais que Gaël est pas l'type le plus joyeux du monde, et j'sais qu'il peut y avoir un demi milliard de raisons pour lesquelles il est comme ça. J'ai envie qu'il crache le morceau et qu'il m'dise tout maintenant, alors je suis un peu contrariée quand il se contente de me demander si on pourra se voir après.

- Ouais, bien sûr. J'risque d'terminer mon shift tard, mais si t'es pas trop vieux et fatigué pour m'attendre, ça va m'faire plaisir.

Je me détache de lui et le regarde avec sérieux, genre comme je l'ai rarement regardé.

- Bon, et maintenant, si tu me disais ce que t'as ?

L'impérial rit un peu et secoue la tête, une lueur de malice revenue dans ses yeux sombres malgré la lourdeur sur ses traits.

"J'suis pas encore assez vieux pour ca, bella. T'les prends pas encore en gériatrie, tout va bien."

Puis elle le regarde sérieusement et il sait déjà, avant même d'entendre sa question, qu'elle ne lâchera pas le morceau aussi facilement et attendra ce soir. Il grimace alors un peu, pinçant les lèvres et se passe une main dans les cheveux. Il ne gagnera pas ce combat-là, à moins de complètement se fermer à elle, ce qu'il ne souhaite pas faire. Pas maintenant, pas aujourd'hui, pas jamais s'il en a la possibilité.

"Rien qui nécessite d'être traité tout d'suite, j'te l'promets. C'est... en lien avec ma famille, des attentes d'mes parents et d'mon futur titre, comme j't'ai déjà parlé. Et même si c'pas urgent, j'préfère attendre après ta soirée. J'veux pas... t'gâcher quoi qu'ce soit."

Mais quelque chose lui dit que c'est déjà foutu.

Il m'assure qu'il va pas être trop fatigué après, et son rire me fait du bien. S'il peut encore rire, même avec ce ton grave, c'est qu'y a pas encore mort d'hommes.

- Oh tu serais sûrement surpris de savoir c'que je prends parfois.

Les vieux riches, j'les appelle pas les vieux riches pour rien. Mais bon, c'est pas le sujet pour le moment. Il comprend que je suis sérieuse et que j'ai pas la moindre foutue envie d'attendre pour que Monsieur me déballe tout. J'ai pas non plus l'intention de lâcher l'affaire. Et s'il me donne des indices, j'ai un peu de mal à voir où il veut en venir.

- Ouais et ? Continue.

Ma voix est un peu sèche et dure, mais j'ai pas franchement le temps de faire autrement, et aucune envie de le supplier. J'voudrais bien le rassurer et lui dire qu'il va rien me gâcher, mais vu comment il cause, je m'attends déjà à ce qu'il me dise qu'il peut pas être avec moi et que c'était bien sympa de me baiser, mais qu'il peut pas foutre sa queue dans les trous d'une femme de quarante piges qui veut pas d'enfants et qui est déjà mariée, parce que c'est clairement pas assez bien pour sa famille.

Elle ne semble pas du tout disposée à laisser l'affaire couler pour l'instant, malgré son plaidoyer et sa demande, et Gaël grimace de nouveau. Au moins ils sont seuls là maintenant, et pas au milieu d'une sale bondée. S'il doit vraiment lui lâcher le morceau maintenant, c'est probablement le seul point positif.

L'impérial inspire alors un grand coup, puis laisse échapper un soupire qui font s'affaisser ses épaules et le faire paraître encore plus vieux qu'il ne l'est en réalité. Il la regarde alors avec une douleur au fond des yeux qu'il n'essaie pas de cacher.

"Okay... okay."

Il noue ses mains ensemble et les serre avec l'impression qu'il va prononcer sa propre sentence.

"Mes parents ont parlés aux De Caetano. Plus qu'ca même... ils ont convenus un accord d'mariage. Accord qu'Bartolomea a accepté. Ils attendent qu'ma réponse pour officialiser les fiançailles."

Il baisse les yeux. C'est difficile, ca fait mal, mais il ne veut pas laisser le silence s'installer assez longtemps pour que Raedhun aille s'imaginer les pires choses, alors il se fait violence.

"Je l'aime pas, Rae. Joder, j'la connais à peine... C'est toi qu'j'aime. Y a rien qui changera ca. Je... j'suis juste perdu. Perdu entre c'que j'veux, c'que j'pourrais jamais avoir et mes obligations. Toute cette foutue situation, mes responsabilités... elles m'tuent et j'les déteste. Mais c'que j'veux, ca a pas d'poids dans aucune foutues balances."

Ni dans la balance pour avoir Raedhun, ni dans cette de son honneur. Il n'aura jamais ce qu'il veut vraiment.

Ma seule réaction quand il lâche la bombe, c'est d'hausser un sourcil. Je le regarde comme ça pendant de longues secondes, sans rien dire, sans rien montrer de ce que je pense ou de ce que je ressens. En même temps, moi non plus je sais pas trop ce que je ressens par rapport à ça. Tant mieux pour lui ? Ou plutôt tant pis ? J'suis née dans ce bordel là, j'sais ce que c'est le devoir familial et tout le bordel. Honneur, mariage forcé, gamins. Tout c'que j'ai fui, en fait. Mais je comprends que c'est pas franchement facile pour tout le monde de fuir. Si Rob avait pas été là, que je l'avais jamais rencontré, peut-être que j'aurais été une de ces nanas. Ou peut-être que je me serais laissée crever, j'sais pas, et j'saurais jamais.

- J'comprends.

Ouais, j'comprends. Et j'serais un peu mal placée pour lui dire que je désapprouve. Ca me débecte, le mariage forcé, mais je sais qu'il y ait pour rien. Ouais, peut-être qu'une partie de moi est déçue. Pas parce qu'il se marie, mais parce qu'il se marie de force. Parce que lui, le grand mec sensible mais fort dont je suis tombée amoureuse - bordel j'ai vraiment pensé ça ? -, il accepte de se laisser marier de force. Il a raison quand il dit que son avis compte pas, que ce qu'il veut a pas d'poids. Mais n'empêche qu'il va se marier avec une nana qu'il aime pas.

Tilt.

- ... Attends, de Caetano ?

Elle comprend. C'est tout ce qu'il pouvait espérer, en réalité. Qu'elle comprenne la complexité de sa position, que ca ne change rien à ce qu'il ressent pour elle et qu'il restera présent à ses cotés aussi. Qu'elle ne s'emporte pas. Que finalement, il ne lui brise pas le coeur. Mais ces simples deux mots... ils le laissent à retenir son souffle, comme s'il s'attentait à une suite. À un "mais" peut-être, surement. À quelque chose qui va venir brisé la brève pointe d'espoir et de soulagement qui est venue avec en premier lieu.

Pourtant ces mots ne vienne pas. À la place, l'interrogation de Raedhun le prend de court.

"Oui, Bartolomea de Caetano. Tu... t'connais c'nom?"

Visiblement, en tout cas. Mais il ne sait pas comment lui demander autrement de préciser. D’où? Pourquoi? Mais surtout, est-ce que ca change quelque chose? Parce que n'importe quoi qui pourrait lui arraché un peu plus de ce qu'il a, un peu plus de sa liberté et de sa vie... de Raedhun... le terrifie plus qu'il ne pourrait l'avouer.