[CRUST] Une recette explosive [Jadis & Raedhun]

La journée commence bien - si seulement elle a eu un début. C'est plutôt tranquille. Faut dire qu'on a pas beaucoup de clients qui viennent depuis Oscuro. C'est surtout des vaisseaux venus de loin et des travailleurs miteux, couverts de poussière et de saleté. Mais c'est pas grave. Ca nous fait une bonne pub, et on va pas rester là éternellement. Juste assez de temps pour faire quelques travaux, ajuster notre affaire et recruter plus de personnel avant de s'installer autour des grands pôles de la galaxie - genre Hope ou Renaissance.  Mais bref. C'est pas l'heure où les clients venus de la terre débarquent. On a quelques vaisseaux amarrés, des clients à satisfaire. J'fais mon tour, histoire de voir si quelqu'un a besoin d'aide quelque part. J'me fais presque virer de ma propre cuisine, j'me balade de salle en salle, tranquillement, Waalan sagement enroulée autour de moi.

Moi, j'suis comme d'hab. Un short court et ample, un tee-shirt avec un décolleté qui m'arrive au nombril, les pieds nus et les cheveux lâchés. J'siffloterais presque si j'avais pas un minimum de bienséance et de respect pour les clients qui pourraient entendre - et qui ont pas besoin de voir leurs oreilles abîmées par un tel putain de massacre.

Le Némésis s'était amarré au Crust pour une halte bien méritée après plusieurs semaines d'aventures aussi éreintantes que stimulantes ─ et fructueuses en butin. C'était la première fois que Jadis mettait les pieds à bord du vaisseau-restaurant, et la simple évocation d'alcools variés de bonne qualité avait suffit à la convaincre de sortir de sa tanière.

À son arrivée, en compagnie d'autres membres de l'équipage, la blonde avait été conduite dans un salon spacieux, aux lumières tamisées et chaudes, et était confortablement installée dans un fauteuil d'un rouge vif, un peu à l'écart, un verre dans une main et une grille de sudoku dans l'autre. Plusieurs verres se succédèrent sans qu'elle eut l'air de trop en souffrir. Alors que le casse-tête de chiffres réchauffait agréablement ses méninges, sa vessie l'implora subitement de trouver des toilettes. Elle s'en fit indiquer la direction, et, une fois soulagée, elle entreprit de se dégourdir un temps les jambes, et le dos, faisant quelques pas dans le couloir adjacent.

Elle croisa la route d'une femme et, si dans un premier temps elle remarqua d'abord ses pieds nus, son regard croisa ensuite le reptile enroulé autour de son cou. Sans subtilité, sans grâce, Jadis marqua l'arrêt en plissant les yeux : "C'est un vrai ?" déclare-t-elle comme si elle sentait que son esprit pouvait lui jouer un tour. "Ou alors ces alcools sont vraiment traitres." Elle hausse un sourcil dans une moue dubitative. Elle n'avait pas croisé tant de Naä'ngi que ça jusqu'ici.

Dans mon tour d'horizon, j'croise quelques clients, certains qui ont l'air plus paumés que d'autres. Y a cette femme là, cette blonde assez mignonne, qui m'interpelle au détour d'un couloir et m'regarde comme si j'étais le truc le plus bizarre qu'elle ait jamais vu. C'est possible. Il parait que c'est pas si commun que ça, de se balader presque à poil avec un naän'gi de plus de sept mètres enroulé autour du corps. Elle a l'air d'avoir picolé pas mal, mais on m'l'avait encore jamais faite le coup de "c'est un vrai ?". Comme si j'me baladais avec un faux naän'gi autour du corps. Faudrait être dingue, nan ? ... Tout compte fait, c'est pas plus dingue que de se balader avec un machin qui peut atteindre les vingt putain de mètres et qui peut vous assommer n'importe quoi avec une seule morsure. Alors j'hausse les épaules d'un air presque désabusé.

- Les deux. Mais j'suis plus tellement sûre pour elle.

J'montre Waal' qui relève sa grosse tête vers l'inconnue, curieuse. Elle a bien compris qu'on parlait d'elle, et comme elle a une âme de diva, ça a pas manqué. J'me rends compte que j'ai peut-être pas été assez claire dans ma réponse. Elle va pas me prendre au sérieux, hein ?

- Vous avez commandé quoi pour commencer à douter de vos sens à ce point ?

Jadis relève des yeux ronds vers son étrange interlocutrice, un instant interdite. "Absolument tous les trucs les plus chers que le charmant barman, là-bas, avait à me servir." Elle joint le geste à la parole en désignant le salon dont elle s'était éclipsée quelques instants plus tôt. Pas de sourire pour autant, seulement une moue éternellement las au coin des lèvres, et l'interdit de son regard ayant laissé place à son abattement habituel. "C'était bien mieux que le rhum bon marché dont je me contente d'habitude." Elle opine du chef en réponse à elle-même. Son attention se reporte sur le reptile, dont la carrure et les couleurs l'hypnotisent quelque peu. "Mais il m'en faudrait encore plus que ça pour vraiment mettre à mal ma lucidité." ajoute-t-elle, comme si douter de la réalité du serpent un instant plus tôt était déjà anecdotique.

"Enfin bref. Qu'est-ce qu'vous faites ici, vous ?" Si on pouvait avoir des réserves sur la dite-lucidité, il fallait admettre que l'alcool la rendait tout de même un peu plus supportable pour ses congénères. Pis ; cela la rendait parfois un peu sociable. "C'pas tous les jours qu'on voit un naän'gi de cette taille, là." Elle plisse les yeux de plus belle en faisant mine d'avancer un peu la tête, absorbée par l'enchevêtrement d'écailles brillantes qui concurrençaient aisément n'importe quel bijou...

J'reste con pendant au moins trois secondes. Tous les trucs les plus chers ? Soit elle est richissime, soit elle vient de se ruiner, voire de s'endetter pour les cinq prochaines générations. Moi c'que je retiens, c'est que j'sais pas qui est cette cliente, mais j'l'aime bien, et le barman doit beaucoup l'aimer aussi. Il sait très bien qu'il aura une prime pour ses ventes.

- Ben putain. Vous avez une sacrée résistance. Généralement, après deux-trois verres du meilleur rhum servi ici, j'commence à plus y voir bien clair.

Elle a pas l'air plus souriante que moi, et comme j'ai pas envie d'me forcer, ça donne deux nanas pas très clean qui tirent la gueule en plein milieu d'un couloir. J'me fumerais bien un joint, là. Mon dernier remonte à déjà... Deux heures ? J'sais pas, un truc comme ça. J'lui tends la main.

- Raedhun Van Haten. Aussi dingue que ça puisse paraître, j'suis la proprio. Et vous ? Vous êtes venues juste pour m'enrichir en achetant les trucs les plus chers de la carte ?

"Mh, ça demande juste un entraînement régulier quoi" répond-t-elle, sur un ton de confidence, presque fière de son péché à demi-avoué. Elle l'écoute ensuite se présenter et réalise qu'elle a vraiment le chic pour rencontrer les gens potentiellement réputés et importants à chaque fois qu'elle force un peu trop sur la bouteille.

Un peu nigaude, elle lâche simplement : "Ah. Ah bah c'est joli chez vous." Elle ne calcule pas bien les mots qui sortent de sa bouche. Elle se répète en pensée le nom de sa nouvelle rencontre, pour tenter de la retenir au moins à court terme. Raedhun. Puis elle serre la main tendue à son encontre. "Moi c'est Jadis. Ouais. Jadis." répète-t-elle comme si son nom pouvait s'envoler après avoir été prononcé. "Aussi dingue que ça puisse paraitre aussi, je suis médecin à bord du Némésis." termine-t-elle pour se présenter. Sous le masque maussade on peut presque déceler une pointe de fierté. "Ce qui, techniquement, fait aussi de moi une pirate. Ouais." susurre-t-elle comme un secret. "Et pour vous répondre je suis là pour.. et bien, dépenser intelligemment un pécule durement gagné. On vit qu'une fois après tout, non ?"

- Ah ouais, j'aurais dû me douter que tu étais de ce bord là. J'ai croisé ta capitaine tout à l'heure.

Elle a l'air fière de son titre. Tant mieux pour elle. Je note donc que la médecin du Némésis est une ivrogne. Mais une ivrogne sympa - surtout avec les poches sympathiquement remplies. J'crois que ces pirates vont devenir de bons clients. J'ai bon espoir, en tout cas. La capitaine avait l'air charmée par les salles privées, et les salles à thèmes... Et le spa... Ouais, le spa, aussi.

- Du coup, j'te souhaite officiellement la bienvenue au Crust, Jadis.

Faut vraiment que je revois mes formulations de bienvenue. Pas que je sois stressée, mais p't'être que je veux trop en faire. Pourtant, je devrais avoir l'habitude. Et puis le tutoiement m'a échappé. J'm'en rends compte que maintenant. Tant pis, autant continuer sur cette lancée.

- Avec ton entraînement intensif, tu dois avoir faim, nan ? Je t'invite.