[85 ADD]
Elle est jeune lorsque la maladie ronge sa mère, petit morceau par petit morceau. Elle la regarde prendre tout ces petits bouts d’elle jusqu’à ce qu’il n’en reste rien sinon ce deuil précoce : elle constate la faiblesse de la chair et les limites de la médecine moderne. Elle se révolte dans son silence de petite fille, et la révolte fait germer la graine de l’ambition : À treize ans, orpheline du plus bel amour qui existe, Jadis connaît son futur ─ sans mauvais jeu de mot. Elle sera médecin, et alors les maladies seront vaincues et les petites filles ne pleureront plus leurs mamans disparues.

[90 ADD]
Si la perspective de devenir médecin n’avait pas changée, les tenants et aboutissants d’une telle carrière se précisaient. Jadis mène ses études avec brillo en dehors de Dorado, s'imprégnant bon gré mal gré de la culture de l'UC au sein d'une de leurs universités, bien loin de Paradis, et pourtant soutenue par son père. Le contact auprès de ses patients était plus enrichissant qu’elle ne s’y attendait et pourtant, il ne lui sembla pas suffisant. L’ambition appela l’ambition : elle devrait faire plus encore. Parvenue au bout de ces longues années d’études, elle entreprend rapidement de se plonger dans la recherche et participe aux essais cliniques de confrères plus expérimentés dans une clinique de l’UC…


[97/99 ADD]
La recherche stimule son optimisme et sa motivation, pourtant, elle est rapidement rattrapée par la réalité des choses. L’éthique rigide et couarde de ses ainés la frustre au plus haut point. Et ces multiples protocoles qui n’en finissent jamais ralentissent chaque entreprise ; elle ne voit là dedans qu’une folle perte de temps. Et tant de vies perdues !
À l’aube de ses vingt-sept ans, elle fait la rencontre de Jörgen, un jeune homme que la maladie commence à coloniser sans douceur. Plusieurs mois durant elle le suit, met en place plusieurs stratégies thérapeutiques pour anéantir leur ennemi commun. Pourtant, les jours passent et l’histoire se répète : la maladie avance, insidieuse, grignotant son patient sans que rien ne la ralentisse vraiment. Le sentiment d’échec est décuplé par les menottes protocolaires qui enserrent chacune de ses décisions.

Déconcertée par l’évidence qu’annonce l’insuccès des traitements disponibles, quelque chose se rompt au fond d’elle. Une rage sourde face à son injuste frustration des mois derniers...


Consciente malgré tout qu’elle mettait sa carrière en jeu, elle enfreint les règles en secret, pour le bien de son patient… et de ceux qui viendraient après lui. Ces nouvelles molécules étaient en tout point remarquables et révolutionnaires ; Les résultats mesurés sur les rats étaient tellement prometteurs ! Collaborer sur cet essai clinique lui offrait un accès aisé aux ressources dont elle avait besoin. Et puis... Jörgen était condamné de toute façon. Ne méritait-il pas qu’on se batte jusqu’au bout pour lui ? Il lui sembla évident que la réponse à cette question était oui.


[99/100 ADD]
L’autopsie, l’enquête, sa radiation de l’ordre… tout s’enchaîne à une vitesse étourdissante. Dans un élan d’impulsivité elle laisse sa vie d’avant loin derrière elle et fuit aussi loin qu’il le lui est possible. S’il avait été facile de laisser la culture trinitaire derrière elle, il l’était beaucoup moins d’accepter de se faire renier par ses pairs. Déçue et blessée quelque part, elle offre ses services aux plus démunis pour presque rien ; juste assez pour survivre ─ et pouvoir oublier.


Les verres s’enchaînent jusqu’à devenir une norme insidieuse, délicieuse et surtout nécessaire. Le temps n’est plus qu’une notion très abstraite. Jadis reste Jadis pourtant ; elle avait pris l’engagement solennel de consacrer sa vie au service de l’humanité, et c’est cet engagement intrinsèquement personnel qui la maintenait debout, peu importe les affres de sa vie de fugitive.


Le jour où elle rencontra Jezabel était nimbé de brumes. Le temps flottait sans vouloir passer plus vite, et sa langue, ses lèvres, ses membres, tous étaient engourdis et anesthésiés par le surplus d’éthanol qu’elle avait dans le sang ─ Une cuite en bonne et dûe forme, en somme.

Rendue bavarde par le rhum bon marché, elle déverse un flot de paroles retenues trop longtemps, sans se soucier de qui était son interlocutrice. La capitaine avait, dès ce jour-là, quelque chose qui avait capté l’esprit étourdi de Jadis. De manière inattendue cette rencontre fortuite fut comme une torche dans une nuit qui durait et durait sans discontinuer : leur discussion dura un temps que Jadis ne put évaluer correctement. À l’issue de celle-ci, Jezabel ne se contenta pas de lui proposer un nouveau départ, la liberté, l’aventure ! Elle allait plus loin encore en lui reconnaissant sa légitimité de médecin et en lui permettant de poursuivre l’œuvre de sa vie ; Elle lui offrait les moyens de reprendre ses recherches, et d'être utile à son prochain. Nul doute que sobre, l’émotion générée aurait pu lui arracher une larme. Que la piraterie lui soit un univers inconnu ne la freina pas ; Le lendemain elle cuvait sa première gueule de bois à bord du Némésis.


[Aujourd'hui]
Si la piraterie fut peut-être d’abord un moyen, à présent Jadis la vivait comme une fin en soi. Elle avait attisée en elle une flamme fébrile qui couvait un besoin de liberté. Cela ne concurrençait pas pour autant ses ambitions médicales, non, le tout cohabitait juste harmonieusement. Elle prenait soin des membres de l'équipage, elle soignait les blessures, elle prévenait les maux, et ses recherches avaient progressé. Elle était, et se sentait, un membre à part entière et important de cet équipage qu’elle considérait malgré son apparence ronchonne, comme une sorte de nouvelle famille. Et à l’heure actuelle, sa loyauté à Jezabel n’était plus à démontrer ; Jadis l’admirait en plus de lui accorder la rareté de sa confiance.