Jaziel de Nieves n'existe pas. C'est une image, un reflet. Celui d'un jeune homme nommé Jaziel De Asturias, né autour de l'orbite de Tyrion dans une aile de station spatiale d'une famille plus proche de l'Empereur que lui. Noble, il fait de belles études que son intelligence acérée rend faciles. Il est docile, silencieux et obéissant, acceptant sans rien dire les devoirs et les peines du fils ainé d'une famille mineure. Rapidement, après lui, viennent un frère et deux sœurs dont il tolère la présence, sans plus. Plus âgé, il s'isole déjà mais cela n'inquiète pas sa Famille, trop occupée à manigancer contre une autre. Des plans sont montés. A peine adolescent, il avait treize ans, Jaziel voit et comprend les failles du complot qui est projeté. Il essaie de prévenir mais on ne l'écoute pas. Il est trop jeune, il ne s'est pas fait d'amis parmi les autres enfants nobles, il est « bizarre. »

Alors il prépare l'après. Il demande et obtient de son père le droit de mettre en sécurité les valeurs familiales, fait des plans de financements, achète, vend, négocie. Il apprend à la dure ce que l'on perd à avoir l'air désespéré. Il se mêle a des gens de plus basse extraction, les banquiers et les traders, il apprend à spéculer, il goûte l'adrénaline des placements, rien de tout cela ne l'enivre. Très vite, il se drape dans sa bizarrerie pour imposer le respect. Il est jeune, il ne se rase pas encore mais sa parole est tranchante et son avis inébranlable. Il fera des erreurs mais, lorsque le couperet tombe et que, comme prévu, la vendetta se solde par la défaite des siens, il n'y aura pas de débâcle pour la famille De Asturias. Ils perdront moins que les autres et c'est peut-être pour ça, par dépit, par jalousie ou simplement par méfiance qu'ils furent envoyés à un poste mineur sans aucune responsabilité du côté de Valentia dans le système de Dorado. Il a quatorze ans. Il ne dit rien. Il ne semble pas sensible à l'Aventure d'une nouvelle vie dans un nouvel environnement. Il regrette son bureau, ses mobiles en bois, son jeu d'échec en marbre qu'il n'a pas pu sauver. Les pièces de l'appartement de la Ville Sous Cloche sont plus petites. Les gens plus stupides. Même les sorties à Alegria n'allègent pas son humeur. Il se penche sur ses études.

Il a dix-huit ans. Il a terminé sa croissance et ses résultats font honneur à son éducation. Il a acquit de fortes connaissances en histoire, en religion, en étiquette et en droit. Sa diplomatie commence à faire parler de lui. Ses parents sont heureux malgré le deuil de la mort de son frère qui a attrapé une maladie autochtone lors d'une visite sur Esperenza. Jaziel n'avouera jamais que c'était probablement vénérien. Il se prépare pour son mariage, avec la fille d'un autre noble qui permettrait à la Famille de se sortir un peu de ce trou à rat qui est devenu leur vie. Il ne se rebelle pas contre cette coutume. C'est son devoir et c'est normal. Avec sa femme, il pourra se trouver une position pas trop ennuyeuse pour sa première affectation et montrer à l'Empereur que les De Asturias sont trop importants pour être mis à l'écart bien longtemps.

Il a dix-neuf ans, il est marié. Il n'aime pas sa femme, il ne la déteste pas non plus. Il a eu ce poste de Haut Fonctionnaire. Il n'a pas d'enfant lorsque ses parents meurent d'un empoisonnement lors d'une fête donnée par une Famille neutre. L'Empereur ne fait rien. Jaziel non plus. Il récupère les titres et les biens. Il recommence à sécuriser ses avoirs, secrètement, sous une autre identité. Au cas où. Il s'y connait bien mieux maintenant et Dorado est un endroit qui recèle beaucoup plus d'opportunités que Tyrion. Il marie ses sœurs, utilisant l'influence de son épouse, puis rompt contact avec elles. Elles ont à présent tout ce qui leur faut. Au passage, il leur fait signer des papiers renonçant à tout droit sur les De Asturias. Il efface de leur vie cette Famille qui ne leur a jamais valu que des malheurs. Il espère sans le dire que la Vendetta les oubliera.

La bombe dans ses appartements ne le surprend pas. Il a vingt ans et il n'était pas chez lui ce soir là. Tout est détruit. Le corps de sa femme méconnaissable. Il paye un officiel pour qu'on le déclare mort à son tour et que l'on jette dans les gravats le corps d'un anonyme des bas fonds. La famille De Asturia n'est plus. Les autres ont gagné. Il est libre pour la première fois de sa vie.

Vingt et un ans. Il est sous officier dans un vaisseau pirate. Juste Jaziel. Sous les ordres du cartographe, il apprend vite et il apprend bien. L'ambiance est violente et chaotique. Il déteste ça. Il n'aime pas plus la façon dont les combattants le regardent de haut. Des coups sont parfois échangés. On apprend rapidement que le « petit blanc » tape pour blesser, voire pour tuer, et on fini par le laisser tranquille.

Trente ans. Il a changé plusieurs fois d'équipage, Jaziel. Il a observé plusieurs façons de commander, il a apprit beaucoup. Il est sur un sloop et le Capitaine est désagréable et violent. Il a bien préparé son coup. Lorsqu'il lance le couteau dans le bois du pont, il sait déjà qu'il va gagner. Il dépose son ennemi déchu et ceux qui n'ont pas voté pour lui dans un astroport. Il garde le Sloop. Il a son premier équipage. Le nœud de son premier pouvoir. Ce sont des gens qui ont la Flamme à qui il a parlé d'un nouvel avenir, d'un nouvel Ordre, loin des factions corrompues qui cherchent à s'approprier un univers qui devrait rester aux audacieux.

Trente-cinq ans. Il a toujours le sloop mais il l'a confié à un homme de confiance avec un équipage exprès pour lui. Il a pour mission de chercher d'autres systèmes avant que l'Imperium ne le trouve. Il l'appelle « Le Courant. ». C'est sur une Corvette, « la Baleine », qu'il commande à présent. Il l'a prise lors d'une attaque dans laquelle l'équipage s'est un peu trop défendu pour son propre bien.

Trente-huit ans. Il a gardé près de lui son noyau dur du début, enfin les survivants mais il a confié la Baleine a un autre homme de confiance. Il sait parfaitement qu'il y a de grandes chances pour que ces deux vaisseaux lui échappent un jour ou l'autre. Dans la mesure où ils ont rempli leurs objectifs, cela n'a pas d'importance. Ce qui est important c'est que la perspective de se voir donner son propre équipage et vaisseau réduit les risques de défi et augmente l'ambition de ses officiers. De plus, les abordages se font plus propres quand on espère récupérer le vaisseau ennemi. L'Iceberg, par contre, il ne s'en séparera pas. Cette frégate, il l'a faite construire et l'a acheté pour lui, avec un peu de la fortune familiale et beaucoup de ses parts de butin. Le Courant n'est plus, il a eu les yeux plus gros que le ventre et n'a pas survécu.

Quarante et un an. Le temps file. Les membres d'équipage vont et viennent, vivent et meurent. Il ne s'est attaché à personne. Il écume le système de Dorado, attaquant sans discriminer les vaisseaux des trois factions. S'il n'est pas sanguinaire, il ne pardonne pas non plus et ses attaques, précises et coordonnées ne sont pas des actions humanitaires. Il délivre les esclaves qu'il croise sans chercher à en faire un cheval de bataille. Il dépose les civils où il peut, embauche ceux qui veulent rester. Petit à petit, il cherche à se faire une réputation dans le milieu. La Baleine a sombré à son tour. Mutinerie, puis capturé par la Trinité. Ce n'est qu'un caillou dans sa rivière. Il a d'autres ambitions. Devenir Seigneur Pirate serait un bon tremplin à ses yeux. Mais avant tout, il veut une vraie planète à lui et un peuple à gouverner, car il sait que c'est ce qu'il est né pour faire et il sait qu'il le fera mieux que les autres.

Il n'a toujours rien dit sur l'Empereur. Il n'en pense pas moins.