[Crust] Une pente glissante

Le concours d'échec bat son plein. Pour ma part, cela fait un certain temps que j'ai décroché. Toujours derrière mon pilier, je ne lève les yeux que lorsque mon amie passe en pool, pour l'encourager. Mais il faut bien avouer qu'il y a du monde et que je ne me passionne pas pour l'observation des stratégies de plateau. Mon Hcom, sur mes genoux, me montre des articles d'artillerie, des recherches en armement, des innovations de tactique spatiales et des dossiers bien plus intéressant. C'est donc sur eux que je me focalise, pensant en arrière plan aux révélations de la veille.

Soudain, pause. Des serveurs et des serveuses arrivent, proposant sandwiches et rafraîchissement. La salle, silencieuse jusque là, presque religieuse, commence à bruisser de conversations diverses. Je me lève, sourit à ma voisine qui s'ennuie à mourir mais a l'intérêt d'être mignonne pour ses vingt ans et, après lui avoir demandé de garder mon siège, ce qu'elle me promet avec une jolie rougeur, je m'eclipse un peu de la salle, laissant à Mia le loisir de résauter un peu parmi ses pairs. Le reste du Crust vit sa vie, ce me semble. J'attrape une bière et un sandwich du côté de la taverne, remonte dans ma chambre me changer et recommence une séance de sport. Après la cardio de ce matin (j'ai beaucoup perdu avec ma récente opération près du coeur, je trouve), musculation cette après midi. J'ai enlevé mon t-shirt, profitant de ce qu'à cette heure, beaucoup de gens mangent, font la sieste, partent ou arrivent. Je suis tranquille, il n'y a presque personne. Puis, mon exercice achevé, j'attrape mon sac et me dirige vers les douches de la salle. Je repère une cabine, commence à me doucher, me lave, me rince...

plus d'eau.

Je suis à moitié plein de savon, ma cabine n'est pas toute proche. Bon. Je sors, une serviette autour de la taille, mes cicatrices, nombreuses, bien visibles sur mon torse et tente une autre douche. De l'eau coule pendant quelques secondes puis s'arrête. Une troisième, même chose. Je soupire, embarrassé, passant la tête dans l'espoir de trouver quelqu'un qui travaillerait dans le coin. Une silhouette attire mon attention. Je l'alpague.

"S'il vous plait ?"

Malgré mon état, ma voix n'a rien d'angoissé ni de suppliant, je suis juste poli. Mon assurance est trop forte pour s'embêter avec des détails aussi futile qu'une quasi-nudité et du savon qui s'amasse dans les plis du coude.

J'cours presque dans mes couloirs. Le timing est hyper serré, merde. Rob' est débordé, on l'est tous. Il est rentré ce matin, mais on a même pas encore eu l'occasion de s'voir un peu. Enfin, c'est pas l'important, là. Avec le concours d'échec, ça nous a amené une sacrée foule. Et puis soudain, alors que j'passe devant les douches de la salle de sport... J'entends une voix. Une vois qui m'est familière. Surprise, j'pile sur place, manquant d'me ramasser la gueule bien comme il faut.

- Monsieur de Golazzo ? Qu'est-ce que...

... C'est que ce bordel. Il a une simple serviette autour de la taille, du savon sur la moitié du corps, l'air même pas spécialement embêté. Est-ce que... C'est une invitation ? Ce s'rait étrange, quand même. J'croyais qu'il voulait se taper grand-mère, moi. J'plaque un sourire sur mon visage, Waalan le regarde aussi, et elle siffle.

- Que puis-je faire pour vous, Monsieur ?

Ah. Maintenant qu'elle s'approche, je m'aperçois qu'il s'agit de la jeune femme qui avait pris ma commande. Dans mon souvenir, il s'agissait de la propriétaire. Bien. Alors j'ai une chance de voir mon problème réglé sans trop me faire balader à droite à gauche. Ce n'est pas que j'ai particulièrement honte de mon corps mais enfin il y a plus confortable. Le serpent, lui, n'a pas l'air content. Tant pis pour lui.

"L'eau semble être coupée dans les douches." Je ne m'excuse pas de la déranger, j'estime que vu la situation, je n'ai pas de honte à avoir. "Et je n'ai pas eu le temps de me rincer" explique-je donc simplement.

- Ah ?

J'suis carrément surprise. Merde, ça arrive jamais ce genre de soucis, et si y a bien un truc que j'sais pas faire, c'est la plomberie. J'm'avance vers les cabines de douche, mes pieds nus claquent contre le sol mouillé, j'fais quand même gaffe de pas glisser, ce serait con. J'tourne le robinet - non pas que j'crois pas mon client, hein, mais bon, j'vérifie quand même que c'est pas un truc con avant de déranger mes mécanos. Là, y a un jet d'eau qui me crache dessus, j'lâche un cri de surprise, et au bout de trois secondes, plus rien. Waal' aime bien l'eau, heureusement. Moi j'suis trempée, mes vêtements me collent à la peau. J'retourne devant De Golazzo.

- Effectivement, il doit y avoir un tuyau bouché. J'appelle un mécanicien tout de suite.

J'dois avoir fière allure, avec mes cheveux et mes vêtements dégoulinant. Waal' descend de moi, et profite de l'eau sur le sol pour se "rouler" dedans. Moi, j'prends mon h-com, heureusement water-proof, et j'contacte mon mécano.

- Ouais, y a un truc qui foire dans les tuyaux des douches de la salle de sport, faut que tu viennes maintenant.

J'insiste, pas dans trois jours. Il a trente secondes. Bon, p't'être un peu plus, mais pas plus de deux minutes. Moi, en attendant, j'm'occupe de mon client. Pas question de le laisser seul comme ça.

- Mis à part ce petit souci d'ordre technique, vous êtes satisfait de votre séjour, Monsieur ?

Effectivement, oui. Je laissais mes yeux s'attarder sur les formes révélées par le haut mouillé, les longues jambes galbées par le short trempé et l'absence notable à présent de tout tissu supplémentaire qui aurait pu garder certaines parties au sec. Je ne l'avais pas fait exprès, je n'aurais pas osé, je ne suis pas désespéré mais je devais avouer que la vue n'était pas désagréable. Je resserais la serviette autour de mes reins, l'empêchant de glisser. Cela valait mieux.

"Très. Je vous prie de bien vouloir transmettre mes regrets au restaurant hier soir, l'ambiance ne s'y prêtait pas mais je ne veux pas qu'ils se sentent remis en cause. Vous devriez utiliser votre com' pour demander que l'on vous apporte une serviette et des vêtements. Et si vous me le permettez, une fois que nous serons sortis de cette situation, je me propose de vous offrir une boisson chaude." Ce n'était pas que je me sentais piteux de son accident - si elle m'avait cru sur parole, elle n'en serait pas là - ni que la vue me soit désagréable - au contraire - mais bon, j'avais été bien élevé, que voulez-vous.

Sa proposition est sympa. J'vois son regard sur moi, mais ça m'dérange pas. Si j'étais pudique, ça se saurait. Au contraire, j'trouve ça assez amusant. Si Rob' me voyait comme ça, j'suis sûre que ça le rendrait fou. Et Gaël, j'en parle même pas. Mais bref, il veut que j'me change, p't'être que ça le met mal à l'aise, lui. Fin, j'pianote sur mon h-com pour demander qu'on m'apporte au moins un haut et une serviette. J'suis débordée, mais pareil, avec ces petits soucis techniques, j'me vois mal lui refuser un peu de mon temps.

- Eh bien, volontiers, Monsieur. C'est très gentil à vous.

Et puis j'lui souris, et j'balaie ses paroles d'un geste de la main, avant d'essorer mes cheveux, heureusement pas si trempés que ça. C'est surtout mes vêtements qui ont pris cher.

- Vous en faites pas pour le restau. L'important, c'est qu'vous ayez passé une bonne soirée. C'est rare que tout se passe exactement comme prévu, alors ça fait bien longtemps que j'ai renoncé à attendre ça.

Mon gars d'la mécanique arrive déjà. Bien, bien. Il me regarde pendant deux secondes, de haut en bas, mais il s'attarde pas. Il a l'habitude, hein. Ca doit bien faire cinq ans qu'il bosse pour moi, celui-là. Alors il se tourne vers le client, le salue, poli, courtois, et il lui demande ce qui s'est passé. J'me serai bien rouler des clopes, mais merde, celles dans ma poche sont foutues.

Les gentillesses se passent exactement comme si nous n'étions pas deux adultes trempés et isolés dans une douche. Je ne me demande pas ce que pense l'ouvrier. Je le sais et ne m'attarde pas à le détromper. Pour quoi faire. Ce n'est pas comme si ma femme pouvait mal le prendre. Je réponds donc tranquillement aux questions du gars puis gratte un peu de mousse dans mon coude.

"Pensez-vous possible de me fournir un grand baquet d'eau en attendant ?" L'homme, réactif, n'attend pas que sa patronne le lui ordonne et revient en moins de quelques minutes avec ce que j'ai demandé. C'est froid. Je coince bien la serviette sur elle-même, je prends une profonde inspiration, m'éloigne suffisament de la jeune femme et me renverse le baquet sur la tête. D'un coup, je suis trempé et gelé mais au moins, je suis propre. Il en faut plus pour ennuyer un Capitaine de l'Empire, messieurs dames. Je frissonne, les lèvres légèrement bleues. "Si je suis malade ce soir, j'exigerais un spa bien chaud en dédomagement" plaisante-je en cherchant du regard une autre serviette afin de ne pas me dénuder entièrement pour me sécher. D'autant plus que celle-ci est trempée à présent.

Le mécano s'occupe de notre client. Il lui apporte une bassine d'eau, visiblement froide. Putain, le con. J'fronce légèrement les sourcils, mais là, un autre type m'apporte enfin de quoi me changer, et une serviette sèche. J'la tends à De Golazzo.

- Tenez, je crois qu'à l'instant, vous en avez plus besoin que moi.

J'lui laisse pas vraiment le choix, en fait. Et puis, moi, j'm'éloigne juste un peu. Le mécano est parti chercher son matos pour déboucher ce tuyau à la con, et moi, j'me contente de tourner le dos à Golazzo. J'retire mon tee-shirt trempé, et j'mets mon haut sec sur ma peau encore un peu humide. Au moins, on voit plus totalement mes seins. J'me retourne vers lui quand j'suis changée. J'ai pas de bas de rechange, mais c'est pas super grave, ça.

- Allez, va pour le spa. Vous avez même pas besoin de faire semblant d'être malade pour l'avoir.

J'plaisante aussi, mais bon, j'vais vraiment lui donner son accès au spa. Geste commercial, tout ça. J'suis sûre que mon beau-père serait fier de moi, s'il me voyait, là.

Je ne me fais pas prier. J'ai froid. Rapidement, je me sèche, lui tournant le dos à mon tour pour préserver un reste de pudeur. Puis, parce qu'il y a un temps pour tout, je me glisse dans une cabine encore vide, le temps de remettre mes vêtements propres. Mon jean me colle à la peau et ma chemise, que je suis encore en train de boutonner en ressortant est peu coopérative mais enfin je suis visible, pieds nus, en civil. Elle a un haut vaguement plus décent et le même short mouillé. Si elle veut. Il est vrai que ça moule ses formes de façon extrêmement avantageuse. Je me surprends à regarder et décide de ne pas détourner le regard, je me contente de le glisser et de passer à autre chose. Après tout, elle sait comment elle s'habille. Je souris.

"Non non, seulement si je suis malade. Je suis un homme honnête, moi, Madame." Toujour sur le ton de la plaisanterie, je lui propose mon bras. Honnête ET galant. "Je vois que le concours d'échec a du succès, mes félicitations. Je n'aurais pas cru que tant d'impériaux étaient fascinés par ce jeu. Mon amie va avoir une concurrence digne d'elle."

- Et je suis une femme tout aussi honnête. Permettez-moi d'insister. Ce sera l'occasion pour vous de profiter d'eaux plus chaleureuses.

J'accepte volontiers son bras, mais d'abord, j'me baisse et j'appelle Waalan. Putain, elle est trempée. C'presque comme si je m'étais pas changée. Presque. Ca m'arrache un soupire, mais tant pis. J'passerai peut-être me changer après, si j'ai le temps. Le temps que j'ai déjà pas maintenant, mais que j'accorde à de Golazzo. Heureusement qu'il a l'air d'être un type charmant. Il doit avoir à peu près l'âge de Gaël, en plus.

- J'suis heureuse que ça vous plaise, mais j'suis loin d'être la seule à avoir bossé là-dessus. Mais on y a passé pas mal de temps. Figurez-vous que je m'attendais pas non plus à ce que ça attire principalement des impériaux, quoi qu'il me semble que c'est un jeu très répandu, chez eux. J'espère que ça va lui plaire, à votre amie.

Ouais putain, on avait le droit à ça, quand on était gamins. C'pas si étonnant que ça.

- Où avez-vous donc envie de m'emmener boire cette boisson chaude ?

"Ma foi, je ne vous obligerais pas à supplier, j'accepte votre proposition." Flirt léger bien naturel au vu de la situation et qui me fait sourire. Je dois avoir l'air fin, en civil, un sac de sport sur l'épaule, une femme trempée entourée d'un serpent à l'autre bras. C'est pourquoi je bombe le torse. Le ridicule ne tue que si l'on s'en sent gêné. Montrez-vous fier et les moqueurs oublieront de rire. J'ouvre la marche, un peu au hasard dans les couloirs. Lorsqu'elle me demande notre but, la réponse sort, tout naturellement.

"Jusqu'au bout du monde, bien évidemment, Madame" Un léger sourire d'auto-dérision ourle mes lèvres devant mes propres formules. "Mais pour aujourd'hui, nous allons devoir nous contenter de votre propre établissement. J'ai déjà vu le restaurant et la taverne, je crois que vous avez une salle de jardins ?"

Je crois. Je n'ai pas appris, malheureusement, la configuration des salles par coeur mais je suis sur qu'elle a pensé à un endroit romantique en dehors de l'étoilé. Cela posé, je reprends la conversaiton initiale. "Mon amie sera heureuse si elle gagne mais je ne me fais pas de soucis pour cela. J'espère que vous avez prévu de grandes quantités d'alcool pour consoler les perdants. Nous autres, impériaux, sommes très mauvais joueurs."

Je lève un sourcil, amusée par sa plaisanterie.

- Bien aimable.

J'avoue que j'm'amuse bien. J'suis presque contente que les douches soient tombées en panne. Presque.

- Va pour le jardin. Loin de moi l'idée d'vous faire douter de mon côté aventureux et d'à quel point votre proposition et tentante, mais il se trouve que ma tenue est pas hyper adaptée pour qu'on aille plus loin.

J'prends les commandes, on est pas super loin, donc ça tombe bien. On marche d'un pas tranquille quand même, et quand on croise des gens, ils s'attardent sur ma tenue, comme d'hab, mais mon partenaire est loin de passer inaperçu. Il dégage un truc sympa, quoi qu'ensemble, on doit être assez atypiques.

J'souris enfin quand il fait sa remarque sur les impériaux et leur intolérance à l'échec - ironie du sort, hein ?

- Vous en faites pas pour ça, si y a bien un truc dont on ne risque jamais de manquer à bord, c'est d'alcool. On a l'habitude. On console les perdants, on aide les gagnants à fêter leurs victoires, les amants à célébrer leurs unions, les bienheureux à faire la fête, les officiels à se donner du courage et tous ceux qui le souhaitent à simplement s'oublier.

Nous arrivons devant la porte en bois qui marque l'entrée de notre salle dédiée au thème de la nature. J'ai hâte de voir ce que Felipe va en penser, tiens.

Elle mène et je la laisse faire, souriant à mon tour à sa répartie. J'aime qu'on me réponde quand je dis des bêtises. Mia est la pire pour cela. Ensemble on se monte en épingle et on a souvent le plus grand mal ensuite à se dédire ou assumer les conséquences. On se montait. Passé. Quoi qu'avec les aventures de la veille et du midi, je ne sais pas si je ne peux pas le remettre au présent. Elle ralentit et s'arrête. Miss Van Haten. Pas Mia. Comprenant ce qu'on attend de moi, je pousse et la porte en bois, et un sifflement admiratif. Joli. Pour un homme de la campagne (oui on ne dirait pas) je suis impressionné de voir ce qu'elle a fait de son vaisseau. "Et bien. Qui a besoin du monde quand on a une salle pareille. Après-vous Madame. Ces merveilles ne sont que plus belle en vous servant d'écrin."

Ah bah tiens. De Golazzo, vil flatteur. Ca marche, ceci dit. Pourquoi on devrait s'priver des compliments ? Enfin, même s'ils viennent d'un impérial et, qu'on s'le dise, j'me fiche pas mal de la sincérité de ces mots-là. J'ai deux hommes dans ma vie qui sont là pour me le dire sans même avoir besoin de prononcer un seul putain de mot, alors le reste, c'est seulement accessoire. Des petits jeux de séduction, qui sont seulement ça : des jeux.

- Vous êtes un flatteur, Monsieur. A moins que vous soyez, vous aussi, gagné par l'ambiance romantique et charmeuse du Crust ? Rassurez-vous : rares sont ceux qui y résistent.

J'le regarde, un brin provocatrice, en déposant Waalan sur le sol pour que rien ne masque mon haut. Il est moins trempé que le précédent mais bon, c'est toujours pas ça. Et j'lui souris. Un sourire sincère, quoi que pas entièrement dénué d'ironie. J'note qu'une table proche de la cascade est dispo. Pas trop près, pour qu'on s'entende parler, quand même, mais assez près pour qu'on en profite pleinement. Bon, j'tends ma main à nouveau, m'invitant à son bras pour faire les derniers mètres jusqu'à la table.

"En effet" réponds-je avec un sourire, content de voir que mes bêtises fonctionnent. C'est qu'avec le temps, j'ai de l'expérience en compliments outrés. J'aime plaire. Cela fait partie de moi depuis très longtemps. Un jeu innocent - et parfois moins - qui le plus souvent ne mène pas à grand chose mais est agréable, le temps qu'il dure. Pourquoi me priverais-je de faire sourire mes compagnes ? Ce n'est pas en parlant de qui je suis vraiment que j'y arriverais. La séduction est un masque comme un autre.

J'incline la tête alors qu'elle reprend mon bras, la conduit à la table, me substituant au serveur pour lui tenir sa chaise, poli, impérial. Puis, je m'assied en face d'elle et, cette fois, reste silencieux. Pour voir.

Il se montre galant, va jusqu'à tirer ma chaise pour que je m'assieds. J'devrais pas, mais j'suis assez à l'aise avec tout ça. L'impérium et ses coutumes, j'les connais par coeur. La noblesse, c'est mon trip au moins cinq fois par mois. J'en mange au p'tit déj, de la noblesse, même. J'ferme ma gueule, mais pas plus de cinq secondes, faut pas que ça fasse blanc gênant non plus.

- Dites moi, Monsieur de Golazzo, je m'interroge. Est-ce par amour du risque, par simple désire de vous amuser ou parce que votre amie est outrageusement partageuse que vous êtes à ce point charmant ?

J'souris pas, mais j'suis clairement amusée et j'attends sa réponse avec curiosité. J'sais toujours pas trop s'ils sont en couple ou pas, la grand-mère et lui, mais bon.

Si elle ne sourit pas, moi si. Je m'attendais à ce genre de remarque et je me demandais comment elle allait la formuler. Avec tout ce que j'ai payé pour Mia, et malgré la précaution des deux chambres; il est logique qu'on se dise que je veuille la séduire. "Vous êtes directe" remarque-je avec amusement, sans pour autant me vexer. "Le Capitaine de Moya est une amie. La réglementation concernant la fréquentation intime de deux officiers servant sur le même navire est formelle, surtout lorsqu'il se trouve que l'un est le supérieur hiérarchique de l'autre."

Je dis ça tranquillement, sans animosité, simplement comme une information que l'on renseigne. Quoi que je puisse ressentir ou penser pour le Second je n'ai pas le droit d'y penser en dehors des moments de solitude. Pour l'Empire. Ce qui ne m'empêche pas d'être charmant avec elle aussi. "Qui plus est, je suis marié." Et oui. Autant mettre toutes les cartes sur table. "Par chance, mon épouse, elle EST outrageusement partageuse."

- Ben merde.

Ca m'a échappé. J'suis presque un peu déçue qu'il y ait rien entre De Golazzo et la grand-mère. J'suis certaine qu'ils auraient été mignons, ensemble. Et puis merde, j'ai envie d'la voir heureux, cette grognasse obsédée par son boulot. Fais chier. Je tousse, me rendant compte un peu tard que j'ai juré d'vant un officiel, noble et client, par la même occasion.

- Pardonnez-moi. Comme vous dites, j'ai tendance à être directe. Et j'me soigne pas.

Et puis je hausse les épaules quand il parle de son mariage.

- Oh, vous savez, moi et le mariage où l'on se partage...

J'montre mon alliance, précieusement enfoncée à mon doigt. J'sais pas s'il forme un couple ouvertement libre, comme Rob et moi. Question conne. C'est un impérial. C'est im-po-ssible que ce soit le cas. Une jambe croisée sur l'autre, j'pose mon coude sur l'accoudoir, mon index sur ma joue, mon pouce et mes autres doigts encadrant mon menton.

- J'imagine que votre épouse outrageusement partageuse est très loin d'ici et que, malheureusement, vous êtes bien trop débordés pour vous retrouver ?

"Les malheurs des affectations font qu'elle reste dans notre maison sur ma planète d'origine avec une grande partie de ma solde et un bal par semaine minimum. Nous nous écrivons régulièrement cependant, au moins pour nous accorder sur l'éducation de notre fils." Pour ma part je n'ai pas d'alliance au doigt, ni même de trace de celle-ci. Je refuse de garder la marque de cet esclavage. J'ai fait mon devoir en épousant Arg, on ne va pas non plus me demander d'avantage. C'est amusant, j'ai dit ça sur exactement le même ton que cette histoire d'interdiction de fréquentation entre officiers. Je lève un sourcil amusé. "Je vais insister pour savoir ce que ce "et merde" signifie, vous savez."

Ah bah tiens, il a l'air sacrément malheureux, l'pauvre p'tit gars. On dirait moi, si j'devais parler de mes parents bio. Hélas, plusieurs galaxie nous sépare, quelle tragédie. Bref, j'vais pas souligner ça, mais j'note que sa gonzesse, il en a pas grand chose à foutre.

- Oh, vous avez donc un fils ? Un héritier pour votre titre, donc ?

Comme si j'le savais pas assez. Combien de fois mes vieux ont répété ça pour Raf. T'es l'héritier, blablabla. Ouais, ta gueule. J'me reconcentre sur les paroles de Golazzo, et j'lève un sourcil, amusée.

- Sans vouloir jouer sur les mots, il me semble avoir dit "Ben merde" et non "Et merde".

J'fais durer le suspens en m'humidifiant les lèvres - mes vêtements commencent à être à nouveau secs, et ma gorge aussi.

- Pour être franche avec vous, et ça va certainement vous paraître c... Idiot, j'suis une amoureuse de l'amour. Oh, sous toutes ses formes, hein. De celui qui vient du coeur et qui dure toute une vie jusqu'à celui qu'on partage n'importe comment en dix minutes. J'aime bien ça, quand des couples se forment, se déforment, se cherchent. J'ai cru, visiblement à tort, que c'était un truc comme ça, pour votre amie et vous. Et ça faisait plaisir à l'amoureuse que je suis.

"Non, Danilo est mon héritier mais je n'ai pas de titre, c'est mon frère ainé qui joue avec ce genre de choses. Du coup, le pauvre garçon va devoir apprendre à faire quelque chose d'utile de ses dix doigts, j'en ai bien peur." J'utilise la même légèreté pour parler de ma femme et de mon fils. Et pourtant, je ne supporte pas la première et j'adore profondément le second. Et je crois que ça s'entend malgré l'auto-dérision dont je m'amuse à tout saupoudrer. Silencieux, je laisse le suspens s'installer. C'est vrai que nous avons une sacré complicité, Mia et moi. Et que nous avons été très proches. Mais que cela se sente quarante ans plus tard... je prends cette fois le ton de la réflexion pour répondre, plus sérieusement.

"Le Capitaine et moi avons fait nos classes quasiment ensemble, nous nous sommes liés d'amitié à ce moment là, comme le font les adolescents." dans un lit donc, surtout si c'est tabou. "Nous ne nous étions pas revu depuis que j'avais rejoint l'école spécialisée il y a une quarantaine d'années, j'avais suivi sa carrière de loin, je pense qu'elle avait gardé un oeil sur la mienne mais les hasards des affectations, et de la vie aussi, nous ont gardés séparés." Je hausse les épaules. "Depuis que je l'ai revue, j'ai la nostalgie de l'adolescente d'autrefois et j'essaie de la faire ressurgir un peu. Son visage manque de rides de bonheur, je trouve." Et elle peut bien le répéter, je m'en moque.

Ah merde, Felipe c'est donc l'inutile de la fratrie, et son gosse en paie les conséquences. Enfin, c'pas moi qui le dit hein.

- Bah, vous vous en sortez plutôt bien, de ce que je vois. C'pas si mal que ça, de pouvoir choisir la vie qu'on veut mener. Enfin, avec les restrictions qu'imposent le statut de noble impérial, j'imagine.

Ouais, j'imagine très bien, même. On était des triplés nous, et t'façons, j'suis une femme alors... J'aurais dû tourner comme ma frangine et me marier à un connard, et jouer la meuf parfaite et parfaitement coincée jusqu'à la fin de ma vie. Putain, rien que d'y penser, ça me donne la gerbe.

J'l'écoute parler de grand-mère, me raconter comment il l'a connue, ce qu'ils ont été l'un pour l'autre. Un amour de jeunesse, un truc qui aurait dû se poursuivre sans jamais être interrompu. J'suis sûre qu'ils se seraient aimés pour l'éternité s'ils avaient pas été séparés par leurs devoirs à la con. Il en parle comme s'il la voyait encore comme il a dû la voir la première fois qu'ils ont baisé. Je soupire.

- C'est donc ça que vous essayez de faire, durant ces deux jours ? Retrouver la femme que vous avez connu ? C'est romantique, j'trouve. En tout cas, j'espère que vous y parviendrez. C'est noble, de vouloir rendre les autres heureux. J'aspire à ça aussi, parfois. Avec le Crust, déjà.

Je pourrais me justifier. Expliquer que j'essaie de lui rappeler celle qu'elle a été, qu'elle se souvienne que vivre, c'est aussi rire, faire des bêtises, se surpasser, rêver, avoir des étoiles dans les yeux. Que je l'ai beaucoup observée depuis trois semaines, qu'elle est devenue une très bonne professionnelle, c'est un honneur de servir sous ses ordres mais que si elle continue, elle va céder. Seulement je n'ai aucune raison de me justifier de quoi que ce soit. Pas même d'être romantique. "Je pense seulement que l'adolescente que j'ai connu m'aurait reproché de ne pas avoir tenté d'aider l'adulte qu'elle est devenue." Je hausse les épaules. Romantique. Franchement. "Ne lui dites pas ce que je fabrique. Je doute qu'elle vous le demande mais on ne sait jamais. Je préfère la laisser se demander quelles sont mes motivations et si elles sont honnêtes."

- J'parle pas de ce que mes clients me disent, et surtout pas de ce qu'ils me disent sur mes autres clients. Secret pro' oblige. Vous en faites par pour ça.

J'essaie d'être rassurante, mais en vrai, j'me fiche pas mal du résultat. Il le sait, j'lui ai dit. Moi, je sais bien c'que je fais, et la délation et autres commérages entre clients, ça m'intéresse pas. J'dois bien reconnaître que c'est plutôt jouissif de parler aux deux, d'les connaître - enfin, d'apprendre à le connaître, dans le cas de Golazzo, mais de rien dire sur l'autre ni à l'un, ni à l'autre. C'est typiquement le genre de petits jeux que j'adore. Même si j'aurais aimé pouvoir lui demander ce qui a tant fait changer la grand-mère. Si j'dois l'apprendre, ce sera de sa bouche à elle.

- Mais j'espère sincèrement que vous arriverez à atteindre vos objectifs, et qu'on aura pu vous y aider même un tout petit peu, d'une façon ou d'une autre.

Nos cartes arrivent enfin. J'lance un regard à mon serveur, mais j'sais que le pauvre, il est débordé. Le jeu d'échec, ça nous prend beaucoup d'personnel, et y a foule aujourd'hui. Alors, on peut pas trop lui en vouloir d'être débordé alors que moi j'suis en train de me la couler douce. C'est qu'une apparence, hein. Socialiser et parler avec nos clients, ça fait partie intégrante de mon boulot. Surtout en tant que patronne. J'dois reconnaître que dans le cas de Golazzo, c'pas désagréable.

Je ne suis pas réellement inquiet car rien de ce que j'ai dit pourrait porter préjudice à l'un ou à l'autre. Ce ne sont que des points d'un jeu que nous avons lancé il y a quarante ans et que nous sommes trop vieux pour cesser de pratiquer, rien d'autre. D'ailleurs, j'ignore si elle la connaît et je ne pose aucune question à ce sujet, ce serait tricher. Et tricher, ce n'est jamais drôle. Je lui souris.

"Ne vous en faites pas, votre établissement est le terrain parfait pour ce genre de manoeuvre. Tout se déroule exactement comme il le faut et mes objectifs sont déjà largement atteints." Je l'ai faite rire, je l'ai faite pleurer, je l'ai même faite s'ouvrir à moi. Je n'avais pas osé imaginer autant en une journée. Celle-ci n'est que bonus.

"Comment vous est venue cette envie d'offrir aux autres" aux riches autres "un endroit de bonheur ?"

J'exagère un peu, comme toujours, dans ma formulation.