Sims

Le simulateur s'arrête et affichemson score sur l'ecran devant moi. Doucement, la conscience me revient. Mon corps est mon corps, je n'ai que deux bras et je sens sous mes fesses le faux cuir collé à mon pantalon. Cariño cancanne à côté de moi, me pinçant la cuisse pour avoir de l'attention. Revenant à mes sens, je réprime un grognement de douleur, impeccable dans mon uniforme de cérémonie mais sans ma veste qui est restée accrochée au porte-manteau, attrape un crouton dans un sachet près de moi et le tend à la bestiole qui avale sans se faire prier. Nouveau meilleur score. Evidemment, ai-je envie de dire. L'anneau à l'anulaire de ma main droite clignote encore un peu, puis s'éteint. C'était une session en mode difficile sur une confrontation entre un sloop et un galion. J'aime parfois s'imaginer aux canons d'un bâtiment plus petit et plus rapide. Ce ne sont pas du tout les mêmes paramètres à prendre en compte, , d'autant plus que j'avais demandé un très bon pilote. La prochaine fois, j'essaierais avec un mauvais, pour apprendre à compenser. Tranquillement, je renseigne mon matricule dans le champ concerné de la console et mon nom s'affiche à la fois devant moi et, je le sait, sur l'écran contre la cabine qui montre les combats en vue extérieure. Grâce à cela, je pourrais revisionner cette séquence de n'importe où avec un Hcom et une connexion sécurisée. Cariño s'agite encore, troublant le retour mon retour à la réalité. Je fronce les sourcils.

"Quoi encore !" J'ai passé ma tête par le rideau, fixant le canard d'un air fâché, ne prêtant aucune attention aux autres utilisateurs et observateurs de la salle.

Le spectacle est impressionnant. Surtout quand on est jeune, sans connaissances sur le sujet, qu’on en prend facilement plein les yeux. Le spectacle est une démonstration de maîtrise qui arrête net Vako.
Il est là, il ne bouge pas, il essaie d’apprendre. Y échoue, ce n’est pas très grave. L’essentiel c’est de vouloir.

- Hey toi ?

Le murmure est pour le palmipède qu’il vient de voir, vers lequel il tend la main pour saluer en se disant que ça ne peut pas être très différent d’un chiot.
C’est à ce moment que l’homme dans le simulateur sort, faisant sursauter le médecin. Ses épaules se haussent par réflexe. Ses yeux se baissent. Remontent finalement. Il lui faut toute sa force de volonté pour oser croiser le regard de celui qui était dans le simulateur.

- Je voulais pas lui faire peur.

Affirme-toi, gros !
Il reprend sa main. Résiste à l’envie de mordre ses ongles pour trouver de la contenance.

- Comment vous faites ça ? Vous avez écrasé les scores de toute la salle.

Vako se replace : épaules en arrière, voix pour qu’elle soit dans les graves chauds. Il essaie de donner une impression de détachement pour ne pas être rien de plus que l’admirateur éperdu de son héros du moment.

- C’était impressionnant...

J'ai dit affirme-toi !

Une voix me rappelle que je suis dans un lieu public. Je me redresse de toute ma taille - qui est moyenne mais parait imposante, surtout en uniforme comme ça et regarde l'inconnu. Mes yeux ne se sont pas encore tout à fait calmés et j'ai la surprise de me retrouver face à un jeune homme qui, malgré ses efforts, n'a pas l'air d'en mener bien large. Il a la peau sombre, une légère barbe et une cicatrice sur le côté du crâne. Curieux. Cariño s'agite. Je l'ignore.

"L'entraînement. Beaucoup pensent que l'artillerie est une spécialité où le but du jeu est de faire de grosses explosions mais pas du tout, c'est l'un des postes qui demande le plus de tactique. Un tir bien placé fait énormément plus de dégats que du gros calibre tiré n'importe comment. C'est un mélange entre l'analyse, les connaissances, les réflexes, l'oeil et la main. Vous êtes apprenti artilleur ?"

En plus il en impose ? Et il a un bel uniforme ? C’est fichu. L’hameçon est planté, la curiosité de Vako ferrée, il ne reste plus qu’à remonter la ligne.

- Médecin. Pas artilleur.

L’artillerie est arcanique, l’artillerie est obscure, mais elle a l’air d’avoir des points communs avec sa propre discipline de prédilection -les explosions en plus.

- Vous dites entraînement, mais...

Ongle du pouce entre les dents, même pas une seconde, avant qu’il ne mette les mains dans les poches. Il se sent observé, détaillé, c’est compliqué à gérer.

- … Ca ne doit pas suffire, si ce ne sont que des simulateurs. Ou des documentations sur les vaisseaux adverses. Vous devez avoir autre chose… Vous servez sur lequel des vaisseaux au port ?

Je ne suis pas le plus empathique des hommes mais là, il me semble quand même que le jeune homme est nerveux. Il n'y a vraiment pas de quoi. Certes, l'on pourrait s'interroger sur la présence d'un médecin dans une simulation de tir mais outre qu'il faille bien à ces braves hommes des moyens de défense en cas d'attaque, la curiosité n'a jamais été un défaut à mon sens.

"Je sers sur le Cerberus depuis début Tercer." et avant...ailleurs. Loin ailleurs. "La simulation permet de varier ce qui peut l'être. La dextérité du pilote, les eventuelles pannes matérielles, la force et l'équipement des adversaires, ou bien de mettre toutes ces données en aléatoire pour apprendre à réagir sous la surprise et en conditions les plus réelles possible. Mais vous avez raison, plus que l'entraînement, c'est l'expérience qui compte. Pour ma part, je me sers également d'une interface mais ce n'est pas aussi différent que l'on pourrait le croire."

Intérieurement -tout au fond, au fond de lui, là où personne ne le voit-, Vako est beaucoup trop heureux de sa rencontre avec l’artilleur croisé héros honoraire. S’il ne devait pas être un vrai gars, sérieux et dur et malheureusement parfaitement mal à l’aise à l’idée de se faire scruter de si près, il en sautillerait sur place. En levant un bras en l’air. En ululant de bonheur aussi.
Sauf qu’il faut être sérieux, quand on est un vrai médecin endurci. Pas de sourire alors. Pas de barrage de questions. Juste l’air vraiment, sincèrement intéressé, et le cerveau qui travaille à emmagasiner les connaissances.

- Vous êtes branché sur la machine et vous l’utilisez en plus du reste. Si je disais que c’était la même chose de vous ouvrir avec un scalpel de mauvaise qualité et un neuf bien aiguisé, vous ne me croiriez pas non plus.

Le voilà qui croise ses bras, déploie un petit sourire en coin.

- Je pense que vous avez trop d’expérience et que vous avez oublié la différence.

Le sourire se creuse. Vako oublie de se retenir de papoter.

- Ca fait quoi ?

Il y a de l’excitation qui filtre dans sa voix, maintenant. Il s’est eu tout seul.

- J’ai lu de la théorie sur les interfaces mais ça n’a rien à voir avec le ressenti réel, comme la théorie sur la dissection et avoir les mains dans des organes. Ca pique, ça gratte, c’est dans les nerfs, les muscles ?

Je souris. Il n'a pas forcément tort, le jeune homme et j'apprécie sa façon élégante de me le faire remarquer. Il faudrait juste qu'il se détende un peu. J'ai bien mangé à midi et il est trop grand pour faire un casse-croûte raisonnable. Sa question me coupe un peu dans mes pensées. J'y réfléchit un moment, me passant la main dans la nuque comme pour aider les neurones à se mettre en place.

"C'est...différent. Comme un autre sens. C'est difficile à expliquer à qui ne l'a pas vécu. Ce n'est pas tellement une sensation au sens...touché du terme, ni même nerveux, c'est un déploiement de conscience...enfin c'est l'impression que cela donne. On sait ce qu'il se passe comme on sait que notre pied est au bout de notre jambe même s'il ne fait pas mal. Comme on sait placer ses doigts sur un clavier. La pensée et l'action se transmettent de façon quasi-simultanée et les canons obéissent. Réfléchit-on avant d'avancer la main pour attraper un objet ? Pas depuis bien des années. On le fait, on sait qu'on le fait bien, on a pas besoin de sensations pour ça. C'est un peu la même chose. Aussi, réintégrer les limitations d'un corps biologique est toujours un sensation un peu étrange après une connexion."

Il est très patient. Son père a élevé un garçon bien éduqué, alors Vako laisse le temps de la réflexion à l'officier face à lui. Il s'occupe simplement en observant le canton faire sa vie, et reporte son attention où il le faut dès que la discussion reprend.
Nouvelles notes mentales prises, il les mettra sur papier une fois sur la Vanguardia. Il faut qu'il étudie plus d'interfacés, c’est décidé, parce que c'est passionnant.

- Un caisson d'isolation…

Ca, ce n'est qu’une réflexion qui sort toute seule. Qui n'est pas forcément stupide mais qui ne va pas servir à quelqu'un d'autre qu'au corsaire.

- Vous devriez essayer un caisson d’isolation le temps de sentir votre corps normalement. Ca ne marchera pas en situation de combat, mais peut-être que ça aiderait.

Le voilà donc à essayer de calculer les proportions de l’artilleur, histoire de voir quelle taille de caisson ils lui faudrait pour vérifier ses théories.

- … Vous me laisseriez tester ? Pour la science… Et, heu, l’Impérium aussi j’imagine.

Un caisson d'isolation ? Je ne pense pas le suivre là, et l'étonnement se lit sur mon visage, mêlé de perplexité. Mes sourcils se froncent sans colère. Cariño me pince le doigt. Je l'ignore. Il s'en va en caquetant son mécontentement vers un groupe de jeunes qui rient non loin. Qu'ils se moquent, je n'en ai cure.

"Je ne vous suis pas vraiment. Comment un caisson d'isolation pourrait changer quelque chose au retour dans le corps ? Expliquez moi..."

Première option : se faire tout petit, faire celui qui s’est trompé, s’excuser. Option deux : partager ses réflexions, porter ses métaphoriques gonades. Il hésite un peu entre les deux, et finalement c’est avec un coup de pied non-littéral au cerveau que Vako se lance.

- Je ne sais pas exactement si ça vous fait une surcharge sensorielle ou juste un moment un peu désagréable, mais je me disais que si c’était le premier cas un caisson d’isolation vous stabiliserait le temps de vous réhabituer.

Le médecin fronce légèrement les sourcils, et enchaîne sans même prendre le temps de respirer.

- Mais ça peut marcher même sans surcharge… ?

Ce n’est pas l’homme face à lui qui va pouvoir lui répondre, malheureusement. Il lui faut des tests. De vrais tests.

- Ca peut faire comme une remise à zéro. Si vous arrêtez de sentir votre artillerie et vos jambes pendant assez longtemps, en vous concentrant sur les limites de votre corps, vous pouvez faire une transition plus agréable. Si on peut réajuster les aptitudes motrices avec un caisson, on peut…

Et soudain, il s’arrête. Se fige même, très conscient de s’être emporté même si la question venait de l’officier face à lui.

- C’est… Des idées très théoriques et sans doute pas très intéressantes pour vous. Vous devez avoir l’habitude du changement de perception, vous n’avez pas besoin d’un caisson pour vous souvenir que vous avez un bras droit et pas un capteur quelconque à la place. Oubliez ?

"Ca non, certainement pas." Mon ton est sans réplique. Pourquoi est-ce que j'oublierais des hypothèses simplement parce que je ne les comprend pas ? Je réfléchis à mon tour. J'ai déjà fait des exercices en caisson. Il est important de savoir ce que cela fait pour ne pas paniquer lorsqu'on est déjà blessés.

"Je ne pense pas que ce soit très pertinent en effet dans mon cas particulier. Le retour ne prend pas énormément de temps et l'installation d'un tel caisson serait trop chronophage. Mais cela ne veut pas dire que tout le raisonnement est mauvais. Des entraînements en caisson pour des professionnels interfacés pourraient améliorer les réflexes et la rapidité d'interface. Vous travaillez sur quel bâtiment ?"

Bon, on n’oublie pas alors. Ca ne va pas tout à fait à Vako qui est soudainement pris d’une passion pour le bout de ses chaussures, mais il laisse filer. Hors de question de faire des vagues, de se faire plus remarquer, de s’imposer. On ne va pas trop en demander pour la journée.

- Sur la Vanguardia.

Finalement, le jeune homme relève le museau. Il tend même proprement la main pour saluer comme il se doit, histoire de montrer qu’il n’a pas été élevé avec les cochons.

- Médecin Montagne-Le Grandier, de la Vanguardia. Enchanté.

"Capitaine Felipe de Golazzo, des Forces Impériales, Maître Artilleur du Cerberus."

Je connais la Vanguardia, c'est le navire corsaire de She'lagh, un endroit intéressant. Beaucoup de militaires méprisent les corsaires, surtout ceux qui sont des pirates de bases. Sauf que nous sommes de la Milice et qu'il faut que l'Empire s'ouvre s'il veut un jour absorber ce nouveau système.

"Le plaisir est pour moi. Vous n'avez pas un nom impérial, d'où venez-vous si ce n'est pas indiscret ?" J'ai saisi la main tendue et l'ait serrée vigoureusement sans y réfléchir plus avant.

Il a déjà vu le nom du Maître Artilleur, ce qui n'empêche pas Vako de hocher poliment la tête. L’étiquette est là, bien gravée dans sa tête, entre deux livres de médecine. Il ne sera pas dit qu’il est aussi rustre qu’un pirate.

- Je suis né sur Espoir.

Ce n’est pas exactement un mensonge. Aucune trace d’un Vako Montagne-Le Grandier n’existe sur Paradis, après tout.

- Je sais que je suis théoriquement Trinitaire, mais mon père est plus un homme du monde qu’un citoyen du Pape. J’ai pas mal hérité de lui.

Jusqu’au poste sur la Vanguardia, oui. Ce qui fait sourire en coin le médecin avant qu’il ne se rende compte qu’il donne toutes les raisons de se méfier à l’officier Impérial en bonne et dûe forme avec qui il discute.

- Je suis quand même utile à l’Impérium, même sans pédigrée,. Je pense. Mais je comprendrais que vous vous méfiez de mes propositions d’immersion en eau salée maintenant...

Espoir. Hope. Esperenza. Un astroport que je ne connais pas encore très bien mais dont je note l'emploi du nom trinitaire. C'était bien ce que je pensais, l'homme est un doradien, un être né dans cet étrange système de mélanges et de criminels. Sa justification m'arrache un sourire amusé. Comme si j'étais du genre à juger là dessus. Je n'aurais pas demandé ma mutation sur la milice si je ne pensais pas que des pièces rapportées pouvaient servir l'Empire. Au contraire. Les corsaires sont une première expérience dans ce sens et il est important pour le Cerberus de se servir des retours et des difficultés qu'ils ont pu rencontrer d'un point de vue culturel et organisationnel pour éviter de se prendre les mêmes écueils. Je secoue la tête tranquillement.

"Je ne pense pas que les différences soient un frein à votre poste. Plus que trinitaire, vous êtes, à mon sens, un Doradien, un descendant de ce système et nous avons besoin de gens comme vous pour adapter nos méthodes à l'environnement que l'on sillonne. Je sais que beaucoup de militaires méprisent les corsaires, ne voyant en eux qu'une sous-race pirate souhaitant vivre sur les deux versants de la loi et de l'anarchie. Je ne pense pas comme eux. En ayant grandi ici vous avez un point de vue que nous n'avons pas ce qui rend les échanges plus pertinents pour nous deux. Qu'est ce qui vous a conduit sur la Vanguardia ?"

Oh ! Que c’est poétique comme vision. Un peu idéaliste peut-être, certainement non standard mais surtout poétique, décide Vako. Les différences de profils qui font une richesse, qui donnent un avantage, c’est quelque chose auquel il peut totalement croire. Il est assez bien placé pour ça.
Alors il hoche la tête pour marquer son approbation. Oui, il est utile, et les autres militaires impériaux ne le voient pas toujours, et il ne se trouve pas très Trinitaire sauf les jours où il veut cracher au visage des autorités théocratiques avec tout ce qu’il est.

- Mon père y a servi, quand il était plus jeune, c’est le premier bâtiment auquel il a pensé quand je suis devenu trop grand pour rester à la maison.

Parce que Felipe est tolérant, il a le droit à un vrai morceau de vérité. D’habitude, les liens entre Aldéric et la piraterie restent bien cachés, mais il ne voit pas de raisons de ne pas les dévoiler pour cette fois.

- Ce n’est pas vraiment par conviction, grimace-t-il, mais ça ne change pas grand-chose. J’ai peut-être la tête plus sur les épaules qu’eux du coup.

Eux ce sont les jeunes en uniformes clinquants qui rient toujours en regardant le caneton déambuler.

- Mais je pense que vous en avez assez vu pour ça vous aussi. Vous êtes venu à Dorado pour l’Empire, vous, ou pour la curiosité ? Parce qu’on a dû faire plus reluisant comme affectation...

Je ne connais pas bien Dorado. Je n'y suis pas depuis assez longtemps pour en saisir toutes les subtilités mais depuis ma rencontre avec She'lagh et pour aider Mia dans ses recherches personnelles, je me suis renseigné sur la Vanguardia et je sais que c'était à l'époque un navire pirate. Ainsi, l'homme du monde est un euphémisme pour hors-la-loi dans ce pays. Je note.

"Tout ce que je fais est toujours pour la grandeur de l'Empire." Je n'y mets aucune fierté, c'est normal. Je suis impérial. Il n"y a de grandeur que par l'Empereur. C'est dans mon sang. Mais je sais aussi que c'est une demi-réponse et comme il a été honnête, je pense qu'il a mérité que je le sois aussi.

"La Milice est une nouvelle expérience qui a été montée pour tester une conformation mixte au sein d'un univers qui l'est aussi. Mais si l'on y met que les mauvais éléments et les jeunes ambitieux, il n'y a aucune chance pour que cela fonctionne. Pour la Grandeur de l'Empire, il est important que certains s'engagent où ils seront le plus utile. C'est le choix que j'ai fait."

- Ca se tient. Il faut des hommes responsables pour guider ceux qui ne le sont pas encore.

Les uniformes neufs se font allègrement toiser par un Vako décidément déterminé à se montrer assuré et responsable, justement, même s’il n’est vraiment aucun des deux. Il peut toujours se rassurer en se disant qu’il l’est plus qu’un apprenti officier aux boutons de manchette impeccablement nettoyés.

- C’est quand même un choix intéressant.

Que ce soit clair : lui ne l’aurait pas fait. Enfin, le lui imaginaire qui porterait un bel uniforme ne l’aurait pas fait.

- Et sans doute pas commun. Dorado est décrit comme un horrible nid de pirates et de hors-la-loi en dehors ? Ou est-ce qu’on est une destination exotique pour faire ses preuves et trouver l’amour ? On ne se rend pas bien compte en grandissant ici.

Un ricanement lui échappe.

- Mon point de vue différent est très biaisé.

En effet. L'Empire n'est pas qu'une faction, c'est un standard, une exigence qu'il ne faut pas oublier dans des procédures froides et négligées. Il faut propager son esprit autant que ses vaisseaux et la Milice servira également d'étendard. Elle se doit donc d'être parfaite. Et si je sais que cet objectif est utopique et ne sera jamais atteint, je sais tout autant que je m'appliquerais de mon mieux à véhiculer les valeurs de ma faction à ceux sous mon commandement, nés impériaux ou non.

"Dans mon système d'origine, Dorado est vu comme une utopie. Chacun y voit ce qu'il cherche au fond de lui. Les ambitieux y voient un espace où grandir, les aventuriers une carte vierge, les condamnés, un exil." Je ne dis pas ce que moi j'y cherche, c'est trop personnel. Ma femme, elle, m'y voit mort et notre fils couvert de gloire. Je la laisse à ses songes creux. Je n'ai pas l'intention de mourir tout de suite. Je veux continuer encore longtemps à sentir dans mon coeur les vibrations de mes canons. "Comment voyez-vous Dorado vous-même qui y avez grandi ?"

Ce qui est intéressant, dans l’esprit de Vako, c’est que tout part immédiatement dans deux sens très différents. Il sort donc un bruit un peu étranglé de sa gorge, comme si les mots se mélangeaient, s’annulaient, se marchaient dessus sans savoir dans quel sens partir.
“Liberté” contre “danger”.
Il finit par inspirer en grand, prendre dix secondes pour remettre en place son cerveau. Ce n’est que lorsque tout est en état de marche qu’il peut répondre.

- Pour moi c’est le système où n’importe qui peut être ce qu’il veut, s’il fait des efforts pour y arriver.

C’est joliment formulé, assez vague pour que toute son expérience de vie puisse se nicher dedans. Le fils d’un ancien pirate trinitaire peut devenir corsaire impérial. Le fils décrété fille de bourgeois peut devenir médecin. Il n’y a rien qu’il ne puisse faire.

- Je peux comprendre pourquoi vous y voyez une utopie. Elle est juste dangereuse pour une terre promise…

Ou alors il pense ça parce qu’il est médecin et qu’il recoud des aventuriers idiots tout le temps.

- Est-ce qu’elle correspond à vos attentes au moins ? Autrement que par le service que vous rendez à l’Empire ?

Je souris devant l'affirmation du médecin. Je ne la partage pas. Je crois, comme beaucoup d'hommes de ma caste et de ma faction que le sang joue un rôle dans la place de chacun. Ce n'est pas que je donne aux plébéiens un rôle subalterne, mais il est clairement différents. Certains sont nés pour commander, d'autres pas. Aussi fort qu'il le veuille, un poisson ne peux pas devenir lion et inversement. Ces illusions font partie de la jeunesse et je ne veux pas les briser. La vie s'en chargera bien, aussi je me tais et je le laisse continuer. Toute utopie est dangereuse, la vie sans bataille n'a pas d'intérêt pour moi.

Et puis la question tombe, personnelle cette fois. Un garçon intelligent donc qui se rend compte que je généralise à chaque fois que cela m'est possible. Je réfléchis un peu. Des attentes. Je n'en avais pas tant que cela. Continuer à servir derrière mes canons, m'éloigner de ma femme. Je suis un homme simple.

"Elle est très bien." Je fais un signe de tête vers Cariño "Elle m'a même donné un ami, c'est plus que ce que je lui demandais." Sourire.

Vako se laisse tranquillement descendre pour poser ses fesses sur ses talons, les mains au sol pour se tenir et essayer d’attirer le caneton jusqu’à lui. Il est bien là, un peu plus tranquille. Il peut laisser son sourire s’épanouir avec sincérité sans essayer de le cacher pour garder la face, puisqu’il n’y a personne pour le regarder sous le menton alors qu’il est aussi bas.

- C’est vrai, c’est un système qui tend à faire ça. Donner des amis.

Le médecin agite un peu les doigts pour encourager l’oisillon à venir le voir.

- Avoue tout, petit canard, est-ce que tu prends soin de ton maître ?

Parce que c’est un palmipède qui va lui répondre, bien sûr…

- Est-ce que tu pinces les subordonnés qui flemmardent ? Si oui, veux-tu rejoindre la Vanguardia pour attaquer mes patients récalcitrants ?

Cariño voit un doigt, se dandine vers lui et le pince. Ce n'est pas celui de sa maman. Il est déçu, cherchant des yeux l'image qui s'est imposée dès sa sortie de l'oeuf. Ah, il est là. Il va vers lui, cancannant puis se tourne vers l'inconnu qui fait des bruits inintéressants puisque pas en rapport avec du pain ou une baignoire. Il n'y a rien à manger ici. Ou alors peut-être ce doigt ? Il repince Vako.Non. Pas mangeable. Les poches alors. Il y a parfois du pain dans les poches. Il se hausse de toute sa taille de jeune canard pour tenter de percer le secret des poches de celui qui fait des bruits.

Une boîte à cachets en métal, un sachet de bonbons et un Hcom. Voilà tous les secrets de la poche, que Vako sort de là en riant pour les montrer à l’inquisiteur palmipède. Il n’y a que la boîte qu’il n’ouvre pas, de peur de se retrouver avec un caneton dopé aux hormones -littéralement-, mais pour le reste il ne voit pas de problèmes à le laisser explorer. Et si ça peut éviter qu’il ne le pince pendant qu’il discute, c’est un petit sacrifice acceptable.

- Est-ce qu’il est devenu la mascotte du Cerberus ?

Puisque c’est plus pratique pour parler, il relève le menton vers Felipe.

- J’ai du mal à imaginer un vaisseau militaire acceptant des canards à bord. Même avec un uniforme à leur taille. Vous avez l’air beaucoup trop sérieux pour ça...

J'avais moi-même du mal à l'imaginer mais comme l'a dit Mia, la Milice a encore des zones grises qu'il est important d'exploiter pour légiférer avant que le législateur ne se mette en tête de le faire à notre place. Et l'animal de Danilo avait bien préparé le terrain. Comme toujours, j'avais fait les choses avec une méthode qui n'excluait pas un brin d'improvisation. "J'ai négocié, la Milice n'est pas entièrement militaire et les exigences de Dorado peuvent justifier un brin de folie. Maîtrisé bien évidemment." Je souris un peu, inconscient de ma tendresse quand je regarde l'animal. "Il sera bien vite sevré et je le rendrais à Renaissance. En attendant, puisqu'il m'a élu pour remplacer sa mère, je fais de mon mieux pour le garder en vie. Cela dit, il reste assez souvent dans ma cabine sur le Cerberus. Un pont d'armement n'est pas le meilleur endroit pour un palmidé. Avez-vous des animaux sur le Vanguardia ?"