Sims

J'avais moi-même du mal à l'imaginer mais comme l'a dit Mia, la Milice a encore des zones grises qu'il est important d'exploiter pour légiférer avant que le législateur ne se mette en tête de le faire à notre place. Et l'animal de Danilo avait bien préparé le terrain. Comme toujours, j'avais fait les choses avec une méthode qui n'excluait pas un brin d'improvisation. "J'ai négocié, la Milice n'est pas entièrement militaire et les exigences de Dorado peuvent justifier un brin de folie. Maîtrisé bien évidemment." Je souris un peu, inconscient de ma tendresse quand je regarde l'animal. "Il sera bien vite sevré et je le rendrais à Renaissance. En attendant, puisqu'il m'a élu pour remplacer sa mère, je fais de mon mieux pour le garder en vie. Cela dit, il reste assez souvent dans ma cabine sur le Cerberus. Un pont d'armement n'est pas le meilleur endroit pour un palmidé. Avez-vous des animaux sur le Vanguardia ?"

Felipe a un air de père. Ca frappe soudain le jeune homme devant lui, comme s’il aurait dû s’en rendre compte de suite, mais ce n’est que lorsque l’artilleur regarde son animal que son expression change. Il doit y être terriblement attaché pour réagir comme ça… Vako ne les émet pas, mais il a de sérieux doutes quand à la remise en liberté de l’animal.

- Pas vraiment. Personne ne les amène dans mon infirmerie en tout cas, je n’en croise pas quand je vais manger, et j’évite de trop traîner dans les cabines des autres. Même là je ne suis pas sûr qu’il y ai des animaux. Mmmh… Je pense qu’un brin de folie serait plus mal perçu que dans la Milice. Que la Capitaine y fait attention.

Tiens, encore quelque chose sur quoi réfléchir dans la douche.

- Les autres nous regardent déjà assez mal comme ça sans ajouter deux-cent chats sur le pont, et un canard, et je ne sais pas quoi d’autre. Des anciens hors-la-loi et un médecin tout sauf impérial peut-être.

Il rigole de sa propre blague.

- Vous imaginez ? La seule chose qui nous sauverait, ce serait un bête assez belle et propre pour figurer sur des affiches de propagande en guise de figure de proue, pour nous rendre aimables aux yeux du public.

Et les affiches seraient collées dans les ports à malandrins, pour essayer de recruter de nouveaux corsaires… Oui, ça il peut éventuellement le voir, contrairement aux félins par centaines.

Je tais mes remarques sur la Capitaine de la Vanguardia. Je l'ai croisée mais je ne la connais pas assez pour la juger, surtout devant l'un de ses officiers. A l'imaginer entourée de canards, j'ai un léger sourire qui fait écho à son rire.

"Un peu de folie marque parfois les esprits plus fortement que beaucoup de talent ou de succès. Vous devriez en parler à votre Capitaine, votre idée de mascotte n'est pas mauvaise, donnerait une identité à votre vaisseau, un but commun à l'équipage et il y a sur Renaissance tout un tas de créatures très exotiques pour les factions. Parfois, souligner sa différence peut-être utile."

Et parfois...non.

- Parfois. J’imagine.

Et parfois non, en effet. Et souvent non pour Vako, qui tique très légèrement : son nez se fronce un peu, son clignement d’yeux est trop long d’un dixième de secondes. Mais voilà qu’il reprend ses esprits, comme si rien ne s’était passé, qu’il se raccroche à la discussion en se disant que certaines particularités de la Vanguardia devraient rester sous scellés.

- Un oiseau ? Ce serait notre mascotte pour montrer à quel point l’équipage est libre et majestueux.

Et en cage. Peut-être pas un oiseau.

- Un des griffons qu’ils ont ici. J’en ai eu sur Paradis, c’était assez mignon pour faire joli sur une affiche. C’est moins mémorable qu’un canard, je l’admet, quand on vient d’ici… Je peux le proposer à She’lagh. On ne sait jamais.

Il finit par prendre le caneton dans ses mains avec tout le bazar de ses poches et par se relever en forçant sur les jambes. C’est plus agréable comme ça en fait.

- Je peux lui dire que c’est une suggestion d’un officier du Cerberus ?

"Vous pouvez mais je n'aurais pas proposé le griffon." J'en ai vu plein, de ces bestioles là. Rien de plus qu'un rat avec des ailes et des serres, à mon humble avis d'Avalonien. Il y en a partout. Une mascotte se doit de faire rire, peur, ou rêver, ou du moins d'attirer l'imagination. Elle n'est pas forcément libre et majestueuse mais elle est toujours originale. Marquante. Bref, pas un rat à ailes. Je réfléchis, essayant de se souvenirs des prospectus de zoologie doradienne. "Un ni'it, un nr'opin, un kaiji quelque chose, l'espèce de papillon là, dont le nom commence par un w, ou même une sorte de poisson pour rappeler la marine seraient des choix plus intéressant, pour n'en citer que quelques uns. Ou bien, à contrario, quelque chose de tellement banal qu'on n'aurait jamais pensé s'en servir." Comme un canard. Par exemple. A tout hasard. "Vous seriez-vous tellement intéressé à Cariño s'il avait été un griffon ?"

Voilà une question qui ne mérite absolument aucune réflexion, pour une fois.

- Oui. Je n’en ai pas vu depuis très longtemps.

Il faudra se contenter de cette raison, parce que Vako ne va pas dire qu’il les trouve mignons, qu’ils lui rappellent qu’il en avait quelques uns chez ses géniteurs, ou que c’est à peu près tout ce qu’il regrette de Paradis.

- Mais vous avez raison, les griffons ne sont pas très mémorables, même teints en bleu et vert. Et ils sont certainement moins intéressants qu’un caneton.

Ce qui le fait réfléchir cette fois, sur ce qui pourrait être intéressant, intimidant, merveilleux, et digne d’une affiche. Et il en arrive à la conclusion que ce n’est pas pour rien qu’on ne lui confie aucune propagande.

- Mon père m’avait parlé de serpents géants de la taille d’un arbre. Ca aurait le mérite de faire réfléchir n’importe qui. Mais je suis un très mauvais publicitaire, claironne-t-il avec joie. Je crois qu’il vaut mieux me laisser à mes injections et à mes questions sur l’artillerie !

Et il doit aussi rendre le palmipède à son propriétaire-maman de substitution, alors il tend ses mains pleines d’objets et d’un canard dans la direction de Felipe.

Sa raison me convient ou plutôt je n'en cherche pas d'autres. Les états d'âmes de parfaits inconnus ne m'ont jamais poursuivis longtemps. Je souris. Un serpent de plusieurs mètres hein. Je ne dirais pas à quoi ça me fait penser mais ça m'y fait penser. Et puis on a vu mieux question praticité dans un vaisseau. J'espère qu'il est meilleur médecin qu'administrateur le petit. Je reprends Cariño (qui me pince le doigt) et lui tapote le haut du crâne.

"Ca va être l'heure du bain du petit. Ce fut un plaisir de vous rencontrer Monsieur. A une autre fois peut-être ? "

“Du petit”. Très bien, papa canard est totalement gâteau de son enfant palmé et il ne pourrait absolument pas le nier. Il est amusant de voir qu’un artilleur certainement de génie, un officier en bel uniforme, se transforme en parent adorable -au moins dans l’esprit de Vako- dès qu’il est dans les environs d’un bébé animal.

- Certainement.

Un petit hochement de tête fera office de salut suffisant.

- Si jamais vous vous retrouvez sur la Vanguardia, n’hésitez pas à passer à l’infirmerie.

Est-ce que c’est menaçant comme affirmation ? Est-ce qu’il vient de totalement se ridiculiser ? Possiblement. Probablement, dit même l’habituel pessimisme du médecin. Il tâche donc de rester très digne lorsqu’il salue une seconde fois, puis il s’éclipse sans demander son reste pour passer quelques heures à se demander pour quelle raison il a bien pu proposer à quelqu’un de passer dans une infirmerie, franchement !