Step into my fractured fairytale [Way'si & Hush]

Hush venait tout juste d'embarquer pour la nouvelle aventure de sa vie - et de celle de son fils. Il se sentait soulagé d'avoir enfin pu quitter la planète sur laquelle il avait été réduit en esclavage toute sa vie durant, ou presque. A présent, l'esprit plus léger, il pouvait espérer se lancer à la recherche de sa petite soeur et de leur mère. Il pouvait également essayer de chercher ses parents biologiques, et espérer sauver d'autres esclaves mo'ats, grâce à l'équipage qu'il venait de rejoindre. Par-dessus tout, il pouvait enfin offrir une vie convenable à son fils. Une vie qu'il voulait longue et heureuse, bercées d'éclats de rire et de rayons stellaires.

Pour la première fois, Hush découvrait l'espace et ses merveilles. Le nouvel horizon qui s'ouvrait à lui l'emplissait d'une inspiration sans bornes qui semblait jamais ne pouvoir s'arrêter. Il avait installé Tobias sur une couverture, sur le sol, et le petit s'amusait avec des jouets que son père avait fabriqué spécialement pour lui. Hush, lui, était plongé dans un tableau qu'il peignait depuis plusieurs heures déjà. Un homme debout au sommet d'une montagne verdoyante ouvrait les bras devant un espace interstellaire comme Hush pouvait l'apercevoir depuis les vitres du Ni'huan.

Assis sur le sol, il ne pensait à rien d'autre qu'à ce tableau, dans lequel il était totalement absorbé. Parfois, son fils revenait à son souvenir en gazouillant un peu plus fort ou en venant poser sa petite main sur la jambe de son père. Alors Hush posait un instant son oeuvre et accordait quelques précieuses minutes à son enfant. Puis, lorsque le petit semblait à nouveau absorbé par ses activités, brusquement plus intéressantes que son père, ce dernier se replongeait dans son tableau.

La rumeur d'un nouveau venu s'était propagée dans les murs de métal, dépassant même le vrombrissement des moteurs. M'habituerais-je jamais à avoir sous ses pieds le coeur d'un monde tremblant ? Mais la terre de Motuani était vivante et j'avais apprit à lire ses rumeurs. Je pouvais sûrement faire de même avec un monstre de métal.

Délaissant mon infirmerie vide et mes bocaux bien rangés, je partis donc à la recherche de ce frère inconnu et de son enfant. J'avais une totale confiance dans l'instinct d'If'har pour le recrutement aussi je ne m'inquiétais pas de bien m'entendre avec lui mais j'étais curieuse de savoir son histoire. Rares étaient ceux qui embarquaient avec des enfants.

Mes pieds nus épousent le sol rayé et froid. Je sens qu'avec la vitesse, ma longue tunique beige glisse un peu, son laçage laissant deviner ma peau sombre au dessus des seins. Sous ma ceinture de cuir où pend une besace pleine d'herbes, un pantalon près du corps et s'arrêtant juste au dessus des chevilles colore mes jambes de vert. Un gazouillement me fait tourner à une intersection et là je vois un homme perdu dans une toile et un enfant jouant.

"Que Calypso vous protège, mes frères. Je suis Way'si du Clan Tompa." Mes mains se sont levées naturellement en signe de salutations, paumes vers le ciel.

Lorsqu'une voix résonne dans la pièce, Hush prend le temps de terminer son trait avant de relever la tête vers ce visage qu'il ne connait pas encore. Une jeune femme, magnifique, et qui dégage une aura absolument captivante. Une beauté qui le laisse bouche bée et l'hypnotise durant quelques longues secondes. Tobias aussi relève la tête, et il accueille la nouvelle venue avec un rire éclatant, en secouant ses petites mains pleine des jouets créés par son père.

Hush pose alors sa toile contre le mur, s'essuie les mains sur son pantalon de toile déjà décoré par plusieurs traces multicolores, avant de se lever. Une fois debout, face à la jeune femme désormais bien plus petite que lui, il sort son carnet et son crayon de bois d'une de ses larges poches. Il sourit à la dénommée Way'si du Clan Tompa, et avec des gestes emplis de douceur, il prend le temps d'écrire quelques mots vifs et délicats sur le papier, dans une écriture agréable et régulière.

"Enchantée, Way'si du Clan Tompa. Je suis Aäsh'an du clan Kame. Je préfère que l'on m'appelle Hush. L'enfant est mon fils, Tobias."

Lorsqu'Hush a terminé d'écrire, il offre un nouveau sourire doux à la jeune femme. De ses deux mains, il tend le carnet vers la jeune femme, afin qu'elle puisse lire ce qu'il a inscrit. Sur le sol, Tobias babille toujours joyeusement.

Il s'arrête et me regarde comme un assoiffé écoute le bruit de l'eau non loin. C'est presque comme s'il me buvait des yeux. Je le laisse faire. Depuis quelques temps, ces réactions se répètent. Je n'en comprends pas l'origine. L'enfant interrompt et la contemplation, et mes pensées. Ses mains s'agitent et je me demande s'il veut qu'on le prenne dans des bras. J'aime les enfants. Simplement, avant qu'ils ne sachent parler, et à part pour les soigner, je ne sais pas vraiment quoi en faire. Au clan, les naissances n'étaient pas si fréquentes. Nous étions peu nombreux.

Il sort un crayon de bois, un cahier et se met à écrire. Je prends le tout, lisant les mots délicats sur le papier. Avant, je ne savais pas lire. La culture mo'at aime la voix et grave les mots dans la mémoire collective. Qu'un frère préfère dessiner ses lettres au lieu de parler m'interpelle.


"Enchantée de vous accueillir dans notre demeure de métal, Hush et Tobias. Je fais ici office de Médecin de Bord. Si vous avez quoi que ce soit ou bien simplement envie de vous confier, ma porte vous est ouverte."

Je souris. Je n'hésite pas. Nous sommes ici en famille et je n'ai pas envie de plaquer sur nous la politesse fausse des envahisseur.

"Tu ne parles pas, mon frère ?"

Hush continue de sourire avec douceur à la jeune femme. Lorsqu'elle lui ouvre sa porte, Hush n'écrit rien sur son carnet. En revanche, il tend légèrement une main en sa direction, avant de venir la poser sur sa propre poitrine, au niveau de son coeur. Il lui indique ainsi que ses paroles le touchent profondément. Puis, il recommence à écrire quelques mots sur son carnet.

"Calypso ne m'a pas offert le don de parole. Je m'exprime avec les mots du coeur."

Il lui tend à nouveau le carnet, et en profite pour s'abaisser et prendre Tobias au creux de ses bras. Le petit garçon tend une main curieuse vers Way'si, et sa magnifique chevelure. L'homme fait un pas en direction de la jeune femme. La main tendue de Tobias est comme un appel à l'amour et à la paix : il ne prononce pas encore de mots, mais peut-être sera-t-il bavard, un jour. Pour l'heure, il s'exprime avec des gestes plus qu'avec des paroles, comme il l'a appris par le biais de son père. Avec la douceur d'une caresse, Tobias pose sa main sur la joue de la jeune femme, et son doux rire de chérubin emplit la pièce comme la plus merveilleuse des mélodies.

Les gestes de l'homme sont des langages. Comprenant cela, je le laisse me toucher. C'est très différent des contacts de mes anciens maîtres. Cela me rappelle le Clan, lorsque le corps n'était pas un tabou mais un vaisseau et que la communication se faisait à bien des niveaux, sans intrusion, naturellement. C'est en effet un frère et je le sens au bout de ses doigts, qu'ils me touchent ou qu'ils écrivent.

L'enfant s'agite pendant que je lis le mot. Il tend une main vers moi, me touche doucement la joue. Il a déjà la retenue de son père et s'il continue à vivre libre et entouré, il sera probablement un adulte heureux. Je laisse l'impression de cocon m'entourer et me renvoyer à mes souvenirs, sans honte ni fausse pudeur. Je dois sourire, je pense.

Le silence qui s'est installé est complice et je le laisse nous parler un petit moment avant de me reculer hors de portée de main et de jeter un coup d'oeil sur la toile en question. De là où je suis, je ne la vois pas bien. Certains artistes détestent montrer leurs travaux pas finis. Respectueuse de la liberté d'autrui autant que de la mienne, je ne cherche pas à m'imposer.

"Puis-je voir ce que ton coeur a voulu exprimer sur cette toile ?"

La jeune Way'si semble réceptive aux paroles muettes d'Hush et de son fils. Son regard et le silence parlent pour elle. Un certain aspect de cette première rencontre touche Hush. Cette femme n'est pas n'importe qui. Il sent en elle un coeur pur et une douceur profondément bienfaisante. Tobias a enfoui sa main dans sa petite bouche, le regard toujours hypnotisé par les magnifiques cheveux de la jeune femme. Hush berce naturellement le petit contre son coeur.

Et lorsqu'elle montre de l'intérêt pour le tableau qu'il était en train de peindre lors de son arrivée, Hush n'hésite que peu. Ses oeuvres sont vivantes ; elles existent pour être vues, montrées, ressenties. D'un geste doux et ample de la main, il invite la jeune femme à aller le prendre, l'admirer et se l'approprier si elle le souhaite. Il est curieux de voir comment elle pourra l'interpréter et le ressentir. Il se met à nu, mais il n'a rien à cacher. Ni sa souffrance, ni son histoire, ni sa vie ne sont des secrets.

Je m'approche et je regarde la portée de cet homme seul qui ouvre les bras vers le monde. J'y vois beaucoup de choses et, s'en m'en rendre compte, je prends mon ton de conteuse, celui qui trouve les mots et transporte mes auditeurs. "Il est seul cet homme mais ses obstacles l'ont rendu plus grand, ils l'ont formé et font partie de lui. La montagne pour racine, il s'élève au dessus de sa condition d'homme pour acceuillir les étoiles. Il n'a pas peur, il ne craint pas l'obscurité, le silence et le froid. Il y voit chaleur, vie et multitude alors que la jungle est vide maintenant de sens à ses yeux. Il va faire un pas, monter une première marche de l'escalier invisible de sa vie future. Calypso le regarde, l'entoure, et lui accepte son paradoxe. Vie et lumière, espoir et regret, c'est une image à la fois fracturée et recollée. Comme si l'on avait ôté un morceau du tableau au niveau de la ligne d'horizon."

Hush écoute attentivement la jeune femme. Etrangement, il n'a pas la moindre mal à se concentrer sur ces mots qu'elle prononce. Tobias non plus, ne dit plus rien. Il écoute les mots, dans une langue qui devrait pourtant être la sienne, mais dont il ne connait rien. Hush est transcendé par la facilité avec laquelle Way'si se montre sensible à ce qu'il exprime sans mot. Il se penche pour attraper un large morceau de tissu, et en un geste qu'il a déjà fait très souvent, il attache son fils dans son dos. Le petit n'émet aucune protestation ; il s'est presque endormi. Après s'être assuré que l'enfant est bien attaché, le jeune homme se dirige vers la toile qu'il a abandonné un peu plus tôt, et s'agenouille devant.

Il y rajoute de la lumière et cet escalier, en une légère transparence, qui se dirige vers le haut du tableau. Là, sur un nuage qui ne devrait pas être là, d'une blancheur éclatante aux reflets pastels. Sur ce nuage, il esquisse une forme douce et bienveillante, à la peau sombre et aux cheveux sombre, dont la texture est presque assimilable à celui du nuage. Elle tend la main vers l'homme, lui enjoignant de monter ces nouveaux escaliers.

Elle regarde ses mots transformer le tableau. Elle ne cherche pas à l'en dissuader, quand bien même l'oeuvre était déjà magnifique. Les choses changent, évoluent, sont contaminées les unes par les autres et ce n'est pas forcément un mal. La manie du propre des envahisseurs n'est pas une bonne chose. Il faut de la pourriture pour qu'existe la beauté. Elle se reconnait sur l'image et rougit un peu puis se dit qu'il représente probablement la Déesse ou un mélange d'elle et de la déesse qui sait. L'esprit n'est pas aussi carré que l'on peut l'imaginer. Dans tous les cas, c'est un hommage qu'il lui fait et elle en est touchée.

"Ton voyage commence, Hush. J'espère qu'il te permettra de rester longtemps parmi nous. Es-tu bien installé ?"

Encore et toujours, Hush sourit. Il remarque dans son regard qu'elle se sent touchée, et lui se sent heureux. Heureux d'être là avec son fils, heureux de rencontrer ces gens si doux, si gentils, sans devoir craindre quoi que ce soit, ni pour lui, ni pour Tobias. Heureux de pouvoir enfin mener sa vie comme il l'entend. Il hoche la tête, pour confirmer qu'ils sont mieux installés que jamais ; mais il prend tout de même son carnet et son crayon entre ses mains, tâchant la page de peinture qui reste sur ses mains.

"Je l'espère aussi. Je souhaite l'équilibre pour mon fils."

Il hésite un instant, sans lui tendre son carnet, et la regarde avec beaucoup d'attention. Il finit par écrire quelques mots supplémentaires, avant de tendre enfin son moyen d'expression papier vers la médecin.

"Est-ce je peux te dessiner ?"

Son fils. Un petit être qui fait du bruit avec sa bouche mais ne semble pas parler. Je ne suis pas assez savante sur les enfants pour savoir si cela est normal. Je crois que non mais je ne suis pas certaine de moi et je ne veux pas effrayer ce frère déjà si courageux alors je hoche la tête. Nous verrons assez vite, dans l'enceinte du vaisseau s'il apprend à s'exprimer ou non. Dans tous les cas, ce sera la volonté de Calypso et il n'y aura pas grand chose que nous pourrons faire à ce propos. Il serait trop dangereux de lui demander d'intervenir. Qui sait quel genre de malédiction peut arriver à travers un langage acquis de cette manière. Perdue dans mes pensées, c'est presque sans réfléchir que je lis la seconde question. Je relève la tête, surprise, puis réfléchit.

La dernière fois que l'on a pris mon image, c'était pour me vendre au delà des étoiles.

On ne l'avait jamais prise avant, je m'étais vue dans des reflets ou des objets polis ou encore dans les yeux de mon clan.

Je ne dois pas laisser la peur prendre le pas sur ce que je suis. Je ne dois pas laisser la haine refroidir mes jugements. Je hoche la tête.

"Je dois faire quelque chose de particulier ?"

Elle a l'air surprise par la question qu'il lui pose, mais elle finit par accepter. Il devine des peines et des souvenirs qui ne lui sont pas forcément agréables. Mais il ne l'a pas forcé, et elle a été libre d'accepter, comme de refuser. Il lui offre un regard doux et bienveillant, empli de sens. Hush reprend son carnet d'écriture, et il y inscrit :

"Parle-nous de toi."

Il trouve Way'si magnifique. Elle est une très belle femme, et ce qu'il croit percevoir en elle est bien plus magnifique encore. Le moment où il l'a le mieux perçu était quand elle s'était abandonné à son tableau, pour y dérouler une histoire qu'elle ne connaissait pas, mais qu'elle avait deviné avec beaucoup de justesse. Aäsh'an laisse le carnet entre les mains de la jeune femme, et il s'empare d'une toile et de sa peinture. Il a décidé qu'elle serait en couleur.

Hush l'écoute avec une attention qu'il ne peut avoir que lorsqu'il est pris dans son art. Elle ne se fait pas prier et lui raconte son histoire avec une sincérité à laquelle il est particulièrement sensible. Lui, il commence à dessiner, à peindre, à tracer les contours de ce si beau visage. Dans son regard, il recrée douceur et bienveillance ; sur ses lèvres, tendresse et sincérité. Il l'admire parfois pendant de longues secondes avant de se replonger dans sa toile, qui prend vie à une vitesse folle. Il utilise plusieurs outils ; des pinceaux de tailles diverses, parfois ses doigts fins, ou un tissu déjà trop coloré.

Il la positionne sur sa toile comme elle l'est devant lui, sans artifice aucun, sans jamais se montrer infidèle à ce qu'il voyait. Way'si était de ces femmes qui n'avaient besoin de rien pour être éclatante et profondément touchante ; en peignant les reflets rosés sur son visage à la peau sombre, il avait la sensation de lui caresser la joue. Et elle le regardait, pas encore terminée et déjà prête à sortir du tableau. Lui, il espérait qu'elle ne s'arrête jamais de parler, qu'elle continue à lui raconter qui elle est.

Sur son tableau, Way'si est harmonieuse et apaisante. C'est ainsi qu'il la perçoit, tandis que ses mots le transpercent et font écho à ce qu'il connait. Il aurait lui-même pu tenter de retrouver son clan, ce qu'il en reste ; la tranquillité et la beauté de leurs forêts. Il sait qu'il n'y a pourtant plus sa place. Plus maintenant. Et c'est tout à fait ce que la jeune femme lui décrit. Une histoire qui lui parle et qui le touche, qu'il comprend et qui lui fait poser un regard plus doux encore sur elle.

Il connait désormais les grandes lignes de l'existence de la femme. Son tableau n'est pourtant pas terminé. Il pose sa peinture un instant, et fait quelques gestes, avant de se souvenir qu'elle ne peut pas comprendre sa langue des signes. Alors, il prend son crayon, et il écrit sur son carnet.

"Parle-nous de tes joies et de tes peines."

Mes joies et mes peines. Des mots simples, des concepts qui ne le sont pas du tout. Je le regarde, un peu surprise, pas vexée pour un sous mais clairement interrogative. Rien ne me vient, ni dans un sens, ni dans l'autre. Je ne fais pas dans les regrets, chaque aventure est un apprentissage. "Peux-tu me donner un exemple de ce que tu entends par là ?"

Hush sourit avec douceur à la jeune femme, et il recommence à écrire plus longuement.

"Je parle de ce qui a touché ton coeur. Ce qui a fait rire ton coeur, et pleurer ton âme. Ce qui a fait que tu es toi, comme je te vois."

Il laisse un espace et écrit un exemple.

"Quand j'ai rencontré mon fils."

Puis, il donne le carnet à Way'si.

Je le regarde écrire. Rapidement et longuement à la fois, comme si les mots se précipitaient dans son esprit et que, pourtant, l'acte d'écrire ne lui était pas naturel. J'ai envie de lui demander depuis quand il connait cette technique et comment il faisait avant. Une autre fois. Je sens bien que c'est son tour de tenter de saisir mon portrait, tant physique qu'intellectuel. Cela ne me dérange pas, je sais cacher ce que je ne veux pas montrer et le Ni'huan est ma nouvelle patrie. S'il a été embauché par If'har c'est que cet homme n'est pas un inconnu, c'est un frère. Je réfléchis. Je n'ai rien vécu d'aussi intense que de rencontrer un fils. Ma vie était tranquille avant mon enlèvement. Elle est devenue trouble depuis.

"La vie. Il faut comprendre, j'ai été élevée par une Sage, je ne coupe pas ma vie en joies et en peines, je la coupe en expériences et chacune d'elle est un apprentissage, et chacune deviendra une force, je m'imprègne de la vie et des histoires que j'entends et elles forment mon coeur. Chaque événement est un maillon de la toile de ma vie. le Clan, ma captivité, ma libération, ma rencontre avec le Capitaine, ce sont des jalons. Mais ce que j'aime plus que tout, c'est entendre les histoires de mes frères et de mes soeurs et de m'assurer qu'elles ne meurent jamais. C'est de guérir les esprits et les corps. C'est d'avoir ma place."

Elle parle. Elle parle et Hush saisit ses mots comme des couleurs qui éclatent dans son esprit et sur son tableau. Du bleu et du vert, quelques couleurs chaudes, aussi. Du marron, principalement, dans des teintes plus ou moins claires. Une tâche ici, quelques formes là. Une harmonie délicate et bienfaisante, forte et pourvue de quelques faiblesses. Way'si.

Hush ne releva plus la tête de son tableau pendant de longues minutes, écoutant ce qu'elle avait à dire. Tobias babillait bruyamment, mais son père semblait ne plus l'entendre. Il n'y avait plus que Way'si et son portrait. Les derniers mots de la jeune femme le percutèrent de plein fouet. C'est d'avoir ma place. Il trouvait cela profondément beau. D'autant plus que, où qu'on aille, quoi que l'on fasse, Hush considérait qu'il avait toujours sa place. Tout le monde l'avait. Et Way'si aussi, définitivement.

Il rectifia quelques traits, en nuança d'autres, et finalement, il se trouva satisfait de ce qu'il venait de faire. C'était sa vision de la jeune femme. C'était ce qu'il voyait d'elle. Un être beau, gentil, chaleureux. Libre. Lumineux. D'un geste de la main, il la remercia. Puis, il se redressa, et avec un doux sourire, il s'en alla lui présenter son oeuvre.

Le silence du garçon est soutenu par le babillage de son fils et est rempli de significations. Ce n'est pas un refus, c'est un langage. Je ne le pratique pas encore très bien mais je ne doute pas que cela va s'arranger dans les mois à venir. Comprenant cependant le sens général du geste, je me lève et vais voir le tableau. Il est magnifique, évidemment. Je l'examine longuement, en silence.

"C'est gentil. Puis-je te demander une faveur ?"

Hush observe la réaction et le regard de la jeune femme sur le tableau. Il se demande si elle comprend tout ce qu'il a voulu dire. Peut-être pas tout, mais au moins une partie. Elle semble intelligente, vive d'esprit et sensible. Peut-être qu'il se trompe. C'est son regard sur elle. Uniquement son regard sur elle. Et elle lui pose une question. Une faveur. Il sourit doucement et hoche une fois la tête, lentement.

"J'aimerais que tu re-fasses un portrait de moi dans un an, quand tu m'auras vue vivre et pas seulement entendue me décrire. J'aimerais que tu gardes cette peinture en attendant et qu'on mette les deux côte à côte. Est-ce que tu accepterais ?" J'ai conscience de demander beaucoup mais je suis vraiment curieuse de voir si ses illusions, cette merveille qu'il voit en moi et que j'ai conscience de ne pas totalement mériter, vont s'effacer sous les assauts du temps.

Hush affiche d'abord un air de surprise, et puis à nouveau, il hoche la tête une unique fois. Il lève ses mains et commence à parler, emporté par ses émotions. Mais presque aussitôt, il se souvient qu'elle ne le comprend pas. Il lui offre un sourire désolé, et il retourne prendre son carnet pour écrire.

"J'aime te dessiner. Maintenant, dans un an, et parfois, lorsque mon coeur me le dira. Si tu es d'accord."