And then, nothing was ever the same

"Bientôt Querida, j'ai presque terminé mon verre."

Gaël dépose l'une de ses grandes mains sur la tête de l'Atikaya qui pousse un nouveau sifflement plaintif en lançant un regard torve vers l'un des clients du bar passant un peu trop près d'eux à son gout. Il est plus que clair qu'elle n'apprécie pas les étrangers, et encore moins de se retrouver dans une salle inconnue ou il y a foule. Néanmoins, Gaël ne pouvait pas la laisser seule dans sa cabine du transporteur qui l'avait emmené jusqu'au Crumbs of Stars. Elle aurait bouffé la porte, terrorisé le personnel et aurait fait bien plus de bruits et de dégâts qu'il ne pouvait s'en permettre actuellement. Et même si Querida n'apprécie pas l'endroit où ils se trouvent, Gaël sait pertinemment qu'elle préfère de loin pouvoir l'accompagner.

L'homme termine donc rapidement son verre puis se lève enfin. Il a déjà rencontré les gens qu'il devait voir aujourd'hui, informateurs avisés et autres individus lui servant de sources d'informations à leur insu. La soirée a été relativement efficace et productive, quoiqu'il n'ait rien appris d'exceptionnel, mais il en a eu suffisamment pour qu'il se permette de se retirer. Il se lève donc et prend la direction de la sortie tout en remettant sa veste de cuir usé par-dessus sa chemise bleu-gris. Il ne détonne que partiellement ici, dans ce vaisseau restaurant si spécial, ou d'une salle à l'autre les gens passent de l’attirail typique des pirates aux chics habits de soirée.

Il est à peine sorti de la salle du bar, pour s'avancer dans le couloir menant au port amarrage, lorsque Querida se met à grogner. Gaël fronce les sourcils, ne percevant d'abord rien. Ils semblent seuls en plus, maintenant, donc pourquoi elle s'agite? Il tente de calmer l'animal avec un petit sifflement de rappel à l'ordre, mais les grognements se poursuivent. Ce n'est qu'à ce moment qu'il les entend, ces voix qui semblent se disputer, puis rapidement monter en intensité. Il hésite à aller voir de quoi il en retourne, n'ayant pas d'intérêt à se mêler d'affaires qui ne le regardent pas. Il se dit vaguement que quelqu'un a peut-être besoin d'aide, mais il n'a pas le temps de prendre une décision sur la question que Querida s'élance en avant avec un sifflement suraigu pour disparaître dans un couloir adjacent. Gaël lâche un soupir.

"Quand c'est pas moi qui me mets dans la merde tout seul..."

Il se lance à la suite de sa compagne, l'appelant pour la rappeler à lui sans succès, pour finalement tomber nez à nez avec la source de l'agitation de Querida : un énorme serpent aux écailles blanches.

C'est un jour comme un autre, à bord du Crust. On a pas mal de clients qui nous occupent bien, pas une minute à nous, de nouvelles têtes qui débarquent et des habitués qui ont fait leur nid. La vie est pas compliquée, ici. Rob' est parti depuis deux semaines déjà, et il rentrera pas avant plusieurs jours. En son absence, j'ai forcément un peu plus de boulot à gérer seule, mais ça me dérange pas. J'ai l'habitude, et j'aime ce que je fais, de toute façons. Et puis, malgré le monde et les responsabilités, c'est plutôt un endroit tranquille, le Crust. Mais pas aujourd'hui. Aujourd'hui, un vieux riche dégueulasse a décidé de me faire passer une mauvaise journée.

J'suis dans un couloir quand il me harponne. J'l'avais pas vu, ce con. Il me choppe par le bras, et avec un sourire vicieux, il me fait des avances, et il me plaque contre le mur. Il est trop fort pour moi. A côté, y a Waalan qui siffle et moi je me débats.

- Lâche-moi, vieux porc, si tu veux pas avoir des ennuis.

Mais il m'écoute pas, il est bien décidé à en découdre. J'avais jamais eu ce problème-là avant. Généralement, les gens sont assez intelligents pour séparer les soirées de l'ailleurs. Pas lui visiblement. Il me dit de rester tranquille, alors je me débats encore plus fort. A ce moment-là, j'entends des pas et un grognement. Merde, c'est pas fini ce bordel ?

Si l'énorme Naä'ngi est la première chose qu'il remarque - et, franchement, il faudrait être con ou aveugle pour ne pas le voir et figé un peu, la bête fait au moins sept mètres de long... - l'attention de Gaël est rapidement attirée vers l'homme qui plaque la propriétaire du Crust contre un mur, visiblement contre son gré. Il connait Van Haten de vue et de réputation, bien qu'ils ne se soient jamais parlé, et sait donc que l'immense reptile est le sien, ce qui aide a atténuer sa surprise.

Aussi, alors que Querida grogne de plus belle, sa collerette de fourrure hirsute, le visage de Gaël se durcit et il s'avance vers l'homme. D'un geste, il attrape les cheveux du riche et le tire en arrière tout en envoyant un coup de pied derrière le genou droit de celui-ci. L'homme a une exclamation de surprise puis de douleur avant de tomber à genoux devant la femme blonde. Sans le lâcher, Gaël lance un regard à cette dernière avant de s'adresser au porc d'une voix laissant deviner ses dents serrées sous le coup du dégoût et de la colère. Il déteste profondément ce genre de personnes.

"Je présenterais mes excuses à la dame, si j'étais toi."

Le type qui intervient me dit vaguement quelque chose. J'ai déjà dû le voir quelques fois trainer par ici. D'un coup, il me libère et je me frotte les poignets, la tête haute et le regard courroucé, en direction du vieux dégueulasse, qui est à genoux devant moi. Lui, il est surpris, mais il tarde pas à essayer de se retourner pour mettre un coup au type qui m'est venu en aide. Mais cette fois, je suis plus rapide, et je profite de ma position pour intervenir. Je lui écrase la main qui est par terre - pour une fois, je regrette presque d'être pieds nus -, et je lui mets un coup de genoux dans le visage. L'agresseur est envoyé en arrière, vers le type et son atikaya, en se tenant la mâchoire d'une main.

- Putain, t'es vraiment con, toi. Tu devrais faire ce que le monsieur te dit, avant de prendre toutes tes affaires et de dégager de mon établissement illico presto.

A côté, Waalan est pas contente. Elle siffle, menaçante, le haut du corps relevé comme lorsqu'elle s'apprête à fondre sur sa proie. Et le vieux semble perdu, j'vois bien dans son regard qu'il sait pas trop quoi faire. Y a sûrement sa fierté d'hommes qui est en jeu, en plus du fait qu'il doit pas avoir l'habitude qu'on lui refuse quoi que ce soit. C'est le problème des riches, ça. Ils pensent toujours que tout leur ait dû.

Lorsque Van Haten frappe l'homme, Gaël rattrape celui-ci et le remet rapidement en place, toujours à genoux devant elle. Il compte bien le maintenir ainsi jusqu'à ce qu'elle en ait terminé avec lui, c'est elle qui choisit et contrôle la situation. Le pervers, quant à lui, commence enfin à réaliser qu'il n'a plus l'avantage. Son expression courroucée se fane donc petit à petit et Gaël voit ses petits yeux chercher désespérément une échappatoire à la situation. Ce dernier prend trop de temps aux goûts de l'agent d'infiltration pour s'excuser, alors il resserre sa prise sur les cheveux de l'homme et les tire vers l'arrière, forçant celui-ci à regarder Van Haten en face.

"Aïe! Je... vous savez pas qui je suis... vous pouvez pas me traiter comme ça... vous..."

"T'as aucune idée de qui j'suis non plus, ni à quel point j'en ai rien à foutre que tu sois Évêque ou Marques."

L'homme se débat de nouveau, apparemment outré par les paroles de Gaël, mais ce dernier resserre encore plus sa prise sur sa tête. Il dépose également sa main métallique sur son épaule, le maintenant fermement en place, avec juste un peu trop de force pour que l'autre comprenne qu'il ne plaisante pas. La douleur et la peur se dessinent alors sur les traits du riche et il lâche enfin une excuse en bégayant.

"Je... pardon!"

Gaël ne le relâche pas tout de suite, relevant plutôt les yeux vers Van Haten et attend son verdict.

La tournure de la situation me plaît, et je serais presque amusée si cette enflure me faisait pas royalement chier. Je croise les bras sous ma poitrine. J'ai même pas besoin de réagir, mon sauveur le contrôle juste assez pour que j'ai pas besoin de me mouiller moi. Enfin, l'autre abruti s'excuse. Je laisse quelques secondes s'écouler, menaçante, profitant de la douleur et de la peur sur le visage du gars. Je sais que je risque de payer ça lors d'une prochaine soirée, mais je m'en fous. J'y penserai en temps voulu. De toutes façons, j'ai jamais eu peur des cons.

- Allez, dégage.

Je fais un mouvement de la tête pour lui montrer la sortie. Le type se fait pas prier. Il me lance un regard noir, mais il se casse à une vitesse incroyable, et encore plus quand Waalan fait un mouvement vers lui. Je le suis du regard, et puis je pousse un soupire agacé. Vraiment, je supporte plus ces gars qui se croient tout permis. Je me tourne vers le type au bras de fer.

- Merci pour ton aide, c'était sympa.

Je lui tends la main.

- Raedhun Van Haten. Mais je suppose que tu le sais déjà, pas vrai ? Allez, pour te remercier, je t'offre le déjeuner.

Au signal de la blonde, Gaël relâche l'ordure qui détale alors comme un lapin avec les loups aux trousses. Il le regarde s'éloigner avec les mâchoires toujours serrées, ne comprenant pas comment certains hommes peuvent ainsi vouloir forcer des femmes et regrettant presque ne pas avoir pu lui faire comprendre davantage à quel point son comportement est ignoble. La voix de Van Haten la ramène rapidement à la réalité présente. Gaël hausse simplement les épaules, comme si c'était la chose la plus naturelle qui soit.

"Rien faire aurait été l'aidé. Lo cual nunca haría."

Il attrape sa main pour la serrer dans la sienne, beaucoup plus grande en comparaison, et au moins cent fois plus rude. Il ne s'y trompe pas néanmoins, la femme qu'il a devant lui est forte et fière. Ce qu'il vient de voir d'elle le confirme amplement.

"Gaël Diaz."

Il sourit à sa proposition, aussitôt tenté. Un nouveau grognement de Querida, qui regarde le Naä'ngi avec méfiance, le fait néanmoins grimacer. Il lui a promis de quitter cet endroit, et elle est de plus en plus nerveuse apparemment, mais... L'homme émet un petit sifflement qui fait redresser la tête à l'Atikaya.

"Du calme, Querida, y a plus de danger."

Il retourne ses yeux sombres vers Raedhun et ajoute :

"Avec plaisir. Par contre, si le déjeuner pouvait être dans un lieu tranquille, ce serait très apprécié de ma compagne. Elle m'en veut déjà assez de l'avoir traîné dans un lieu avec une foule d'inconnus."

Gaël Diaz. Voilà un nom que je ne suis pas prête d'oublier, et qui est déjà bien ancré dans ma mémoire. Sa main est rude et forte, de ceux qui ont l'habitude de travailler dur et qui ont pas peur de se salir les mains pour arriver à leurs fins. Je regarde l'atikaya et Waalan, qui a l'air nerveuse autant qu'agacée par les grognements de l'autre animal. Je m'accroupis et tends une main vers Waalan, qui vient s'enrouler paresseusement autour de mon cou et de mon torse, faisant toujours trainer le reste de son corps par terre.

- Ca doit pouvoir s'arranger. Waalan non plus n'aime pas trop la foule, et elle met un peu trop d'énergie à me le faire comprendre.

Je regarde l'heure sur mon H-com. L'heure d'affluence. Toutes les salles doivent être plus ou moins bondées. Heureusement, deux de mes salles privées sont libres.

- Bon. On va s'offrir un petit luxe, mais sois mignon, n'ébruite pas ça.

Je pianote un instant sur mon H-com d'un air blasé, et je réserve ainsi une des deux salles libres. Et puis sans rien ajouter, et sans le regarder, je me mets à marcher dans les couloirs du Crust.

- C'est pas la première fois que tu viens ici, pas vrai ? que je lance.

Le militaire la remercie d'un sourire qui fait saillir de manière plutôt charmante les pattes d'oies aux coins de ses yeux. Il est heureux que cela puisse s'arranger, car dans le cas contraire, il aurait surement dû refuser l'offre. Ça... ou Querida aurait fini par bouffer quelqu'un. Alors aussi bien éviter, les incidents diplomatiques sont aussi néfastes pour sa couverture que pour ses "affaires pirates". Gaël pose donc d'ailleurs la main sur la tête de son amie et gratte un peu sa fourrure derrière les oreilles. L'Atikaya semble toujours aussi nerveuse et agacée, mais malgré sa fierté et son mauvais caractère, Gaël sait qu'elle apprécie la caresse.

"Les secrets, ça m'connais, t'en fait donc pas avec ça."

Et même beaucoup plus que ce qu'elle pourrait s'imaginer, d'ailleurs. Plus que lui même ne le souhaiterait aussi, souvent. Il lui sourit de nouveau, lui emboîtant le pas sans discuter lorsqu'elle s'éloigne, HCom en main, et siffle une nouvelle note, plus grave cette fois, afin que Querida le suive au pied.

"Je suis pas un grand habitué comme certains, mais je connais bien l'endroit, en effet. Vous offrez un cadre particulièrement intéressant pour les affaires, après tout."

Et un lieu se targuant de préserver l'anonymat de ses visiteurs aussi, ce qui n'est définitivement pas un détail à négliger quand on joue sur autant de tableaux que lui. Ils s'enfoncent dans les entrailles du Crust, s'éloignant du bar que Gaël connait bien.

"Mais je connais pas assez le Crust pour savoir ou on va."

Il m'emboite le pas, et on marche tranquillement dans ces couloirs que je connais par coeur, au point que j'ai même pas besoin de regarder devant moi pour savoir où je vais.

- Tant mieux. J'ai pas envie que n'importe qui me demande un traitement de faveur. Ca résiste mal à la frustration, un client affamé.

Puis, je relève la tête de mon H-com et je l'observe fixement pendant quelques secondes. Il doit avoir la cinquantaine. Sûrement un homme d'aventure, qui a l'habitude des combats. Il est charmant. J'me demande si j'aurais fait la même proposition à un moche. Peut-être. Peut-être pas.

- Ouais, c'est ce qu'on voulait pour le Crust. Contente que ça te plaise.

Lui, il sourit, et ça fait ressortir ses petites rides au coin de ces yeux. Ca lui donne un petit truc en plus. Moi, par contre, je souris pas, égale à moi-même.

- Parfait. J'aime bien avoir suffisamment de cartes dans mes manches pour surprendre. 'Fin, façon de parler, hein.

Avec mon petit haut décolleté sans manche, j'suppose qu'il avait compris. Je me reconcentre sur la route, et on arrive devant un escalier.

- Passe devant. Si t'écrases la queue de Waalan, elle va pas aimer, et sa morsure est pas suffisamment agréable pour que je prenne le risque de me faire bouffer.

Aïe. Elle n'a pas le sourire facile, Van Haten. Après, avec ce qu'elle vient de vivre, ce n'est pas étonnant. Il songe d'ailleurs à lui demander si elle n'a rien, si elle va bien et si elle a besoin de quelque chose au vu de son agression, mais sa tête haute et fière comme son ton assuré l'en dissuade, du moins pour l'instant. Il ne veut ni l'insulter, ni insister sur un sujet qui ne le regarde pas. Aussi, il attendra d'être arrivé pour ces questions. Raedhun semble être le genre de personne qui n'apprécie pas qu'on voie ses faiblesses, et bien que Gaël ne verrait pas un éventuel choc ou besoin émotif comme tel, c'est le cas de beaucoup. Elle a accepté son aide, ce qui est déjà bien.

Peu difficile, Gaël hoche donc simplement la tête à ses remarques, puis s'engage en premier dans l'escalier menant à un étage inférieur. Il lui lance alors, sans se retourner :

"Waalan. C'est un joli nom, il lui va bien. C'est quoi comme langue? Du mo'at?"

Je lui emboîte le pas sur l'escalier que j'ai dû parcourir des milliers de fois au pas de course. Cette fois, je suis un peu moins pressée. Sa question me fait hausser un sourcil, et machinalement, j'attrape le collier que j'ai autour du cou.

- Nan.

J'avais pour projet initial de finir ma réponse sur ce "non", mais je réalise que c'est peut-être un peu sec.

- Je dois parler mo'at aussi bien que toi, je dis. La tienne, c'est Querida, c'est ça ? C'est chou.

Même quand j'essaie d'être gentille, mon ton sonne ironique. Bah, peu importe. Je repasse devant lui dans le couloir, et on change d'aile, pour aller vers les salles privées. Je passe devant trois d'entre elles marquées comme étant occupée, et sans m'arrêter, je sors des clés de ma poche, et j'ouvre une quatrième salle, qui elle, est libre. J'entre, et je vais directement vers les rideaux tirés devant la large mais unique fenêtre de la pièce.

- Entre vas-y, fais comme chez toi.

La salle est bien plus petite que les autres salles, mais toujours beaucoup trop grande pour seulement deux personnes. Enfin, avec Waalan, on a jamais trop d'espace. Elle est décorée sobrement, avec du parquet au sol, un large tapis vert, des fauteuils confortables et une table en bois. Des écrans d'ordi' diffusent un message de bienvenue, attendant d'être utilisés.

- Voilà, ça t'ira comme endroit ?

Je pose la question par politesse, mais content ou pas, c'est la même chose.

Un sourire amusé étire ses lèvres à sa réponse. Il parle aussi bien le Mo'at que l'ancien trinitaire, soit qu'il a autant de chance de réussir à formuler un mot correctement dans cette langue en faisant un effort qu'en éternuant sous l'eau.

"Querida, oui. C'pas très original, mais c'est comme ça que je la surnommais, quand j'étais pas certain de la garder, et du coup... ça lui a collé par la suite."

Il lance un regard à sa compagne. Malgré son mauvais caractère, il ne l'échangerait contre rien au monde désormais, et il ne regrette pas un seul instant d'avoir pris la décision de l'adoptée. Raedhun le fait finalement entré dans une salle vide et agréablement décorée. Elle ne plaisantait pas lorsqu'elle parlait de s'offrir un petit luxe. Il s'était attendu à un autre bar un peu moinsachalandé, voir une salle de restaurent tranquille, mais ici ils ont la salle pour eux deux seuls. Il ne s'y attendait pas et est plutôt surpris, mais n'y voit pas d'inconvénient.

"Ça pourrait effectivement pas être plus tranquille. C'est parfait."

L’Atikaya à ses côtés se détend d'ailleurs rapidement, et bien qu'elle garde un oeil sur le grand serpent avec suspicion, elle se hasarde à aller explorer la salle. Gaël en profite pour faire un pas en direction de Raedhun et lui demander, une expression inquiète sur le visage :

"Comment tu te sens d'ailleurs? Il t'a pas fait mal, cette ordure?"

Je fais aucun commentaire sur son histoire, mais je trouve ça plutôt sympa. C'est souvent les histoires les plus simples qui sont les plus marquantes, de toutes façons.

- Ouais, j'espère que ça tranquillisera ta petite. Waalan va se mettre dans un coin et elle bougera pas.

D'ailleurs, ma grosse bestiole commence à se dérouler pour glisser sur le sol, progressivement.

- J'suis pas en mousse. Ce gars-là était aussi fort qu'il était intelligent. Mais merci de t'en inquiéter.

C'est pas vrai, mais ça a pas d'importance. Ouais, il m'a fait mal aux bras en m'empoignant comme ça, et puis je me suis faite mal en me débattant.

- Je t'en prie, assieds-toi. On commence par un petit rafraîchissement ? Qu'est-ce qui te ferait plaisir ? Tiens, t'as la carte sur l'ordi. Ce sera moins bon que d'habitude, parce que je suis pas en cuisine, mais bon, ça devrait être pas mal quand même.

Je lui fais un clin d'oeil, et j'esquisse ce qui pourrait se rapprocher le plus d'un sourire, quand je force pas.

"Elle t'en remercie, oui."

Gaël observe un instant les mouvements du grand serpent blanc, impressionné par l'imposante et majestueuse créature. Il n'a que rarement eu l'occasion d'observer des Naä'ngi d'aussi près. Sa maîtresse lui assure qu'elle va bien, qu'il lui en faut plus pour réussir à lui faire mal, et si Gaël reste intérieurement perplexe, il n'insiste pas. Il pourra continuer à veiller sur elle pendant le déjeuner qu'elle souhaite lui offrir, et si jamais elle se révèle à avoir besoin de quoi que ce soit, il sera là.

"Bonne idée, les rafraîchissements. D'ailleurs si tu as un contenant dans lequel Querida pourrait boire, elle l'apprécierait surement."

Il se met à regarder les différentes suggestions du menu à l'écran, mais ne prend pas place sur l'un des canapés, comme suggéré par Raedhun. Il propose plutôt :

"Tu voudrais un coup d'main? Seul je sais à peine me faire cuire un oeuf, mais avec un peu de directives j'devrais arriver à t'être utile. Et tant qu'à être là..."

Il n'aime pas regarder les autres faire alors que lui reste assis les bras croisés. Il aime aider, d'abord, mais il a aussi toujours besoin de bouger, de se garder occupé, en grand hyperactif qu'il est.

Je suis contente qu'il insiste pas sur mon état. J'aime pas qu'on me prenne en pitié, et ce type a l'air de l'avoir senti. Il m'a laissé l'ascendant, il a pas essayé de se rendre maître de mon problème. Il a juste été là en tant que soutien, et il continue un peu à prendre ce rôle naturellement. Quand il me demande de quoi faire boire Querida, j'hésite pas la moindre seconde. Nos clients se ramènent souvent avec leurs animaux, alors on a tout ce qu'il faut pour les compagnons poilus ou non. Dans un meuble, je sors deux bols un peu larges, et j'en tends un à Gaël.

- Tiens, ça devrait suffire. Y a une fontaine d'eau dans le coin, sers-toi.

Je réfléchis un instant. J'aurais bien aimé préparer le repas moi-même, mais ces petites salles sont pas faites pour, ce serait trop compliqué. Tant pis.

- Non, t'en fais pas. On va juste envoyer les directives à la cuisine, et on se fera servir. J'aime pas faire ça d'habitude, mais on va dire que c'est exceptionnel. Choisi juste ce que tu veux, fais toi plaisir.

Et puis j'ouvre un placard, au-dessus du meuble aux bols. J'en sors deux bouteilles, parmi tant d'autres, et les montre à l'homme. Je me débrouille bien en cuisine, mais je suis un peu moins douée pour les boissons.

- Par contre, si t'as un talent pour faire des cocktails, on peut tenter de les faire nous-mêmes. T'en penses quoi ?

"Merci."

Gaël s'éloigne, allant remplir le bol d'eau, puis siffle Querida pour le lui présenter. Après un regard incertain autour d'elle pour s'assurer qu'il n'y a aucune menace, l'Atikaya se met à boire avidement de sa fine langue bifide. Gaël sourit, amusé par le manège sérieux de son irascible compagne. Il revient ensuite vers l'écran ou s'affiche le menu et pince les lèvres. Tout à l'air délicieux, et franchement, même le plus banal des sandwichs lui semble un véritable festin comparé aux barres de nutrisoja qu'il mange d'habitude, ou pire, de ce qu'il tente de cuisiner lui même. Il choisit donc rapidement une image qui lui plait et pianote sur l'écran pour entrer la commande.

"J'vais essayer le burger de chèvre et miel, tiens. Je commande quoi pour toi?"

Un nouveau sourire vient étirer le coin droit de sa bouche à la vue des bouteilles qu'elle sort du placard. Ah ça par contre, il sait déjà manier beaucoup mieux. Pas comme un professionnel du bar ou de la mixologie, mais il connait suffisamment son chemin autour d'une bouteille d'alcool pour être utile dans la présente situation.

"Bon plan."

Il termine d'entrer leur commande sur l'écran puis vient la rejoindre, attrapant une des bouteilles au passage.

"Mmh. Whisky. Tu t'laisserais tenter par un Old Fashioned?"

Impossible de se tromper avec de vieux classiques, après tout.

Pendant qu'il commande et qu'il donne de l'eau à Querida, je prépare la table sur laquelle on va manger. D'habitude, quand on a une réservation, on prépare la salle en avance. Là, c'était pas vraiment prévu, mais on s'arrange toujours comme on peut. Je suis débrouillarde, et j'oublie jamais que c'est mon établissement.

- T'as du goût, Diaz. C'est celui que je préfère. Prends moi la même chose, tiens.

Puis, quand je termine d'installer et que j'ai sorti les bouteilles, Waalan siffle, impatiente. Je vais aussi lui remplir sa coupe d'eau.

- Tu peux pas attendre cinq minutes, toi ? Tiens, voilà, impatiente.

Quand il m'annonce son projet de cocktail, ça m'arrache une moue satisfaite.

- On se laisse toujours tenter par un Old Fashion. Je te laisse gérer ça comme un grand. Tu crains la fumée ou j'peux fumer tranquille ?

C'est ma première pause de la journée, donc ma dernière clope remonte à mon réveil. Je vais pas pousser le vice jusqu'à me piquer devant un client, mais pour le reste...

- Au fait, t'étais venu juste pour déjeuner, avant d'être détourné de tes projets par l'autre imbécile ?

La moue satisfaite de Raedhun n'est pas tout à fait un sourire, mais Gaël en est tout de même satisfait. Il se concentre donc sur la préparation de leurs cocktails en fouillant dans les armoires du bar pour y trouver un mélangeur et les ingrédients.

"Tu peux fumer tranquille. J'vais surement t'accompagner après avoir terminé ça, du coup, si la fumée n’est pas interdite à bord."

Ayant trouvé le verre à mélange, il attrape le sucre et en verse une cuillère dans le récipient pour chaque verre. Il verse ensuite une goutte d'angostura et une goutte de whisky dessus, puis écrase le sucre au fond du verre à l'aide d'une petite cuillère jusqu'à ce qu'il soit complètement dissout.

"J'étais là pour affaire, si on veut. J'avais des connaissances à rencontrer, au sujet d'un potentiel boulot."

Ce n'est ni complètement vrai, ni complètement faux. Il a appris il y a longtemps que mentir en restant le plus près possible de la réalité est la meilleure façon de préserver ses secrets.

"J'imagine que tu travaillais, toi?"

Gaël ajoute quatre glaçons avant de verser le whisky puis ferme le verre à mélanger et secoue vigoureusement. Il verse ensuite le liquide et les glaçons dans deux verres plats, qu'il allonge un peu avec de l'eau gazeuse trouvée dans le bar. Il doit fouiller un peu plus longtemps pour arriver à trouver du zeste d'orange - pour faire joli comme les barmans - puis vient offrir son verre à la blonde avec un sourire.

J'avais déjà sorti mon matériel pour rouler quand il me que ça le dérange pas.

- T'as du bol, dans nos salles privées, c'est pas interdit.

Et même si ça l'avait été, on s'en serait foutu, pour cette fois. C'est moi la patronne, les autres peuvent rien dire. A la limite, Rob' pourrait gueuler si je déconne trop, mais il est pas là. Ca règle le problème. Et puis il me sort une phrase à la con, trop vague pour rien cacher. Mais je comprends, je ferais pareil, à ça place.

- Pour affaire ? Des connaissances ? Un potentiel boulot ? Mmh-mmh, ouais, je vois l'genre. J'espère que j'suis pas en train de te faire rater l'opportunité de ta vie. Quoi que le burger chèvre miel et la tranquillité de la pièce en valent vraiment la peine.

Quand j'ai fini de rouler mon pétard, je le mets entre mes lèvres, et je prends le verre qu'il me tend.

- Merci. T'as du feu ?

Je retire la clope de mes lèvres pour humer l'odeur de l'alcool, je fais tourner le liquide dans le verre et je trempe mes lèvres pour goûter. Pas mal.

- Ouais, je manque de personnel en ce moment, alors je participe à la cuisine, l'accueil, les réclamations des clients, et la gestion en général. Je te préviens. Si le Crust explose pendant mon absence, ce sera ta faute.

À son ironie, il sourit en coin de nouveau, levant un sourcil vers elle pour rétorquer, joueur et ionique à son tour :

"J'croyais que l'anonymat et la discrétion étaient les maîtres mots ici, non? À moins que ça s'applique pas aux proprios?"

Il répond ensuite à sa demande par un hochement de tête et sort son briquet de sa poche, l'allumant pour elle. Il lui lève ensuite rapidement son verre puis prend une petite gorgée lui aussi, goûtant son cocktail. Mhe. C'est pas la même chose que lorsqu'un vrai barman fait le boulot, même si c'est pas mauvais. Un peu trop de sucre peut-être? Il pourrait toujours l'allonger avec plus de whisky.

"Parfait alors. Ça te fera une pause de tout ça alors, je s'rais pas qu'une perte de temps."

Il va à son tour vers la table et sort lui aussi de sa poche son matériel pour se rouler une cigarette. Il n'a pas remarqué ce qu'elle fume exactement, comme il était occupé avec les Old Fashioned lorsqu'elle s'est fait la sienne, mais à l'odeur de la fumée, il croit reconnaître des feuilles d'Yäiewt. Aussi, il ne se prive pas d'utiliser les siennes.

"Si le Crust explose par contre... et que je survis à l'explosion... ce sont mes assurances qui vont m'tuer. Donc j'vais croiser les doigts pour que l'plus gros des problèmes en ton absence ne soit que quelques verres brisés."

Je lève les mains d'une façon innocente et cruellement dramatique, ma clope éteinte entre les lèvres.

- J'ai strictement rien dit, Diaz. Enfin, juste mmh-mmh. Libre à toi de l'interpréter comme tu veux, mais j'suis pas responsable de ça.

Toujours la clope entre les lèvres, il me l'allume, et je le remercie d'un mouvement de tête avant de prendre place dans un siège.

- Je jugerai si t'es une perte de temps ou pas selon le niveau d'intérêt que tu me procures. Ca te va comme ça ?

Et je le regarde rouler sa clope, avec des feuilles d'Yäiewt qui sont moins belles que les miennes - en même temps, j'suis quasiment au début de l'échelle de la consommation de ces trucs-là. Après, on les coupe avec d'autres trucs, pour faire du profit. Ca marche comme ça, la plupart du temps, même si on essaie de le faire le moins possible, dans la DUST. Je sors mon paquet de ma poche et je lui balance.

- Tiens, quitte à te droguer dans mon resto, essaye celles-là. Elles sont sûrement meilleures que ta merde.

Je ramène mes genoux contre ma poitrine, mes pieds nus sur la chaise, et je souffle un gros nuage de fumée en grimaçant.

- Si on fait exploser le Crust, j'serai suffisamment remontée pour m'occuper de tes assurances, t'inquiètes. Mais on va espérer qu'ils fassent pas ça, hein. J'me suis trop investie dans ce petit bijou pour le voir partir en fumée.

Gaël lève lui aussi les mains devant lui pour lui concéder le point. Elle a de l'humour, un humour qu'il apprécie d'ailleurs, même si elle ne sourit pas et n'est que très peu démonstrative. Leur moment ensemble devrait donc être agréable, ce qui n'est pas de refus après plusieurs heures de travail.

"Ça m'va. J'le prends comme un défi, alors."

Il sursaute ensuite lorsqu'elle lui lance son paquet de feuilles d'Yäiewt, l'attrapant au vol avant de lever un sourcil interrogateur vers elle. Il veut bien que ses feuilles à lui ne soient pas au top de la qualité, après tout, loin de Renaissance, il est toujours difficile de s'en procurer des bonnes, mais elles ne sont pas si terribles que ça... Puis, il ouvre le paquet de Raedhun et constate la qualité effectivement bien supérieure de ses feuilles aux siennes. Il lui offre alors une nouvelle moue de concession, amusé, puis poursuit la confection de sa cigarette avec les nouvelles feuilles.

Lorsqu'elle le relance sur l'explosion du Crust, il sourit en coin de nouveau, n'ayant étrangement aucun mal à imaginer Raedhun engueuler l'univers en entier, telle la pire tempête jamais vue, si on l'énervait à ce point.

"D'ailleurs, toi et ton mari avez lancé le Crust il y a quoi? Treize, quatorze ans?"

Je suis contente de voir qu'il prend mes feuilles sans rechigner.

- Tu m'diras ce que t'en penses.

Treize ou quatorze ans ? Je lève un sourcil.

- Oh que non. Ca doit faire treize ou quatorze ans qu'on en a le projet, ouais, mais ça fait seulement cinq ans qu'on a ouvert. Mais j'te comprends, parfois, j'ai l'impression qu'il est là depuis toujours.

Faut dire qu'il se passe pas une journée sans qu'on ait du mouvement, et parfois des trucs un peu chaud, comme ce matin. On a jamais le temps de s'ennuyer. Et comme je suis à la fois à la gestion, aux cuisines, à la vente et au ravitaillement, j'ai jamais l'impression de faire la même chose. Puis y a mon autre travail, à côté. Et c'est alors que le mécanisme avec les tuyaux qui apportent la bouffe se déclenche, et nous amènent nos plats, fumants et qui dégagent une odeur qui me fait saliver.

- Ah bah c'est pas trop tôt. Désolée pour l'attente. J'te l'ai dit, quand j'suis pas en cuisine, y a rien qui file droit.

Je me lève, et je prends les deux assiettes, ma clope entre les lèvres. Je dépose la sienne devant lui, et me rassied. En vérité, ils ont été assez rapides, surtout vue le boulot qu'on a. Mais bon, moi, les compliments, ça m'arrache la bouche.

Ah ouais, si peu. Il a effectivement l'impression que le Crust a toujours fait parti du décor, et s'il a une bonne mémoire, les années commencent à se confondre dans sa tête. Déjà 14 ans depuis l'abordage du Serpent de Mer, d'ailleurs... et il a encore l'impression d'y être, la plupart du temps. Gaël termine de rouler sa cigarette alors qu'une ombre passe sur son visage. Vivement que la drogue vienne engourdir ses souvenirs, s'il souhaite un tant soit peu profiter de la soirée.

Leur commande arrive avant qu'il n'ait pu ajouter quelque chose, aussi Gaël attend que Raedhun soit revenue à table pour enchainer.

"C'est rien. Merci. C'est pas rien quand même, ce que vous avez construit ici. Y a pas deux endroits comme ça dans l'système."

Il attrape une frite qui vient avec son burger et l'avale en savourant son gout comme sa texture croquante avant de poursuivre.

"C'était un rêve de longue date, donc. Comment vous est venue l'idée?"