Le spa de l'Avant-Garde

J'l'écoute parler, et j'me sens presque con. C'est tellement différent. En fait, ça a strictement rien à voir. Ca me fait réaliser que j'ai beaucoup à apprendre sur les mo'ats et leurs coutumes, surtout si j'veux pouvoir les accueillir correctement dans mon établissement.

- Je vois. Vous avez pas cette notion d'appartenance. Ce sont pas vos compagnons à proprement parler. Juste des êtres qui vous accompagne un temps, ou même à un moment de vos vies. J'suis loin de la vérité ? J'essaie de comprendre, en fait. Ta culture m'intéresse beaucoup.

Je siffle, impressionnée.

- C'est hyper bien réglé votre affaire. Les gens en Dorado et même ailleurs sont pas assez honnêtes pour faire ça. Beaucoup cherche juste le profit, encore et toujours. Les grosses maisons, les grosses propriétés... C'est un signe de puissance, par chez nous. Et y en a beaucoup qui se laissent aveugler par cette puissance-là.

Je la regarde.

- C'est pas trop difficile à gérer, le choc des cultures ?

"Un peu." Je n'ai pas honte de l'avouer surtout que le choc a été précédé d'un autre, bien plus dur encore. Mais curieusement, le Chasseur a fait transition et j'ai appris à accepter la technologie avant de pouvoir vraiment discuter avec des gens sincères des différences culturelles. "L'argent je comprends, c'est un troc avec un intermédiaire. Je trouve que c'est un manque de confiance mais comme je le disais, la confiance est difficile quand on ne connait pas les gens et vous êtes trop nombreux pour vous connaitre. J'ai plus de mal à saisir les différences de statut entre les gens. Dans mon clan, nous sommes tous utiles et tous importants. Il n'y a personne avec plus de pouvoir, ou de puissance, juste le clan. Ici, il y a beaucoup de subtilités et d'indices que je ne lis pas toujours bien."

J'hausse les épaules.

- Malheureusement, c'est simple. Si t'es pauvre, sans argent, avec des vêtements déchirés, que t'as pas de quoi te nourrir, t'existes pas. Si t'as une situation stable, une maison correcte, une famille, de quoi payer quelques trucs avec un certain prix de temps en temps, on commence à se rendre compte que t'existes, parfois. Et si t'as de l'argent à jeter par la fenêtre, jusqu'à le dépenser sans même t'en rendre compte, ben là, là t'es putain d'important. C'est comme ça que ça fonctionne, ici. Tous les influents de notre monde, ils le sont pas parce qu'ils sont malins ou meilleurs que les autres. Ils ont juste de l'argent. Et c'est tout ce qui importe. Y en a, hein, qui partent de la première catégorie et qui arrivent à atteindre a dernière, parce qu'ils sont intelligents, ou qu'ils ont de la chance. On s'en fout, de la valeur de l'individu. L'unique vraie valeur qu'il a, c'est le nombre de crédits qu'il peut mettre dans ses putains de poches.

J'écoute mais je ne suis pas forcément d'accord. Je vois bien qu'elle est parfaitement sincère dans ce qu'elle me dit et qu'elle croit vraiment que l'argent est l'unité du compteur de pouvoir. Mais je regarde sa culture avec des yeux étrangers et il y a d'autres choses. Des gens en robe rouge dont on s'écarte. Des vêtements troués qui sont traités avec respect... beaucoup de choses subtiles qu'elle doit analyser sans s'en rendre compte puisqu'elle est née dans ce milieu. Je hoche la tête. "Mais l'argent ne sert donc pas à récompenser l'individu le plus efficace et productif dans votre société ?"

J'secoue la tête, et je lâche un rire sec et sans joie.

- Nan. Pas ici, en Dorado. J'ai vu l'ailleurs, et ça dépend des mondes. J'vais vous dire. J'viens d'une famille si riche qu'elle pourrait presque acheter toute la galaxie si elle le voulait. Bon, j'exagère un peu mais c'est l'idée. J'ai vu passer beaucoup de gens comme ça, et y en a aucun qui méritaient d'être là, avec autant d'argents.

J'hausse à nouveau les épaules.

- Après j'dis pas. Y a d'honnêtes travailleurs qui se tuent à la tâche et qui gagnent durement la vie. Ma situation actuelle, j'ai bossé pour. C'est pas tombé du ciel comme tes envahisseurs. J'imagine que ça dépend du point de vue. Faudra que t'en parles à d'autres. J'vois tout par le prisme des connards tellement riches qu'ils chient de l'or.

On ne peut pas acheter une galaxie. On ne possède vraiment que ce que l'on contrôle et la nature est trop forte pour être vraiment contrôlée. Ici, ils pensent que parce qu'ils mettent un prix aux choses ils peuvent les vendre ou les dompter. Ce n'est qu'un leurre et ce sera leur perte. C'est comme cette autre expression qu'elle utilise. Gagner sa vie. La vie est un présent de la Dame. On l'a jusqu'à ce que la mort nous prenne. Il n'est pas question de le mériter ou de la gagner. Un don ne s'échange pas, sinon, c'est du troc, c'est différent. J'hésite à intervenir dessus mais elle parle vite et je ne veux pas l'interrompre. Je réfléchis donc, souriant doucement.

"Je parlerais à d'autres. Chacun voit les choses qu'il peut voir et les exprime avec ses mots. C'est toujours important de parler des mêmes choses avec des gens différents si on veut se faire sa propre idée. Et puis, si on peut, voir par soi-même."

Elle a bien raison. C'est ce qui a de bien, quand on gère un restau, qu'on côtoie des gens de la rue et des types trop riches qui se débauchent joyeusement. On entend tout le monde s'exprimer. Y a des fois où j'me dis qu'il vaut mieux être sourd que d'entendre ce qu'ils disent, mais au moins, j'ai différents points de vue.

- C'est quoi, ta vision à toi, sur tout ça ?

"Sur quoi exactement ?" C'est vague "tout ça", est-ce que c'est sur l'or ? Sur la carrière des gens ? Sur le mérite ? Sur la société ? Sur les factions en général ? Je sais que la discussion est un échange aussi je ne cherche pas du tout à me soustraire à mes obligations de partage, juste, je n'ai pas suivi sa pensée. Je devais être plongées dans les miennes. Cela m'arrive, parfois.

J'hausse les épaules.

- Tout. L'argent, les travailleurs, la vie. Je parle beaucoup, mais j'aime bien écouter ce qu'on en pense, aussi. Comme tu dis, ça permet de se faire un avis.

Je l'écoute, et j'me rends compte que c'est quasiment impossible d'envisager un mode de vie si particulier. En fait, j'peux pas imaginer que les gens que je côtoie au quotidien vivent comme ça. C'est juste pas cohérent, trop différents, trop éloigné de notre nature à nous. C'est comme de demander à l'aveugle de voir ou au muet de parler. C'est presque contre-nature, ouais, paradoxalement.

- Ouais, donc la différence fondamentale entre nos deux peuples, c'est que vous vivez ensemble et nous on se contente de cohabiter. Le bien-être des autres vous importent. Nous, on s'en fout. C'est triste, mais par ici, celui qui bouffe pas les autres, il se fait forcément bouffer.

Là, c'est putain de rare, mais je lui souris.

- Tu sais, même si mon discours est pas très optimiste, y a encore des trucs en lesquels je crois. Sinon, j'serai pas là. La beauté des étoiles, rendre les gens heureux, les faire se sentir en sécurité ou heureux. Ca, c'est des trucs qu'on peut très bien faire, à notre échelle. Comme tu dis, on a de la médecine avancée, des membres de métaux ou autres technologies avancées qui permettent à des gens qui ne devaient pas survivre de continuer à vivre. Il y a des gens sympas, avec qui on apprécie passer du temps et discuter, même dans un spa de Vanguard. Je me bats pour beaucoup de choses. Pas avec des armes ou de la violence. Mon combat à moi, il est plus subtile. Mais si j'y croyais pas, j'aurais arrêté.

"C'est bien. Il est important de se battre pour ce en quoi on croit. C'est l'essence même de la vie. Si non, on ne fait que survivre." Je lui souris en retour, inconsciente de la rareté de ce qu'elle m'offre. Je ne la connais pas assez pour cela. "Je viendrais voir un jour cet endroit que vous construisez pour la beauté des étoiles et rendre les gens heureux. Je ne sais pas quand mais je viendrais."

- Je t'attends de pied ferme. J't'offrirai un repas. J'suis curieuse de savoir ce que t'en penseras, tiens. Des regards nouveaux et des avis, ça fait toujours avancer.

J'regarde l'heure. Va falloir que je me casse, et que j'aille me préparer pour ce soir.

- J'serais bien restée là à parler avec toi encore toute la journée. Mais t'sais ce que c'est, le monde nous attend pas pour continuer de tourner. A bientôt, Way'si du clan Tompa, c'était sympa de te rencontrer.

Et Waalan viens s'enrouler autour de moi et j'me lève, avant de me diriger vers la sortie.