La Fille et le Passeur

C'est le début d'après midi sur l'astéroïde qui ne dort jamais. Tortuga. Enguerrand s'est vu proposer de protéger la fille de Jezabelle. Il attend donc de la croiser juste devant le pont d'embarquement du Némésis. Un endroit plein de pirate appartenant à l'équipage, donc un endroit sûr pour la jeune femme. Et un endroit qu'il peut fuir rapidement si nécessaire. Avec les gens du Némésis on ne sait jamais et il ne laisse pas les choses basiques au hasard. Même si un expert tacticien aurait certainement trouvé une solution plus intelligente encore.

Le pirate tout de noir vêtu regarde les environs tel un oiseau de proie. Il attend sa proie et sait qu'elle passera tôt ou tard à condition qu'elle ressemble un peu à sa mère. Finalement un jeune fille qui pourrait faire l'affaire pointe le bout de son nez. Il décide de tenter sa chance. Il se détache de la rambarde sur laquelle il était appuyé et s'approche lentement de la petite. Regard neutre, visage inexpressif mais clairement regardant vers elle. Il marche d'une façon qui semble inéluctable, comme si aucune force au monde ne pouvait l'arrêter.

Des semaines dans le vaisseau, sans poser le pied sur la terre ferme. Jillian y est habitué mais parfois ça fait du bien de respirer un peu d'air "frais", même si cet air est aussi artificiel que celui du Némésis. Elle n'ose pas trop s'aventurer dans Tortuga, des fois elle accompagne mam ou Eugène mais elle n'a jamais eu l'occasion d'y faire un détour seule. Néanmoins, elle a besoin de sortir un peu du vaisseau et de se dégourdir les jambes, l'extérieur du pont d'embarquement semble un endroit idéal et sans dangers.

Une fois hors du Némésis, elle s'étire et baille longuement en observant la vue de Tortuga qui s'offre à elle. Une parfaite représentation de l'esprit pirate : chaotique, violent mais libre comme l'air ; Cet endroit n'est pas si différent du Némésis. À la périphérie de sa vision, elle remarque un homme entièrement vêtu de noir marchant vers elle avec détermination. Au début, elle songe qu'il ne marche pas nécessairement dans sa direction mais en l'observant avec plus d'attention elle se rend compte qu'il la fixe littéralement.

Son visage inexpressif et sa façon de se déplacer font peur à l'adolescente qui se retourne d'un seul mouvement et va pour courir vers l'intérieur du vaisseau, se mettre à l'abris de ce danger. Elle avait raison, s'aventurer dans Tortuga seule était trop dangereux pour l'instant. Mais au moment où cette pensée se formule dans sa tête, son pied butte contre une irrégularité et elle roule sur le sol de l'astéroïde.

Enguerrand voit la petite qui se carapate et qui tombe. Déjà elle est pas téméraire et c'est une bonne chose. Protéger des casse-cous c'est toujours compliqué. La gamine s'étale au sol et roule attirant l'attention de membre de son équipage qui viennent lui prêter main forte.

Enguerrand lui la rejoint tranquillement, les pirates du Némésis le regardent avec défiance. Toujours prêt à défendre les leurs même contre la mort. Sauf que l'un d'entre eux blanchi soudainement.

- Toor'kran. murmure le pirate apeuré.

Le Passeur a les mains bien en vue et n'est pas menaçant dans sa posture. Mais c'est pas une indication vraiment importante quand on est un combattant de sa trempe.

- je suis pas là pour poser de problème. Je dois lui parler avant de décider si j'embarque ou pas. dit-il en montrant la petite.

Il en profite pour prendre doucement un cigare et l'allumer. Il fait souvent ça dans ce genre de situation, ça occupe ses mains et lorsque ses mains sont loin de ses armes les gens sont rassurés. C'est bête mais humain. Il tire dessus et souffle la fumée par le nez et vers le bas pour s'en entourer.

« Toor'kran ? »

Son regard interrogateur passe d'un membre du Némésis à l'autre avec incompréhension. C'était une belle gamelle mais par chance son pantalon et son manteau épais ont absorbé la plus grosse partie de l'impact, elle aura seulement quelques bleus.

L'homme a eu le temps de s'approcher et pourtant ni la présence de ses compagnons, ni le fait qu'il ne montre clairement aucun signe de menace ne l'aide à se sentir plus en sécurité. Chaque centimètre de son corps essaie de la tirer le plus loin possible de ce personnage, ce qui la rend extrêmement tendue.

« Me parler ? Embarquer ? »

Le mystère s'épaissie pour Jillian dont le regard interrogateur questionne maintenant l'homme mystérieux alors que l'équipage semble desserrer sa posture protectrice autour d'elle et retourne s'affaire à sa tâche lentement.

« Vous êtes qui ? »

Décidément la petite n'est pas prudente mais bien peureuse. Il n'a pas l'habitude de faire peur aux gens qui ne connaissent pas sa réputation. On ne peut pas dire qu'il dégage le moindre charisme ou même qu'il soit intimidant. Il est juste froid. Très froid.

- l'homme que ta mère compte engager pour assurer que tu survives aux menaces d'ordre physique. dit le pirate en la regardant de plus prêt.

Elle ressemble en effet à sa mère. Mais semble beaucoup moins ... dangereuse. C'est peut-être un piège cela dit. Il hausse les épaules intérieurement. Il a considère toute situation sur Tortuga comme potentiellement dangereuse de toutes façons.

« Ma mère ? »

L'air toujours un peu hébété. C'est tout de même un peu étrange qu'elle ne lui en ai pas parlé mais si les autres membres d'équipages sont repartis à leurs occupations c'est qu'il n'y a probablement rien à craindre. Son corps se détend progressivement alors qu'elle se remet sur ses pieds. Comme à son habitude elle époussette soigneusement ses vêtements avant de relever la tête vers l'homme mystérieux.

« Et donc ? » l'interroge-t-elle avec plus de sérieux, dans l'attente d'enfin comprendre ce qu'il lui veut vraiment et peut être qu'il éclaircisse complètement la situation actuelle.

« Vous savez qu'il y a des manières plus subtile d'approcher les gens, vous m'avez quand même flanqué une sacré frousse. » ajoute-t-elle sans attendre sa réponse et en durcissant un peu son regard, ce qui chez elle n'a généralement pas l'effet escompté.

Enguerrand écoute la petite lui faire la leçon. C'est une mode chez les jeunes de la ramener comme ça sans réfléchir à qui ils parlent. Il s'y est fait. On lui fait même du "yo" désormais. Il soupire intérieurement et observe la jeune fille. Pas encore une femme et des réactions encore pas vraiment mature. Elle essaie de le regarder avec un air dur. Il n'a jamais vraiment intimidé les gens, pas ceux qui ne connaissent pas sa réputation.

- on me paie pas pour être subtil. commence le pirate d'une voix froide. Tu fais quoi à bord ? Pendant les abordages ?

« On ne vous paie pas non plus pour me parler en l'occurence... » remarque-t-elle en levant un sourcil, mouvement de sa mère qu'elle s'amuse à imiter.

C'est la première fois qu'on est aussi direct avec elle, d'habitude les gens prennent toujours des pincettes et tournent autour du pot. C'est agréable quelqu'un qui demande directement ce qu'il veut et au vu des questions il a l'air de chercher des précisions sur sa mission.

« Je reste dans mes quartiers, à l'abris... »

Elle marque une courte pause.

« Vous cherchez à savoir si je compte vous compliquer la tâche ? »

Elle ne cherchait même pas à objecter, les expériences de ces dernières années avaient prouvé qu'elle pouvait avoir besoin de quelqu'un pour la protéger et concernant ce sujet il était inutile d'essayer d'argumenter avec sa mère. Même si la présence de quelqu'un pour la surveiller en permanence n'était pas une perspective qui la ravissait.

On le paie pas pour ça mais c'est nécessaire de le faire alors il le fait. Pas de gaité de cœur les gosses c'est toujours de nombreuses complications. Elle reste dans ses quartiers.... il sert à rien alors. Il ne va pas rester planté devant la porte des quartiers de la gamine.

- entre autre. confirme le pirate.

Il réfléchit un peu plus en avant. Sans doute qu'elle va passer bientôt au step supérieur.

- ton âge ? et tes loisirs ? enchaine-t-il avec sa voix neutre.

« Ça vous dérange si on marche ? J'avais prévu de prendre l'air. »

Comme ça il pourra l'accompagner et s'il est sensé la protéger peut être qu'elle aura l'occasion de voir ses aptitudes en la matière. Pas qu'elle cherche nécessairement à se mettre en danger. De toute façon, elle n'attend pas sa réponse et prend le pas en lui répondant se laissant prendre au jeu du question/réponse.

« J'ai 14 ans... et mes loisirs... ? » lance-t-elle d'une voix hésitante.

Elle réfléchit en tapotant le bout de son index sur son menton par habitude tout en continuant à avancer lentement, s'approchant de la foule et des rues. Maintenant qu'elle y pense elle n'a pas de loisir en particulier, son temps étant partager entre de nombreuses activités diverses.

« Je passe le plus clair de mon temps à m'entrainer et à étudier pour un jour devenir officier sur le Némésis... Le reste, je le passe avec ma mère ou les membres de l'équipage... Surtout avec les membres de l'équipage en fait. »

Elle se met en route sans attendre alors il lui la laisse prendre les devant sans lui emboiter le pas. Elle a posé une question et ne lui a pas laissé le temps de répondre. Il n'est pas pressé et si elle veut marcher seule dans les rues de Tortuga les choses pourraient devenir intéressante.

14 ans et déjà elle agit comme certains capitaines, sauf qu'elle n'est pas encore capitaine et que lui en a généralement rien à faire des capitaines. Attention il a conscience que ce sont des gens dangereux et il ne les énerve pas sans raison. D'un autre côté ils ont généralement conscience qu'il est aussi quelqu'un de dangereux et qu'il ne partira pas rejoindre Calypso seul.

Elle fait deux trois pas en continuant de parler. Sans doute qu'elle va se rendre compte dans une fraction de seconde.

N'entendant pas de réponse elle s'arrête net au milieu de la route et se retourne. Il n'a pas bougé d'un pouce. Elle tape du pied en croisant les bras, un peu agacée d'avoir parlé au vide.

« Vous veneeeeez... ? »

Le mystère autour de cet homme s'épaissit de minute en minute pour elle. C'est la première fois de sa courte vie qu'elle rencontre quelqu'un avec un caractère aussi étrange.

C'est une question cette fois puisqu'elle attend la réponse. Alors il se met en marche. Tout en économie de mouvement. Il ne prend pas la peine de répondre ses actes parlent d'eux même.

- les membres d'équipage te donnent des claques de temps à autres ? qu'il demande ensuite.

La question attend une réponse, il ne fait pas dans la rhétorique dans ce genre de situation. Il jette un œil autour de lui par curiosité et par réflexe. Il ne veut pas spécialement d'ennui. Et souhaite aussi s'assurer que la gamine n'en aura pas.

Elle attend qu'il arrive à son niveau et se met en marche, presque en demi sautillement, elle avance sans réel but, juste tout droit à travers les rues de Tortuga. Leurs démarchent sont si différentes qu'on dirait un spectacle comique.

« Des claques... ? »

Encore une question bizarre... Personne ne lui donne de claque, en fait certains membres de l'équipage surveille même tout ce qu'ils disent ou font quand elle est là. Ils ont peurs de leur capitaine et ne savent pas trop comment agir quand ils sont en présence de sa fille adorée ce qui l'agaçait de plus en plus dernièrement.

« Non, ils ont déjà peur de s'approcher de moi à moins d'un mètre. Vous avez de drôle de questions. » dit-elle en ricanant.

Il a un air carnassier l'espace d'un instant.

- ce pourrait que ça change. dit-il simplement.

Il a peur de personne parce qu'il est raisonnable. Et donc que les gens savent qu'il ne demande pas la lune ou n'agit pas de manière inconsidéré. Par contre ils savent aussi qu'il causera beaucoup de mort autour si on venait à essayer de le tuer.

Un mouvement de recul sur sa réponse et elle tourne un regard un peu étonnée.

« Vous comptez me taper ? Se serait pas genre contre votre contrat ? »

En tout cas, ça ne l'apaise pas. Ils s'enfoncent maintenant dans la foule autour d'eux. C'est la première fois qu'elle va aussi loin sur Tortuga sans sa mère et avec un étranger dont elle ne connait rien de surcroit. Elle se sent rassurer avec lui mais elle en a un peu peur, c'est une sensation bizarre.

« J'ai le droit de vous posez des questions moi aussi ? » reprend-t-elle en souriant.

Elle pose de bonne question. Pragmatique la petite.

- Si tu n'obéis pas quand j'ai besoin que tu le fasses. Où si tu me manques de respect. Alors oui. explique tranquillement le pirate.

Il avance dans la foule de Tortuga et il garde les yeux ouvert. Même si ici les gens le connaissent... c'est son port d'attache, l'endroit où il attend les navires sur lesquels il servira un temps. Alors les gens ont appris à reconnaître sa silhouette sombre et simple. Son visage dur mais pas forcement intimidant. Enfin pas pour des pirates. Non ce qui intimide c'est la légende autour de lui. Enfin pas totalement une légende non plus.

Pose. dit-il d'une voix neutre.

Le respect c'est un peu la base de son éducation elle n'a pas de problème avec ça et tant qu'il ne la traite pas comme une gamine ça lui convient. Après c'est pas impossible qu'elle oublie et lui désobéisse sans se souvenir ce qu'elle risque - mais bon prendre des claques ça lui fait pas peur non plus.

Il délit un peu sa langue, tant mieux peut être qu'elle va avoir ses réponses en fin de compte.

« Tour'kran c'est votre nom ? »

La question est choisie avec attention, elle sent que si elle pose trop de question d'un seul coup il va lui envoyer la première claque dont il lui a parlé.

Il hausse un sourcil.

Toor'kran.... et c'est un surnom que les pirates me donnent. dit-il toujours froid comme la glace.

Il se demande s'il a une tête de trinitaire ou de mo'at. Parce que les sonorités pour les noms et les prénoms sont très différentes.

- Un animal très dangereux de Renaissance. qu'il ajoute pour préciser le propos.

D'autres questions se bousculent mais elle les note pour plus tard dans sa tête. Ça a pas l'air d'être le genre à se lancer dans des explications sur le Toor'kran ni sur le pourquoi du comment il a obtenu ce surnom. Elle hoche la tête lentement pour montrer qu'elle a compris.

« Et votre vrai nom c'est quoi ? Je veux dire... Si vous devez me protéger c'est peut être mieux si je connais votre nom. »

Jillian n'a pas l'air assuré quand elle pose ses questions, c'est comme si elle avançait sur une fine couche de glace prête à se briser à n'importe quel instant. Ils continuaient à s'enfoncer dans les rues de Tortuga et le manque de repère l'angoissait un peu.

« Vous voulez aller quelque part en particulier ? » demande-t-elle, toujours sans assurance. Elle remarque le bizarre de sa propre question surtout que c'est elle qui voulait marcher à la base.

Il ne va nulle part en particulier il avance dans les rues qu'il aime. Les rues de Tortuga pleine de danger mais aussi pleine de pirate. Et les pirates il connaît. Quelques têtes lui font des signes, d'autres l'ignorent complètement et certaines ne savent même pas qui il est. Ce qui lui convient parfaitement il n'a jamais cherché la notoriété.

- Enguerrand de Cassagnac. dit-il à la petite qui est en droit de le connaître en effet.

Il jette un œil autour de lui et bifurque dans une direction précise. Visiblement il sait où il veut aller présentement.

- Je ne marche pas sans direction. dit-il simplement

Il connaît des gens qui aime marcher sans direction. Paraît que ça les détend. Mais il n'a jamais compris le principe ni l'intérêt. Enfin il n'est pas là pour les juger. Mais de son côté il aime connaître son objectif avant de se mettre en route.

Enguerrand de Cassagnac. Un nom trinitaire et un surnom mo'at, intéressante combinaison qu'elle n'allait pas relever à voix haute.

« Et je peux savoir où ? » dit-elle cette fois, avec un ton un peu inquiet.

Elle avait une dernière question à lui poser mais il montrait si peu d'intérêt à lui répondre qu'elle n'osait pas trop lui demander. Une longue inspiration pour reprendre sa résolution avant de prendre la parole.

« J'ai une dernière question, si ça ne vous dérange pas.. mais je ne sais pas si... »

Enguerrand avance et fini par pousser la porte d'une boutique. Difficile de savoir ce qui s'y vend.

C'est pas le courage qui t'étouffe. remarque le Passeur. Pose.

Il lui fait signe d'entrer.

La boutique ça ne lui inspire pas plus confiance que le reste mais elle le suit toujours. C'est pas comme si elle pouvait rentrer au vaisseau toute seule d'ici...

« Je me disais que... vous deviez être fort... en combat je veux dire... » remarque-t-elle en fixant les épées du passeur.

Elle est un peu hésitante dans sa question parce qu'elle lui semble un peu ridicule et qu'il risque de l'envoyer bouler.

« Vous m'apprendriez ? »

Enguerrand entre donc dans une boutique aux odeurs diverses et variées mais toutes de tabac. Ici on vend des cigares et pas que des bas de gamme. C'est sans doute le seul et unique luxe que se permet Enguerrand. Les prix défient toutes concurrences sur Tortuga, mais l'approvisionnement est très aléatoire par contre. Le pirate commence donc à passer devant les étagères où les boites de cigares volées sont exposées. La boutique est petite, bien agencée et plaisante au regard. On dirait presque une vraie.

Le propriétaire fait son apparition, un grand homme fin et à la peau parcheminée. Il aperçoit Enguerrand, il se tait donc. Pas la peine d'embêter le pirate il sait ce qu'il veut ou dans le pire des cas s'il souhaite poser une question il le fera. Il regarde la petite et s'apprête à lui demander ce qu'elle désire quand Enguerrand lève un main pour attirer l'attention du vendeur. Et ajoute un geste mimant une coupure et qui incite visiblement à la boucler. Ce que fait le bonhomme.

- je me débrouille. dit Enguerrand en s'adressant manifestement à la fille. Si ta mère paie ... je peux essayer.

Il n'est pas persuadé qu'elle soit une bonne élève... mais l'argent est important pour lui.