La Fille et le Passeur

Vif et agile son adversaire dévie son attaque et passe sous elle pour la frapper à la jambe et la projeter au loin avec son épaule. Sa jambe s'engourdie immédiatement et la douleur est insoutenable puis l'air est projeté instantanément hors de ses poumons étouffant son cri et remplissant sa bouche d'un goût cuivré. Ses jambes sont méchamment amochées mais rien de trop grave, d'après lui elle s'en remettra dès demain avec l'aide du médecin.

Le combat se termine là, elle n'a plus ni la force ni la volonté de se relever. L'adolescente sert les dents pour ne pas éclater en sanglot. Sur le moment elle n'est plus trop sûr que cette entraînement était une bonne idée. Elle détourne le regard pour éviter celui d'Enguerrand. Une colère d'enfant qui passera rapidement.

Enguerrand regarde la jeune femme qui se laisse un instant consumé par la rage de la défaite. Ou sans doute de la leçon trop dure pour son petit corps fragile. Il laisse un peu de temps s'écouler, silencieux et tranquille. La colère ne disparaît pas instantanément, ou rarement en tout cas. Il se décide finalement à parler.

- Tu as le choix petite... être une duelliste de salon. Ou comprendre ce qu'est le combat. Au combat la souffrance est là pour effacer ta sérénité et faire place nette pour la venue d'un tas d'émotion sans intérêt avec la science de l'épée. explique Enguerrand. Au combat il n'y a pas de règle, juste la violence, le vice et la victoire.

Il est temps que la gamine sorte de ses rêveries et du cocon dans lequel sa mère l'entoure.

J'ai perdu, mais j'ai du mal à l'accepter pour une fois. Il était beaucoup plus fort que moi et m'a écrasé comme une mouche, je trouve ça totalement injuste. La colère brûle au creux de mon ventre et si je pouvais je me relèverais encore, mais tout mes efforts sont vains. Quand il me parle, je comprends dans son discours que la justice n'a rien à voir là-dedans et ça m'apaise un peu.

« S'il n'y a pas de règle, qu'apprend-on alors ? »

La réponse m'échappe pour l'instant. Tout ce qu'il m'a dit, je le savais dans un sens, ça dormait dans un coin de ma tête, mais je refusais de le voir d'une certaine façon et je le repoussais le plus possible. J'ai l'impression que quelque chose s'écroule en moi. Combattre, c'est violent, c'est vaincre et donc c'est blessé ou tuer par conséquent. J'essaie de redresser le haut de mon corps, lentement et difficilement.

« Il va falloir m'emmener à l'infirmerie. »

L'état d'esprit qui permet de survivre et la technique à mettre au service de cet état d'esprit. dit simplement le guerrier pirate. La technique sans volonté signifie la mort. Vice versa.

Il regarde la petite qui est toujours parterre, nul doute que ses muscles sont dans un état déplorable. Il n'est pas d'accord avec elle. Enfin si, elle doit se rendre à l'infirmerie. Mais personne ne va l'emmener.

- si tu n'es pas assez forte pour aller à l'infirmerie alors tu ferais mieux de changer d'idée de carrière. lâche le pirate de sa voix neutre. Les cuisines manquent souvent de cuistot digne de ce nom, ce qui est hautement regrettable.

La technique sans volonté signifie la mort. J'utilise tout ce qu'il me reste d'énergie et de volonté justement. Je serre les dents et cherche à planter mon regard dans celui d'Enguerrand. Alvarez est mon nom et je ne satisferais pas de ma propre faiblesse. Après de grands efforts, je réussis à me maintenir debout, mais avec une douleur presque insupportable. Je pousse avec tout ce que j'ai jusqu'à la porte de la pièce et soutiens mon poids contre le cadre avec mes deux bras.

« A bientôt, Toor'kran. »

Ma tête ne se tourne pas vers lui pour attendre sa réaction, ce n'est pas un spécialiste des effusions de toute façon. Portée par la douleur, je quitte la salle et ère avec difficulté en direction de l'infirmerie, intimant ceux sur mon chemin de me laisser et que je n'ai pas besoin d'aide. Un petit sourire revient sur mon visage, mais pas l'habituel sourire enfantin. Je ne sais pas s'il acceptera le travail que lui offre mam, mais il ne fait aucun doute que nous nous reverrons et que je serais mieux préparé à l'affronter.