Dessine moi un mouton

"Mais c'est pas possible... Les rues, ça disparait pas comme ça, normalement..."

La dernière fois qu'elle avait été sur Hope, Sunny n'avait pas vraiment eu le temps de se promener. Elle n'était restée que quelques jours pour l'enterrement de son papa - juste assez pour essayer d'épauler tant bien que mal Wulf, de serrer maman très fort dans ses bras avant de devoir repartir en dehors de Dorado. Son souvenir de la rue en question datait donc de bien, bien avant, et elle en était arrivé à la conclusion que si, les rues, ça disparait.

Sunny soupira en s'arrêtant en plein milieu du passage. Cela faisait maintenant quelques heures qu'elle errait sans trouver ce qu'elle cherchait. Elle avait une boutique bien précise en tête, un vieux monsieur qui avait pignon sur rue quand elle était petite et qui, elle se souvenait, faisait des portraits de familles passant dans la rue moyennant une petite somme. Clairement, le vieux monsieur avait dû y passer, y'avait pas d'autres explications.

Alors qu'elle s'apprêtait à abandonner et à revenir sur ses pas, une touche de couleurs attira son oeil dans une rue adjacente. Sunny fit volte-face et sautilla plus que ne marcha vers la devanture d'une petite galerie, qui, après avoir regardé à l'intérieur, n'était pas si petite que ça. De nombreux tableaux étaient accrochés aux murs, et elle pouvait même appercevoir certains portraits.  

Un sourire naissant aux lèvres, elle poussa tentativement la porte de la gallerie, un petit peu impressionée par le silence qui y régnait. "... Y'a quelqu'un?"

Hush avait changé de galerie pour exposer ses œuvres. Il n'avait pas le choix : il y en avait trop pour qu'il les garde à bord du Ni'huan, et il n'avait pas pu se résoudre à rester dans la galerie très exposée - qui lui avait apporté plus de problèmes qu'autre chose. Cette galerie là était plus tranquille, et plus proche du port, aussi. Elle était loin des quartiers trinitaires, et il disposait d'un coin très confortable dans lequel il pouvait peindre, sculpter ou créer pendant des heures entières - en dehors de sa petite cabine sur le Ni'huan.

Hush était parti loin, au-delà des montagnes flottantes et de l'Océan, lorsqu'une voix s'éleva dans les locaux silencieux. L'artiste muet avait de la peinture sur le visage et ses habits, les cheveux ébouriffé et le regard pétillant. Il posa son pinceau, essuya ses mains sur son pantalon et attrapa son carnet d'écriture, ainsi qu'un crayon. Il avança vers l'entrée, pour découvrir une jeune femme a l'air solaire. Hush sourit, avant d'écrire.

"Bonjour, je m'appelle Hush. Bienvenue dans ma galerie. En quoi puis-je t'aider ?"

Sunny avait déjà ouvert la bouche pour saluer la personne qui s'était avancée dans la pièce, mais elle se stoppa lorsqu'elle le vit gribouiller sur un carnet qu'il tenait à la main. Son sourire se transforma brièvement en une moue interloquée. Déjà, l'homme était... Grand. Très grand. Bon, d'habitude aussi les gens étaient plus grands qu'elle, ça la changeait pas non plus tant que ça de devoir lever la tête pour bien le voir, le monsieur. Mais il y avait quelque chose de différent chez lui qu'elle ne pouvait pas vraiment expliquer. Peut-être que c'était les tâches de peinture qui parsemaient son visage ou le calme qu'il avait imposé à la pièce, troublé seulement par les bruits du crayon sur le papier.

"Oh-, c'est toi l'artiste?"

Bah, oui, au vu des tâches de peinture et de ce qu'il a écrit, ça parrait logique... Sunny secoua la tête devant sa propre bétise et se fendit d'un grand sourire contrit avant de tendre sa main.

"Sunny! Enfin, Sunngifu, mais personne ne retient jamais celui-là, donc c'est Sunny."

Sa voix résonna un peu fort à ses propres oreilles, entrainant une autre moue un poil désemparée. C'est qu'elle n'avait pas vraiment l'habitude des galeries d'art non plus, la petite.

"Est-ce que je dois chuchoter? C'est tellement calme ici."

Hush sourit, l'air amusé mais le regard débordant de gentillesse. Il hoche lentement la tête en guise d'unique réponse à la première question de la jolie rousse. L'artiste ne peut pas s'empêcher d'apprécier l'énergie solaire qu'elle amène à son lieu d'art si paisible. Son sourire s'élargit encore, et il a l'air d'un animal bien trop heureux lorsque la jeune femme lui offre le surnom par lequel elle se fait appeler, et son origine. Hush se met aussitôt à écrire, écoutant pourtant la jeune femme qui continue à parler avec toute l'attention dont il est capable.

"Je suis enchanté, Sunny (est-ce que ça s'écrit bien comme ça ?) Mon vrai prénom est Aäsh'an. Mais personne ne le retient jamais. Donc c'est Hush. Tu n'as pas besoin de chuchoter. Je serai même ravi que tu fasses autant de bruit que tu le veux. Le problème quand on est muet, c'est qu'on a tendance à toujours s'enfermer dans le silence, et on s'y habitue bien."

Il rit en silence, avant de terminer son petit paragraphe.

"Mais d'aucuns prétendent que mon art est bruyant.
Qu'est-ce que je peux faire pour toi, Sunny ?"

Il écrit vite, avec de belles lettres cursives, habitué à ce mode d'expression. Il tend donc son carnet d'écriture à la jeune femme, attendant qu'elle lise et lui réponde.

Des mains qui courent vite sur le carnet, c'était presque assez fascinant pour que Sunny doive s'arrêter de parler. (Notez que ça n'arrive pas souvent...) Elle ne pense pas avoir jamais vu quelqu'un qui écrivait aussi vite. Elle, elle est plutôt du genre à retenir en observant et en répétant les mêmes gestes milles fois. Elle ne put s'empêcher de sourire à nouveau en lisant les mots qui lui sont tendus, pas du tout mal à l'aise devant cette communication en dilettante. Cela donne à la conversation quelque chose de spécial, une sorte de bulle permettant de faire attention à ses paroles; ça aussi, c'est assez rare.

"Sunny tout comme ça, oui. C'est joli comme variation, Hush. Mais est-ce que tu préfères Hush ou Aäsh'an?" La prononciation est un peu maladroite mais pas entièrement dissonante, tout du moins elle n'espère pas. Ses propres racines sont bien distantes, et elle n'a plus entendu la voix de maman depuis longtemps, mais elle a déjà entendu des noms Mo'at, alors la moindre des choses est d'essayer de dire ça correctement.

Son sourire se fait plus doux à l'évocation de l'art qui l'entoure, ses yeux parcourant à nouveau la pièce. Soudain, elle se sent un peu timide, comme si elle prenait conscience de sa petite requête face à la grandeur des travaux de l'artiste.

"J'ai vu des portraits et je me demandais si... J'aimerais bien faire un cadeau à quelqu'un. Un petit dessin, mais je sais pas si c'est quelque chose que tu fais."

Hush se sent étrangement touché par la question de Sunny. C'est sans doute l'une des premières fois que quelqu'un lui demande réellement ce qu'il préfère, par rapport à la façon dont on l'appelle. Et sur le coup, il n'est pas tout à fait certain de sa réponse. Cependant, son hésitation ne dure pas très longtemps.

"Aussi loin que je me souvienne, on m'a toujours appelé Hush. Alors je suppose que c'est plus naturel pour moi. Et toi, est-ce que tu préfères Sunny ou"

Il marque un temps d'hésitation, incapable de prendre une décision quant au si joli prénom de la demoiselle, et peu décidé à risquer de l'écorcher.

"Excuse-moi, je ne sais pas comment s'écrit ton prénom complet. Mais je le trouve très beau. Il m'inspire beaucoup."

Il montre son carnet une première fois à la jeune femme, et sourit de plus belle face à sa demande, hochant vigoureusement la tête. Il attend néanmoins qu'elle ait terminé de lire ses premières phrases avant de reprendre son carnet pour lui répondre à nouveau.

"Faire des portraits est ce que je préfère. J'ai plusieurs styles différents, que je peux te montrer. Et si tu as une photo, un dessin, ou une description très précise, je peux dessiner qui tu veux. Je peux aussi me déplacer directement pour voir la personne."

Il est très excité, mais reste calme, égal à lui-même. Il est toujours très heureux de savoir que son travail plait. Lorsqu'il reçoit des commandes, c'est un plaisir de les réaliser.

"Tout le monde m'a toujours appelé Sunny aussi. Généralement, on n'utilise mon nom entier que pour me râler dessus, alors... Est-ce que je peux...?"

Elle hésite avant de tendre timidement les mains vers le carnet. Elle ne sait pas pourquoi, mais ça semble plus facile d'écrire son nom dans un coin plutôt que de l'épeler à voix haute, mais elle comprends aussi que le carnet est important pour Hush puisqu'il lui permet de communiquer, alors elle demande avant. Son écriture est fine et un peu brouillonne.

'Sunngifu'. Un peu bêtement, elle doit se retenir de mettre une petite étoile sur le i, comme quand elle était petite. Elle le fait presque - il y a un petit scribouilli qui ne ressemble pas trop à un point. Les étoiles, elle trouvait ça marrant, vu son nom. Elle tend le carnet à Hush, se mordille la lèvre, mais ce geste nerveux se transforme immédiatement en un autre sourire brillant devant l’acquiescement de l'artiste. Même si son projet semble tout petit, il n'est pas petit ou bête pour elle, et Hush aime clairement ce qu'il fait. C'est idiot, mais ça la rassure.

"J'ai pris une photo." Elle parle en fouillant ses poches (une salopette avec de graaaandes poches), sort un tournevis, le range, un papier, toujours pas ça, mais où est-ce qu'elle l'a mis encore?! "Zut, désolée, je sais qu'elle est quelque part..." Elle s'accroupit pour pouvoir mettre tout son bric-à-brac par terre, un air de concentration intense sur le visage.

Hush lègue son carnet à Sunny sans la moindre hésitation. Il n'a absolument pas peur qu'elle abîme ou fasse n'importe quoi avec ce qui lui sert de support pour s'exprimer. Il attend en se penchant tout de même en avant pour observer l'écriture de la jeune femme, curieux de lever ce voile de mystère qui l'interpelle. Finalement, elle lui rend son carnet, et il s'imprègne de l'écriture en clignant plusieurs fois des yeux. Il marque un temps d'arrêt en voyant le gros point sur le "i", se pose plusieurs questions avant de décider de ne pas y prêter plus d'attention que ça. Il sourit. C'est beau. Il aime.

"Sunngifu. Je trouve ça vraiment très beau. Est-ce que je peux t'appeler Sunngifu sans que tu aies l'impression que je te râle dessus ?"

Puis, elle se met à chercher une photo avec frénésie. Et Hush demeure totalement interloqué devant le nombre d'objets en tout genre qu'elle a dans ses poches. Comment est-ce qu'elle peut arriver à faire entrer tout ça ? Comme un enfant fasciné, Hush s'accroupit à son tour, son carnet serré contre son torse. Il observe la jeune femme avec de grands yeux émerveillés, détaillant chacun des objets qu'elle sort de ses poches, s'attendant à ce qu'elle découvre un trésor d'une seconde à l'autre. Il n'ose rien toucher, et pourtant, ce n'est pas l'envie qui lui manque. Il ne veut juste pas paraître totalement irrespectueux vis à vis des biens de la jeune femme.

Un papier de bonbon, un ressort, une, ah, non, deux piles, un élastique à cheveux qui finit à son poignet, un autre petit tournevis et deux trois embouts, le bracelet que son papa lui a offert quand elle était toute petite, avec des soleils et des étoiles et qui faut qu’elle rallonge, elle grommelle un peu, les poches sont trop grandes. Finalement, un petit cri de triomphe lorsqu'elle trouve la photo qu'elle avait méticuleusement plié en deux.

"La voilà!" Elle sourit comme une gamine avant de relever les yeux. "Sunngifu me dérange pas. Tu peux m'appeler comme tu veux." Le sourire s’élargit encore plus. Elle aime bien quand les gens ont des mots spéciaux pour elle.

Même si la photo était dans sa poche, elle n’est pas abimée et il est clair que Sunny en a pris soin. Elle la tend à Hush presque solennellement. Dessus, il y a quatre enfants: deux plus âgés, Wulf est pratiquement un adolescent, Niaw un peu plus jeune. Ils sont assis côte à côte. Wynn est sur le côté, il a déjà son air sérieux, c’est marrant sur sa bouille d’enfant. Et Sunny trône fièrement au milieu, sans dent sur le devant, sa tignasse rousse disciplinée en une belle tresse rien que pour la photo.

"C’est mes frères." Elle explique doucement. "J’aurais bien voulu avoir une photo plus récente où on est tous plus âgés, ou même comme maintenant, mais… Disons qu’on s’est pas retrouvé tous ensemble dans la même pièce depuis longtemps."

Hush attend patiemment qu'elle ait terminé de chercher, observant avec une grande curiosité tout le matériel qu'elle sort de sa poche. Lorsqu'elle trouve enfin la photo, le grand mo'at pose son carnet et son crayon sur le sol avant de prendre la photo très délicatement avec ses deux mains. Il observe les visages un à un, s'imprègne des traits de chacun. Son regard fait plusieurs aller-retours entre le visage enfantin de Sunngifu et celui qu'elle a maintenant. Hush sourit, attendri. Puis, il rend la photo à la jeune femme, le temps de prendre son carnet d'écriture.

"Si tu veux, je peux essayer de vous vieillir. Si tu as un peu de temps à m'accorder, tu peux me guider pour le visage de tes frères. Et comme ça, je pourrais reproduire cette photo des années après la première prise. Je peux te montrer mes différents portraits pour que tu me dises si tu préfères que ce soit réaliste ou non. Qu'est-ce que tu en dis, Sunngifu ?"

Il tend son carnet, toujours accroupi et souriant. Il aime les défis quand il s'agit d'art, et il espère sincèrement qu'il pourra contenter la jeune femme. Sa famille a l'air d'être quelque chose de sacré pour elle. C'est, en tout cas, l'impression qu'il a.

Le silence s'installe alors que Hush observe la photo, ses yeux passant sur le papier glacé et s'arrêtant parfois sur Sunny elle-même. Elle ne se sent pas forcément mal à l'aise, même si elle suppose que l'attention rougit un tout petit peu ses joues. Sunny sent son coeur qui accèlère un tout petit peu aussi, parce que c'est sa famille, parce qu'elle voudrait vraiment que Hush accepte, parce qu'elle veut vraiment faire un cadeau à maman. Quand la réponse survient, elle reste bouche bée une demi-seconde avant de rayonner à nouveau.

"Tu pourrais vraiment faire ça?" Joie, une pointe de surprise et de curiosité aussi. Elle trouve ça absolument fascinant que quelqu'un qui ne les a jamais vu là maintenant puisse peut-être, rien qu'en l'écoutant déblatérer ses histoires, les dessiner pour de vrai. Comme ils sont. (Enfin, comme elle s'en souvient. C'est qu'elle a pas vu Wynn depuis un bout de temps, et les deux derniers, c'était pas à un moment joyeux qu'elle a pu voir leurs visages pour la dernière fois...) "Ce serait- absolument dingue et génial. Et j'aimerais beaucoup voir tes autres portraits."

Et puis, plus doucement, un peu en demi-teinte, après une petite inspiration et parce qu'elle sait qu'elle doit poser la question. "Tu aurais une idée de combien ça ferait, à peu près?" Elle a des sous. D'accord, c'est les sous pour ses études, mais vu qu'elle y retourne pas... C'est juste qu'elle ne sait pas si c'est suffisant. Elle peut presque entendre Wulf râler.

Hush est heureux de voir la surprise se peindre sur le visage de Sunny, et il est encore plus heureux d'avoir l'impression que tout ça la rend heureuse. Il rit silencieusement, et hoche la tête. Il n'est pas sûr et certain d'y parvenir, mais il veut absolument essayer. Il a déjà fait plusieurs portraits dans l'autre sens, c'est-à-dire qu'il a transformé une femme d'âge mûr en une jeune femme. Il suppose que faire l'inverse n'est pas beaucoup plus compliqué, et si Sunny se révèle être douée dans ses descriptions, il pourrait arriver à quelque chose de convainquant. Alors il se relève, en laissant le tempss à la jeune femme de récupérer ses affaires dans ses poches, avant d'initié le mouvement vers le fond de sa galerie.

Sur le chemin, il ralentit un court instant, afin de pouvoir écrire. Il est capable de dessiner ou d'écrire tout en marchant, mais il se connait. C'est un coup à se casser la figure, et à ne pas pouvoir honorer ce qu'il vient de faire miroiter à Sunny.

"Tu me donnes ce que tu as envie de me donner, ou ce que tu peux me donner."

Il hésite, mais finit par se justifier. Non pas qu'il soit obligé de le faire, mais il en a envie.

"J'aime beaucoup ce genre de projets, et l'art n'est pas mon activité principale. Je n'en vis pas."

Et il pointe des portraits différents accrochés au mur. Certains sont très réalistes, d'autres moins, mais tous sont très bien réalisés.

Elle est déjà en train de faire des calculs dans sa tête. Elle a beaucoup économisé ces dernières semaines, mais ça reste de l'argent qui n'est pas que son argent. La culpabilité liée au 'mais quelle idée de payer autant pour un dessin' fraternel lui résonne en tête d'une voix bougonne. Si c'est trop cher, elle pourra toujours demander à Hush de simplement les dessiner comme ils étaient petits, et elle peut toujours s'enlever de la photo au pire, maman sera quand même contente d'avoir les trois autres nigauds côte à côte (pour ce que ça arrive), et...

Elle s'arrête. Il faut qu'elle relise trois fois le petit carnet pour comprendre, et ses yeux sont ronds comme des billes. "Tu es sûr?" Puis, une autre ligne, une explication, Sunny se retrouvant interloquée avant que son sourire brillant ne reprenne de plus belle. "Je pourrais te sauter au cou là maintenant! Rassures-toi, je ne le ferais pas, les gens n'aiment pas toujours quand je suis aussi démonstrative."

Son visage se fend d'une moue un poil malicieuse. Ses yeux se portent ensuite sur les portraits au mur et elle prends un long moment pour les parcourir. Lorsqu'elle se tourne à nouveau vers Hush, elle a l'air plus qu'admirative. "Ils sont magnifiques, tu as beaucoup de talent. Je n'arrive pas à croire que ça ne soit pas ton activité permanente, ça doit te demander tellement de temps! Tu fais quoi à côté? Si c'est pas trop indiscret."

Hush a un sourire jusqu'aux oreilles devant l'adorable réaction pleine de spontanéité de Sunngifu. Elle lui rappelle Aeÿ'gis, sa petite soeur. Les deux jeunes femmes dégagent exactement la même énergie solaire. Il n'aurait pas été dérangé qu'elle lui saute au cou, pour cette même raison : elle lui rappelle Aeÿ'gis. Alors il hausse légèrement les épaules sans cesser de sourire, comme pour signifier que ça n'a pas vraiment d'importance pour lui.

Il s'efface ensuite légèrement pour laisser à la jeune femme toute la place nécessaire à la découverte de son travail. Il porte une main à son cœur de mo'at quand elle lui dit qu'il a beaucoup de talent et que son travail est magnifique. Il est touché, et on peut le voir jusque dans son regard très expressif. Quand elle demande ce qu'il fait habituellement dans la vie, il se dirige vers son petit atelier improvisé et prend un second carnet. Sur celui d'écriture, il écrit :

"Je suis cartographe et navigateur. Je ne fais pas que créer des cartes, mais c'est ce que je préfère dans mon activité."

Et pour appuyer ses propos, il attrape son second carnet et l'ouvre à une page qui représente des cartes, maritimes ou terrestres. Il possède encore plus de cartes spatiales, mais elles sont trop complexes pour être dessinées.

"Le reste du temps, je fais de l'art ou je m'occupe de mon fils. Et toi, qu'est-ce que tu fais dans la vie ?"

Sunny a plein de questions dès que Hush lui écrit sa réponse. Surtout, elle est impressionnée: les portraits de l'artiste évoquent une sensibilité particulière, mais son autre métier l'intéresse tout autant. Même si elle n'a jamais été assez patiente pour la cartographie, tout ce qui touche de près ou de loin à un quelconque vaisseau a tendance à la faire se transformer en un moulin à paroles. Elle doit se forçer à ne pas noyer Hush sous une pluie de demandes, parcourant d'abord sagement le carnet remplis de cartes.

"C'est tellement impressionant, Hush. Tu voyages depuis longtemps? Avec le même équipage? Ils sont gentils? C'est quel genre de vaisseau? Oh, est-ce que tu l'as dessiné un jour?"

Reprise de souffle. A nouveau, elle ne peut s'empêcher un petit sourire contrit sur les lèvres: elle sait très bien que sa curiosité débordante peut froisser parfois. Elle espère que Hush saura lui dire si ses questions sont maladroites ou déplacées. Elle réflchit un moment à la question qui lui a été posée.

"Je suis... J'étais apprentie mécanicienne." C'est ce qu'il y a de plus juste, vu de sa situation. "J'aimais beaucoup ça, c'est juste que je n'ai jamais été la plus assidue et... J'avais envie de rentrer. Ma famille me manque trop." Les voix mêlés de Wulf et Wynn dans sa tête qui lui disent que c'est pas une raison, elle les ignore. Son visage s'attendrit à la mention du fils de Hush. "Tu as un portrait de lui dans la salle?"

Hush sourit toujours, flatté par l'intérêt que la jeune femme semble lui porter. Alors il attrape son carnet et il prend le temps de répondre à toutes les questions qu'elle a posé.

"J'ai commencé à voyager il y a un peu moins d'une dizaine d'années. Mais ça ne fait qu'un peu plus d'un an que j'ai rejoins mon équipage, et que je voyage librement. Ils sont très gentils. C'est un vaisseau rempli de mo'ats libres."

Il n'a pas écrit le mot pirate, même si il n'est pas inquiet, et pas méfiant le moins du monde. Il lui tend son carnet, et pendant qu'elle lit, il ouvre son carnet de dessin sur une autre page, qui représente le Ni'huan. Puis, il échange ce carnet-ci contre celui d'écriture, pour répondre à nouveau.

"Il y a d'autres façons d'apprendre un métier qu'à l'école. J'ai appris dans les livres, et avec un Maître Navigateur bavard.
Vous avez l'air très proche, ta famille et toi, sur la photo."

Il rit silencieusement.

Puis, il soulève plusieurs coins de pages de son carnet de dessin, jusqu'à tomber sur une des nombreuses pages dédiées à Tobias. Il n'expose aucun de ses portraits ici, puisqu'il ne veut pas les vendre - et puisqu'il ne veut pas faciliter la tâche aux Trinitaires qui les pourchassent.

Les mains de Sunny alternent entre les différents carnets, les yeux toujours aussi écarquillés et brillants d'intérêt. Des voyages, un équipage de mo'ats libres, et les croquis d'un vaisseau tout en longueur, éfillé et fin qui font que Sunny voudrait pouvoir en dépecer toutes les pièces et admirer la bête sous toutes ses coutures. Pas sûre que Hush (ou son capitaine) apprécie beaucoup, pense-t-elle avec un petit sourire.

"Je suis revenue pour ça, aussi. Pour essayer de me trouver un job, ou au moins quelques expériences pratiques. J'apprends mieux quand j'ai les mains dans le camboui."

En écoutant ce que lui dit Hush et en se souvenant de ce qu'il lui a dit tout à l'heure, une idée commence à se former dans sa petite caboche, mais elle la garde bien au chaud pour l'instant. Et puis, la remarque sur ses frères a fait baisser un peu son sourire, il est devenu légèrement plus figé. Elle cache un soupir. "On l'était. On l'est encore, mais... C'est plus difficile maintenant que tout le monde est occupé chacun de son côté. C'est pour ça que j'aimerais bien offrir ce dessin à maman, pour qu'elle ait un souvenir de nous tous ensemble."

Ses yeux se portent sur le portrait d'un très jeune enfant à la bouille absolument mignonne et elle fond immédiatement. "Oh, il est tellement adorable! Comment est-ce qu'il s'appelle?"

Hush hoche la tête. Il ne peut que comprendre de quoi elle lui parle ; il a beaucoup appris sur le terrain, en se baladant avec son père pour comprendre l'espace, en observant et en faisant diverses expériences sur le vaisseau de son ancienne maîtresse. En dessinant aussi. Il fait tellement de plans et de cartes qu'il ne saurait pas toutes les recenser si on le lui demandait.

Il l'écoute avec une grande attention lorsqu'elle parle de sa famille, de la façon dont ils étaient soudés puis se sont éloignés. Il a encore plus envie qu'avant de lui offrir un magnifique portrait de famille actualisé, et il mettra tout son cœur à l'ouvrage pour que ce soit le plus réussi possible. Il s'imprègne d'ores et déjà de la photo, des traits, des postures des différents garçons. Il ne les connait pas, bien sûr, mais la façon dont ils se tiennent en révèle beaucoup... Sur la force de celui-là, par exemple. Et sur la timidité peut-être maladive d'un autre. Il est à nouveau captivé par ce que son cœur voit. Aussi, il met plusieurs longues secondes avant de répondre à la jeune femme. De son crayon, sans appuyer, il écrit "Tobias", sur le carnet de dessin que la jeune femme tient toujours.

Puis, il met son crayon entre ses lèvres, et fouille dans son bazar organisé d'artiste. Il en sort trois toiles de taille différentes, et lance un regard interrogatif à la jeune femme, pour savoir quel format elle préfère.

"Tobias." Sunny répète après avoir lu le mot écrit sur le carnet, en souriant. "C'est un très joli prénom. Il a l'air vraiment chou." Ses yeux parcourent une dernière fois le portrait avant de refermer doucement le carnet en faisant très attention à ne rien abîmer ou à ne rien froisser. Le sourire de Tobias est bien protégé comme ça, et Sunny n'a pas besoin de demander pour savoir qu'il est précieux.

Elle se retourne alors que Hush farfouille dans ses affaires, un brin curieuse à nouveau, observant ses gestes. Lorsqu'il se tourne vers elle avec les trois toiles, elle hésite un peu. Ça devient tout de suite plus concret, et elle n'est pas vraiment sûre de sa réponse. C'est qu'elle n'est pas allée plus loin qu'essayer de convaincre un artiste de dessiner son petit projet, tout petit. Et elle s'imaginait que la personne choisirait une feuille de papier - surtout si le coût était entré en jeu -, pas une vraie toile comme pour une vraie peinture.

Mais maman mérite une vraie peinture. Ça, elle n'a pas besoin de s'en convaincre. "Hm. Bon, je m'y connais pas trop..." Elle essaie de s'imaginer le portrait dans la maison, là où elle pourra l'accrocher. Pas trop grand, il n'y a pas beaucoup de tableaux chez maman, mais assez grand pour les contenir tous les quatre. Les versions petites comme les grandes. Finalement, après deux longues minutes d'intense cogitation, elle désigne celle du milieu. "Est-ce que celle-là irait, tu crois?"

Hush est touché par les commentaires de la jeune femme sur son fils. Il porte une main à son cœur, lui signifiant ainsi qu'il n'est pas insensible aux compliments de la jeune femme en ce qui concerne son fils. Il est toujours reconnaissant de voir le monde accueillir Tobias avec tant de bonté.

Hush respecte le temps d'intense réflexion de la jeune femme. Il est patient, il sait attendre- qualité indispensable lorsque l'on est cartographe ou artiste. Finalement, lorsqu'elle porte son choix sur la toile du milieu, il sourit et hoche la tête. Il ne perd pas davantage de temps, pose la toile sur son chevalet à la place de celle qui occupait la place - une tentative de dessiner ce dont il se souvient de son enfance ; on y voit la forêt qui s'étend, un ruisseau, un enfant qui tient la main d'un homme plus grand, des fleurs aux couleurs parfois improbables, et la douceur d'un souvenir agréable.

Il pose la photo sur une petite tablette en bois à côté de la toile et prend son carnet d'écriture. Sa main le démange, il doit dessiner. Cependant, il prend le temps, il sourit, il écrit- plus frénétiquement qu'auparavant, mais toujours avec la même douceur qui se dégage naturellement de lui. Il n'est pas non plus question de se laisser déborder par la création.

"Je vais faire un premier croquis sur papier, n'hésites pas à commenter en temps réel pour me guider. Dis moi quand tu es prête, d'accord ?"

Sunny sent une pointe d'excitation mais aussi de stress alors que Hush s'intalle, pose le cadre et la photo qu'elle lui a donné devant lui, se prépare. C'est stupide, elle sait très bien que ça ne repose pas sur elle, mais elle ressent quand même une toute petite pointe d'angoisse. Et si elle n'arrivait pas à décrire ses frères correctement? Et si elle n'arrivait même plus à se souvenir de certains détails? Elle est du genre à avoir des idées assez impulsives et à les suivre jusqu'à un mur ou un résultat. Le cadeau de maman n'était pas une exception, mais c'est tout de suite plus concret de voir l'artiste sur le point de poser les premiers traits.

Elle essaie aussi de ne pas penser au fait qu'elle sera forcément sur ce tableau: la petite elle, mais aussi la grande. C'est plus facile de faire la belle et de se sentir confiante quand un regard n'est pas braqué sur vous. Elle ne sait même pas si sa tignasse tient en place dans sa tresse ou s'il n'y a pas encore des tâches d'huile de moteur sur elle-même, mais elle suppose qu'elle avisera quand Hush passera à cette partie des portraits.

'Arrête de te faire des plans sur la comète et concentre toi, girouette.' S'intime-t-elle à elle-même en secouant la tête, prenant une bonne inspiration avant d'afficher un sourire étincellant. "Prête." Son ton est beaucoup plus confiant qu'elle n'est vraiment, elle sait bien donner au change.

Elle dit être prête, et Hush n'attend pas davantage avant de se lancer dans la création. Il commence par les contours, imagine les visages, vieilli les traits qu'il perçoit. Il part de celui qu'il pense être le plus vieux, grandi son corps, allonge ses membres, en essayant de rester aussi fidèle que possible à la photo qu'il voit. Il n'est pas habitué à faire ce genre d'exercices, mais ça ne l'empêche pas d'éprouver beaucoup de plaisir, tandis qu'il essaie de faire naître des versions plus âgées des frères de Sunngifu. Il esquisse rapidement les traits du grand timide, l'imagine plus grand encore, mais toujours aussi timide. Enfin, il dessine le dernier des frères, en se fondant sur les mêmes procédés que pour les deux premiers. Il relève les yeux vers la jeune femme, écarte sa main un instant du papier pour qu'elle puisse voir librement ce qu'il a fait, et qu'elle lui indique ainsi ce qu'il lui faut modifier.

Hush lui offre un sourire empli de douceur, s'imprégnant aussi de ses traits à elle, du bonheur solaire qu'elle dégage, des quelques marques qu'elle conserve encore de l'enfance. Il pourrait en faire un portrait magnifique. Elle est si jolie...

Sunny est bouche-bée. Plus les traits se précisent sur le papier, plus elle sent son coeur accélerer. La mâchoire volontaire de Wulf, déjà bien affirmée à l'adolescence, la bonne tête de plus que Wynn a pris sur elle et qui l'a fait ronchonner tout un été d'être officiellement la plus petite, les petits rides au coin des lèvres de Nyaw à force de trop faire le pitre... Ce sont bien ses frères qui se dessinent devant ses yeux. Un peu différents, une version d'eux qu'elle ne connait pas vraiment, mais similaires tout de même en beaucoup de points. Elle secoue la tête, clairement impressionnée, un peu touchée aussi.

"Tu as de l'or dans les mains, Hush." Murmure-t-elle, son sourire se faisait plus doux avant de tendre la main vers le dessin pour pointer certains petits détails. Elle doit se pencher un peu vers Hush, oubliant comme souvent que la proximité peut parfois surprendre les gens. "Le nez de Wulf est un peu moins droit... Il se battait souvent, l'idiot. Oh, et... Hm, son bras est mécanique maintenant. Un vieux machin. Il veut jamais me laisser regarder, il dit que la mécanique des navires et celle des bras c'est pas la même chose, et il a raison, mais il sait surtout que je risque de volontairement faire une entaille dedans pour le forcer à aller le faire réparer." Petit sourire malicieux en coin. Elle le ferait pas, ça couterait trop cher, mais elle râle qu'il ne s'en occupe pas mieux.

Hush fixe le visage de Sunngifu avec un regard ouvertement attentionné. Il est touché par les émotions qu'il voit se profiler au travers des expressions de la jeune femme. Il serait bien incapable de rester indifférent aux autres, quand il voit que son art atteint son but et perce le cœur de ceux qui le voient - tout comme le monde qu'il perçoit et qu'il essaie de retranscrire perce son cœur à chaque fois. Il hoche la tête, à l'écoute des indications de la jeune femme. Il efface et refait les détails qu'elle pointe. Le nez du dénommé Wulf un peu moins droit, un bras de métal a l'air vieux et rapiécé, pas comme les neufs qu'il voit parfois chez les hommes et les femmes qui ont de l'argent.

Tout en dessinant, il jette de fréquents regards à la rouquine. L'expression qu'elle affiche est un indicateur précieux qui parvient à l'aiguiller avec une grande justesse - et il comprend ainsi s'il est sur la bonne voie, ou s'il se trompe. Un léger mouvement de sourcil, une lueur dans les yeux, un froncement de nez - ce que ça peut être mignon, ça... - sont parfois bien plus éloquents que les mots. Il le sait parce que les mots n'ont jamais été son moyen de communication principal. Il a appris à voir et à sentir tout ce qu'il y a autour. Tout ce qu'on n'a pas besoin de dire. Sur le papier, le crayon poursuit sa course.

Sunny ne remarque pas tout de suite le regard qui s'est posé sur elle. Elle est toujours aussi fascinée par les traits de crayon de Hush, peut-être encore plus maintenant que le visage de Wulf se précise au point de ressembler à celui qu'elle connaît bien. Son sourire est presque enfantin alors devant cette vision si familière, une petite main fine se posant doucement sur l'épaule de Hush presque sans s'en rendre compte. "Là. C'est parfait."

Il lui faut un léger temps pour se rendre compte de son geste, et sa main recule afin de laisser un peu d'espace à l'artiste alors que la jeune fille affiche une moue contrite et gênée. Ses joues ont rosi, mais au vu de sa peau pâle, ce n'est pas très surprenant. "Désolée. C'est juste que... Son air de tête de mule est vraiment fidèle à l'original. C'est incroyable."

Elle sait donner au change avec de l'humour et elle se reconcentre sur le dessin, sur Niaw cette fois, avec un petit pincement au coeur qu'elle a toujours quand elle pense à lui. Sa voix repart de plus belle. "Nynniaw a un piercing à la lèvre, une boucle en métal clair, plutôt fine, et un à l'oreille. Et il se débarrasse rarement de sa paire de lunettes d'aviateurs, il s'en sert comme bandeau pour ses cheveux. Il est un peu plus musclé au niveau des épaules. Il est devenu soldat pour l'U.C, ils doivent le faire travailler comme un forcené."