Dessine moi un mouton

Le visage plein de jus du fruit qu'il vient de manger, le petit garçon regarde l'adulte avec une admiration certaine. L'homme est attendri, et il s'abaisse à côté de la rivière, juste pour pouvoir prendre de l'eau dans l'une de ses paumes et débarbouiller son fils. L'instant d'après, l'homme asperge le garçon en un jeu qui accroit encore la joie qui transparait déjà. Et puis l'instant d'après, il se relève et reprend la main du plus jeune, pour continuer leur périple à travers la jungle. Ils disparaissent à nouveau. Hush essuie sa main. C'est une nouvelle page qui se tourne.

Il s'autorise un nouveau regard sur Sunny, mais ne s'attarde pas, cette fois. La première chose qu'Hush dessine cette fois, c'est une montagne qui s'étend à l'horizon, au milieu de la feuille. En contrebas, la jungle avec les mêmes arbres que ceux au travers desquels l'homme et le garçon se baladaient juste avant. Au bas de la feuille, comme un pic victorieux, une falaise surplombe la jungle. Il essuie ses mains, change de peinture. Cette fois, il l'utilise en premier pour faire le ciel. Un ciel qui s'assombrit, un soleil couchant. Le garçon et l'homme apparaissent, l'un sur les épaules de l'autre. Ils marquent un temps d'arrêt, tandis que l'aîné redépose l'enfant sur le sol. Il court jusqu'au bord, mais attend sagement avant de trop s'en approcher, pointant avec merveilles le soleil couchant. Son père le rejoint d'un pas assuré, et tous les deux, ils s'assoient face à ce spectacle.

Elle a posé son menton sur ses genoux pour s’empêcher de toujours tendre son corps vers l’avant comme si ça allait la rapprocher du tableau, ou pire, se sachant capable de déranger Hush et voulant éviter cela à tout prix. Ses bras entourent ses jambes également, c’est plus sûr comme ça. Lorsque leurs yeux se rencontrent à nouveau, elle lui adresse le même sourire qu’auparavant, authentique et sincère. Elle aime le silence qui règne dans la pièce, elle d’habitude si bavarde: elle n’aurait pas trouvé les mots pour décrire ce qu’elle ressent de toutes façons.

Un coucher de soleil, des tons plus sombres. Malgré cela, la scène n’est pas triste, elle ne peut pas l’être, elle est pleine d’amour et de douceur. Elle est émue. Elle pense à sa famille. Elle pense à son propre papa, la nostalgie s’installant dans sa poitrine. Elle se sait trop à fleur de peau sur le sujet et se force à se concentrer sur le paysage, ne voulant pas bêtement avoir les larmes aux yeux quand Hush lui offre un cadeau comme celui-ci. Car c’en est vraiment un, de cadeau. Et il est bien trop joli et doux pour être gâché par des pleurs inopportuns.

Et c’est en se concentrant sur le visage fin du Mo’at qu’elle arrive à chasser cette mélancolie soudaine et à revenir dans la jungle, avec le petit garçon et son histoire.

Le père et l'enfant continue à se mouvoir au rythme de gestes et d'une conversation inaudible. Le soleil s'abaisse dans le ciel, derrière la montagne qui se dresse à l'horizon, et le ciel s'assombrit lui aussi. Le grand astre n'a pas tout à fait disparu quand les premières étoiles pointent le bout de leur nez. Immédiatement, l'enfant pointe les points qui scintillent tout en haut de la feuille, et qui s'étende progressivement comme si l'on rabattait une couverture. Les nuances d'oranges et de roses deviennent du violet qui se fonce progressivement, puis du bleu presque noir, et les étoiles recouvre l'endroit. Cependant, à mesure que l'obscurité se dessine et qu'un nouvel astre nocturne vient offrir sa lumière aux explorateurs, de nouvelles couleurs viennent enflammer la jungle en contrebas.

Les arbres aux feuilles a priori ordinaire revêtent un jaune éblouissant, brillant. L'enfant se penche légèrement en avant émerveillé par ces teintes inattendues qui offrent au paysage une ambiance féérique. A mesure que la lune avance dans le ciel et que les étoiles se meuvent, la lueur jaune des arbres s'abaissent, jusqu'à devenir un magnifique bleu luminescent, accentuant encore davantage la beauté de l'instant. L'homme se lève, cherche une couverture dans son sac et drape son fils à l'intérieur. La lune est à son apogée quand le garçon s'allonge, la tête sur les genoux de son père qui lui caresse tendrement l'épaule. Hush marque un temps d'arrêt. Il fait deux pas sur le côté, admirant le tableau final, avant de regarder Sunngifu.

Hush attend, et il n'a pas l'impression d'attendre. Il se sent comme hypnotisé par les traits de Sunngifu, par son regard qui parcourt sa toile, par l'expression qu'il croit lire en elle. Lorsqu'elle le regarde finalement lui, émue et visiblement reconnaissante, Hush sourit sans parvenir à dissimuler sa gêne. Oubliant qu'il a encore les mains pleine de peinture, il se frotte le visage, puis la nuque, décorant ainsi sa peau de tâches colorées sans même s'en rendre compte. Il hausse les épaules et se détourne brusquement, bousculant encore son chevalet au passage. Il le rattrape in-extremis, regarde Sunny encore plus gêné, et se dirige vers son carnet d'écriture d'un pas pressé. Il s'essuie distraitement les mains sur son chiffon au passage, et récupère son crayon et son carnet.

"Si tu as des questions ou des remarques, je serai très heureux de les entendre. Mais d'abord, est-ce que tu as soif ? Ou faim ?"

Il tend finalement le carnet sur lequel subsiste quelques marques de la peinture qu'il a mal essuyé sur ses mains. Il a l'air réellement soucieux du fait que la jeune femme ne manque de rien et se sente au mieux, comme si son bien-être avait une grande importance à ses yeux. Et qui sait, peut-être est-ce vraiment le cas ?

Elle rit à nouveau, ce rire léger qui sonne presque comme le chant d’un petit oiseau. Pas de Hush, cependant. Elle rit parce qu’elle se sent bien. Elle rit parce que la vague de mélancolie est passée mais l’émotion est toujours bien présente, une chaleur dans sa gorge et sa poitrine. Elle veut la communiquer. Elle veut trouver d’autres mots, ou pas de mots de tout puisqu’ils semblent si inadéquats et dérisoires, pour exprimer à quel point elle est reconnaissante qu’Hush ait partagé ce moment avec elle. Cette histoire. Elle le devine peut-être, son histoire, même si elle serait tout aussi satisfaite si ce n’était pas le cas.

Et Hush qui s’inquiète de savoir si elle a faim ou soif.

Elle secoue un peu la tête - maintenant qu’elle y pense, elle est un peu affamée, elle n’a pas pris le temps de manger avant de venir, elle ne voulait pas dépenser son argent, mais ça n’a pas d’importance. Elle s’approche d’Hush, n’hésite que pour une brève seconde afin ne pas trop le surprendre avant de l’enlacer. Puisque les mots ne viennent pas, les gestes prennent le relais. Elle est petite et sa tête arrive environ à l’épaule d’Hush. Elle se sent un peu bête car elle ne veut pas se retrouver soudainement projetée en arrière si le Mo’at n’apprécie pas. Mais elle en avait trop envie.

« Merci. » Elle répète doucement.

Hush sent son coeur qui s'accélère une première fois quand Sunngifu se met à rire. Encore, il veut l'entendre encore. Il veut la faire rire de toutes les façons possibles et imaginables. Il veut se nourrir de ce son, ce son qui empli sa poitrine d'une joie qu'il ne saurait exprimer d'aucune façon - lui qui arrive pourtant si bien à coucher ses émotions sur le papier. Il a un sourire légèrement idiot, qui fait parfaitement écho à ce fameux rire, qu'il voudrait lui demander de faire encore et encore, jusqu'à ce qu'il s'en lasse - c'est-à-dire jamais.

Et son coeur bat plus fort encore quand la jeune femme rousse s'approche de lui et vient l'enlacer. Il sent la chaleur de son corps contre le sien. Son premier réflexe est de penser qu'elle va avoir des tâches de peinture de partout. Alors il hésite un instant, les bras écartés, légèrement relevés. Et puis lentement, très lentement, il vient les refermer sur le corps de la jeune femme. Son coeur cogne si fort qu'il se demande un instant s'il ne veut pas simplement s'échapper de sa poitrine.

Il a l'impression d'avoir du mal à respirer, d'avoir chaud et froid à la fois, de sentir le monde qui tourne étrangement vite tout autour d'eux. Et en même temps, voilà il n'a pas souvenir de s'être déjà senti aussi bien, aussi entier, aussi heureux. Alors que ses bras serrent le dos de la jeune femme avec douceur, il ferme les yeux et sourit.

Elle ne le lâche pas. Elle sait qu'elle devrait; un câlin de remerciement, ça ne dure pas aussi longtemps, habituellement. Mais les bras d’Hush se referment doucement autour d’elle, et la notion du temps disparaît complètement. Le corps du Mo’at est plus chaud que le sien, la tête de la jeune fille est posée contre son épaule. C’est tellement agréable, elle n’a aucun envie que ça s’arrête, elle n’a aucune envie de se reculer ou de perdre ces sensations. Son coeur a accéléré tout d’un coup, Sunny a presque peur qu’il le remarque. Elle sait que ses joues ont rosies, raison de plus pour rester bien cachée tout contre Hush.

Lorsqu’elle s’écarte enfin, elle ne pourrait elle-même dire si des minutes se sont écoulées ou de longues secondes. Ses yeux cherchent ceux du Mo’at et lorsqu’elle les croise, c’est à son tour de se détourner un peu bêtement, un brin gênée. Sa main remonte vers sa joue où elle sent bien une trace de peinture encore un peu humide, elle rit pour cacher son embarras en tentant vainement de l’essuyer. « Je ne dirais pas non pour un verre d’eau, maintenant. Et un chiffon aussi, s’il te plait. » Yeux qui pétillent toujours alors qu’elle tente de se remettre des émotions qui la chamboulent.

Hush a l'impression de vivre un moment hors du temps. Un moment qu'il voudrait voir se poursuivre indéfiniment. Il ne rouvre les yeux que lorsqu'il sent que Sunngifu prend l'initiative de se décoller de lui. Pourtant, il sent encore la douceur de son corps, la chaleur de sa peau, et surtout, surtout il sent son odeur. Il a l'impression d'en être imprégné, et elle lui est si agréable que ça non plus, il ne saurait s'en lasser. Leurs regards se croisent encore. Hush ne sourit pas, mais la regarde avec un mélange d'émotions entremêlées et confuses qu'il ne parvient pas à nommer ni à comprendre. Il finit par sourire lorsqu'il remarque la tâche de peinture qui macule la joue de la jeune femme, et se met en mouvement lorsqu'il réalise ce qu'elle lui demande.

Chevalier servant, Hush court presque jusqu'à son petit atelier pour rapporter un grand verre d'eau fraîche ainsi que le plus propre des chiffons qu'il a pu trouver, pour permettre à la jeune femme d'essuyer la marque pourtant jolie qui lui donne un air de chef d’œuvre. Hush lui tend le chiffon et le verre sans se soucier des propres marques dont il doit sûrement être couverts - sinon il ne sait pas bien comme la jeune femme aurait pu se retrouver maculée ainsi. Sans réfléchir, sur le coup de l'émotion, il signe:

"Tout va bien?"

Se rendant compte de son imbécilité il rit silencieusement avant de prendre son carnet pour poser la même question à l'écrit.

Elle prend le temps de respirer profondément plusieurs fois pendant qu’Hush disparaît dans son atelier. Son coeur bat toujours à plein régime, elle presse une de ses mains contre sa poitrine pour tenter de le calmer. Elle est troublée. C’est idiot, hein? C’était son idée de serrer Hush dans ses bras, elle ne le regrette pas le moins du monde, mais c’est l’intensité de sa propre réaction qui la prend au dépourvu. Elle sait pourtant qu’elle n’a pas le temps de trop se poser de questions et masque son trouble derrière un joli sourire lorsque l’artiste lui tend le verre et le chiffon. Petites gorgées du premier avant de se servir du fond d’eau afin d’imbiber le chiffon et d’essuyer la trace sur sa joue. Ses yeux sont toujours posés sur Hush, elle observe la gestuelle fluide de ses mains, curieuse.

« Tu as dit la même chose? Juste avant. » Elle demande après avoir lu les mots griffonnés sur le carnet. Question qui, soit dit en passant, lui permet un petit temps de réflexion quant à la celle qui lui a été posée en retour, et qui lui pose bien des soucis. Que peut-elle répondre? Qu’elle n’aurait qu’une envie, c’est de se réfugier à nouveau dans les bras d’Hush pour vérifier si elle obtient la même réaction? « Ça va. Très bien, même. » Petit rire, une main qui attrape une de ses mèches au passage. « J’ai trop de questions, je ne sais pas par où commencer. »

Hush se sent à nouveau gêné par la question de la jeune femme, et son réflexe idiot de parler en langue des signes, comme il le fait avec les personnes qui lui sont proches et qu'il connait depuis un certain temps - puisque sa langue des signes, il n'y a qu'une poignée de personnes qui la connaissent, et seulement trois vivants qui la parlent couramment - son fils, sa petite sœur, et lui. Il reprend son carnet.

"Pardon, c'est idiot, je ne sais pas pourquoi j'ai agi comme ça. Je t'ai demandé si tu allais bien dans ma langue."

Il s'apprête à tendre son carnet mais suspend son geste en plein vol pour faire une petite précision - même s'il ne sait pas bien si elle sera utile.

"La langue des signes."

Il oublie néanmoins sa gêne quand Sunngifu lui assure qu'elle va très bien. Il se sent rassuré par cet information. Il voudrait qu'elle se sente mal pour rien au monde. Encore ce rire qui fait rater un battement à son coeur qui ne veut visiblement pas se calmer, et puis ces mouvements envoûtants qu'il suit du regard sans parvenir à s'en détacher. La jeune femme lui avoue avoir plein de questions à poser, et Hush décide de sauter sur l'occasion - peut-être un moyen d'oublier son trouble et toutes les choses anormales qui sont en train de se passer sans qu'il n'en comprenne le sens.

"Je t'écoute. Commence par celle qui te passe par la tête juste maintenant."

Hush est surpris par les mots de la jeune femme. En réalité, elle n'est pas la première qui s'intéresse à lui et à sa langue, mais tous ceux qui l'ont fait auparavant étaient des personnes qui avaient un lien déjà fort avec lui, ou qui étaient destinés à vivre avec lui. Cependant, il ne se montre pas farouche et lentement - comme lorsqu'il apprend à Way'si ou à ses camarades du Ni'huan - il refait les gestes qu'il a laissé échapper involontairement, en décortiquant bien chaque mouvement pour que ça paraisse clair.

"Toi - être - bien"

Ce ne sont pas les mouvements les plus complexes - et de toutes façons, sa langue est basée sur l'instinct plus que sur une technique complexe. La langue mojat en elle-même est déjà très imagée, alors il ne pouvait en être autrement d'une langue des signes mojat. Hush récupère ensuite son carnet, sans même pouvoir s'arrêter de sourire. Il y a quelque chose chez cette fille qui lui donne en permanence envie de sourire. C'est comme ça, et ça lui va très bien. Il ne lui viendrait pas à l'esprit de s'en plaindre.

"Il n'y a aucune question stupide. Seulement des questions auxquelles j'essaierai de répondre au mieux.
Oui, je suis l'enfant. Et l'homme est mon père.
Il me disait souvent que c'est la curiosité sur le monde qui nous entoure qui nous maintient en vie.
Alors pose-moi toutes les questions que tu veux.
J'aime te savoir en vie."

Elle observe la gestuelle attentivement, en faisant bien attention à ne pas trop laisser son regard dévier vers les traits de l’artiste comme elle le fait habituellement. Inconsciemment, ses mains tentent d’imiter ce qu’elle voit avant même que la phrase ne soit finie. Elle sait qu’elle a toujours mieux appris de cette façon, en observant et en effectuant les mêmes gestes encore et encore jusqu’à ce qu’elle parvienne à un résultat satisfaisant. Timidement, mais en souriant toujours car elle ne peut pas empêcher ses lèvres de s’étirer à chaque fois qu’elle croise le regard d’Hush, elle tente la même phrase.

“Comme ça?” Demande-t-elle donc en espérant ne pas s’être trop trompé. C’est important. Elle sait qu’Hush ne lui en voudrait pas de se tromper, mais c’est important pour elle.

Encore une fois, son sourire s’accentue lorsqu’elle repense à la joie que l’enfant dégageait sur le tableau. Le Hush qui se tient en face d’elle est plus grave, même elle croit voir dans ses yeux une lueur similaire à celle de son lui du passé. Et puis elle continue de lire, et sa respiration s'accélère à nouveau malgré elle. Elle se retrouve à bêtement ne pas savoir quoi répondre.

“Personne ne m’avait encore dit ça.” Elle parvient finalement à murmurer, un très grand sourire s’affichant sur son visage malgré son apparent trouble. Elle se force à garder le fil de ses pensées. “Cette planète, cette forêt… Où est-ce qu’elle se trouve, exactement? Je n’ai jamais rien vu d'endroit aussi beau.”

Hush observe les mouvements de la femme avec une grande attention, avant que son sourire ne s'agrandisse encore - comme si c'était possible ! Il hoche doucement la tête, avant d'écrire sur son carnet.

"Oui, c'est parfait. Tu es très douée."

En réalité, bien que ses gestes n'aient rien de compliqué, il est très rare que les personnes réussissent aussi bien du premier coup. Il y a toujours une posture, un petit quelque chose qui ne va pas ou qui n'est pas parfait. Mais il faut croire que Sunngifu est naturellement douée pour observer et reproduire.

Et puis, lorsqu'elle lui avoue que personne n'avait jamais dit ça, Hush se frotte la nuque, embarrassé. Il réalise qu'il a peut-être eu des commentaires déplacés sans le vouloir, mais la rouquine ne semble pas lui en tenir rigueur, alors il se contente d'afficher un sourire désolé. Et son sourire se fane progressivement tandis qu'il comprend les mots de la jeune femme. Une lueur de tristesse traverse son regard malgré lui, et il prend quelques secondes avant de recommencer à écrire.

"A vrai dire, je ne sais pas. Quelque part sur Renaissance.
J'étais très jeune lorsque j'en suis parti, et les images comme les souvenirs sont les seules choses qu'il me reste de cette période de ma vie. Je ne sais pas si je serai capable de retrouver cet endroit.
Peut-être.
Je suis cartographe, après tout.
Mais je n'ai jamais eu l'occasion d'essayer, et je ne sais pas non plus si j'en ai envie."

Il ne peut s'empêcher d'être amusé par les paroles de la jeune femme. Il porte une main à son torse et s'incline très légèrement devant le compliment de la jeune femme, quoi qu'il soit toujours persuadé que Sunngifu a un don particulier pour observer et refaire des mouvements. Mais il n'est pas du genre à insister lourdement.

Lorsqu'il sent la main de la jeune femme se poser sur son torse, Hush est d'abord surpris. Il finit néanmoins par sourire, et sans réfléchir, il pose sa propre main sur celle de la jeune femme. Il est sincèrement touché par ses mots, et il la regarde un moment avant de reprendre sa main et son carnet pour écrire à nouveau. Cependant, durant tout ce moment-là, il ne ressent pas la moindre gêne, comme si tout était d'un naturel absolu avec Sunngifu.

"Ce sont des souvenirs très heureux. Mais sans ma famille, ces lieux n'auront plus la même majesté. Je crois que ce sont les personnes qui rendent un endroit apaisant, magique et agréable, plus que le lieu lui-même.
Mon père m'a donné le goût du voyage et de l'exploration, ma mère celle du dessin du cœur. C'est ce que j'aimerais transmettre à mon tour, aujourd'hui. Ça et, si Calypso le veut, l'esprit de liberté."

Il écrit vite, d'une écriture légère et belle, et sa dernière phrase apparaît sur son papier sans qu'il ne l'ait vraiment souhaité au départ. Cela ne fait rien. Il pense profondément chacun des mots qu'il a pu écrire.

La main de Hush est sensiblement plus chaude et grande que la sienne, mais Sunny ne peut qu’apprécier cette différence. Elle trouve d’ailleurs la peau de l’artiste sensiblement plus douce que ses propres mains souvent dans les moteurs et couvertes d’huile et de petites coupures et égratignures, rarement soignées par leur propriétaire. Et oui, elle voudrait retenir sa main un peu plus longtemps quand il lui enlève, même si elle la lui rend bien volontiers pour que leur discussion puisse continuer.

Elle hoche la tête et sourit. Elle comprend. « Les lieux n’auraient pas la même importance sans l’amour qu’on ressent pour les gens qui s’y trouvent, oui. » Elle pense à la maison, elle pense à son papa, à maman, à ses frères. Au manque. Mais aussi à son coeur qui lui rappelle à quel point elle les aime. « Si tu es aussi talentueux navigateur que dessinateur, alors je ne m’inquiètes vraiment pas pour cet objectif. Ta passion et ton coeur parlent pour toi. » Elle le rassure, retrouvant son sourire un brin amusé et joueur.

Encore une fois, Hush est très touché par les mots de la jeune femme. Naturellement, il ramène sa main là où il a encore l'impression de sentir celle de Sunngifu, juste au niveau de son cœur. Il pourrait rester là à la regarder pendant des heures et des heures, hors du temps. Il y a une harmonie dans les traits de son visage, une lueur dans son regard, et ce quelque chose de presque sauvage qu'elle dégage, qui le fascinent. Il pourrait la dessiner encore et encore, un millier de fois et plus, pour mémoriser le moindre trait, la moindre tâche de rousseur, et tout ce qui fait que Sunngifu est Sunngifu. Il doit se mettre un coup de pied aux fesses mental pour réussir à détacher son regard d'elle.

Il met un moment avant de trouver quoi écrire. Hush n'est pas un homme bavard, ni par écrit, ni par oral, et lorsqu'il se sent vraiment bien avec quelqu'un, ce n'est plus avec des mots qu'il a envie de communiquer. Mais il se force, parce qu'il n'est pas sûr que la jeune femme pourrait comprendre tout ce qu'il voudrait lui dire, tout ce qui lui passe par l'esprit à son propos.

"Tu as vraiment une très belle forme de lèvres.
Est-ce que tu veux qu'on retourne travailler sur ton portrait de famille ?"

Leurs yeux se croisent et elle ne peut regarder ailleurs. Elle sent son coeur battre à toute vitesse dans sa poitrine, sait que ses joues la trahissent aussi un peu et maudit intérieurement sa peau trop pâle où les émotions sont trop visibles. Mais elle ne peut regarder ailleurs. À chaque fin de phrase, elle s’attend à la fin: de la conversation, de leur moment, de cette atmosphère, de sa compagnie. Quand elle était entrée dans la pièce, elle ne voulait pas partir car elle savait ce qu’elle devrait affronter ensuite. Maintenant, elle ne veut pas partir car elle ne veut pas sortir de cette pièce et se dire qu’elle ne reverra plus Hush. Elle ne veut pas.

Quand il écrit à nouveau, c’est automatique: ses joues rougissent, ses yeux fuient et elle se mord inconsciemment les lèvres comme si elle ne réalisait que là, maintenant, qu’elle en avait. Elle réussit à se rattraper en passant une main sur sa nuque et en affichant un sourire qui se serait voulu charmeur mais qui est juste un poil timide et clairement touché. « Ça, on me l’a déjà dit. » Elle voudrait ajouter que ceux qui l’ont dit auparavant ne l’ont jamais fait rougir autant, mais les mots ne sortent pas. Doucement, une voix lui répète.

« Oui, allons-y. Pour éviter que Wynn me renie parce que je ne me suis pas souvenu de la forme exacte de son nez. » Elle plaisante alors.

Hush se sent désolé un moment de voir qu'il a gêné la jeune femme. Il ne veut pas la gêner, et il se traite intérieurement d'imbécile. Mais en même temps, la voir sourire et rougir de la sorte est un spectacle dont ses yeux ne veulent plus se passer. Alors il sourit, unique réponse qu'il est capable de fournir face à la réaction de la jeune femme. Il commence d'ailleurs à avoir mal aux zygomatiques à force de sourire autant, et aussi largement. Il secoue donc la tête et entraîne Sunngifu à sa suite pour retourner face au carnet de dessin et à la toile encore vierge qui attend de recevoir ses couleurs.

Il ne s'assoit pas, et ramène une petite table à côté de leurs chaises, pour pouvoir aussi poser son carnet d'écriture, et continuer à parler plus facilement à la jeune femme. Il n'a pas envie qu'elle reste silencieuse, même quand lui sera en train de dessiner. Puis, il s'installe tranquillement en tailleur sur sa chaise - position d'allure très inconfortable pour un homme aussi grand que le mo'at. Il prend à nouveau son crayon et son carnet de dessin, le met bien en vue de Sunngifu pour qu'elle puisse lui dire tout ce qui va ou ne va pas. Lui, il est prêt.

Ils se déplacent à nouveau devant le plan de travail de Hush où il installe une table. Cette fois-ci, elle choisit de s’installer à côté de lui sur la deuxième chaise en la rapprochant un peu. Elle se dit qu’elle arrivera mieux à guider Hush de cette façon.(Elle se dit aussi qu’elle aime bien être tout près.) Il y a tout de même une distance entre eux, un espace qu’elle lui laisse pour ne pas le déranger dans ses mouvements, mais après leurs contacts précédents la gêne est moins présente. Elle a réussi à calmer son trouble et ses joues, bien qu’encore roses, ont retrouvé un peu de leur teinte naturelle. Elle se force à se concentrer sur le dessin que le Mo’at a fait plus tôt au lieu de toutes ces petites pensées qu’elle fait semblant de ne pas remarquer, ne peut s’empêcher d’ailleurs un sourire tendre vers le visage de ses frères.

« Je crois que sa mâchoire est un tout petit peu plus fine. Et—, il a une autre cicatrice là, mais on la voit moins à cause des taches de rousseur. » Elle doit fermer les yeux pour se concentrer sur les traits qu’elle n’a pas vu depuis quelques temps, laissant à Hush le temps de corriger le croquis avant de continuer. Elle doit se retenir de déblatérer tout un tas de détails inutiles. Elle ne veut pas embêter Hush avec ses histoires, même si elle secoue gentiment la tête en se les rappelant.

Hush attend patiemment que Sunngifu soit confortablement installée à ses côtés, et dès qu'elle lui donne les informations nécessaires à ce qu'il modifie son dessin, il se met en mouvement. Délicatement, il efface les traits problématiques et les remplace par d'autres traits, essayant d'être au plus proche de ce que la jeune femme lui décrit. Il remodèle la mâchoire, et sous les tâches de rousseur, il dessine une cicatrice fine et moins visible que les autres. Quand il a terminé, il tourne la tête vers la jeune femme, et a l'impression qu'elle pense à un tas d'éléments. Peut-être des souvenirs ? Doucement, Hush pose sa main sur son carnet d'écriture.

"J'ai partagé un souvenir avec toi. Est-ce que tu as envie de partager les tiens avec moi?"

Il la regarde - et s'il se le permettait, il la dévorerait du regard. Il meurt toujours d'envie de la dessiner, encore et encore et encore. Alors en attendant qu'elle lui donne d'autres indications, sur le coin inférieur du brouillon sur lequel il est en train de faire le portrait de famille, il se met à dessiner le visage de Sunny. Il trace les contours de sa mâchoire, s'attarde sur ses lèvres. Il chérit son nez du bout de son crayon, prend le temps de reproduire la forme de ses yeux - légèrement en amande - et la lueur solaire dans son regard. Du bout des doigts, avec une infini douceur, il chasse une poussière sur la pommette de la Sunngifu qu'il dessine.

Hush laisse le temps nécessaire à la jeune femme pour qu'elle se décide et qu'elle trouve ses mots. Il sait à quel point raconter un souvenir peut-être un exercice difficile, aussi banal soit le souvenir en question. Il ne la quitte des yeux que pour vérifier que son crayon reste fidèle aux traits de Sunngifu - c'est-à-dire qu'il n'a littéralement d'yeux que pour elle. Et lorsqu'elle se met à parler, il porte toute son attention sur ses paroles. Sur les mots qu'elle choisit, sur les nuances qu'il peut percevoir dans sa voix, sur l'émotion que lui procure le fait de se rappeler de ces moments passés. Et lorsqu'elle termine son histoire, Hush rit. Il trouve le souvenir très attendrissant, et il a définitivement quelque chose de touchant. Quelque chose qui le touche lui, en tous les cas.

"Et est-ce que ça fonctionnait ? Ils jouaient avec toi ?"

Dans un second coin de son brouillon, Hush se met à dessiner la petite Sunny qui garde précieusement tous ces trésors sacrés. Il la voit aventurière, chipie mais absolument irrésistible. Il l'imagine fière avec tous ces objets précieusement récoltés, dans l'attente que l'un de ses trois grands frères viennent jusqu'à elle, et lui porte un peu d'attention. Au fond, il trouve aussi que c'est un peu triste. Il ne peut s'empêcher de penser que Sunngifu, petite ou adulte, mérite toute l'attention du monde.

Elle marque un temps. Pour se souvenir. Car ses yeux ont dérivé vers l'artiste, qui la regarde, dont la main parcoure toujours la feuille. Elle ne peut pas voir ce qu'il crayonne de là où elle est, pas très bien, mais les traits sont tout de même familiers. Elle voudrait se pencher plus près, mais elle hésite, perdue entre le rire de Hush et les souvenirs qui défilent devant ses yeux.

"Pas toujours." Elle admet. Elle n'est pas triste. Enfin, pas vraiment. C'était il y a longtemps. Mais c'est la suite qui coince et qui se bloque légèrement dans sa gorge. "Wulf... Quand j'étais vraiment petite, il me construisait des jouets. Mais après, il a du s'occuper de la maison et il avait moins le temps. Je l'embêtais quand même, surtout quand il cuisinait. C'est grâce à lui que j'arrive à ne plus mettre le feul à tout, d'ailleurs. Wynn, c'est un peu pareil. C'est la tête de la famille, alors il a commencé à passer beaucoup de temps dans ses bouquins. Il ne se rendait compte que je lui en avait piqué que si c'était des livres importants, et j'étais pas très livres. C'était pas souvent. Je crois qu'il avait plus la patience pour mes bêtises, à un moment, même si on n'a qu'un an d'écart. Nyaw par contre inventait toute sorte de pitreries pour m'occuper. Avant qu'il parte. J'étais déjà plus grande, cela dit." Elle secoue la tête. "Désolée."