Dessine moi un mouton

Sunny ne remarque pas tout de suite le regard qui s'est posé sur elle. Elle est toujours aussi fascinée par les traits de crayon de Hush, peut-être encore plus maintenant que le visage de Wulf se précise au point de ressembler à celui qu'elle connaît bien. Son sourire est presque enfantin alors devant cette vision si familière, une petite main fine se posant doucement sur l'épaule de Hush presque sans s'en rendre compte. "Là. C'est parfait."

Il lui faut un léger temps pour se rendre compte de son geste, et sa main recule afin de laisser un peu d'espace à l'artiste alors que la jeune fille affiche une moue contrite et gênée. Ses joues ont rosi, mais au vu de sa peau pâle, ce n'est pas très surprenant. "Désolée. C'est juste que... Son air de tête de mule est vraiment fidèle à l'original. C'est incroyable."

Elle sait donner au change avec de l'humour et elle se reconcentre sur le dessin, sur Niaw cette fois, avec un petit pincement au coeur qu'elle a toujours quand elle pense à lui. Sa voix repart de plus belle. "Nynniaw a un piercing à la lèvre, une boucle en métal clair, plutôt fine, et un à l'oreille. Et il se débarrasse rarement de sa paire de lunettes d'aviateurs, il s'en sert comme bandeau pour ses cheveux. Il est un peu plus musclé au niveau des épaules. Il est devenu soldat pour l'U.C, ils doivent le faire travailler comme un forcené."

Hush se sent d'autant plus ravie que la jeune femme a le regard d'une enfant qui vient de recevoir le plus beau des cadeaux. Il ne sent qu'à peine la main qu'elle pose sur son épaule tandis qu'il poursuit son dessin. Elle se confond en excuses ; le mo'at la regarde, surpris, avant d'exploser de rire - un de ces rires silencieux si particulier qui fait ressortir ses pommettes et l'expressivité de ses yeux. Doucement, il pose son crayon et il attrape les doigts de la jeune femme. Il ne les serre qu'à peine, son regard plongé dans le sien. Il n'a pas besoin d'écrire pour essayer de lui faire comprendre qu'elle n'a rien fait de mal. Puis, il relâche les doigts et reprend son crayon.

Il suit les indications orales et gestuelles que la jeune femme lui offre. Il dessine un premier anneau au milieu de la lèvre inférieure du jeune homme, s'attaque à son oreille, puis aux autres détails. La paire de lunettes d'aviateurs dans ses cheveux qu'il imagine un peu fous sur le dessus de son crâne, les épaules plus musclées... Quand il a terminé, il relève une nouvelle fois les yeux en direction de la jeune femme en retirant son crayon du dessin pour lui permettre de voir ce qu'il a fait, et ce qu'il lui faut encore corriger.

Le rire de Hush la rassure et elle se sent elle-même sourire en retour lorsque le mo'at lui attrape doucement la main pour lui signifier qu'il n'y a pas de mal. Elle la serre un peu en retour. Elle sait que le fait qu'elle se sente aussi paisible vient entièrement de l'attitude de l'artiste et de son aura presque apaisante. Elle qui avait craint de devoir endurer une après-midi compliquée à devoir batailler avec quelqu'un n'en faisant qu'à sa tête, elle est bien soulagée que ça ne soit pas le cas et de se sentir presque la bienvenue dans l'atelier d'Hush.

Ses yeux se portent à nouveau sur le dessin et elle hoche la tête, clairement satisfaite. C'est le souvenir le plus précis qu'elle aurait pu donner de Nyaw. Et vient le troisième, celui qu'elle redoutait presque le plus. Elle ne peut s'empêcher de se mordre un peu la lèvre, et voilà que ça l'agace à nouveau de ne pas avoir vu son frère la dernière fois, de ne pas l'avoir vu depuis longtemps. C'est qu'il lui manque quand même, le grand-pas-si-grand-mais-toujours-plus-grand-qu'elle. Mais elle sait aussi que ce n'est pas le moment d'y penser.

"Wynn... Il a des cicatrices sur le visage, sur les bras. Je crois... La dernière fois, il en avait une sur la joue, là, et une autre ici." Elle explique en pointant le dessin du doigt. "Il arrête pas de se cogner partout. Il garde ses cheveux un peu plus court, sauf les mèches du devant."

Hush observe toujours avec une attention particulière les émotions qui se dessinent sur le visage de la jeune femme aux cheveux roux. Il lui semble percevoir un léger changement d'attitude quand il est question du dernier des frères, mais il n'aurait rien pu affirmer avec certitude. Malgré tout sensible, il met quelques secondes avant de réagir lorsqu'elle lui donne les indications pour poursuivre le dessin. Il a un léger sursaut lorsqu'il réalise qu'il la regarde toujours au lieu de dessiner, et il se repenche immédiatement sur le croquis, comme atteint d'un électrochoc.

Le croquis prend de plus en plus forme. Il rajoute les cicatrices sur le visage du dénommé Wynn, modifie les cheveux, jusqu'à ce que ça lui semble à peu près correct. Il relève alors encore ses yeux vers Sunngifu, guettant sa réaction avec une attention toute particulière.

Elle continue d'observer attentivement et son cerveau travaille à vive allure pour retrouver les traits de son aîné. C'est pas qu'elle les a oublié, pas tant que ça, mais elle a peur d'avoir loupé un détail. Quelque chose d'important. Et si Wynn voyait le dessin et se disait que c'était pas très ressemblant, tout ça à cause de Sunny qui sait pas faire les choses comme il faut? Wynn, il sait toujours quoi faire pour que les choses soient comme il faut. Elle aimerait tellement avoir son cerveau, parfois. Ça lui éviterait de dire et faire des bêtises.

Elle sait qu'elle réfléchit beaucoup trop à nouveau, que c'est le fait d'être revenue, de ne pas savoir comment les autres vont réagir quand ils vont la voir. C'est pas le moment, mais ça la chamboule un peu quand même et elle n'a jamais été douée pour laisser ses émotions dans un coin pour plus tard. Elle est un peu perdue dans ses pensées quand Hush la regarde et réussit à faire un sourire, mais un petit.

"On peut y revenir après ?" Elle demande doucement. "Je pense que c'est presque ça, mais... Je suis pas complètement sûre." Elle se mord un peu la lèvre, son sourire change en quelque chose de plus amusé même si ses yeux ne suivent pas tout de suite. "Et puis pour la quatrième personne, ça sera plus facile, tu n'auras pas besoin de mes indications..."

Hush est troublé par le trouble qu'il croit percevoir chez la jeune femme. Il attend, se demande s'il a mal fait quelque chose. Finalement, quand elle lui demande s'ils peuvent revenir sur Wynn plus tard, Hush écarquille très légèrement les yeux avant d'hocher vivement la tête. Il rit à nouveau silencieusement, se passe une main sur la nuque d'un air un peu embarrassé quand il se rend compte qu'il fixe à nouveau la jeune femme comme un imbécile. Et puis il se reconcentre sur son papier pour rajouter ce qu'il manque : Sunngifu. Il la dessine au même endroit que sur la photo qu'elle lui a fourni. Son regard fait des allers-retours rapides entre le papier et le visage si joli qu'il voit. Même sur son dessin, elle a quelque chose de lumineux, quelque chose de brillant. Il voudrait faire un portrait d'elle sur une toile entière ; il voudrait immortaliser le rire dans ses yeux, le sourire sur ses lèvres, la douceur qu'elle dégage.

Il la détaille sur la feuille avec un soin tout particulier, s'assurant que tout est absolument parfait - et a une confiance aveugle en ce qu'il voit avec ses yeux et son cœur pour ça. Quand il a terminé, il lève sa main à nouveau et montre la feuille à Sunngifu, pour savoir si ça lui convient comme ça. Si oui, il pourrait commencer à faire la peinture sur la toile. Même s'il doit retravailler Wynn au dernier moment, ça ne le dérange absolument pas.

Elle aime beaucoup observer le rire de Hush. C'est presque captivant de pouvoir lire autant d'expressions sur le visage du Mo'at. D'habitude, quand quelqu'un rit, on n'y prête presque pas attention, on se fie au son. C'est presque dommage. Là, elle peut observer les traits qui s'étirent doucement, les yeux qui pétillent avant qu'il ne se détourne. Elle sent son propre sourire, le vrai, poindre à nouveau le bout de son nez en l'observant avant de se reconcentrer sur la photo et le portrait.

C'est son tour. Ça devrait être plus facile, mais sentir qu'on la regarde fait qu'elle sent ses joues qui rougissent. Surtout sous le regard de Hush, qui a l'air si concentré, comme si la dessiner était quelque chose d'important. Elle lâche la mèche de cheveux qui s'échappe de sa tresse, qu'elle triture souvent quand elle est nerveuse. Et elle se redresse bien fièrement. Comme la petite sur la photo.

Alors elle se concentre, elle pense à maman, et elle observe Hush qui dessine. Ça passe plus vite qu'elle ne l'aurait cru. Quand il relève sa main, elle se rapproche un peu et ne peut s'empêcher un léger rire. Son sourire de maintenant semble plus doux que celui de la petite Sunny. Elle a l'air moins conquérante aussi, comme si elle était consciente que la vie ne pourrait plus être aussi brillante. "Je suis plus jolie sur ton portrait, mais... C'est vraiment parfait." Sa voix trahit son émotion, elle ne cherche pas à la cacher cette fois.

Hush n'a pas à attendre bien longtemps avant que les émotions puissent se lire sur le visage de la jeune femme, et qu'elle ne donne son avis à voix haute. Hush est surpris. Il l'observe à nouveau avec attention, regarde son portrait. Ses yeux font les allers-retours plusieurs fois d'affilée. Il semble très concentré - tant et si bien qu'une légère barre naît sur son front, juste entre ses deux sourcils. Finalement, il pose le papier sur le chevalet, là où la toile attend sagement. Il prend son carnet d'écriture, fait courir son crayon dessus.

"Je te vois comme tu es sur le dessin, Sunngifu."

Il lui tend le carnet avec toute l'innocence du monde, et finalement, un sourire éclatant illumine son visage. Au-delà du fait qu'il pense chacun de ses mots avec une certitude profonde, il se sent léger et heureux. La réaction de la rouquine lui rappelle pourquoi il a commencé à aimer les portraits, et pourquoi il aime dessiner pour les autres plus que n'importe quoi d'autre. C'est cette joie-là, cette émotion-ci qu'il veut cueillir. Qu'est-ce qu'elle est belle. Puisqu'il a refilé son carnet d'écriture à la jeune femme, il reprend son carnet de dessin, mais s'installe par terre cette fois, assis en tailleur. Il prend une nouvelle page, et à nouveau, couche les traits de Sunngifu sur le papier - avec toutes les émotions qu'elle met à nu, et qui la rendent si magnifique aux yeux de l'artiste. Il serait fou de ne pas immortaliser ça.

Sunny sent le regard de l'artiste qui l'observe attentivement, remarque sa surprise en premier, puis sa confusion. Alors que Hush fait des va-et-vient entre le portrait et la jeune femme, elle se demande si sa taquinerie n'a pas été de mauvais goût. Elle espère vraiment qu'Hush ne l'a pas pris comme une critique. Elle pense ce qu'elle a dit, pourtant: elle se trouve bien plus jolie sous les traits de crayon d'Hush qu'en vrai, comme s'il avait réussi à la voir d'une façon différente que lorsqu'elle regarde son propre reflet dans le miroir. Mais dans sa tête, ça sonnait plus comme un compliment qu'une insulte envers le travail du Mo'at, justement.

Avant qu'elle n'ait pu s'excuser de l'avoir blessé, il lui tend à nouveau son carnet. Elle le lit rapidement et ses joues s'empourprent, réaction accentuée par le sourire brillant qui lui est décoché. Intérieurement, elle peste contre sa peau pâle et son incapacité à cacher ses émotions. Son trouble est alors quelque peu différent de celui qu'elle affichait auparavant en voyant le visage de ses frères et il lui faut un moment avant de réussir à secouer la tête et d'envoyer un regard mutin à Hush.

"C'est pas très gentil de taquiner les filles comme ça."

Il dessine à nouveau. Elle ne veut pas le gêner, alors elle reste bien sage là où elle est, ses yeux toujours sur le navigateur, son expression amusée s'adoucissant. Elle le regarde autant qu'il l'a regarde: ce n'est que justice, après tout.

Hush marque un petit moment d'arrêt lorsque Sunngifu lui dit que ce n'est pas gentil de taquiner les filles comme ça. Il comprend à son ton qu'elle n'est pas réellement fâchée ; aussi, il sourit de plus belle, en portant une main à son propre cœur et en baissant légèrement la tête - d'un air de dire "Milles excuses, Milady". Puis, il se repenche sur le portrait qu'il est en train de faire d'elle, de ce regard brillant, de ce sourire éclatant, de ces joues légèrement rosées, et de tout ce qu'il voit au-delà. Il grave son image en lui à mesure que son dessin prend vie sur le papier.

Lorsqu'il estime avoir terminé son portrait rapide - qui méritera bien davantage de temps pour avoir les couleurs qu'il mérite - il griffonne rapidement une phrase sous le dessin :

"Et comme ça ?"

Puis, il prend le temps de se relever. Il est bien plus grand qu'elle, mais ça n'est absolument pas dérangeant - à vrai dire, il n'y pense pas une seule seconde. Il la regarde en souriant d'une manière un peu espiègle, et sans autre forme de procès, il tend le tout à la jeune femme, reprenant son carnet d'écriture en main - comme s'il s'agissait d'un troc.

Elle a beau s’y attendre un peu, elle a beau se concentrer de toutes ses forces pour garder son visage aussi lisse et neutre que possible, ses joues restent rosies quand Hush lui tend le portrait. Elle sent une vague de chaleur l’envahir alors qu’elle détaille ce nouveau dessin. C’est son visage là sur la page, c’est bien son expression, son nez un peu retroussé et ses yeux rieurs, et quelque chose de doux aussi, et pourtant Sunny sait bien qu’elle ne s’est jamais vue comme ça. Que personne ne l’a jamais décrite comme ça, regardé comme ça. Et en y pensant, le trouble reprends de plus belle et elle doit le masquer derrière un joli sourire. Elle a beau être troublée, Sunny n’est pas du genre à se laisser faire.

« C’est… pas mal. » Bien entendu, cette diminution est un gros mensonge. Sunny n’est même pas sûre qu’elle saurait trouver les mots pour décrire à quel point elle est impressionnée par ce portrait, à quel point le regarder lui fait plaisir. Alors, elle n’essaie même pas. « Du coup, je le garde. » Elle le serre fort contre son coeur, et elle n’est pas prête de le lui rendre. « Et je te propose un marché. »

Hush est surpris à nouveau - va-t-elle cesser de le surprendre ou est-ce qu'elle compte le déstabiliser de la sorte encore longtemps ? Il la regarde avec une intensité particulière tandis qu'elle serre le portrait contre son cœur, comme si c'était un objet qui lui était cher. Il serait hypocrite de prétendre qu'il n'a pas l'habitude que son travail plaise. Il a du talent et il a beaucoup travaillé - il le sait. Mais des réactions aussi pures, spontanées et fortes restent rares.

"Tu ne peux pas le garder."

Il lui montre le carnet, attend qu'elle puisse lire avant de le reprendre pour écrire à nouveau.

"Je n'ai pas mis les couleurs. A moins que tu ne le veuilles comme ça ?
(J'écoute le marché que tu veux me proposer)"

Et il lui tend à nouveau le carnet. Il est curieux, très curieux. D'autant plus que jusqu'à présent, toutes les réactions de la jeune femme ont eu quelque chose de profondément singulier ; un quelque chose qui a su toucher le cœur du grand muet, et qui le fait battre un tout petit peu plus vite juste maintenant.

Elle veut protester. Elle n’a pas envie de lui rendre le dessin - le carnet, oui, elle n’est pas une voleuse, mais pas le dessin. Elle est même prête à lui payer s’il veut, mais le portrait est bien trop joli. Et puis elle veut garder un souvenir. Le dessin de toute la fratrie, il est pour maman et même si elle pourra le voir régulièrement, ce n’est pas un dessin rien que pour elle. Alors que celui-là… ça pourrait. Mais elle tient sa langue jusqu’à ce qu’Hush ait fini d’écrire une deuxième fois, et elle fait bien.

« Oh. » Léger sourire un peu contrit et gêné, une main qui essaie de passer dans ses cheveux en oubliant qu’ils sont attachés. « Je le trouve très bien comme ça, tu sais. » Elle admets doucement avant de reprendre de son aplomb. « Mais justement… Tu peux en refaire un autre comme tu veux. » Ha! Comme si elle avait les moyens de l’empêcher de la crayonner à nouveau. Oui, d’accord, son plan est bancal. Ça n’empêche pas Sunny de le proposer. « Mais en échange, je veux une histoire. N’importe quelle histoire, celle que tu veux. Sur un de tes voyages, sur ton vaisseau, sur quelqu’un que tu as dessiné… Juste une histoire. D’accord? »

Et c’est qu’elle lui tend la main, toute fière de ce qu’elle propose.

Hush rit encore. Décidément, elle fait des miracles. Il ne souvient pas de la dernière fois où il a rit comme ça. Peut-être quand il était avec sa famille? Il ne sait pas. Il ne sait plus. Le mo'at finit par hocher la tête, conciliant, lorsqu'elle lui dit qu'elle le trouve très bien comme ça. Ce dessin pourtant rapide semble avoir une valeur toute particulière aux yeux de la jeune femme. Et il sait à quel point certains objets peuvent avoir une valeur inestimable pour quelqu'un, alors qu'aux yeux d'autres personnes, ils ne valent rien. Ce n'est certainement pas lui qui jugera ça. Il hoche la tête quand elle lui dit qu'il peut en refaire d'autres. Ce n'est pas vraiment quelque chose qu'il contrôle. Et puis elle sera toujours à temps d'échanger le portrait qu'elle tient contre un autre qu'elle préfère.

Et lorsqu'elle lui demande de lui raconter une histoire en échange, il reste immobile un instant, incrédule. Il n'a pas été habitué à ce genre de demandes un peu incongrue, mais après un petit instant de réflexion, il est enchanté par l'idée. Mais il prend quand même tout son temps avant d'écrire à nouveau sur son carnet.

"Si jamais je dessin un autre portrait de toi et que tu le préfères à celui que tu as entre les bras, tu pourras changer.
Et j'accepte de te raconte une histoire. Mais au lieu de le faire avec des mots, j'aimerais te la raconter à ma manière, si tu veux bien."

À nouveau, une pointe de doute lorsque Hush la regarde, immobile. Elle sait très bien qu'elle parle trop vite, qu'elle suit trop ses émotions, que ça soit quand elle fait sa tête de mule mais aussi lorsqu'elle est comme ça, un peu trop vive. La dernière chose qu'elle veut, c'est qu'Hush soit mal à l'aise en sa présence. Il est la première personne qu'elle rencontre depuis son retour à Dorado, et puis... Elle l'aime déjà bien, Hush. Elle veut en apprendre plus sur lui. Elle n'a pas envie de partir du petit atelier tout de suite, mais elle ne veut pas le déranger non plus.

Elle se penche un peu en avant pour mieux lire les mots qui lui sont présentés, se retient de tirer à nouveau sur ses cheveux, et sourit immédiatement, un sourire tout aussi brillant et joyeux. Ses yeux pétillent de curiosité et d'une pointe de malice, aussi, contente de ne pas devoir partir si vite. "Ça me va. Ça te dérange si je me mets un peu plus confortable?" Ce qui en langage Sunny veut dire assise en tailleur quelque part de pas trop gênant où elle peut observer Hush dessiner.

Hush est en pleine effervescence. Il a un millier d'idées qui fusent et qui rendent son attention précaire. Il aime raconter des histoires, et il le fait souvent avec Tobias, de cette façon là. Mais là, c'est différent. Ce n'est pas Tobias. C'est Sunngifu. Et Hush veut absolument lui raconter une histoire extraordinaire. Mais pas triste, juste extraordinaire. Il a moins de souvenirs heureux que de souvenirs tristes, mais il en a quelques uns. Et c'est une histoire comme ça qu'il a envie de partager avec elle. Même s'il n'en parle pas souvent, même s'il s'agit de souvenirs qu'il n'a peut-être jamais partagé avec personne.

Il réalise avec un temps de retard qu'elle lui demande l'autorisation pour s'installer confortablement. Hush affiche un air un peu gêné et semble paniquer un moment avant de prendre la direction d'une porte derrière l'endroit où il s'était installé pour peindre - avec un grand empressement. On entend un grand fracas, et Hush finit par sortir de son atelier avec des traces noires sur le visage, et un gros coussin confortable en mains, et un plaid qui a l'air d'une douceur infinie. Il les tend à la jeune femme avec un sourire un peu idiot, désireux qu'elle puisse se mettre à l'aise.

Puis, il retourne dans son atelier, réfléchissant encore aux matériaux qu'il va pouvoir utiliser. Il porte finalement son dévolu sur un chevalet et un carnet de feuilles géants, ainsi qu'une peinture spéciale qui lui permet de dessiner directement avec ses mains.

Un petit temps de pause où Hush semble réfléchir, perdu dans ses pensées. Sunny sourit simplement et l’observe jusqu’à ce que l’artiste revienne à elle, soudain gêné. Et devant cette expression, Sunny veut tout de suite le rassurer: elle a l'habitude de se caler dans un coin où elle ne prends pas de place, le sol des salles de mécanique n’étant jamais confortable. Mais Hush est déjà en mouvement et disparaît dans une pièce adjacente. Sunny s’occupe donc en admirant à nouveau le dessin qu’elle a gardé en mains.

Lorsqu’Hush revient, elle ne peut s’empêcher de sourire, attendrie devant le visage du Mo’at, l’expression sur ses traits, et lui tendant un butin qu’elle accepte gracieusement. « Tu sais, j’aurais pu me contenter du sol, j’ai l’habitude... » Elle dit gentiment, mais en serrant tout de même la couverture contre elle. Elle est tellement douce, elle n’a qu’une hâte, s'emmitoufler dedans.

Comme Hush repart à nouveau, elle prends le temps de se faire un petit nid là où elle ne gênera pas, même si elle ne s’y installe pas tout de suite. Elle attend qu’Hush revienne pour être sûre de ne pas le gêner (et pour faire quelque chose qui la démange un petit peu): elle tend la main pour essuyer l’une des tâches sur le visage de l’homme du bout des doigts. Vu qu’il a les mains prises par son matériel, ça semble logique. Puis, après un petit sourire en coin, elle retourne sagement à sa place.

Hush pose son matériel en réfléchissant toujours à ce qu'il va faire, voyant déjà les images qui se dessinent dans son esprit. Quand il sent la main de Sunny sur sa joue, il la regarde, totalement hypnotisé par la jeune femme. Il reste figé de la sorte pendant trop longtemps pour que ça ne soit pas embarrassant pour lui ; lorsqu'il s'en rend compte, il se détourne, se cogne contre son chevalet, le rattrape sans qu'il n'y ait de casse. Un peu gêné il passe une main dans les cheveux et offre un sourire confus à Sunngifu. Il fait mine de se racler la gorge, reprends ses esprits en allant chercher les chiffons et quelques ustensiles qui lui manquent, et il revient se planter devant Sunngifu.

Il s'assure qu'elle voit bien tout ce qu'il fait et il prépare plusieurs bacs de peinture avec différentes couleurs. Des nuances de marrons et d'or, de verts et de bleu, de violet et de gris. Du blanc et du noir, du rouge aussi, et du jaune. Il a également une bassine d'eau, qui lui servira à estomber plus ou moins les couleurs. Il s'étire les bras et les épaules et regarde à nouveau la jeune femme rousse. Il attend son signal pour commencer, souriant mais visiblement très concentré. Il n'y a pas d'enjeux particulier, mais il veut lui offrir une histoire qui lui plaira.

La réaction d’Hush est plus qu’attendrissante, provoquant un petit rire chez Sunny, ses yeux pétillants de plus belle devant l’air un peu confus du grand Mo’at. Ça semble tellement impossible, qu’un petit bout de femme comme elle puisse impressionner de quelque façon que ce soit l’artiste, et pourtant. Alors oui, elle s’en amuse un peu, mais pas méchamment du tout. Elle pense que c’est de bonne guerre après ses compliments de tout à l’heure.

(Et puis, bon. Pour voir à nouveau Hush la regarder comme ça, elle ne dit pas non.)

Une fois dans son ‘nid’, ses yeux se concentrent sur les gestes d’Hush, fascinée. Elle n’en loupe pas une miette: le choix des couleurs, la mise en place du matériel, l’air concentré de l’homme, la façon dont son corps semble refléter le travail à venir. Elle se demande si elle a l’air concentré comme ça devant ses machines, elle aussi. Quand Hush se tourne vers elle, elle sourit et hoche un peu la tête. « Tu as toute mon attention.. » Ou ‘je t’écoute à ta façon’.

Hush inspire profondément. Il donnerait tout ce qu'il a pour l'entendre rire encore de cette façon. N'est-ce pas le plus beau son au monde ? Et puis elle est prête. Alors il se met en mouvement. Il a deux sortes de peinture, au final. Une qui a pour particularité de sécher très vite une fois sur le papier, l'autre qu'il peut effacer aisément à l'aide d'un chiffon, qui trône pour le moment sur son épaule. Sans jamais se mettre devant le tableau, Hush commence par un bleu pâle, qu'il étale sur le haut de la feuille, et en une trainée ondulante en contrebat. Il rajoute des nuances plus foncées, jusqu'à ce qu'un ciel sans nuage apparaisse. Il y rajoute une forêt, dense et colorées, des arbres droits ou tordus, une myriade de fleurs rouges, jaunes ou violettes.

A travers les arbres, une dizaines de petites maisonnettes faites de bois et de terre apparaissent progressivement. Le trait bleu en bas devient ruisseau avec des rochers plus ou moins imposants. Quelques silhouettes humaines font vivre le village qui vient de naître. Elles semblent presque bouger, tandis que le grand mo'at essuie ses mains sur son pantalon pour utiliser sa seconde peinture. Là, il peint les traits d'un petit garçon, qui n'a pas plus que deux ou trois ans, et qui ressemble étrangement à Tobias. Accroupi sur l'un des rochers, il semble observer ce qu'il y a dans l'eau avec une attention toute particulière.

Les yeux de Sunny font un ballet régulier entre les traits qu'Hush est en train de dessiner et le Mo'at en lui-même. Elle ne saurait dire ce qui la fascine le plus: le paysage qu'il esquisse lui est totalement inconnu et elle est entièrement happée par les couleurs et formes qui se forment lentement sur la toile, et pourtant, les mouvements de l'artiste font qu'elle ne peut le quitter des yeux. Elle doit régulièrement se forcer à se concentrer à nouveau sur le dessin plutôt que les mains de l'homme.

Elle est silencieuse. Elle aurait mille questions en tête, en vrai, sur qui est ce petit garçon et les habitants de ce village, où se trouve cet endroit tellement beau qu'elle aurait envie de traverser le tableau pour pouvoir sentir la verdure autour d'elle, respirer l'odeur de mousse et des fleurs et courir à toute vitesse pour ne rien en manquer. Mais Hush raconte, et elle écoute. Elle ne veut pas troubler le moment qui s'installe doucement autour d'eux. Alors elle reste assise bien sagement, les bras croisés autour de ses jambes relevées, et elle observe.

Hush est intensément concentré sur chacun de ses mouvements. Rien n'est en trop, rien n'est inutile. Chacun de ses gestes fait naître une nouvelle forme, un nouveau visage, vient compléter le paysage ou la scène. D'une main il attrape son chiffon, tandis que l'autre esquisse une nouvelle silhouette sur la toile. D'abord minuscule, masquée entre les arbres, Hush l'efface et la refait de plus en plus grande, ni trop vite ni trop doucement, de telle manière que cela donne l'impression qu'elle avance vers le petit garçon posé sur le rocher. Lorsque l'homme est finalement perceptible, on voit qu'il est très grand, qu'il a les pommettes hautes d'Hush et son regard pétillant, mais avec des cheveux très longs, noirs et tressés.

Alors, il efface à moitié le petit garçon, ajuste sa posture pour qu'il ait l'air de relever la tête vers l'homme qui semble s'adresser à lui. L'homme qui avait jusqu'à lors la main derrière son dos dévoile un sac de toile. Le petit garçon se lève, visiblement ravi et excité. Il saute du rocher pour rejoindre son aîné qui le prend un instant dans ses bras. Main dans la main, ils se meuvent progressivement jusqu'au bord du tableau, où ils disparaissent. Le mo'at fronce légèrement les sourcils, concentré sur tous les mouvements qu'il fait. Hush jette un regard à Sunny, et tourne la page pour dévoiler une autre feuille blanche.

La jeune femme sent son cœur s'emplir d'une douceur et d'un émerveillement tout particulier lorsque la figure de l'homme plus âgé s'approche de l'enfant. Elle croit reconnaître les traits qu'elle a observé brièvement sur le visage du Mo'at, et son regard parcours à nouveau l'expression d'Hush pour s'en assurer. Et si elle reste un temps captivée par l'intensité de son regard posé sur la toile, la commissure de ses lèvres légèrement plissée alors qu'il se concentre, et bien, elle seule s'en aperçoit.

Elle sourit. Comment ne pourrait-elle pas sourire devant la scène qui s'affiche sous ses yeux et l'air de l'enfant, si ravi dans les bras de son aîné? Elle veut les rattraper. Elle veut courir avant qu'ils ne disparaissent, et la sensation dans son bras est tellement forte que ses doigts pianotent sur son genou, inconsciemment. Lorsqu'Hush la regarde, Sunny ne peut s'empêcher un hochement de tête vif et rapidement, clairement captivée, clairement impatiente de savoir la suite.

Hush met plusieurs secondes avant de parvenir à détacher à nouveau son regard de la jeune femme, et de se reconcentrer sur sa performance. Il recommence à dessiner un ciel, qui cette fois se revêt d'éclats allant du rose à l'or pâle. Par-dessus, Hush redessine la forêt, mais d'une manière différente, qui ne laisse aucun doute quant au changement de lieu. Les troncs sont plus larges que les premiers, certains sont même rouges. Les feuillages offre un dégradé qui va du vert foncé au violet en passant par quelques nuances de jaunes, et des fruits multicolores se lovent çà et là. Le ruisseau poursuit sa course entre les arbres, tandis qu'Hush essuie ses mains sur son pantalon pour changer de peinture.

A nouveau, le grand homme et l'enfant apparaissent. L'homme marche paisiblement au bord du ruisseau, le petit à ses côtés. Il a le nez levé vers les branches, alors que le grand commence à lui montrer plusieurs éléments du décor. Un petit animal qui perce un instant les fourrés avant de disparaître à nouveau, sous l'oeil émerveillé du plus jeune ; quelques oiseaux qui s'envolent dans le ciel sans nuage ; dans l'eau, un énorme poisson nage tranquillement, avant de disparaître, lui aussi. L'enfant pointe tout du doigt, veut tout savoir. Finalement, celui qui pourrait être son père le porte pour qu'il puisse attraper un fruit. Il en prend deux, en donne un à l'aîné avant de croquer dans celui qui est à lui. Il rit.

Sunny est pratiquement aussi émerveillée que le petit garçon de l’histoire. Elle est presque sûre que les mêmes expressions s’affichent d’ailleurs sur son visage, des yeux qui brillent devant les couleurs vives et chatoyantes de la forêt, qui s’agrandissent lorsque le petit animal bondit d’un buisson ou que les oiseaux s’envolent soudainement hors de portée et de vue. Elle peut presque ressentir la chaleur de l’endroit, l’ombre rassurante des arbres, le jus du fruit sur ses lèvres. Ça a un goût d’enfance et d’innocence. Le rire de l’enfant, si doux, joyeux; elle le voit plutôt que ne l’entend, et c’est l’expression de Hush qui s’affiche dans son esprit, en superposition.

Quelqu’un pourrait rentrer dans la pièce à cet instant, ça n’aurait pas d’importance, elle ne le remarquerait pas: elle n’a d’yeux que pour le Mo’at et son oeuvre. Un peu plus l’un que l’autre parfois. Ses yeux papillonnent d’un bout à l’autre de la toile en cherchant désespérément à mémoriser le plus de détails possibles, comme on se souvient d’un conte ou d’une chansonnette. Et les émotions continuent de tourbillonner. Elle sait qu’elle pourrait rester assise ainsi des heures sans se lasser, sans avoir conscience du temps qui passe, du moment qu’Hush continue à lui raconter une histoire.

Le visage plein de jus du fruit qu'il vient de manger, le petit garçon regarde l'adulte avec une admiration certaine. L'homme est attendri, et il s'abaisse à côté de la rivière, juste pour pouvoir prendre de l'eau dans l'une de ses paumes et débarbouiller son fils. L'instant d'après, l'homme asperge le garçon en un jeu qui accroit encore la joie qui transparait déjà. Et puis l'instant d'après, il se relève et reprend la main du plus jeune, pour continuer leur périple à travers la jungle. Ils disparaissent à nouveau. Hush essuie sa main. C'est une nouvelle page qui se tourne.

Il s'autorise un nouveau regard sur Sunny, mais ne s'attarde pas, cette fois. La première chose qu'Hush dessine cette fois, c'est une montagne qui s'étend à l'horizon, au milieu de la feuille. En contrebas, la jungle avec les mêmes arbres que ceux au travers desquels l'homme et le garçon se baladaient juste avant. Au bas de la feuille, comme un pic victorieux, une falaise surplombe la jungle. Il essuie ses mains, change de peinture. Cette fois, il l'utilise en premier pour faire le ciel. Un ciel qui s'assombrit, un soleil couchant. Le garçon et l'homme apparaissent, l'un sur les épaules de l'autre. Ils marquent un temps d'arrêt, tandis que l'aîné redépose l'enfant sur le sol. Il court jusqu'au bord, mais attend sagement avant de trop s'en approcher, pointant avec merveilles le soleil couchant. Son père le rejoint d'un pas assuré, et tous les deux, ils s'assoient face à ce spectacle.