Retour à la normale

Le dos humide, les mains tremblantes, la peau moite, les pupilles étrécies, et la bouche... La bouche incapable de hurler quoi que ce soit. Une femme sans visage était penchée sur lui en train de l'étrangler, à califourchon sur son torse. Non... Les lèvres entre-ouvertes et sèches, il essayait d'articuler, mais seuls des râles sortaient de sa gorge et de son esprit. Pit...ié... Petit à petit, la présence s'estompa, et ses yeux s'acclimatèrent à l'obscurité de la chambre.  Le poids sur son corps, ou sur sa trachée s'amenuisèrent, mais les larmes montèrent de toute façon. Laiss...

Disparue.

Seul et paniqué, la respiration haletante, il resta là plusieurs minutes, avant d'avoir une réaction réfléchie.

"Aaaahhh !!! Aaah ! Ah !! Ah..."

Ses expirations rauques remplirent la pièce. Son corps s'agita sous un spasme, et lentement, il retira la couette déjà à moitié partie, et s'assit sur le rebord du lit. Je n'y suis plus... Il était bien là où il devait être, à bord du Cerberus. Loin du stress et de la pression des couloirs sombres. Il frissonna. Passant la main sur son épaule, il avait froid, couvert de sueur qu'il fut. Le gros du groupe est rentré... Attrapant son visage dans son autre main, il soupira lentement, son pouls se calmant. Sa tête se pencha en arrière pour réprimer de pernicieuses larmes qui essayèrent de s'insinuer dans son regard. Le gros... Ses yeux cherchèrent l'horloge du regard pour échapper à ses pensées : son quart commencerait sous peu. Léo se mit en route pour se doucher, se raser et faire peau neuve.

Enfin prêt, il salua son subordonné, l'autre étant encore en repos, et s'assit à son bureau, face à tous ses dossiers. Ses mains empoignèrent papiers et stylo, et un sourire timide vint à ses lèvres.

"Rien de tel que la paperasse pour se sentir retourner au quotidien."

Léo s'occupa de l'administration, comme à son habitude. Réduisant peu à peu le nombre de dossiers entre deux consultations, jusqu'au point où il revit la fissure dans le bois de son bureau. Ses subordonnés lui avaient pourtant proposés de changer le meuble, ou d'au moins en faire la demande, mais le médecin s'y était formellement opposé. Les infirmiers n'avaient pas insisté en cherchant à comprendre les raisons du médecin, se heurtant souvent à un mur dès qu'ils essayaient d'en apprendre plus sur leur chef. Léo leur avait dit qu'il le garderait aussi longtemps qu'il serait possible, et ils durent se contenter de cette réponse, sans en connaître les véritables raisons, finalement.

D'ailleurs, cela fit tiquer le médecin qui regarda son calendrier. Il consignait tous les médicaments qui sortaient de sa pharmacie, et le moineau rouge ne devrait plus vraiment tarder à venir réclamer une nouvelle prescription. Léo se sentait toujours mal à l'aise vis-à-vis d'elle. C'était sa faute, il avait tenté quelque chose sans vraiment y réfléchir, et il s'est montré odieux. Il voulait l'aider, et il a fait l'exact inverse de ce qu'il souhaitait. Les intentions ne comptent pas.

Toc-toc? Non.
La porte glisse avec un chuintement feutré et une silhouette toute de bleue marine vêtue entre, sa chatoyante chevelure s'échappant librement dans son dos. Quand on parle du loup...
Elle ne prend plus la peine de s'annoncer via l'H-com, ça l'arrange bien si elle débarque en pleine consultation.
Une excuse pour esquiver les questions qu'elle ne veut pas entendre. Après la petite aventure de l'équipage à bord du vaisseau fantôme, ce n'est pas les blessés qui manquent en plus... Mais c'est raté cette fois. Son propre visage est balafré par de fines égratignures qui n'enlèvent rien à sa beauté.

Je viens récupérer mes bonbons habituels. Et de quoi m'occuper de mes pansements à changer. Compresses, désinfectant, sparadrap médical énuméra-elle d'une voix monotone. Les points de suture faits par un infirmier à sa cuisse suite à la morsure du Toor'Kran l'élançaient encore douloureusement à chaque pas, mais elle mettait un point d'honneur à s'occuper des conséquences de ses actions elle-même. Et puis, répéter ces gestes là, ça lui permettait de garder la main en matière de premiers secours. Bien-sûr. Ce n'était pas du tout parce qu'elle n'avait pas envie de repasser tous les jours à l'infirmerie et tomber nez à nez avec le docteur Dool.

Vous avez encore pire tête que d'habitude, on dirait un cancéreux au stade terminal commenta-elle brutalement. Toujours aussi charmante. C'est les horreurs à bord du vaisseau de contrebande qui vous ont mis dans cet état? Cette fois, le ton était carrément moqueur.

La porte s'ouvrit sans que quiconque ne s'annonça. Cela surprenait toujours autant Léo, mais en voyant Armanetti entrer, sa mine étonnée s'envola comme une volute de fumée. Elle était toujours aussi fière dans sa démarche. Pourtant, elle boitait et faisait tout pour ne pas attirait l'attention pour cela. Mais on ne trompe pas un médecin si facilement. Son subordonné lui avait expliqué qu'il l'avait recousu après la dernière petite escapade de l'équipage du Cerberus, et avait comprit qu'elle ne voulait pas le voir.

Il fini de remplir une ligne de son papier, et releva la tête. Son sourire n'avait pas été ébranlé par ses terreurs nocturnes, et il accueillit Armanetti comme il le faisait avec tout le monde, poliment.

"Bonjour, Armanetti. Je fini ça et je suis à vous. Je vous en prie asseyez-vous. Votre jambe doit vous faire mal. Il y a du café sur la commode si vous le désirez."

Le médecin reprit son formulaire et le rédigea méticuleusement, faisant exprès de ne pas se presser. Sa calligraphie était désastreuse, et il tâchait de s'appliquer au mieux. Au bout de quelques instants, il rangea enfin son document et regarda le soldat.

"Désolé de l'attente. Et merci de vous souciez de ma santé, mais je vais bien, je vous rassure. Certes, ce que j'ai vu là-bas ne m'a pas plu, mais c'est plus voir mes compagnons d'armes blessés qui m'a épuisé." Léo lança un regard insistant sur la jambe d'Armanetti, avant de la fixer dans les yeux.

Comparé à un bras arraché, ça n'est rien, croyez-moi marmonne-elle plus pour elle-même que en réponse au docteur, mais elle se sert néanmoins une tasse sur sa proposition. Son je vais bien ne la convainc déjà plus depuis longtemps; toujours le même refrain. Mais elle fait la même chose, alors elle comprend.

La suite cependant... Ses lèvres forment une moue étrange, comme si elle hésitait sur ce qu'elle allait dire, tiraillée en silence. Vous n'êtes pas fait pour servir à bord d'un vaisseau militaire, docteur. murmure-elle finalement en s'asseyant sur la chaise qu'il lui indiquait. Seule la lassitude et la sincérité transpercent dans sa voix calme, loin des remarques sarcastiques qu'elle a habituellement à son égard.

Vous pensez bien faire en réparant des soldats brisés, mais nous ne sommes que des produits jetables. Remplaçables. Vous n'êtes pas la pour nous guérir, mais nous rendre fonctionnel afin qu'on retourne faire incessamment la guerre, aux criminels, aux trinitaires, aux pirates, que sais-je. Quiconque l'Imperium décidera d'écraser.

Ses yeux émeraude s'abaissent alors qu'elle s'agite sur sa chaise, visiblement mal à l'aise. Mais il est trop tard pour changer de sujet maintenant, et il semble que la rousse est suffisamment plongée dans ses pensées pour avoir oublié ce pour quoi elle était venue. Finalement, elle croise ses bras sous sa poitrine dans un geste défensif, puis continue à voix basse.

Je suis rentrée dans le service actif à ma majorité. J'ai trente-trois ans. Vous avez une idée du nombre de gens qui ont péri de mes mains?

La véhémence qu'elle avait en entrant fut vite balayée par une bonne tasse de café. Mais hélas au profit de la mélancolie, ce qui peinait davantage Léo. Certes elle ne s'en prenait plus ouvertement à lui, mais la voir dans un état aussi nocif pour elle-même lui donnait envie d'intervenir. Passant alors un doigt sur l’extrémité de la fissure de son bureau, il eut la conviction qu'il devait rester moins invasif. Il posa son stylo et écouta Armanetti avec beaucoup d'attention. Quand elle eut fini, il s'appuya à son dossier, les mains sur les cuisses.

"J'ignore si vous comme moi avons fait les bons choix dans nos vies. Si j'ai bien fais de devenir médecin militaire ou vous soldat. Mais je pense que nous l'avons tous les deux souhaitez."

Il s'humecta ses lèvres sèches et tremblantes, et son regard refusa de croiser celui d'Armanetti.

"Je ne prétends pas connaître le nombre de morts dont vous croyez être l'auteur, et encore moins à quel point cela vous accable, mais je puis dire deux choses, si vous me le permettez. Dans une armée, c'est celui qui donne l'ordre qui est responsable, pas l'exécutant. Je ne vous crois pas coupable, ni vous, ni aucun autre soldat à bord. Et la seconde, c'est que je pense que quelqu'un de votre gentillesse n'aurait pas dû avoir à subir tout ce qui vous est arrivé. Mais comme vous me l'avez déjà fait remarqué, je ne suis pas psy. J'espère ne pas vous importunez avec mes réflexions."

Coupable? Non, non. agita-elle la tête négativement en roulant les yeux au ciel. Enfin, au plafond. C'est un exemple, Dool. Je ne suis pas là pour vous parler du sang sur mes mains. Pause. Elle se penche en arrière sur sa chaise. Avait-il fait exprès de dévier le sujet pour éviter de parler de lui? Les choix de sa vie... Non.

Si ça vous rassure, je ne ressens pas... une once culpabilité quand je tue. Sourire froid. Quelqu'un de votre gentillesse? Calliope aurait pu éclater de rire en entendant ça, mais il semblait que le docteur ne se moquait pas d'elle en disant ça. Il était juste désespérément naïf, à ses yeux. Elle porte la tasse de café fumante à ses lèvres pour en boire une gorgée, puis continue. Ce que je voulais dire, c'est que vous êtes trop empathique pour être ici. Les soldats... Nous continuerons d'être blessés, infiniment, les uns après les autres, jusqu'au jour ou notre heure sonnera bien avant le temps qui nous était imparti. C'est la vérité. On meurt jeune, dans l'armée. Seuls les plus durs à cuire parviennent à l'âge de la retraite.

Ici, vous ne faites que réparer des gens envoyés pour en blesser, torturer, tuer d'autres. Provoquer davantage de souffrance. C'est un cercle sans fin. Rien de ce que vous faites ne changera quoique ce soit, si ce n'est perpétrer cette situation. Pourquoi continuer? claqua-elle en reposant sa tasse un peu plus brutalement qu'il ne l'était nécessaire.

Le médecin ne la regardait toujours pas, que ce soit en parlant ou en écoutant. S'il devait se sentir rassuré qu'elle ne ressente pas le remord à prendre une vie ? Voilà une question qui alimenterait pendant des cycles les psychoses de Léo. Pour lui, elle n'était pas mauvaise, juste une autre victime, et son attitude n'était là que pour se protéger de quiconque. Allié ou non. Mais son point de vue était parfaitement légitime. Véridique à l'excès. Léo serra sa jambe dans sa main, sous le bureau en l'entendant parler de son empathie et de ce que font les soldats. S'assurant de ne rien laisser transparaître autre sur son visage que sa douce candeur habituelle.

"Les soldats n'ont pas pour unique mission de détruire, tuer ou saccager. L'armée peut aussi protéger, veiller et secourir. Vous voulez être prisonnière de votre rôle d'assassin ? Personne ne vous le reprochera. Pas moi en tout cas. Mais je ne m'arrêterais pas de sauver chaque vie sur ce vaisseau ou dans l'Empire si je le peux. Et si vous atteignez l'âge de la retraite, croyez-moi que j'en serais heureux. Je le souhaite sincèrement à tous les membres de notre équipage."

Léo se tut un peu, accordant enfin un regard au soldat. Ses yeux semblèrent plus humide sous cet éclairage artificiel.

"Et comme nous savons tous les deux que c'est impossible, il faut bien que je sois là pour veiller. Que le plus grand nombre atteigne la ligne d'arrivée."

Regardez avec quelle facilité on a perdu des membres de l'équipage en seulement UNE heure grinça-elle des dents, avant de soupirer: Repensez-y le jour ou c'est mon corps sans vie que vous mettrez dans un sac mortuaire.

Un rire sans joie secoua son corps, puis elle desserra ses bras, avant de les étirer en l'air, les articulations de l'un craquant, et l'autre se dépliant sans un bruit.

Quelqu'un d'autre peut veiller à votre place. Vous... elle termine ensuite sa tasse, cherchant ses mots. Pourquoi était-elle en train de perdre son temps à convaincre ce type, à nouveau? Calliope n'avait aucune raison de tenter de le sauver de la peine que lui infligeait visiblement son travail. Elle ne l'aimait pas, après tout. La manière dont il la regardait la rendait furieuse. Avec de la pitié. Personne n'avait le droit de la regarder comme ça. Oui, sous le couvert de conseils, c'était juste sa manière à elle de lui faire débarrasser le plancher. C'était un juste retour après qu'il ai tenté de la délester du service actif en lui suggérant des vacances. Sa petite vengeance mesquine et égoïste. Pas parce que elle commençait à avoir mal quand leurs yeux se croisaient pendant quelques secondes en silence, à chaque fois qu'il lui tendait ses médicaments. Un échange de regards équivoque devenu trop lourd à supporter pour elle.

Vous serez bien plus heureux avec une officine à terre, en étant médecin généraliste. Plutôt que de voir des gens mourir, vous les verrez grandir... Vieillir avec eux...

"Ahahah... Ohoh... Ah eh... Oh..."

Le rire n'était même pas forcé. Léo était sincère. Lui, sur une officine à terre ? Comme s'il avait envie d'y retourner. Il s'est battu pour en arriver là et avoir la possibilité de sauver les soldats de l'Empire au front, renoncer n'était même pas une option. Il regarda Armanetti avec chaleur, comme s'il s'agissait d'un juste retour des choses pour lui avoir proposer des vacances. C'est de bonne guerre.

"Ah... Désolé pour ça. Vraiment. Je ne me moquais pas, mais je pense que tout comme vous, la vie au sol ne me conviendrait pas. Du moins, pas pour l'instant. M'occuper des nez qui coulent alors que des gens gravement blessés pourraient compter sur moi ici ? Non, mon bonheur n'entre pas en ligne de compte.

Il pensa à l'étiquette sur son flacon personnel. En ais-je avaler aujourd'hui...? Et il reprit peu à peu son sérieux, pour retrouver son sourire simple et son air fatigué. Il se passa rapidement la main sur le visage, et huma l'odeur du café qui venait de disparaître.

"Le jour où je serais chargé de refermer votre sac mortuaire, croyez bien que je le pleurerais. Il est toujours triste d'enterrer des compagnons d'armes."

Le médecin ne poussa pas le vice jusqu'à lui conseiller d'être prudente, craignant qu'elle puisse prendre cela comme une attaque contre elle. Il avait déjà été bien assez maladroit comme ça pour ne pas en rajouter, et la fierté du soldat Armanetti n'était pas sujet à plaisanterie.

Vous vous trompez, sur ce point. lui répondit-elle en esquissant un sourire. La vie au sol... L'attrait pour l'espace et les rêves d'aventure l'avaient doucereusement quittée, la faisant glisser d'années en années dans une routine dans laquelle elle s'était enfermée comme un carcan rigide qui ne demandait pas trop à réfléchir. Un moule de petit soldat qui sacrifiait sa vie personnelle pour sa patrie. Mon bonheur n'entre pas en ligne de compte. La voix du docteur était douce et rassurante. Mais ses mots résonnaient douloureusement en Calliope. Pourquoi ? Trop familiers, sans doute.

C'est vrai que je suis... Qu'avez-vous dit avant? Mon rôle d’assassin ? On peut dire ça comme ça. Je suis une machine à tuer, pur produit de l'Imperium. Probablement une des épéistes les plus douées de notre bel Empire. C'est une constatation. Elle repose son bras cyborg sur le bureau entre Léo et elle, puis sans crier gare en fait jaillir la lame intégrée, s'amusant de lui flanquer une frayeur. Avant de passer un doigt sur cette même lame, d'un air songeur.

Mais parfois, j'aimerai devenir autre chose. Ce ne sont pas des regrets sur les choix de vie que j'ai fait, sur ce point vous avez raison... Pas une pensée tournée vers le passé, mais plutôt vers l'avenir. Je me demande si je connaîtrai autre chose que la vie militaire un jour. Un autre destin que celui du sac mortuaire qui m’attend. Elle semble dubitative quant à son propre discours, s'autorisant pour la première fois à formuler ces quelques pensées fugitives à voix haute.

Léo fut prit au dépourvu de la voir parler ainsi. Le contraste était saisissant en comparaison des gens qui lui faisaient la description d'Armanetti. D'à quel point était terrifiante et maussade. Être traité avec si peu d'égard, alors qu'elle était aussi humaine que quiconque. Néanmoins, il eut un sursaut visible quand elle dégaina sa lame. Il le savait. Le fonctionnement du bras était dans son dossier médical. Mais il ne s'attendait vraiment pas à la voir sortir son arme comme ça, et encore moins dans cette conversation. Était-ce de la taquinerie ou elle n'y a juste pas prêter attention ? A voir l'air satisfait sur son visage, elle était bien plus expressive qu'elle ne le croyait. Ou que d'autres voulaient bien le voir.

"Vous n'êtes peut-être pas prête à quitter l'armée. La crainte de ce qu'il y a après, l'inconnu, les gens nouveaux, que faire de sa vie. Qui sait ? Peut-être qu'aucune ou plusieurs de ces choses vous tourmentent. Personnellement, je suis rassuré de vous voir à bord. Vous faîtes bien votre travail, mieux que beaucoup ici, même. Et l'Empire a en effet besoin de personne de votre calibre. Mais si un jour vous voulez partir, il faudra vous lancez. Le moment venu."

Léo marqua un temps, observant la lame et le bras d'Armanetti. D'habitude, elle veut cacher son bras, et là, elle l'expose sans retenue...? Voulant la rappeler sur 'terre', il dit sur un ton léger et sans conviction :

"Serait-ce le moment de parler de vacances ?"

Ses doigts s'attardent encore quelques secondes sur le fil argenté de la lame, plus clair que le reste de l'alliage, avant de soupirer longuement. Avec un claquement sec, la menaçante épée rentre dans la mince fente qui lui est dédiée sur le bras métallique du sergent.

Je vous vois venir.

Ses sourcils se froncent légèrement et un petit pli apparaît sur son nez pendant un instant, l'expression assombrie comme si elle allait se fâcher; mais finalement, presque en marmonnant, elle concède. L'eau est passée sous les ponts depuis leur dernière conversation, et bien qu'elle ne s'excusera pas pour ce qu'elle lui a envoyé à la figure, elle a eu le temps de réfléchir à sa proposition.

Je ne quitterai le vaisseau -temporairement- que si un autre membre d'équipage gradé m'accompagne et me ramène. Pas question d'être larguée sur une planète en guise de repos forcé pour ne finalement ne jamais être récupérée sous divers prétextes. Il lui fallait une garantie, un point d'ancrage qui lui permettrait de ne pas sombrer dans la paranoïa. Mais il est peu probable que le docteur réussisse à trouver une bonne âme charitable avec assez de force de caractère pour veiller sur l'instable Calliope, et il ne pourra alors pas insister davantage. Un petit sourire victorieux naît sur ses lèvres charnues.

Je disais ça pour plaisanter. ne quittera vraisemblablement jamais son esprit lors de cette conversation. Le revirement que prenait la situation était parfaitement inattendu, mais Léo su se contenir parfaitement. Il profita même des remarques du sergent pour rebondir sur le sujet.

"Je sais, j'ai l'air d'insister. Je vous promets de me renseigner. Et de toute façon, vous savez bien que c'est vous qui aurez le dernier mot si vous acceptez ou non de sortit du vaisseau."

Le sourire qu'elle affichait été amusant. Et Léo voulait le lui faire remarquer. Par taquinerie, il reprit avec une voix légère, presque guillerette.

"Si je racontais à l'équipage que vous avez souris, j'ignore si l'on me croirait. On me demanderait de passer un test de vue !"

La condition d'Armanetti était pire qu'handicapante, et elle le savait. De plus, même s'il trouvait, elle pourrait dire non, juste sur un coup de tête, ou pour le plaisir de dire non et de réduire ses efforts à néant. Léo en était conscient, et tant mieux si cela apportait de la légèreté dans l'esprit du soldat. Pour sa part, il trouvait quand même dommage qu'elle accorde aussi peu de confiance à ses compagnons et supérieurs. Elle qui se vantait d'être une fine lame, elle pourrait escompter là-dessus pour qu'on ne l'abandonne pas.

Calliope ne remarqua rien quant à l'occasion qu'avait saisi au vol le docteur, et sa réponse l'avait satisfaite; elle avait encore le temps de réfléchir, et de toute façon, si quelqu'un essayait de la traîner hors du vaisseau, elle lui trancherait les mains à l'épée mono-filament avant que ça arrive. Même si c'était lui.

La rousse esquissa une légère grimace en entendant la suite. Ce n'était pas n'importe qui qui aurait eu le courage de lui faire ce genre de plaisanterie, mais après tout il avait bien raison. Elle avait une terrible réputation à bord. Et malgré les blessures qu'elle abordait aujourd'hui, c'est probablement la première fois qu'elle se sentait un peu près détendue en parlant avec le docteur. Loin d'être en confiance totale, mais l'action l'avait tirée de sa torpeur médicamenteuse habituelle pour lui remettre les yeux en face des trous. Je suis humaine, malgré les parties robotiques. J'ai mes bons jours et mes mauvais jours comme tout le monde.

Bien sûr, une explication très convaincante. C'est en fermant à moitié les yeux d'un d'air qui voulait tout dire qu'elle souffla lentement:

Peut-être un petit peu plus de mauvais jours que la moyenne des gens. Mais juste un tout petit peu.

C'était plaisant de la voir moins colérique qu'au quotidien. Peut-être que la dernière mission du Cerberus avait fait du bien aux esprits finalement. Que l'équipage avait besoin de sortir de sa routine, pour apprécier de nouveau ce qu'on pouvait faire chaque jour. Au moins, pour un temps, Léo se plairait à croire cela vrai. Se bercer d'illusions n'était pas extravagant pour lui.

"Je ne vous ais jamais vu autrement que comme une Humaine. De bonne humeur ou non."

Répondit-il pensivement, jusqu'à ce que ses yeux se posent sur Armanetti, et qu'il observa le bras artificiel, puis le visage de celle-ci. Il voulait s'assurer qu'elle ne faisait pas semblant pour tenter de le berner, et que son humeur du jour était véritablement ce à quoi elle pensait.

Après un bref instant, il se leva doucement, et s'en alla vers son armoire à pharmacie, la déverrouilla et sortit un sachet qu'il avait préparé. Il le posa sur le bureau, devant le Sergent.

"J'ai toujours bon espoir de revoir avec vous votre traitement et de l'adapter au mieux à vos besoins. Mais voilà déjà votre prescription habituelle. Si vous avez besoin d'autre chose, comme que j'examine votre jambe, je le ferais de bonne grâce, évidemment."

Les fameux médicaments. C'est le moment où elle aurait dû saisir le sac en papier et s'en aller, mais quand ses doigts se refermèrent dessus, elle commença à triturer le rebord de celui-là, écoutant d'abord ce que son interlocuteur avait à lui dire. C'était évident qu'il allait remettre le sujet sur la table. Parce qu'il se souciait réellement de ses patients contrairement à ce que sa paranoïa poussait à lui faire croire. Le genre de soucis qui lui causait visiblement un mauvais sommeil- sans que le soldat puisse saisir l'ampleur de son problème à lui.

L'espoir fait vivre, oui ironisa-t-elle sèchement cette fois, avant de reprendre: Je disais la vérité la dernière fois, docteur. J'ai besoin de ce traitement pour être en pleine maîtrise de moi-même... Je n'oserai pas me lancer dans des tests de dosage en sachant qu'il suffirait d'un seul, un unique essai non concluant en croisant les mauvaises personnes pour que je perde mon insigne.

Le sachet fut abandonné par des mains tremblantes dans lesquelles Calliope vint enfouir son visage, soudainement prise d'une angoisse à la seule évocation de cette possibilité.

Il s'attendait à ce genre de réponse. Son comportement du jour lui avait fait nourrir quelques espoirs pour qu'elle soit attentive à ses recommandations, mais en vain. Il comprit la pensé d'Armanetti, étant lui-même soumis à son propre traitement. S'il n'avait pas eut à faire lui-même ses médicaments, il aurait apprécié se passer de ses problèmes aussi. Sans doute que je n'aurais aps toléré qu'on joue avec la chimie de mon corps, à moi aussi. Cela lui fit remarquer que ses demandes incessantes étaient injustifiées, et étaient sûrement une source de stress pour le Sergent, plutôt qu'une éventuelle porte de sortie. Il eut un petit tic nerveux au coin des lèvres en prenant le temps d'y réfléchir sous le point de vue de sa patiente. Qui agissait d'ailleurs étrangement, tout à coup. Elle se recroquevillait presque.

"Armanetti ? Vous allez bien ?"

Léo se leva un peu brusquement et s'approcha d'elle. Il gardait ses distances, même pas penché sur elle, de peur de provoquer une réaction violente. Son armement et sa force pourrait faire trépasser le médecin sur un simple coup de malchance !

Calliope ne releva même pas les yeux.
Les ongles taillés en amande de sa main gauche s'enfonçaient assez dans sa tempe pour que la peau autour devienne blanche sous la pression, et elle commença à s'agiter une fois de plus sur sa chaise, en se recroquevillant davantage.
Ça va. C'est juste le contrecoup de...

Sa phrase- son mensonge- mourru au bout de ses lèvres sans qu'elle ne puisse le finir. Seul un son étouffé, douloureux, s'en échappa. Pourtant, il était déjà tout fait ce mensonge. Ça va, docteur. C'est juste le contrecoup de notre petite escapade, j'ai eu le temps de bien pisser le sang avant qu'on puisse poser un bandage. Courir pour sauver ma peau quand des serpents voulaient goûter à de la chair fraîche, tout ça.

Mais la panique lui enserrait à présent la gorge lentement, l'empêchant de continuer. N'était-elle pas en train de faire une monumentale erreur en se confiant à quelqu'un capable de la trahir?

Le Ca va qu'il entendait trop. Que ce soit des patients, ou de ses propres lèvres. Il était déconcerté de voir Armanetti dans un tel moment de faiblesse. Il s'appuya sur le bureau, et descendit à sa hauteur, un genou à terre. Il l'observait et ne s'en cachait pas. Un contrecoup disait-elle... Il y avait de grandes chances qu'elle mentait, ou qu'elle ignora encore plus la vérité sous ses yeux. Elle avait fait le choix de tout porter seule, et Léo était un étranger. Certes téméraire en comparaison aux autres, mais rien de plus. Sa main hésitait entre lui tapoter le dos ou l'épaule. Ne touche personne ! Et sa main resta appuyé contre son propre flanc.

"Armanetti, je ne vous veux aucun mal. Je peux vous donner un somnifère et vous laissez vous reposer ici. Je dirais que ce ne sont que des vitamines si vous voulez, je sais que vous tenez énormément à votre image. D'accord ?"

Il lui propose de mentir pour la couvrir ? Elle relève précautionneusement son visage de ses mains, les yeux un peu humides. Ce n'est à la fois qu'un petit, pieu mensonge est en même temps une preuve concrète à laquelle l'esprit écorché de l’épéiste peut se raccrocher. S’il cherchait vraiment à la rouler, il aurait non seulement déjà eu l'occasion de le faire quand elle l'avait menacé après avoir frappé son bureau. Un simple rapport à leur hiérarchie aurait suffi pour ouvrir une enquête... Mais les jours s'étaient écoulés sans que rien ne se passe, des jours terribles ou Calliope s'était terrée dans les pièces les plus reculées du Cerberus, sursautant à chaque fois que son H-Com bipait, croyant son heure venue.

Mais aucune convocation redoutée n'était arrivée.

D'accord acquiesce-elle lentement avant de murmurer en souriant faiblement: Ravie de voir que vous vous souvenez de ma demande de faire la sieste sous votre bureau.

Elle semblait s'apaiser quelques peu. Léo se redressa et retourna à sa pharmacie, s'emparer d'un somnifère encore sous plastique. Il fit couler de l'eau dans la tasse qu'elle utilisa plus tôt et mit les deux sur le bureau en face d'Armanetti.

"Autant de sourire dans la même journée, je vais être décontenancé." Plaisanta-t-il pour essayer de lui redonner de l'aplomb. "C'est un petit somnifère, vous ne ferez pas une nuit complète avec ça. Mais ça vous remettra d'aplomb. Il est moins fort que ce dont vous avez l'habitude. Personne ne viendra vous déranger durant votre repos, et au moins, vous y serez au calme, sans tous les braillards de votre dortoir."

Léo se tenait à ses côtés. C'était évident qu'il se retenait d'en faire plus. Une part de lui voulait tout de même voir sa jambe, de peur qu'il ne s'agisse d'une anémie ou d'une infection, mais il allait y aller pas à pas.

Le sommeil n'a jamais fait de mal à personne, je suppose. Et je n'ai pas grand chose d'autre à faire en attendant la guérison totale pour reprendre les patrouilles...

Les tremblements de ses mains s'étaient arrêtés, mais le geste était encore peu assuré quand elle porta la tasse d'eau à ses lèvres pour avaler le cachet. Le docteur avait évité le pire.  

Profitez-en tant qu'il en est encore temps. On va dire que c'est exceptionnel, en échange de cette petite sieste.

Il n'avait pas oublié non plus ses plaintes au sujet des soldats-babouins. A moins qu'elle râlait tellement à ce propos que finalement, tout le monde était au courant dans le vaisseau. Cette pensée lui donna encore une fois envie de sourire, mais elle se retient cette fois. Passer des larmes au rire, ce n'était jamais bon signe de santé mentale, après tout.
Avec des gestes lents, elle se leva, tirant machinalement les plus de son uniforme tandis qu'elle devisa à voix haute:
Il ne faudrait pas que les infirmiers me voient... Je vais aller me glisser par terre entre deux machines de la salle de stockage de l'infirmerie, ça ne vous gênera pas?

Léo lui tendit la main pour l'aider à se lever sans y croire. Qu'elle accepta ou non son aide à ce propos, ce qu'elle évoqua par la suite, en réfrénant une envie de sourire au soubresaut de ses lèvres, le fit tiquer. Sa voix se fit un peu plus monotone, comme celle de quelqu'un qui énonçait l'évidence. Pour lui, c'était simple, mais il ignorait si elle serait d'accord. Il pointa du pouce la porte derrière lui.

"Ce sont mes quartiers privés. Vous pourrez y dormir sans crainte. Je suis le seul à y avoir accès, personne n'aura l'idée de chercher dedans si je suis visible à mon poste. Prendre du repos ne va pas dire s'endormir n'importe où, c'est véritablement souffler et laisser les soucis de côté, Armanetti. Et ce sera toujours mieux que de risquer d'être vu dans la salle de stockage."

Le médecin savait qu'il devrait la convaincre vite, avant que le médicament ne puisse faire effet.

"Et puis vous avez déjà avalée la gélule, autant ne pas trop vous éloigner. Je vous réveille dans deux heures si vous voulez. Plus si vous préférez soufflez davantage, je ne jetterai pas dehors une patiente."

Il croyait vraiment qu'une petite gélule de rien du tout comme celle la allait l'assommer aussi vite? C'était presque offensant.

Les soldats sont entraînés pour pouvoir dormir dans n'importe quelle situa- commença la jeune femme en bougonnant avant de s'avouer vaincue. Inutile de se chamailler maintenant. Il faut dire que quand on était de caractère plutôt asocial et que notre environnement de travail et de vie ne faisant qu'un et ne vous laissant aucune tranquillité, la perspective de passer quelques heures dans le silence total avec pour seule compagnie soi-même était... particulièrement séduisante.

Mais il n'avait pas à aller aussi loin pour ses patients. Un médecin normal ne le ferait pas, en tout cas. Elle s'avança vers la porte indiquée, hésitante, puis jeta un coup d’œil au docteur qui avait presque pris l'air de celui qui donnait les ordres maintenant, alors que c'était plutôt l'inverse généralement. Oui... Il était vraiment trop investi dans son travail, tout comme elle.

Deux heures alors, pas plus. céda-elle d'une voix indécise avant de passer la porte.

Léo avait moins une tête de déterré quand elle accepta sa proposition. Le médecin ouvrit sa chambre et invita Armanetti à entrer, en allumant la lumière. Il refit le lit rapidement devant elle, n'ayant pas l'habitude de le faire, et dormant très bien dans toutes les positions possible. La pièce était petite, propre, et à part de rares affaires que Léo rangea dans un sac qu'il remisa, il n'y avait aucun effet personnel.

"Voilà, je vous laisse vous installer et vous reposer. Je peux vous apporter un peu d'eau avant de dormir, et je vous réveillerai dans deux heures précisément." Le médecin regarda l'heure sur l'horloge de sa chambre à la fin de sa phrase. "Personne n'aura vent de cela, je vous le promets une fois encore."

Léo la laissa ainsi tranquille, en remplissant à nouveau sa tasse d'eau, si elle le demandait. Ne voulant pas être un médecin trop étouffant, il se rassit à son bureau, et ses mains s'affairèrent à nouveau sur les documents qu'il lisait avant l'arrivée du Sergent.