Retour à la normale

Léo avait moins une tête de déterré quand elle accepta sa proposition. Le médecin ouvrit sa chambre et invita Armanetti à entrer, en allumant la lumière. Il refit le lit rapidement devant elle, n'ayant pas l'habitude de le faire, et dormant très bien dans toutes les positions possible. La pièce était petite, propre, et à part de rares affaires que Léo rangea dans un sac qu'il remisa, il n'y avait aucun effet personnel.

"Voilà, je vous laisse vous installer et vous reposer. Je peux vous apporter un peu d'eau avant de dormir, et je vous réveillerai dans deux heures précisément." Le médecin regarda l'heure sur l'horloge de sa chambre à la fin de sa phrase. "Personne n'aura vent de cela, je vous le promets une fois encore."

Léo la laissa ainsi tranquille, en remplissant à nouveau sa tasse d'eau, si elle le demandait. Ne voulant pas être un médecin trop étouffant, il se rassit à son bureau, et ses mains s'affairèrent à nouveau sur les documents qu'il lisait avant l'arrivée du Sergent.

Pendant que l'occupant des lieux rangeait rapidement la pièce, Calliope laissa son regard errer dans la cabine, tout de même curieuse. Après tout, si le bureau de fonction était vierge de tout cadre photo et autres babioles habituellement appréciées de ceux qui passent leur journée assis devant la même table, elle aurait cru que la chambre du médecin soit davantage... Personnelle ? Mais ce n'était pas le cas. Il aimait bien s'entourer de mystère, celui-là. C'était presque un défi, et la rousse aimait beaucoup les défis. Sans compter ce penchant un peu sadique de son caractère quand il s'agissait de faire cracher le morceau à quelqu'un.

Il la ramena à la réalité en s'adressant à nouveau à elle, plein de prévenance une fois encore. Elle aurait pu lui dire maintenant le fond de sa pensée- qu'un jour, sa gentillesse le perdra, parce qu'un agneau ne peut pas survivre bien longtemps entouré de loups dans un système aussi dangereux qu'Hell Dorado- mais un seul mot franchit ses lèvres :

Merci.

Décidément, elle était bien fatiguée. Alors une fois seule, elle s'assit sur le lit, puis retira méthodiquement ses chaussures, sa veste d'uniforme et la bague en argent qu'elle portait en chaîne autour du coup, faisant un petit tas bien ordonné de ses affaires à côté du lit avant de s'autoriser à s'allonger. Elle n'eut même pas le temps de savourer le silence qui régnait qu'elle s'endormait déjà.

Le médecin avait retrouvé sa place habituelle, et sa paperasse qui allait avec. Il était bien plus enthousiaste à l'idée d'effectuer ce travail, en sachant qu'il avait réussit à aider quelqu'un. De quoi égayer sa journée, même si nerveusement, il se mordait les ongles et la peau des doigts : mentir à la hiérarchie ne le rassurait jamais. Ce n'était pas un domaine qui lui était inconnu, mais pour une fois, ce sera pour couvrir quelqu'un et non pour lui-même. Être nerveux était normal de fait, et il s'arrêta un instant pour souffler.

Son infirmier passa pour prévenir qu'il finissait son quart. Léo salua son travail et le remercia. Un jour, tu auras un nom dans mon esprit. Et le médecin passa faire un tour dans l'infirmerie, pour prendre des nouvelles de deux patients. Ils n'étaient pas trop mal en point, plus de l'ordre d'une broutille que d'une vie en danger, mais ce n'était pas un argument pour que Léo ne se sente pas concerner. Le tour fut bref, mais lui permit de s'assurer du bon traitement de tout le monde. Son sourire était peut-être rassurant pour certains, comparé à son teint maladif et ses yeux vides.

De retour à son bureau, il fit un rapport sur l'état du jour d'Armanetti, notant une prescription de vitamines en complément de son traitement habituel. Comportement commun. Il surveilla l'heure, il faudrait bientôt aller la réveiller à ce sujet.

Ce qui était bien, avec le sommeil artificiel qu'induisait les somnifères, c'est qu'il n'avait justement rien de superficiel. C'était la garantie d'une narcose absolue, sans rêves ni cauchemars... Et quand comme Calliope on était hantée par les fantômes de son passé presque chaque nuit, le rituel familier de s'installer dans sa couchette en fixant le plafond devenait source d'angoisse. Mais en dormant dans un lit différent que le sien, cette appréhension n'était pas venue perturber son assoupissement et même après le délai de deux heures qu'elle avait accepté, la jeune femme dormait toujours à poings fermés, son visage paisible contrastant avec l'expression fermée perpétuelle qu'elle montrait au monde.

Le temps défilait, et Léo surveillait l'heure, s'assurant de ne pas oublier sa patiente. Ça aurait été compliqué de ne pas se souvenir d'elle, se fit-il la réflexion. Après tous leurs récents échanges, qu'elle l'ait soulevé par-dessus son bureau, qu'elle a fissurée ce dernier objet et que maintenant, elle dort dans la pièce d'à-côté.

"Si seulement elle pouvait être moins agressive... Les autres membres de l'équipage pourrait voir qu'elle n'est pas désagréable et ses journées seraient moins pesantes..."

Après quelques temps à se concentrer à ranger son bureau, et à passer une consultation, il se leva enfin, pour aller toquer à sa propre porte, pour la réveiller doucement.

Des petits coups à la porte finirent par sortir la belle au bois dormant de sa sieste... Avec un grognement. Ou était-elle à nouveau ? Et qui avait l'audace de venir la déranger?
Entrez lança-elle avant d'étouffer un bâillement qui venait, et de se frotter les yeux avec peu de conviction. C'est vrai, elle était toujours dans le quartier médical, et sa sieste était terminée. C'était le docteur qui avait toqué. L'inviter à rentrer dans sa propre chambre, c'était ironique... Mais aimable comme il l'était, il était toujours trop poli pour un militaire. Se redressant en s'étirant comme un chat, elle tenta vaguement de repasser une main dans sa chevelure histoire d'avoir l'air présentable, mais en sentant sous ses doigts les nœuds qui s'étaient formés par faute de ne les avoir pas attachés, elle soupira. Tant pis.

Léo attendit une réponse, et une fois fait, se permit d'entrée dans sa chambre. Étrange situation que de voir pandiculer avec tant d'insouciance l'un des éléments les plus craints de tout le vaisseau. Mais après tout, c'est parce que les autres ne se donnaient pas la peine de voir qu'elle n'était pas si hostile, qu'elle aimait le faire croire. La voir avec les cheveux en vrac, elle qui faisait toujours preuve d'un soin méticuleux sur son apparence, fit sourire jusqu'aux oreilles le docteur.

"Bien dormi, madame ? Voudrait-elle des viennoiseries avec ça ?" ironisa-t-il à son tour. "Cela fait deux heures et quelques minutes. Une brosse à cheveux et dans le tiroir sur votre droite, Armanetti. Allons !

Il voulu ajouter qu'il s'en servait lui-même peu, mais sans doute que tous ses patients étaient déjà au courant.

Elle l'avait rarement vu sourire comme ça, et ça la troubla un peu. Décidément, il n'en fallait pas beaucoup pour qu'il soit content, et ça la fit inconsciemment grincer des dents- son sourire était communicatif. Et en plus, il la cherchait !
Puisque c'est gentiment proposé, ça sera des croissants et de la confiture pour moi répondit-elle au tac à tac à sa provocation, avant de se redresser sur le lit et de s’asseoir, en se penchant pour récupérer ses affaires.
Je suppose que ça se voit, mais oui, j'ai plutôt bien dormi. La chaîne argentée disparu dans son chemisier une fois le collier fermé dans son cou, et elle commença à remettre ses chaussures.

Vous croyez vraiment que n'importe quelle brosse à cheveux fera l'affaire avec la longueur que j'ai? ricane le soldat en nouant ses lacets. C'était bien typique d'un homme ça tient, imaginer que c'était facile de passer deux coups de peigne et être prêt en cinq minutes le matin. Enfin, je suppose que ça pourrait aller si vous m'aidez, comme tout bon médecin le ferait ajouta-elle ensuite, malicieuse.

Léo devait reconnaître n'avoir aucune idée de ce que devait endurer le commun des humains pour avoir l'air présentable. Lui qui se rasait sporadiquement, en se coupant une fois sur deux, se coiffait mal et qui avait des plis sur ses habits... Alors imaginer ce que devait endurer une dame soucieuse de son apparence, cela était hors de sa portée. Il répondit avec le même sourire que précédemment.

"La seule nourriture dans mes locaux est réservé aux patients qui en ont réellement besoin, hélas. Il faudra vous contenter de la nourriture des cuisines." Il attendit qu'elle mette ses chaussures correctement. "Je doute que mes talents de coiffeur puissent vous être utile, je risquerais plus de vous les arracher, et je n'encourrais pas un tel danger ! On vient à peine se sortir d'une épave avec des animaux sauvages, je ne vais pas mettre ma vie en jeu pour un peigne."

Sur cette blague, il la laissa s'habiller et se remettre tranquillement de sa sieste. Le médecin alla vérifier que ses infirmiers étaient absents, et une fois assuré de cela, il retourna s'assoir.

La prochaine fois alors, peut-être...

Ce n'était probablement pas ce qu'il voulait entendre, mais il était probable qu'elle se blesse encore lors de leur prochaine mission... C'était le lot de tout les soldats, après tout. Mais la suite lui déplut aussi fortement.
Il la comparait avec un animal sauvage, c'est ça? Alors qu'il repassait dans le bureau, il ne vit heureusement pas l'éclat meurtrier qui passa dans son regard l'espace d'un instant. Mais c'est avec un visage calme et composé qu'elle le rejoint quelques minutes plus tard, les cheveux un peu près attachés dans une queue de cheval rudimentaire et parfaitement habillée.

Elle avance jusqu'au bureau avant de tendre la main pour récupérer ses médicaments, puis rétracte son geste comme si elle se souvenait de quelque chose.

Ah, oui, il me faut aussi de quoi m'occuper de ma jambe.

Assit à son bureau, il regardait le soldat tout juste réveillé, et alors qu'elle rappelait les impératifs médicaux de sa jambe, Léo se sentait mal de ne pas reproposer son aide. Pas parce qu'il manquait de confiance envers ses infirmiers, mais surtout parce qu'il voulait être sûr qu'elle ne cachait rien.

"Si vous avez encore des soucis avec votre jambe, je peux y jeter un coup d’œil, je m'assure qu'il n'y a rien susceptible de s'aggraver et si les sutures sont bien faites. Et ça donnera l'occasion de changer le pansement, en plus."

Dans tous les cas, le docteur se leva jusqu'à la pharmacie pour prendre de quoi arranger les maux d'Armanetti. Il posa le nécessaire sur le bureau, et tandis la main vers le matériel. Un geste pour prouver qu'elle choisissait, mais qu'il était bien prêt à aider.

Quelques secondes d'hésitation, puis elle secoue négativement la tête. Il lui avait rappelé qu'il était juste le médecin et elle la patiente, et elle avait assez abusé de son temps professionnel comme ça.  Je me débrouille en ce qui est premiers secours, ne vous inquiétez pas. Donnez-moi ça. Elle hausse les épaules, continuant: Au pire, je compte sur vous pour m'amputer la jambe, comme ça j'aurai un corps symétrique fait-elle remarquer avec un certain...humour.

Le médecin s'attendait évidemment à cette réponse. Ce serait naïf, plus qu'à son habitude, d'espérer voir plus de changements de la part d'Armanetti sur la journée. Mais elle était subitement passée d'aimable à sèche, sûrement le temps qu'elle se réveille et retourne à la normale. Malgré tout, ses paroles le firent grimacer.

"Ne dîtes pas ça, je tiens à la santé de tous ici. Je vous fais confiance pour prendre soin de vous, Armanetti."

Je... sais.

Elle pourrait encore rajouter une fois qu'il ne doit pas s'inquiéter, mais de toute façon il le fera probablement. Même parmi les soldats, elle était particulièrement téméraire et se blessait souvent. Inutile de faire des promesses qu'elle ne tiendrait pas. Elle n'aimait pas ça, les promesses, de toute façon. Un autre soupir s'échappa de lui-même de ses lèvres sans qu'elle s'en rende vraiment compte, puis elle récupéra tout le matériel d'une main hésitante, le mettant dans ses bras avant de s'approcher de Dool. Elle s'approcha d'ailleurs bien trop près- mais cette fois pas d'empoignement brutal, juste un baiser sur la joue.

Merci, docteur. En revoir.

Léo attendit une réponse qui pouvait lui faire croire qu'elle viendrait moins dans son office, en vain. Pour un médecin, voir un patient revenir sans arrêt était comme un échec, même si Armanetti semblait plus soucieuse d'aller au combat que d'en revenir.

Et lorsqu'elle s'approcha, il eut un très léger mouvement de recul, qu'il cherchait à réprimer. La dernière fois qu'elle avait fait ça, il avait eut une frayeur de tous les diables, avec son bureau ! Pour au final... Quelque chose qui prête beaucoup plus à confusion. Sa surprise le laissa interdit, seul dans son bureau.

Le moineau rouge a été apprivoisé ?



Sans y croire.