La machine machinique [Silène, Billy & Dodu]

Dodu et moi, on est tout excitouillés ! Monsieur Cathwulf, il nous a promis qu'on allait rencontrer une madame qui est spécialisée dans la réparation pour les prothèses, et nous on se dit que c'est une chouette opportunité. J'espère qu'elle voudra bien m'apprendre ce qu'elle sait, ou m'en dire plus, ou bien me diriger vers quelqu'un qui pourra m'apprendre. C'est donc presque en sautillant qu'on arrive au Runny Amber, avec nos gros sacs - mais pas tous, parce qu'on en a laissé chez maman et papa avant de partir. La madame, elle a pas l'air d'être encore là, alors ben, on s'assoit sur une table, je pose ma canne à côté de moi et mes sacs aussi, et Dodu s'assied sur une chaise. Je pose mes mains sur mes genoux, et j'attends qu'elle arrive avec un grand sourire, parce que je suis vraiment très heureuse, ça oui !

Wulf m'a demandé de rencontrer une autre cliente qui cherche une mécanicienne de prothèse. Je peux difficilement lui refuser une faveur sachant que c'est lui qui a mon alcool, d'un autre coté, je suis sûrement une des plus grosses buveuses et une source de revenue conséquente, le connaissant ça l'embêterait au moins un peu que je décide d'aller boire ailleurs. Mais bon, on n'en arrivera pas là. En plus, l'entrevue se passe au Runny donc logiquement je devrais pouvoir boire tout en m'occupant de cette personne.

Pas de moyen de se tromper. Il m'avait dit que je n'aurais pas besoin d'une description détaillée pour la reconnaître, qu'elle était "facilement repérable". Effectivement, avec une tronche comme ça et accompagnée d'un chimpanzé difficile de la rater. Je m'approche de sa table en quelques enjambées.

« Salut. Tu dois être Billy ? »

J'attrape une chaise et m'assois en face d'elle, un peu déconcerté par son animal qui me scrute. Ma main se lève pour faire signe que je veux une bouteille.

« Tu bois quelque chose ? »

Moi en tout cas, j'ai besoin d'alcool, sinon je sens que je ne vais pas supporter cette conversation vu l'expression de bonheur qui déforme son visage déjà assez peu engageant sans ça.

Enfin, elle arrive, et quand je la vois, je suis encore plus contente ! Elle a pas l'air très contente, elle, mais c'est pas très grave. On sait jamais ce que pense vraiment les gens avant d'avoir pu leur parler ou avoir appris à les connaître. Dodu la fixe avec de grands yeux curieux, en sautillant un peu sur sa chaise.

- Sapristouillette, merci d'être venue ! C'est très très gentil à vous ! C'est bien ça, j'suis Billy, et lui c'est Dodu ! Et puis vous, vous êtes madame Silène, c'est bien ça ? J'suis toute excitouillée, c'est bien la première fois que je rencontre une mécanicienne spécialisée en prothèse, c'est chouettissime !

Et puis elle me demande ce que je veux boire, et puis je me souviens que monsieur Cathwulf m'a dit qu'il fallait boire le rhum.

- Heu, oui, oui ! Du rhum ! Je vais boire du rhum !

C'est qu'elle est sacrément impressionnante, madame Silène ! Je la regarde aussi avec de grands yeux, et je suis trop heureuse qu'elle soit là !

Du rhum ? Je ne suis pas vraiment étonné, c'est ce que tout le monde boit par ici. En plus, Wulf essaie toujours de me refiler une bouteille de Kraken, le truc le plus cher de la boutique. Je refais signe et on nous en apporte assez rapidement une bouteille. En attendant, son sourire commence vraiment à me mettre mal à l'aise.

« Oui, Silène, c'est mon nom. Tu peux me tutoyer, j'aime pas qu'on me donne du madame. Je suis pas une dame et je suis pas gentille. »

Je pointe mon doigt en parlant et fait des gestes. Je me demande à quel point ça ressort menaçant avec mon tatouage et mes cicatrices. Mais on s'en fou. Je me sers un demi-verre que je bois d'une traite en grognant puis ressers un verre complet chacune.

« Il parait que tu cherches une mécanicienne de prothèse ? Je te préviens, je fais pas l'installation, seulement la maintenance. Et je suis cher, très cher. »

C'est ma manière d'essayer de comprendre ce qu'elle me veut vraiment et à quel point elle est motivé pour arriver à son objectif. D'ailleurs, c'est bizarre parce que, que se soit tronche de cake ou son compagnon poilu, j'ai du mal à déceler l'ombre d'une prothèse, pourtant, j'ai le nez fin pour ça. Qu'est-ce qu'elle peut bien me vouloir ?

C'est qu'elle a vraiment pas très l'air contente d'être là, la madame Silène. Mais c'est pas grave, Dodu et moi on est assez contents pour trois, ça c'est sûr ! Alors je perds pas du tout mon sourire, au contraire même.

- Oui, d'accord mad-... Silène. C'est que j'ai pas trop trop l'habitude et puis j'ai des tocs de langage, mais je vais faire attention, ça oui !

Elle fait beaucoup de gestes et elle a de grosses cicatrices, mais Dodu et moi, on est habitués à voir des cicatrices et puis des gens pas contents, ou tristes, ou en colère. Je la regarde se servir du rhum, et puis je pense qu'elle doit avoir des soucis avec l'alcool, mais elle me sert un verre.

- Non Dodu, c'est pas pour toi.

Mais tant qu'à être dans le Runny Amber, autant profiter de l'assiette faite exprès pour Dodu et moi, ça oui ! Alors je commande ça, et puis je regarde à nouveau la madame, qui m'annonce qu'elle est chère et puis qu'elle fait que les réparations.

- Oooh, pour dire vrai de vrai, c'est pas vraiment pour moi ! Enfin, oui et non, surtout oui mais un peu non aussi. Dodu et moi, on est médecins, et puis on médecine assez bien la machine du corps humain, sans vouloir nous vanter, mais on voudrait apprendre aussi à soigner la médecine machinique, comme vous... Tu fais toi !

Elle doit pas franchement être aidée dans la vie, j'en aurais presque de la peine. Apparemment, le physique c'est pas le seul truc qui déraille chez elle. Enfin, elle n'est pas désagréable, à part pour mon regard, elle me décrocherait presque un sourire par moment. Mon humeur s'adoucit progressivement.

« C'est quoi ce truc que t'as commandé ? »

Je bois gorgée par gorgée en l'écoutant déblatéré puis repose mon verre dans un claquement sur la table. Je change ma posture, m'approchant plus près et la fixant dans les yeux.

« Et tu voudrais que je t'apprenne ? »

Eh ben, je ne m'attendais pas vraiment à ça. Ma main droite vient frotter mon menton, pendant que je réfléchis. Je suppose que je pourrais lui apprendre au Rust&Bones. Tant qu'elle ne reste pas à l'accueil sa tête ne risque pas de faire fuir les clients et si elle est aussi douée en médecine qu'elle le dit ça devrait être un apprentissage éclair. Je dis pas oui pour l'instant, mais je ne dis pas non, non plus. On va voir ce qu'elle est prête à payer.

Elle semble intriguée, et puis moi je suis presque fière qu'on ait notre assiette faite pour nous, même si elle nous est pas réservée dans l'établissement.

- C'est l'assiette merveillationnelle ! C'est que, Monsieur Cathwulf, il a fait ça pour Dodu et puis pour moi quand on l'a rencontré, parce que nous, on adore ça, les fruits. Alors il a dit qu'il pouvait faire une assiette de fruits à nous. C'est pas meilleur que quand on va cueillir les fruits nous-mêmes, mais c'est chouettissime quand même, ça oui ! Je dirais même que c'est merveillationnel ! T'aimes ça, toi aussi, les fruits ? C'est quoi celui que tu préfères ? Nous, c'est les framboises. On adoooore les framboises. Et toi ?

Et puis je sais que je me suis un peu emportée, mais les fruits, on adore ça vraiment pour de vrai. Et Dodu, il a les yeux qui brillent aussi, et il sautille sur sa chaise et puis il a l'air tout content alors moi ça me rend encore plus toute contente. Et puis alors, quand madame Silène elle me demande si je veux qu'elle m'apprenne, et ben j'ai du mal à rester bien assise sur ma chaise et j'ouvre encore plus de grands yeux.

- Oui oui oui ! Ce serait trop topistouille ! Dodu et moi on apprend vite, et puis on est des gentils élèves, et puis on veut vraiment beaucoup apprendre à faire ça, ça oui oui oui !

Le regret d'avoir posé cette question est instantané. J'aurais mieux fait de m'enfoncer le bras dans l'oreille, jusqu'au coude que de m'intéresser à son assiette, ça m'apprendra. Mon regard se blase à mesure qu'elle parle que quelqu'un la fasse taire. C'est incroyable d'être aussi moche et chiante à la fois. Je me demande comment elle a survécu dans ce monde jusque-là sans que quelqu'un réussisse à lui arracher la langue. En plus, connaissant Wulf un minimum, c'est juste un assortiments de fruits qu'elle surpaye.

« L'abricot. Sec de préférence. »

Je réponds surtout pour la faire taire. Ma réponse n'en est pas moins franche, j'ai toujours aimé les abricots secs et leur odeur me rappelle celle de Jia et les nuits que nous passions ensemble sur le Liberty, en toute discrétion. Sa peau sentait une odeur mélange d'abricot et de jasmin. Mon regard se fait mélancolique et se perd immédiatement dans le vague au moment où je formule cette pensée. J'attrape la bouteille de rhum et me ressers un verre qui déborde un peu sur la table. Je le bois d'une traite, sans broncher cette fois et secoue la tête pour évacuer mes pensées négatives.

« Bon. Par contre, je vais pas te mentir, si tu veux que je t'apprenne la mécanique ça va coûter de l'argent. Je suis pas une œuvre de charité. »

Je comprends pas l'intérêt d'ailleurs. L'argent c'est pas mon intérêt principal, mais le bonheur et le bien-être des autres, j'en ai clairement rien à secouer.

Nous aussi, on aime ça, l'abricot, mais on préfère le pas sec. J'allais lui répondre et puis je vois que son regard, il change. Elle a pas l'air très heureuse de base la madame, mais là, c'est encore pire. Et puis tout de suite, elle se ressert à boire et puis elle vide son verre. Faut pas être un génie génial pour comprendre qu'elle a vécu des choses pas chouettissimes du tout, et puis qu'elle essaie de noyer tout ça dans l'alcool. Mais je fais pas de réflexion, parce que j'ai pas l'impression qu'elle veuille bien beaucoup en parler, et surtout à une inconnue, ça non.

- Je suis pas très riche, mais c'est pas grave, je me débrouillerais pour avoir l'argent qu'il te faut. Et puis, si tu veux, je peux aussi te payer en service. Parce que puisqu'on est médecins, Dodu et moi, et beh on peut te soigner. Et puis aussi, je fabrique des médicaments à base de plantes, et ça aussi, je peux t'en donner, si tu veux. Ca a pas beaucoup d'importance, parce que nous, on veut juste apprendre.

C'est normal qu'elle nous offre pas ça gratuitement, même si nous on l'aurait fait. Il faut bien que les gens vivent aussi, et puis c'est tellement trop bien qu'elle nous offre cette chance quand même de pouvoir apprendre à faire ça, que moi, eh bah je me vois mal dire quoi que ce soit sur l'argent qu'on lui doit.

Qu'est-ce qu'elle veut que je foute d'un médecin ? J'aime pas les médecins. Ils sont toujours là à te dire ce que tu dois faire pour aller mieux et puis souvent, ils pètent bien plus haut que leurs culs. Enfin ça a pas l'air d'être son cas, je suppose que c'est déjà ça de pris. Si j'ai besoin de me soigner, je me soigne toute seule.

« Moitié argent, moitié service, on va dire. Tu saurais faire un remède contre la gueule de bois avec tes plantes ? »

Généreux ? C'est pas généreux. Avec les cuites que je me mets tous les jours, j'ai besoin de beaucoup de remèdes, je suis pas gentille, mais je suis pas malhonnête et si elle a ce qu'il me faut je suis prête à lui faire une réduction conséquente.

« Par contre, la moitié de l'argent est payable d'avance. »

Pareil, elle a pas l'air malhonnête - même plutôt un peu candide - mais je la connais que depuis deux verres et j'ai pas envie qu'elle se barre sans me payer. Mon regard va se fixer sur son verre d'alcool et je remarque qu'elle n'y a pas touché. Tandis que son singe lui est en train de dévorer l'assiette de fruit parce qu'elle n'y prête pas trop attention.

« Tu bois pas ton verre ? »

Je réfléchis quand elle me pose sa question, parce que je suis surprise mais aussi parce que c'est un truc que Dodu et moi on a jamais fait de chez jamais avant. Mais on aime bien ça, les défis à relever comme ça, surtout quand c'est pour faire de nouveaux médicaments et de nouveaux remèdes avec nos plantes. Parce qu'y a des plantes qui ont des propriétés qui peuvent aider, mais y en a qui se marient bien et puis d'autres pas du tout. Faut pas faire n'importe quoi, ça non ! Mais voilà, Dodu et moi, on a vraiment pas beaucoup de sous, parce qu'on travaille beaucoup avec des gens pas vraiment très riche, ou on échange des services et tout.

- Un quartouille en argent, et puis pour le reste on te fait tester plusieurs remèdes et puis celui que tu préfères, on te le fournit gratuitement pour toute ta vie. Et puis, c'est combien d'argent pour que tu nous enseignes à nous ?

Surtout parce que l'argent qu'on doit avancer, je pense pas vraiment qu'on l'a, même si elle a pas du tout dit de prix encore !

- Oh si, si ! C'est que, on a du travail après, et puis Dodu tiens pas très bien l'alcool, alors si on boit, on va être tout pompettes !

Un remède à vie contre la gueule de bois ? Et gratuitement ? Je sais pas si ma vie va encore être très longue, mais j'hésite pas longtemps.

« Ok. Un quart et remède à vie. Il faut que je calcule ça au magasin, je préfère pas compter quand je picole. »

Dodu tient pas très bien l'alcool ? Parce que le singe boit ? Je le regarde en levant les sourcils une nouvelle fois et en haussant les épaules.

« Si vous voulez pas de votre verre je peux vous en débarrasser. »

Intérieurement, je me dis quand même que je m'attendais tout sauf à ça quand Wulf m'a demander si je pouvais rencontrer une autre cliente. Il aurait pu au moins me prévenir... Enfin, il m'aurait pitché ça comment "Une médecin moche avec un singe de compagnie est intéressé pour apprendre à réparer les prothèses, tu veux la rencontrer ?" J'aurais dit non sans réfléchir. Alors qu'au final je suis pas mécontente, même si elle est spéciale et pas agréable à regarder. Son attitude me fait baisser un peu ma garde naturelle et ma façade glacial, on en est pas encore à sourire jusqu'aux oreilles, mais ça viendra peut-être.

J'hoche vivement la tête avec un très très grand sourire.

- Chouettissime ! Chouette chouette chouette ! T'entends ça Dodu, on va apprendre à réparer les prothèses ! On commence quand ?

Et puis je réfléchis un peu à sa proposition, et je finis par lui donner mon verre, parce que Dodu et moi, on sait bien qu'on le boira sûrement pas.

- D'accord, tiens ! En plus, ça va nous aider pour te trouver le traitement qu'il te faut, ça oui ! J'ai déjà plein d'idées, mais c'est que j'ai jamais fait ça avant. Mais j'suis sûre qu'on va pouvoir le faire, ça oui !