Relâche

"Oui, des rideaux seraient vraiment utiles. Des sanitaires supplémentaires également, au moins un deuxième jeu."

Les sanitaires d'appoint destinés à n'être utilisés que pendant les manutentions, clairement, sont largement insuffisants pour vingt, cinquante, cent personnes vivant en soute en permanence. Mais aussi, les soutes n'ont jamais été prévues pour accueillir cent personnes en permanence pendant plusieurs jours, voire une semaine, voire deux. D'habitude, ils ont le droit de circuler dans le vaisseau et d'utiliser les installations de l'équipage, mais d'habitude l'Iceberg n'est pas l'un des agents du chaos entre factions.

"Et puis peut-être, si on peut, des nattes ou des tapis de sol. Ca isolerait mieux que les couvertures, ça serait plus confortable sûrement... et ils pourraient servir pour les prochaines fois, après désinfection."

Seik'el est peut-être attachée au bien-être des siens, elle essaie peut-être de se faire croire et de faire croire au Capitaine qu'il a prévu des prochaines fois, d'autres prochaines fois avec d'autres esclaves à loger avant de les déposer ou de les recruter, plus qu'avant, mais elle n'oublie pas dans quel état d'hygiène déplorable peut se trouver un esclave qu'on vient de libérer. Elle en sait quelque chose...

Il avait aussi pensé aux sanitaires. Des versions de chantier légers et auto-suffisants pouvaient suffire en nombre suffisant même sil ne voyait pas en quoi les réutiliser par la suite. Mais l'odeur des gens se soulageant directement dans la soute était vraiment insupportable. Par contre, les matelas de sol ne lui étaient pas venus à l'esprit et, en y repensant, ce n'était pas une mauvaise idée.

« Mettez ça sur notre liste de ravitaillement. Ne prenez pas le premier prix, prenez les de bonne qualité avec des matériaux solides et facile à nettoyer au besoin. Leur financement se fera sur un autre fond que celui du vaisseau proprement dit. Prenez-en... entre cent et deux cents en fonction des prix de gros que vous pourriez nous obtenir. Je vous fait confiance pour concilier au mieux les intérêts. Au besoin prenez les très moches si vous pouvez négocier une meilleure réduction dessus, je pense que le confort l'emportera sur les soucis esthétiques. »

Un autre fonds. Les fonds du Capitaine. Seik'el sourit légèrement, reconnaissante, hoche la tête. Son mécontentement précédent s'est un peu dissipé face à la tournure de la conversation. Une goutte de vin dans la mer... et il y a quand même du vin dans la mer. Ca resservira.

"Bien, je m'en occuperai dès que possible. Si vous permettez Capitaine... je voudrais y contribuer aussi. J'en prendrai deux cents de bonne qualité, et ce qui est au-delà du raisonnable je le compléterai de ma poche."

« Sil cela est important pour vous, Seik'el, alors vous avez ma permission. » L'Iceberg est une œuvre commune. Alors certes, c'est lui qui l'a fait construire et l'à en grande partie financé selon ses plans mais à ses yeux, c'est plus qu'un vaisseau, c'est une idée de la piraterie, c'est une volonté unie dans l'adversité. Et s'il n'oblige personne à s'investir plus que ce qui est habituellement demandé dans ce genre de bâtiment, il aime que ses officiers y donnent une part d'eux même. Que ce soit en l'améliorant comme le faisaient les mécano, en le protégeant, en partageant un savoir ou un autre ou en payant au besoin un eco. Il se doute que la jeune femme ne le fait pas pour ça, peut-être pense-t-elle repayer une dette envers lui ou même envers ses camarades restés esclave. Ou toute autre raison du cœur à laquelle il n'aurait pas pensé, il n'est pas bon pour deviner ce genre de choses. Peu importe. « Voyez-vous autre chose ? »

Elle hoche la tête à nouveau, le sourire un peu plus large, avant de redevenir plus sobre. Est-ce qu'elle pousse sa chance ?

"Peut-être... quelques équipements plus confortables pour les femmes enceintes et les blessés graves qui ont plus de place à l'infirmerie. Quelques jouets pour les enfants peut-être aussi. Le temps est encore plus long pour eux." Il y en a, parfois. Monstres. "Je voudrais qu'ils puissent les emporter s'ils les veulent. Je les paierai." Elle sait, combien elle sait quel réconfort on peut trouver dans une poupée qui a oublié de quelle couleur était sa robe.

Des jouets pour les enfants. Les sourcils du Capitaine se froncent un peu à la pensée de l'Iceberg devenu une sorte d'immense parc de métal rempli de gamins qui hurlent. Il n'a pas d'intérêt pour les enfants. Ils ne savent ni se tenir tranquille, ni raisonner ni même avoir une conversation intéressante et, même jeune, il n'avait pas grand intérêt pour des jouets. Il se souvenait de ses sœurs et de leurs poupées bien sûr mais son rôle d'aîné l'avait poussé à travailler leurs devoirs avec elles, pour son grand soulagement. Serait-ce aider les enfants d'esclaves que leur donner des jouets ? Et puis il se souvint du sourire de Seik'el. Après tout, si cela pouvait lui attacher la mystique...

« Soit. Mais que ce soient des jouets silencieux, je ne veux pas de raffut. »

Un instant elle se dit qu'elle a abusé. Les froncements de sourcils du capitaine de Nieves ont beau être sa principale expression perceptible, ils sont rares et plus souvent l'expression d'un mécontentement que d'autre chose. Et puis le verdict tombe et Seik'el respire à nouveau.

"Evidemment Capitaine." Des jouets simples, en bois ou en tissu. Ils ont jamais rien connu d'autre de toute façon, c'est pas le moment de leur mettre des machins bruyants ou lumineux dans les mains. "Je pensais à des toupies, des poupées de paille, ce genre de petits objets. Un enfant occupé est plus calme aussi."

"Adjugé." Pas besoin de perdre davantage de temps. Ils n'avaient pas vraiment le temps de s'attaquer de plein fouet à toute la problématique de l'esclavage. Ils étaient pirates, pas Libérateurs et si pour le bien de leur plan ils avaient décidé de concentrer leurs efforts sur des transports de main d'oeuvre, ce n'était pas pour se faire au détriment de la rentabilité. Les pirates travaillaient pour l'appât du gain et de la gloire, rien d'autre. C'était un fait bien connu.

"Faites cependant attention à notre couverture pour les commandes, il ne faudrait pas que quelqu'un s'étonne de notre intérêt soudain pour les jouets. Il est primordial de garder par dessus tout notre couverture."

Comme si on allait pas s'étonner de leur soudain intérêt pour le camping de masse, avec deux cents tapis de sol...

"La commande sera au nom du Penguin, Capitaine. Les jouets seront à mes frais, payés sur mes parts. Je leur trouverai bien une raison d'être." Un sourire en coin lui vient. "Ou j'enverrai quelqu'un d'autre les acheter à ma place." Pourquoi pas Valmont ? S'il achetait une toupie par bâtard qu'il a semé, il obtiendrait facilement un prix de gros...

"Parfait." Un silence. "Allons boire un verre."

"..."

Elle se raidit de surprise, lui jette un regard perplexe. Après quelques secondes d'un silence incertain, elle se reprend et hoche la tête.

"Vous avez une adresse en tête Capitaine ?"

"Le Las Dos Velas. C'est un établissement dans un quartier très particulier de la ville qui vous plaira je pense. Ils font une tequila qui n'est pas mauvaise. Et bien-sûr, du rhum."

L'établissement en question, tenu, contrairement à ce que l'on pouvait penser, pas un métis mo'at, se trouvait loin de l'astroport et des pirates, dans un quartier très artisant de la ville où l'on pouvait trouver un peu de tout, dans une ambiance vaguement bazar. Il était surtout fréquenté par des ouvriers, des petites mains, des artistes qui, parfois, payaient leurs verres en objets qu'ils sculptaient, dessinaient, gravaient etc. Il y avait également quelques mineurs dont les sculptures sur cailloux étaient exposées ici et là. C'était chaleureux, propre mais avec cette ambiance de quartier qui faisait que les habituées se taisaient lorsqu'entraient des étrangers. Clairement, Jaziel et Seik'el en étaient.

"Je vous suis, Capitaine." Aux Dos Velas, contre les esclavagistes, dans l'espace... même sans vaisseau, sans combinaison et sans respirateur s'il le fallait. "Vous savez, le rhum, j'y tiens pas spécialement." L'alcool en général, même... surtout depuis la dernière fois qu'elle a frôlé l'incident diplomatique... et puis là en plus elle aura son Capitaine à surveiller pour pas qu'on lui pose un doigt dessus.

Quel étrange duo ils faisaient. Deux pirates qui n'aimaient pas le rhum. Jaziel réfléchit à cette nouvelle, se demandant combien ils étaient à feindre de l'intérêt pour cette boisson "traditionnelle". Il aimait ce genre de diktat pourtant, cela rendait les rencontres simples. On savait quoi commander pour ne vexer personne. Il hocha donc la tête sans rien dire et conduisit la jeune femme par les rues, en silence, jusqu'à l'établissement proprement dit. Il n'était ni plein ni vide et, comme de bien entendu, les habitués se turent à leur arrivée. Il choisit une table en vue de la porte, et s'assit dos à un mur, en silence.

Le chemin se déroule sans encombre, Vanguard est bien mieux fréquentée que Tortuga et la plupart des ports qu'ils fréquentent habituellement mais c'est pas une raison pour baisser sa garde. Elle surveille de son mieux, prête à agir en conséquence, mais rien ne vient. Rien... à part les habitués qui baissent d'un ton à leur arrivée. Elle les détaille en silence, fermée sans être hostile, et elle s'installe à côté du Capitaine, pas trop près. Elle se demande un peu pourquoi il a voulu l'emmener ici.

"Vous prendrez une tequila si j'ai bien compris ?" elle murmure, prête à passer commande.

"Un Mezcal Potosi, avec une baie d'Axa et une larme de Vera." fait tranquillement le Capitaine, sans regarder le menu, comme s'il était un habitué de longue date. Plus qu'une boisson, la phrase est un mot de passe pour prévenir le patron qu'on cherche à faire des affaires. En attendant, la boisson était buvable et il était avec une jeune femme ce qui pouvait - aux yeux des curieux - expliquer beaucoup de choses. Mais plus que la beauté de Seik'el, c'était sur son intelligence qu'il comptait. Ce contact, il ne l'avait jusqu'ici partagé avec personne. En la présentant en sa compagnie et utilisant le mot de passe, il la faisait aussi connaître.

Un Mezc... oh. Mezcal Potosi, baie d'Axa, larme de Vera. Ca sonne comme quelque chose à retenir... juste au cas où. Quelque chose lui souffle qu'elle sera vite fixée.

Un serveur arrive, prend les commandes, les notes sur le bon sans réagir, bon qui passe alors au bar, toujours sans réaction. On leur apporte leurs boissons. Le service est efficace a défaut d'être aimable, la compagnie les regarde toujours du coin de l'oeil mais a repris ses bavaradages. Jaziel prend calmement une gorgée du breuvage aussi pâle que de l'eau.

"Vous voulez gouter ?"

Ca aussi, ce n'est pas habituel.

Elle commande une eau gazeuse et sa rondelle d'agrume, examine toujours la salle. Les conversations reprennent, on feint de plus s'intéresser à eux. Elle surveille quand même... et prend sur elle pour ne pas jeter un regard abasourdi à la proposition du capitaine. C'est bien la première fois qu'il la lui fait, celle-là. Cette journée est vraiment bizarre...

"Je veux bien." qu'elle murmure en glissant les doigts autour du verre.

Il lui fait glisser le verre. Le mélange est piquant, épicé, alcoolisé, curieusement rafraîchissant dans le même temps avec des notes d'agrume. Il attend qu'elle y pose ses lèvres et reprend.

"L'on va nous proposer une partie de carte dans quelques temps. Je vais accepter et proposer comme jeu la Dame de Pique. Ce sera votre nom ici."

Un instant elle hésite à chercher la trace des lèvres du Capitaine. Mais pour faire quoi ? Les éviter, y chercher une procuration ? Qu'importe. Elle pose les lèvres à l'endroit qui se présente et c'est là qu'elles sont bien. C'est pas le moment de penser comme une midinette merde.

Le goût est bizarre. Potable mais bizarre. Au moins si elle revient seule elle pourra boire...

Dame de pique ? Noire. Elle croit se souvenir qu'elle a un sens de mort. De difficultés en tout cas. Quelque chose comme ça. Impensable que le Capitaine ait simplement choisi une figure au hasard. Ca lui va bien, elle trouve.

"Entendu. Comment dois-je vous appeler ici ?" elle murmure derrière le verre.

"Capitaine", répond-il tranquillement. C'est comme ça qu'elle l'appelle toujours et c'est comme ça qu'il apprécie qu'elle l'appelle. Parce que c'est la preuve qu'il a gagné sa loyauté et il est sensible à ce genre d'indice notable, simple et clair. "Mais eux m'appellent l'as de coeur." Pas le roi, l'as, la carte qui peut, selon les jeux, être faible, forte, ou les deux. L'atout imprévisible. Quant à la couleur de la carte, c'est très certainement ironique mais il ne s'en formalise pas. Quelqu'un s'approche, un paquet de carte bien en vue dans la main. C'est un mo'at, la peau claire, les cheveux blonds, les yeux verts, visiblement pris de boisson.

"Vous jouez les étrangers ? J'parie que je peux vous plumer à n'importe quel jeu. Poker, Black-jack, n'importe quoi."
"Je ne suis pas intéressé."
"Genre t'es pas intéressé papi, je te dis que tu vas jouer. Ici, les étrangers jouent, et ensuite ils paient leur tournée avec la poignée de crédits que je leur ai laissés."
"Je ne suis pas intéressé."

Le mo'at cogne sur la table.

Elle inspire à bloc. Tout, absolument tout lui donne envie de plaquer le type contre le mur et de lui expliquer ce qu'elle pense de la façon dont il parle au Capitaine, et à dire le vrai si elle avait pas déjà une expérience de ce genre de rencontres fumeuses ce serait sûrement déjà fait malgré les explications sur la normalité de la scène. Alors elle prend sur elle, elle prend très fort sur elle pour juste renvoyer un regard souverainement blasé. A d'autres. Déesse qu'elle prend sur elle pour pas approcher la main de son couteau.

Jaziel se lève, examinant froidement l'importun. S'il a vu la reaction de Seik'el, il n'en montre rien et pose tranquillement sa main sur son épée monofilament. Un ouvrier se lève. Tellement métissé celui-ci que doradien est le seul épithète qui semble convenir. Il pose la main sur l'épaule de son camarade, lui chuchote à l'oreille et glisse un sourire charmeur aux deux pirates.

"Mon ami se laisse dépasser par l'alcool. Mais il dit vrai, la coutume veut que nous fassions une partie de carte. Votre jeu est le notre."

"Les plumer j'te dis, j'vais les plumer"
"Tais-toi."
"Une dame de pique." répond alors le capitaine après un moment de silence. Les deux hommes se taisent. Finalement, le métis hoche la tête.
"Je n'ai pas les cartes pour ce jeu ici mais si vous voulez passer dans l'arrière salle..."
"Après vous, et laissez votre ami décuver, il dérange ma compagne."
"Comme vous le désirez. Madame ?"

Madame elle a toujours un peu de mal à contenir ses nerfs et à adopter une attitude mesurée mais Déesse, au moins vingt-cinq ans d'horreurs lui auront appris à feindre un minimum crédible de calme de façade. Parfois. Quand les circonstances l'exigent. C'est souvent un prélude à une réaction un peu plus explosive. Quand le Capitaine se redresse elle suit le mouvement en silence, avec un temps de retard calculé et un regard qui s'allume d'avertissement. Son attitude la montre prête à sortir de l'immobilité en un instant et si elle s'est retenue pour l'instant c'est par égard pour le Capitaine - et un peu pour pas ruiner le contact.

Elle prend note du nouvel arrivant, suit l'échange en silence, hoche la tête sans rien dire. Elle sait gré au Capitaine de laisser l'ivrogne dans la salle, au nouveau venu d'accepter. Seik’el est pas connue pour son amour des ivrognes, et celui-ci "l'indispose" beaucoup trop pour le bien de tout le monde. Elle se détend un peu, oh si peu, ôte la main de son arme, et se tient prête à suivre son Capitaine.

Tant que Madame suit en silence, Jaziel ne fait rien. Il suit à son tour leur guide qui les amène par une porte de côté dans une salle moins grande et sans fenêtre dans laquelle il allume quelques lampes à huile pour révéler une table tendue d'un tapis vert, des piles de jetons rangés dans un coin, de la paille sur le sol. La décoration est frustre, sans le côté rococo que l'on pourrait craindre dans un tripot clandestin. Il leur fait signe.

"Asseyez vous là, je vais appeler votre adversaire.

Jaziel s'assied donc et fait signe à Seik'el de faire de même. Une fois le métis parti, il reprend la parole, à voix basse.

"L'homme qui va nous rejoindre est à la tête d'un réseau de libération mo'at. Ils échangent souvent des matières premières et de nécessité contre des objets divers que les esclaves ont volés en s'enfuyant et dont ils ne savent pas quoi faire. Ils font aussi du recel et d'autres petits travaux illégaux qui permettent de financer les navettes et le carburant."