Apparemment, je suis surmenée et j'ai besoin de repos.

Même le médecin s'est mis à me le dire. D'après lui, si j'ai pâli ces derniers temps et si je me traîne les pieds comme si mes semelles pesaient un ataa'awve chacune, c'est à cause de cela. J'ai d'autres soucis dont je me suis bien gardée de parler. Un corpo ne pourrait pas comprendre.

Mam' a saisi l'occasion de me réclamer son "petit fils" en pension et je me retrouve à me réserver une cabine au Crust pour un weekend. Seule. Je sens déjà que ce n'est pas la meilleure des idées. Et pourtant me voilà, ma tresse relevée en chignon et vêtue de ma robe brune comme lors de ma dernière visite. J'ai même chaussé mes sandales préférées, celles que je ne porte presque jamais de peur de les abîmer! Elles sont couvertes de perles de rocaille tissées, formant un motif en forme de fleurs de caly'orouk. Pourvu qu'on ne me marche pas sur les pieds!

J'avais pensé aller voir la salle nature. Mais j'ai préféré visiter une autre partie du Crust, une que je n'avais jamais vue encore. Une sorte de taverne tout en bois, éclairée par des guirlandes et des lanternes. C'est moins calme que la salle nature, mais je pourrai m'y retrancher dans le pire des cas. En attendant, allons commander une bière...

Une petite voix lui soufflait que ce n’était pas raisonnable. Elle n’aurait pas dû y penser et encore moins le suggérer à Aldric… qui n’aurait pas dû accepter. Le temps n’était pas si loin où il fallait compter chaque crédit dépensé. Et… la petite voix s’éteignit complètement au moment où Catherine sentit l’eau chaude lui couler dans le dos sans crainte d’être surprise par qui que ce soit. Sur le CRUST, même la chambre la moins chère était bien au-dessus des moyens des Lambert à Port-Salem. Mais, à présent, ils gagnaient tous les deux leur vie et ils avaient peu de dépenses. Et même la chambre la moins chère du CRUST disposait d’une salle d’eau privée. Rien que pour ça, ça valait le coup. Et aussi pour une nuit à deux, au lieu d’une cabine à six… même s’ils ne feraient pas le quart de la moitié de ce que s’imaginaient certains collègues de l’Iceberg si on se fiait à leurs sourires entendus.

En fait, Aldric avait décidé de se reposer et Cathy de faire taire son inquiétude pour aller explorer les salles du vaisseau restaurant qu’elle ne connaissait pas encore. Et la taverne avait l’air chouette, aussi chaleureuse mais moins pirate que celles de Tortuga.

Elle s’approcha du comptoir pour commander un jus de fruits.

« Bonsoir ? salua-t-elle la femme qui s’y trouvait déjà. Je peux me mettre là ? »

Oui, bien sûr! Je n'attends personne. Allez-y!
Oh non, voilà que je passe pour la poivrote qui boit des bières toute seule dans les tavernes.
Enfin je...
Mais quoi que je dise, je vais m'enfoncer. Mieux vaut faire comme si je n'avais pas tenté de me justifier. Si j'ai de la chance, ça passera inaperçu. Pourvu que je ne sois pas en train de rougir!
Allez-y, je répète en souriant à la nouvelle venue que j'ai certainement mis mal à l'aise avec mes bêtises.

En attendant, ma bière arrive. J'ai laissé le barman me servir la suggestion du moment, quelque chose d'ambré avec un nom Impérial. Une gorgée m'indique que c'est bien plus corsé que la mousse bon marché que les étudiants Corpos buvaient jusqu'à en perdre connaissance.
Eh ben! C'est pas mauvais! dis-je à l'attention du barman pour lui confirmer qu'il a bien fait de me suggérer cette bière.
Mais il ne m'a pas entendue, puisqu'il est parti servir quelqu'un d'autre un peu plus loin. J'ai donc parlé toute seule comme un taron'huan qui s'ennuie...
Je n'étais jamais venue dans cette taverne, dis-je à ma voisine de comptoir pour sauver la face. Vous êtes une habituée?

Un an plus tôt, Catherine aurait sans doute été surprise de voir une femme seule au comptoir d’une taverne… Mais, depuis, elle avait quitté Port-Salem et la Trinité, et elle en avait fait plusieurs fois de même. Même si c’était plutôt pour manger que pour boire. Et jamais d’alcool, bien sûr.

Elle se contenta donc de sourire gentiment à la femme qui semblait hésiter. Peut-être attendait-elle quelqu’un et ne voulait-elle pas le dire ?

« Je vous laisserai la place si quelqu’un vient vous rejoindre, » promit donc Cathy.

Elle profita de la venue du barman qui servait sa voisine pour commander son jus de fruits, avant de reporter son attention sur la femme qui déclarait que sa boisson n’était pas mauvaise. Elle jeta un œil au verre mais secoua la tête.

« Je ne bois pas d’alcool. »

Mais elle n’avait rien contre ceux qui en buvaient du moment qu’ils ne perdaient pas le contrôle. Aussi, Catherine répondit-elle sans hésiter.

« Non, pas du tout, c’est la première fois que je viens, moi aussi. Enfin, la deuxième sur le CRUST, mais je n’avais pas visité cette salle la dernière fois. »

Et même si la compagnie d'Idayo était chouette, elle préférait de loin cette ambiance-ci à celle de la boîte de nuit. Elle laissa son regard errer sur le comptoir mais ne vit pas ce qui l’intéressait.

« Ils ont des cookies, vous pensez ? »

Oh
Moi non plus je ne bois pas d'alcool d'habitude. Mais d'habitude, je travaille. Et je ne peux pas me permettre d'avoir de l'alcool dans le sang sachant que mon métier implique le maniement de scalpels et le calcul de doses de sédatifs. Mais j'ai réussi à me libérer pour venir un peu au Crust, autant que j'en profite! Et puis venir au Crust pour boire du jus d'ukeu, c'est gâcher un voyage en navette...

Moi non plus je ne l'avais pas visitée. J'étais restée dans la salle nature. J'ai voulu voir la taverne, pour changer.
Comme il était agréable de s'allonger sur l'herbe et de regarder les étoiles! Et dire que nous sommes à bord d'un vaisseau spatial...

Je manque d'avaler ma gorgée de bière de travers lorsque ma voisine de comptoir demande si l'on sert des cookies dans la taverne. Le lieu semble si incongru pour des biscuits que l'on déguste avec du thé! Mais il s'agit également du Crust, et l'on y trouve de tout. S'il n'est pas possible d'y trouver de cookies, je veux bien avaler ma tresse.

A mon avis, il suffit d'en demander! Il y a de tout ici, même des piments qui me font tousser. Et Calypso en soit témoin, les piments ne sont jamais assez forts pour moi!
Je ne sais pas lequel de mes parents m'a transmis sa tolérance extrême à la capsaïcine. Hay'na en a peut-être hérité aussi. Mais ça, je ne le saurai sans doute jamais...

À son exclamation, Catherine offrit un sourire d’excuse à sa voisine. Peut-être avait-elle été un peu sèche dans son affirmation ? Moins d’un an plus tôt, elle se méfiait de ceux qui buvaient de l’alcool, mais les mois passés à bord de L’Iceberg lui avaient appris que ses interlocuteurs pouvaient consommer des boissons alcoolisées sans devenir ivres ou violents. Mais elle, elle n’avait pas l’intention de tester.

En revanche, tester d’autres salles du CRUST, ça…

« La salle nature ? Je ne la connais pas non plus. La dernière fois, j’étais avec une amie, elle m’a emmenée en… boîte ? – c’était bien ça, le terme employé par Idayo, non ? – Mais ce n’était pas trop mon truc. »

Les trémoussements de la danse et les tenues… particulières de certains autres clients l’avaient mise franchement mal à l’aise. Ici, à la taverne, c’était plus consensuel. Et s’il y avait des cookies, ce serait juste parfait. Aldric serait ravi qu’elle lui en ramène, elle en était sûre ! Ce qu’elle ne garantissait pas avec des piments…

« Des piments ? Je ne suis pas certaine que ça plairait à mon mari… Je ne crois pas qu’il ait testé, ni dans sa cuisine ni dans la mienne… »

Elle allait préciser que sa cuisine à elle était difficilement mangeable – doux euphémisme – quand elle réalisa que son interlocutrice avait fait référence à Calypso. Était-elle pirate, elle aussi ? Ou simplement mo’at ? Ou… ?

Ma bière est plus forte qu'elle en a l'air! Elle n'est pas encore assez corsée pour me faire vaciller de ma chaise, mais elle est suffisamment chargée pour que le rouge monte à mes joues. Mon visage a chaud, mais pas le reste de mon corps.

Une boîte dans une boîte? Voilà qui est conceptuel. Un vaisseau n'est rien d'autre qu'une boîte de conserve pour organismes multicellulaires, après tout.
Non, les boîtes de conserve sont faites pour les morceaux de chair ou de plantes mortes.
Ou plutôt des terrariums! je corrige, à la hâte. Des terrariums de métal. Des boîtes très élaborées donc, mais des boîtes quand même.

Ma voisine de comptoir parle de son mari quand je lui parle de piments. Cette mention fait disparaître une partie de la détente induite par l'alcool. Est-elle Trinitaire? Non, elle parle de la cuisine de son mari. Les hommes Trinitaires ne cuisinent pas. Ils ont des femmes, des filles et des esclaves pour ça. Cela me laisse deux factions des Extra Doradiens, à moins qu'elle ne soit l'une des miens?
Ma cuisine, en général, c'est très simple: prendre un plat préparé, le réchauffer, ajouter du piment, et manger en vitesse. Heureusement, mon gros bébé n'est pas difficile! Une boîte de pâtée et il est heureux
Le barman amène le jus de fruits de ma "voisine". J'approche mon verre du sien pour lui proposer de trinquer.
A la santé des terrariums spatiaux?

Une boîte dans une boîte ? Les vaisseaux étaient des boîtes ? Des terrariums ? Catherine n’avait que peu d’expérience avec les animaux mais, dans son esprit, les terrariums étaient des sortes de prisons dans lesquelles les trinitaires aisés enfermaient des bestioles qui auraient mieux vécu dans leur environnement naturel. Alors que les vaisseaux… c’était la liberté.

« Je n’avais jamais vu les choses comme ça, » reconnut-elle d’un ton pensif.

La discussion dériva sur les cookies et les piments – logique ? – et la jeune femme hocha la tête à la mention des plats préparés. Ça, elle connaissait. En revanche, elle haussa un sourcil quand son interlocutrice parla de son « gros bébé » qui mangeait de la pâté. Cathy n’avait ni bébé ni animal de compagnie – et ne voulait ni l’un ni l’autre – mais elle se doutait que sa voisine ne parlait pas du premier.

« Vous parlez d’un animal de compagnie, j’imagine ? »

Le serveur lui apporta son jus de fruit et, après l’avoir remercié, elle en profita pour commander des cookies pour Aldric, avant de faire tinter son verre contre celui de son interlocutrice.

« À la santé des terrariums spatiaux ! Qui nous offrent la liberté et nous évitent de cuisiner. »

Elle prit une gorgée de sa boisson et sourit.

« Je m’appelle Catherine. Et vous ? »

Oui, bien entendu! Je n'ai pas de véritable bébé humain, je travaille trop pour ça.

Et de toute façon, il me faudrait un homme pour fabriquer un mini Jre'kan. Et pour l'instant, les hommes que j'ai croisés ne feraient franchement pas de bons pères. Entre les corpos qui me voient comme une curiosité locale, les impériaux qui ont peur de déshonorer leur famille en traînant avec une étrangère et les trinitaires que je ne laisse pas s'approcher de moi...Restent les autres mo'at mais ils ne courent pas les rues. Hay'na imaginaire agite au premier plan de mes réflexions l'image d'un certain pirate mignon, au sujet duquel je ne me fais nulle illusion. A moins que je ne plaque tout pour vivre dans un vaisseau pirate...

J'affiche une photo de Proton pour confirmer mes dires. Comme toute bonne célibataire endurcie j'ai des photos de mon chien plein mon HCom! Mais avant, on trinque. Et mon interlocutrice me révèle un prénom qui peut tout aussi bien être trinitaire que corpo. Ces derniers l'écrivent différemment parfois, il me semble.
Kha'läan! Mais vous pouvez dire Kal si c'est trop difficile à dire. Et lui c'est Proton!
Je ferait mieux de ranger ma photo. Une image holographique d'un chien baveux plein de plis, ça peut couper l'appétit. Et Catherine a commandé des cookies...

La réponse de son interlocutrice fit naître un nouveau sourire sur les lèvres de Catherine. Sa voisine n’avait pas le temps d’avoir un bébé parce qu’elle travaillait trop, sa cuisine se résumait à faire réchauffer des plats préparés, elle faisait référence à Calypso et elle buvait une bière seule à la taverne… Elle était définitivement fréquentable. Peut-être était-elle même pirate ? Mais ce n’était pas le genre de question qu’elle pouvait poser de façon directe, même ici, sur le CRUST.

Alors, elle se contenta de trinquer et de se présenter. Et le nom de sa voisine de comptoir confirma ses suppositions. Kha’läan. Ça sonnait mo’at.

« Kal, c’est bien, acquiesça Cathy, je risque d’écorcher la prononciation sinon… »

Elle se tut en regardant la photo. Un chien. Chez Simon, les chiens gardaient le domaine et les esclaves. Et ils n’étaient pas vraiment du genre à être qualifiés de « bébés ». Et le chien de Kha’läan ne semblait pas très différent.

« Il a l’air grand. Il n’est pas trop fé… Enfin, il est gentil ? »

En tout cas, elle, elle n’avait aucune envie de le rencontrer en vrai. Et ça n’avait rien à voir avec la bave ou les plis. Pour se donner contenance, Catherine reprit une gorgée de jus de fruits.

« Vous travaillez dans quoi ? »

Sans le réaliser à temps, je hoche doucement la tête quand Catherine avoue craindre d'écorcher mon nom. Les extra-Doradiens ne sont pas fichus de prononcer toutes les lettres, ni les apostrophes. Pourtant, j'ai bien été capable de prononcer toutes leurs sonorités bizarres! Mais il est vrai qu'on me les impose depuis mon enfance...

Il est adorable! Il me sert de traversin, parfois, le soir quand je regarde ma série du moment.
Ma vie est ennuyeuse: je travaille, je bois du thé au piment et je regarde des idioties dans mon HCom en compagnie de mon chien. Mais je préfère ça à l'autre vie que j'ai risqué d'avoir. Une boule se forme dans ma gorge quand je repense à maman qui n'a pas eu ma chance. Une gorgée de bière la fera disparaître faute de mieux.

Je soigne les animaux! C'est d'ailleurs comme ça que j'ai connu le Crust: j'ai opéré le naä'ngi de la propriétaire des lieux.
Mes doigts s'affairent quelques instants sur mon HCom, puis la projection holographique de Proton disparaît pour faire place à celle du bocal rempli des oeufs que j'ai retirés de Waalan.
Elle avait tout ça de coincé dans son corps, la pauvre! Franchement, nous avons de la chance de ne pas être ovipares finalement!
Je souris, mais j'ai la désagréable impression que je viens de dire ce que Mam' appelle parfois une "Kal'ânerie"...

« Oh, répondit Catherine, très intelligemment, lorsque son interlocutrice déclara que son chien était adorable. D’accord. »

Il ne lui serait jamais venu à l’idée d’utiliser un des chiens de son père ou de son frère comme oreiller. Elle évitait déjà de les approcher et, à part un chiot, une fois, elle n’en avait même jamais caressé. Ce n’était pas les plis ou la bave, le problème, c’était plutôt les muscles et les crocs. Mais tant mieux si Proton était différent.

Et le fait que Kha’läan ait un chien adorable n’était pas le plus étonnant.

« Un naä’ngi ? Ici ? Mais ils peuvent devenir énormes ! »

Et franchement, un serpent de vingt mètres de long sur un vaisseau, même aussi grand que Le CRUST, ça ne devait pas être pratique. Certains trinitaires en possédaient, elle le savait, mais ils étaient sur Renaissance. Une planète. Curieuse, néanmoins, l’infirmière observa sans sourciller la photo que lui montrait Kal. Elle avait vu pire qu’un bocal remplit de… de quoi d’ailleurs ?

« Qu’est-ce que c’est ? Des œufs ? Ils peuvent rester coincés ? Pourtant ils sont trop petits pour créer une dystocie, non ? »

Elle n’y connaissait rien en soins aux animaux, elle se contentait des humains. Et encore. Si elle avait déjà secondé Ainsley lorsqu’elle accouchait les esclaves – ou les femmes de sa famille – elle avait peu mis l’obstétrique de côté depuis son recrutement sur L’Iceberg. Ce n’était plus vraiment une priorité.

Les naä'ngi sur des vaisseaux, c'est en général une mauvaise idée. Mais le Crust est assez spacieux pour des centaines de visiteurs humains, il peut donc abriter un naä'ngi tant qu'on ne l'enferme pas dans un terrarium.
Tout à fait! La patronne le promène sur ses épaules comme une écharpe. Le jour viendra peut-être où elle risquera de trébucher dessus, mais pour l'instant...

J'ai fini ma bière. Et pendant que j'hésite à en commander une autre, j'entends un mot que je n'ai pas l'habitude d'entendre en dehors de la clinique. Catherine serait donc une professionnelle du domaine médical?
Un par un, ça passe! je lui explique en mimant un oeuf sortant de son cloaque avec mes mains. Si j'avais réfléchi avant, j'aurais sans doute réalisé que mes gestes pouvaient faire penser à autre chose...
Mais tous en même temps, c'est une autre histoire. C'est quelque chose que font parfois les serpents quand ils sont stressés ou malades: ils ne pondent plus, gardent leurs oeufs, et tous les oeufs rassemblés, eh bien ça...

Bien entendu, j'ai le mot en mojat en tête. Mais pas en commun. tant pis.
...ça titxap de l'intérieur. Désolée, j'ai oublié comment on dit en commun. Mais vous êtes médecin, pour placer "dystocie" dans une conversation aussi naturellement?

Un an plus tôt, Catherine aurait acquiescé sagement à tout ce que disait son interlocutrice, sans oser trahir ses véritables pensées. Mais là, sur le CRUST, avec une femme au nom mo’at, elle n’avait aucune raison de retenir sa moue dubitative à propos du naä’ngi.

« Elle risque surtout de se détruire le dos... »

Sérieusement. Porter le poids d’un serpent géant sur ses épaules, c’était mauvais.

Mais pas autant que l’excès d’œufs pour ledit serpent, visiblement. Curieuse, Cathy écouta avec attention les explications de Kha’läan sans même relever le double sens de ses gestes. Malgré onze mois passés sur L’Iceberg, certains sous-entendus lui passaient encore bien au-dessus de la tête. Elle ne savait pas ce que voulait dire titxap, mais le contexte lui en donnait une idée. Et elle aurait bien demandé des précisions si la vétérinaire ne lui avait pas coupé l’herbe sous le pied.

« Oh non, je ne suis qu’infirmière. Presque. Je n’ai pas de diplôme ou quoi que ce soit, je seconde juste le médecin de bord. »

Les femmes médecins, ça existait. Ça, elle l’avait appris en onze mois. Mais elle ne se faisait pas d’illusion sur son niveau en médecine.

« Et je n’y connais absolument rien en animaux. J’avoue que je n’imaginais même pas qu’un chien puisse être gentil. Alors que les naä’ngi fassent des… rétentions ? d’œufs… Vous en avez d’autres comme ça ? »

On la laisse seconder un médecin de bord sans diplôme? Elle doit être pirate, ou faire partie de la famille du médecin, ou peut-être même avoir acheté son poste. Les corpos ne plaisantent pas avec les qualifications. J'ai moi même un diplôme, et j'ai été obligée de l'afficher afin que l'on cesse de douter de mes compétences. Pour beaucoup de gens, les mo'ats ne sont bons qu'à soigner avec des plantes et des prières à Calypso.

Et pourtant les plantes de mo'tanui sont pleines de ressources, et Calypso vaut mille fois mieux que cette saleté d'Unique.

Je recommande une bière juste avant que Catherine ne me dise cette chose qui fait ouvrir mes yeux en grand. 
Comment? Mais les chiens sont les animaux les plus loyaux qui soit! Bien éduqués ils sont tous adorables!
Ah, j'ai peut-être mis le doigt sur la cause de son préjugé.
Les chiens agressifs le sont presque toujours à cause de leur maître qui est un iwatanï. Même chose pour les kao et les mo'eylan, et la plupart des espèces domestiques. Si on les traite mal, ils se défendent.

La seconde bière sera ma dernière. Elle semble plus forte que prévu...

Catherine récupéra les cookies pour Aldric que le barman apportait enfin, tandis que Kha’laän commandait une nouvelle bière… et semblait surprise de ses aveux. Et prenait la défense des canidés. Et adorable n’était pas vraiment le mot que Cathy aurait employé pour désigner les chiens de Simon, même loyaux et bien éduqués…

« Iwatanï ? » répéta-t-elle.

Elle ne connaissait pas ce mot. Mais elle ne put s’empêcher de grimacer à la suite.

« Ceux que j’ai connus n’étaient pas maltraités – du moins pas autant que les esclaves – et ils étaient bien dressés. Pour la garde ou la chasse. »

À l’homme. Ou aux esclaves, puisque pour ce connard d’Unique, ses salauds de prêtres et ses crétins de fidèles, les mo’ats et les esclaves n’étaient pas humains. Mais elle n’allait certainement pas parler de ça à son interlocutrice qui semblait tout ce qu’il y avait de plus mo’at. Et, même si elle ne l’avait pas été, ce n’était pas quelque chose dont Cathy avait envie de parler.

« Enfin, conclut-elle en haussant les épaules, ils n’étaient pas vraiment adorables et ne donnaient pas trop envie de les câliner. »

Elle reprit une gorgée de jus de fruit.

« Vous voyez beaucoup d’animaux maltraités ? s’enquit-elle avant de réaliser qu’elle n’avait peut-être pas envie d’en parler non plus. Enfin, vous préférez peut-être ne pas parler de votre travail, pardon. »

Aimée avait une certaine tendance ces derniers temps à s'enfoncer dans l'alcool. Le destin de son vaisseau tout entier ainsi que de sa famille au sens large dépendait désormais d'elle. Il lui avait fallut toujours beaucoup de force et de ténacité pour être chef mercenaire. Sauf qu'avoir un inquisiteur sur le dos lui demander des efforts qui lui semblait surhumain, bien sûr, elle avait des plans, des issus de secours mais les enjeux étaient vraiment trop importants et aucun plans n'étaient satisfaisant. Ils nécessitaient tous des sacrifices importants... Il y en avait bien un qui semblait parfait mais... Bref, Aimée avait besoin de se vider la tête et de ne connaitre personne lié de près ou de loin à ses problèmes, le Crust était parfait pour ça. Se fût à moitié ivre qu'elle croisa Catherine, Bien qu'elle suspectait la femme d'hérésie elle alla spontanément la voir, sans trop qu'elle même su pourquoi.

-Catherine, quel plaisir de vous retrouvez. J'espère qu'il ne vous ai rien arrivé depuis notre dernière rencontre.


Puis elle remarqua la mo'at a côté de Catherine, elle ne put s'empêcher de dévisager cette dernière un peu trop, sûrement à cause de l'alcool. Visiblement se n'était pas une esclave, ni une mo'at des forets... Étrange. Bien consciente qu'elle dévisageait sûrement une amie de Catherine, Ce qui confirmerait que Catherine était sûrement une hérétique... Peut-être que c'était un membre d'équipage du Colin?

-Et vous êtes une amie de Catherine je suppose?

Dit elle d'un ton professionnel en tendant la main.

Comme à mon habitude quand je traite des gens d'iwatanï devant des extra doradiens, je balaie la question d'un geste de la main et explique rapidement que c'est un mot compliqué à traduire, et que ce n'est pas un mot gentil. Pour expliquer les insultes dans des langues étrangères, il me semble que les exemples sont plus parlants. Et un exemple ne devrait pas tarder à se présenter. Ce ne sont malheureusement pas les iwatanïs qui manquent...

Dressés pour la garde et la chasse? Voici un exemple possible. Les envahisseurs de Mo'tanui traitent leurs chiens comme de vulgaires outils. Et je m'apprête à dire à Catherine que je ne vois aucun inconvénient à parler de mon travail quand arrive une de ses connaissances. Elle me regarde par dessous un voile de méfiance et d'alcool. Ce qui explique peut-être sa drôle d'attitude.

Est-ce la neutralité du Crust qui endort ainsi ma méfiance envers les inconnus? Ou la bière qui commence à engourdir mes peurs?

Kha'läan, collègue de seringue de madame Catherine! dis-je en guise de présentation.

Et je rends son high-five à l'inconnue en frappant sa paume tendue de ma main, et réalise en même temps qu'elle voulait sans doute juste me serrer la main. Tant pis! Si mam' et les autres ont raison et que j'ai besoin de me "décoincer" un peu, alors celle-ci également en a grand besoin.

Vous aussi vous êtes des nôtres? On peut dire des mots comme 'orchidectomie' sans crainte?

Il était dit qu’elle ne saurait pas ce que signifait iwatanï. Kha’läan ne semblait pas vouloir le lui expliquer et elle n’eut pas le temps de refuser de parler de son travail qu’une troisième personne arriva. Jusque-là, Catherine était persuadée qu’elle n’aurait qu’à s’éloigner lorsque son interlocutrice verrait arriver une de ses connaissances… mais non. La nouvelle venue venait pour elle. Et, malgré les mois qui s’étaient écoulés depuis leur rencontre, l’infirmière n’eut aucun mal à la reconnaître.

« Aimée ? Le plaisir est partagé ! »

Elle sourit.

« Tout va bien. Mon mari et une amie m’ont appris à me défendre à présent, je me débrouille. »

En théorie. En pratique, elle était loin d’égaler Aldric et Idayo et elle ne faisait pas la fière devant quelqu’un d’expérimenté… ou face à un homme violent ou ivre. Mais elle avait un couteau et quelques notions sur comment s’en servir.

Et, en parlant d’ivresse… Aimée ne sentait-elle pas un peu l’alcool ? En tout cas, son regard était un peu insistant tandis qu’elle dévisageait Kha’läan. Qui se présentait et saluait la capitaine d’une façon étrange…

« Aimée a des connaissances médicales, intervint Cathy, en rougissant – malgré tout, même en restant dans le médical, il y avait des sujets qu’elle avait du mal à aborder – mais il y a des mots qu’on dit mais qu’on ne pratique pas trop sur les humains. »

Pendant quelques secondes Aimée restait interdite devant le désordre qu'avait provoqué la  Mo'at dans la tête d'Aimée. Cependant, par un mystérieux mécanisme dans la tête d'Aimée celle ci se mit à rire. Ce fut sûrement à cause de l'intervention de Catherine et son "mais qu'on ne pratique pas sur les humains". Elle avait lu ce mot improbable dans les documents que lui avait donné Catherine Dommage, elle aurait tellement aimée pratiquer ce mot sur Monsieur Lazare.

-Pourtant certains le mériterait, et je suis certaine que vous serez d'accord avec mon choix.

Avant même que Quiconque n'est pu dire quoi que ce soit, elle commanda à un serveur de passage un pichet de bière et trois verres. En se disant que lui il serait dommage de "orchidectomiser". A quoi elle pensait au juste? Oh puis zut, monsieur Lazare était pas dans sa tête au moins. Et pour bien se le prouver elle lâcha un "beau gosse" à la fin de sa commande. Il dirait quoi monsieur Lazare de son devoir de fertilité maintenant?  Le serveur eut une réaction que d'aucun dirait gêner. Il y avait peut-être trop de monde pour qu'il se sente flatter.

-ça fait longtemps que j'avais pas aussi rit merci. Dit elle à la Mo'at. Vous pratiquez ces hé... méthodes régulièrement?

- Catherine, si vous voulez d'autres cours je serais ravi de vous les apprendre.  

Elle était soudain décider à chasser ce Lazare de son esprit et qu'Il n'y avait rien de trop pour chasser un tel monstre.

Oui, certains le mériteraient! Tous les teyrpin kawng, pour commencer. Ensuite, les trafiquants d'animaux "exotiques". Ensuite...Hé, mais "Aimée" sonne Trinitaire! A moins que j'ai mal compris et qu'il s'agisse de "Aimee" ou "Amy". Une femme trinitaire ne dirait pas "beau gosse" à un serveur comme ça. Le pauvre homme s'en va sans demander son reste. Et moi, il faudrait que je commande quelque chose à manger. Sans rien pour "éponger", l'alcool me monte droit au cerveau. Heureusement, je n'en ai pas bu beaucoup!

Oui, je suis vétérinaire! Et je contribue donc à réguler la population des animaux domestiques. Et ... oh regardez!
Suivant ce que me dictent la chope et demie de bière, je lève mon verre pour l'exposer à la lumière. Le verre décompose la lumière, et la bière la réfracte. Je ne suis pas certaine de l'ordre, je l'avoue. Mais ça brille et ça fait des couleurs.
Ça fait comme les éclairages de discothèques! J'aime pas les discothèques, mais ça c'est joli!
Ça me fait rire. C'est le signe que je dois vraiment manger quelque chose. Et "Amy" parle de cours.
Des cours de quoi? je demande sans réfléchir. Des cours d'orchidectomie sur des teyrpin k....des esclavagistes?
Je commande un sandwich au barman, ainsi que les mêmes cookies que Catherine, histoire d'être certaine d'avoir de quoi encaisser la bière.

Aimée riait. Incrédule, Catherine dévisagea la capitaine en silence. Elle ne semblait pourtant pas du genre à rire facilement lors de leur rencontre… mais il était vrai que les circonstances ne s’y prêtaient pas trop alors. Mais quand même. L’infirmière, un peu gênée par la tournure de la discussion, avait du mal à voir ce qu’il y avait de drôle dans les paroles de Kha’laän ou les siennes. Mais sa surprise atteignit son point culminant lorsqu’Aimée donna du « beau gosse » au serveur. Là, clairement, elle avait bu. On aurait dit certains de ses collègues de L’Iceberg quand ils étaient trop imbibés.

« Peut-être, » émit simplement Cathy, mal à l’aise, à la mention de ceux qui mériteraient une telle opération.

Elle laissa la vétérinaire répondre à propos de ses habitudes mais haussa un sourcil quand il fut question des jeux de lumière. Elle aussi, l’alcool lui montait à la tête ?

« Des cours de quoi ? » demanda Cathy en même temps que Kha’laän avant de se rembrunir à la mention des esclavagistes.

Malgré les mois passés sur L’Iceberg, elle était un peu gênée par le sujet de la discussion ; malgré l’absence de violence des deux femmes, elle n’était pas complétement détendue face à deux interlocutrices un peu pompette… Mais elle ne pouvait qu’approuver la mo'at.

« Ils le mériteraient. Et même bien pire, c’est encore trop gentil pour eux. »

Eux. Simon et ses amis en tête.

-Des cours de combat évidement, j'ai une solide expérience que je serai ravi de vous partagez.

Aimée se calma avec la "discobière" dans le verre de la mo'at. Elle fut même comme hypnotisée. Pendant un instant elle se demanda ce qui se passait et elle espéra vraiment voir toutes les couleurs de l'arc-en-ciel... Mais rien. Toute aussi civilisé que Kha'läan avait l'air... c'était toujours une sauvage avec des mœurs bizarres.

Puis elle mentionna les esclavagistes... Bon d'accord c'était à cause d'eux que les pirates recrutés si bien, mais  quand même... Cependant, même Catherine semblait d'accord, elle décida dans un instant de lucidité de pas contredire ses "amies". Elle contre-attaqua d'une manière plus subtile, elle avait l'habitude après tout de retourner des situations juste en discutant.

-Les esclavagistes sont certes terribles, mais ils ne pourraient rien si les personnes auxquels je pensais n'étaient pas avec eux... je parle bien sûr...

Elle sembla se dégriser, puis elle lâcha la fin de sa phrase comme si c'était une histoire qui fait peur. Vite et avec la voix à peine audible pour ses interlocutrices.

-Des inquisiteurs.

Puis l'alcool prit le dessus et elle eut envie de tout déballer. Elle se retient avant de sortir:

-Ils ont menacé ma famille.

Puis elle pensa à son vaisseau.

-Toute ma famille.

Ce fût à ce moment là que le serveur revient et qu'elle prit sa commande non sans lui faire un clin d’œil plus que soutenu. Puis elle vida son verre.

Tu vois, Kal'? me souffle ma conscience tandis qu'"Amy" ponctue sa tirade contre les Inquisiteurs par un clin d'oeil au serveur, dans un verre ou deux tu lui ressembleras.

C'est décidé, je ne touche pas à ma seconde bière avant d'avoir mangé quelque chose. Sinon, je risque de dire ce que je pense de la manière dont cette femme me "invadersplain" les rouages de l'esclavage en dorado. A moi, qui ai vécu aux premières loges de cette infamie!
Menacé votre famille? je m'entends rétorquer. Moi, ils ont exterminé la mienne. Je suis la dernière survivante connue de mon clan.

C'est en croisant le regard de Catherine que je réalise à quel point je me suis montrée puérile en participant à ce "concours de malheurs". Quand j'étais adolescente, je balançais mon passé à la figure des extra-doradiens que je rendais coupable de la tragédie qui a frappé mon clan. Mam' a bien eu du mal à me faire comprendre qu'il était injuste de me comporter ainsi envers les citoyens corpos ou impériaux de base, puisqu'ils n'ont aucun moyen de lutter contre ce que les trinitaires font subir aux miens!
Si elle me voyait, en train de régresser après une demi chope de bière un peu forte...

Je tousse et tente une diversion:
Mais parlons d'autre chose! Nous sommes à l'abri de ces gens ici, après tout. Euh...donc Amy, vous êtes une amie de Catherine depuis longtemps?
Mon sandwich et mes cookies arrivent. Enfin!