Celui qui bat peut être battu aussi

Port-Salem. Sérieusement. Port-Salem, quoi. Alors, ouais, c’était une ville de Renaissance, donc à l’air libre, et ouais, c’était une ville où on pouvait faire escale sans trop se poser de questions parce que tout le monde y était plus ou moins accepté du moment qu’on clamait pas haut et fort qu’on était pirate – ce qui risquait pas d’arriver à La Vanguardia, hein. Mais c’était une ville trinitaire. Les coincés esclavagistes. Et même si les Impériaux étaient encore plus coincés que les Trinitaires, même Alej’ pouvait leur accorder un bon point : ils n’étaient pas esclavagistes. C’étaient des connards, des pourris et il les détestait… mais ils n’étaient pas esclavagistes.

Mais bon. Si She’ avait décidé de se poser à Port-Salem, elle avait sans doute une raison. Et lui, il avait besoin de s’éloigner de tous les pourris d’Impériaux qui peuplaient le vaisseau et qui lui tapaient sur le système. Donc, ville de coincés ou pas, Alej’ avait quitté La Vanguardia sans un regard en arrière – il avait pas envie de voir le pavillon corsaire – pour aller faire un tour à grandes enjambées rageuses.

Il n’avait pas vraiment eu le temps de se calmer, encore, quand il entendit des sons étouffés puis quelques cris venant d’une ruelle. Il connaissait ce genre de bruits. C’était une bagarre. Il avait aucune raison de s’en mêler, hein. Ça le concernait pas. Sauf qu’un rapide coup d’œil lui permit de réaliser qu’il s’agissait d’une fille contre trois brutes. Et, à part l’Autre, là – celui qui couchait avec Hermana mais préférait dormir par terre contre les portes – il y avait pas beaucoup de personnes capables de se débrouiller à un contre trois. Et la fille ne semblait pas en très bonne posture. La colère diffuse d’Alejandro se cristallisa contre les trois brutes. Sans doute des trinitaires, à se croire tout permis contre une fille, mais lâches au point de s’y attaquer en surnombre. Ils allaient morfler.

Et Alej’ se jeta donc dans la mêlée.

T'as rien trouvé de mieux pour me faire partir que d'aller te battre avec un connard de Trinitaire à Port-Salem. Et j'avoue que j'ai quelques difficultés à maintenir mon contrôle avec toute cette adrénaline. T'es super douée en fait, quand il s'agit de te détruire toi-même. T'as vu ce type qui était avec un pote à lui, et t'as été lui demander s'il connaissait un endroit où trouver "des joints de ya-weut". Il a pas voulu te répondre, parce que "les femmes n'ont pas à fumer ça". T'as insisté, en vain. T'as envoyé un coup de pied dans son tibia. T'as sorti les lames écorcheuses de ta prothèse. Son pote t'a traitée de "pute corporatiste". Et ensuite....

...j'ai ramassé un gnon en pleine figure. Sad Pops avait rempli ma tête de bruits blancs, il fallait que je m'en débarrasse. Alors j'ai baffé le premier connard. J'ai écorché le second. J'ai volé par terre plusieurs fois. Et un troisième connard est arrivé. Ça a commencé à refouler du trou noir, mais alors violent. Et je m'en foutais.

C'est normal, tu n'es pas importante

Alors j'ai continué à me battre. Un quatrième gars est arrivé. Mais il a frappé les autres connards. Mes dents avaient un goût de sang quand l'un d'eux m'a plaquée contre un mur. J'ai chopé son entrejambe dans ma prothèse, et j'ai pincé, tourné, tiré. Quand il est tombé au sol, plié en deux, j'ai regardé les deux autres et le dernier arrivé...

Les trois connards ne s’attendaient pas à le voir arriver, sans doute. L’un d’eux eut un moment de flottement suffisant pour qu’il puisse lui foutre son poing dans la gueule sans hésiter. Le second, par contre, ne semblait pas gêner et plaquait la fille contre le mur. Alej’ lui aurait bien expliqué sa façon de penser – à coups de poings, hein, la rhétorique, c’était pas son truc – mais le troisième n’était pas aussi lent à la détente que le premier et se jetait sur lui. Il eut juste le temps de lever son bras gauche pour parer le coup qui visait son nez. Il riposta, évidemment, et eut la satisfaction de sentir son poing rencontrer du mou, mais le premier semblait assez remis de sa surprise pour profiter qu’il ait baissé sa garde. Le coup à l’estomac lui fit coupa la respiration et il fit un pas en arrière pour se dégager des deux adversaires, retrouver son souffle et sa garde.

Sans quitter des yeux les deux connards, il put constater, du coin de l’œil, que la fille s’était débarrassée du troisième. Ah ! À deux contre deux, c’était vachement moins drôle. Mais le fait de pouvoir rétamer leurs gueules à deux pourris de trinitaires, ça compensait. Sans hésiter, il visa donc le plus près de lui. Une feinte lui permit de franchir la garde de sa cible puis de sentir les os du nez craquer sous son poing.

Le quatrième gars se bat bien. Pourvu qu'il ne se retourne pas contre moi. Je suis plus en état. Heureusement ces connards se sont retournés contre le nouveau. C'est bien des Trinitaires, tiens! La nana n'est pas vraiment une menace. Qu'ils aillent dire ça à leur pote à qui j'ai broyé les couilles. D'ailleurs il se relève juste à temps pour que je titube jusqu'à lui et lui envoie mon pied dans la figure. Ma respiration a un goût de sang, elle aussi. Faut que j'aille aider le gars, pour qu'il sache que je suis pas un ennemi de plus à achever.

Et tu te fais encore sauver les miches par un inconnu. Elle est belle, la promo de l'armée corpora...

Me revoilà dans la bagarre. Mais ça tourne court. D'après l'un des gars, j'ai eu mon compte. Y'en a un autre qui dit à l'inconnu de me surveiller s'il ne veut pas qu'il m'arrive des "bricoles". Un qui dit que les corporatistes sont des démons avec leur technologie, par l'Unique. Ils commencent à se barrer. C'est pas inexact, ce qu'il dit, ce naze. J'ai eu mon compte. Je crache du sang par terre. J'ai le visage qui brûle de partout. Si j'appuie sous mon oeil droit, ça douille sévère. Le nouveau va peut-être les poursuivre. Ou venir me massacrer. Au cas où, je garde mes lames sorties...

Celui qu’il venait de frapper rompait le combat. Alej’ était pas stupide et se doutait qu’il avait qu’un répit de quelques secondes. Un vrai combattant s’arrêtait pas pour un nez cassé. Après, c’était des connards de trinitaires, p’têt pas de vrais combattants. Quoi qu’il en soit, il se concentra sur son autre adversaire, histoire de lui mettre son compte avant que l’autre revienne. Mais l’autre revint pas. Elle avait son compte, soit-disant. Et l’autre disait qu’il devrait la surveiller mieux que ça. Et le troisième baragouinait un truc sur la technologie. Et ils se barraient.

Le premier réflexe d’Alej’ fut de les poursuivre, pour leur faire ravaler leurs conneries, à ces lâches. (Et aussi, parce qu’il bouillait toujours de colère). Mais il entendit cracher derrière lui et il se retourna d’abord pour jeter un regard à la fille. Calypso, elle avait pas l’air en bon état. Le visage tuméfié, le sang à la bouche… les lames sorties. Y avait plus urgent que d’achever les trois débiles.

« Ça va ? »

Question con.

« J’vais t’accompagner chez un doc. »

Ça c’était pas une question. Le truc, c’était juste de trouver un doc. Les médecins trinitaires, c’étaient sans doute des connards, il leur faisait pas confiance. Mais si la fille était vraiment corpo, elle devait venir d’un vaisseau avec un doc. Au pire, il appellerait Vako. La Vanguardia était pas très loin.

Il n'a pas l'air de vouloir me dérouiller la tronche. C'est une bonne nouvelle. Pourquoi faut-il toujours que j'aille me mettre en danger pour faire taire l'autre? Mais c'est efficace. Je ne sens plus sa présence. Pas de trace de sentiment de sous-merde, ni d'envie d'en finir. Je me sens normale, à l'exception de la douleur.

Je hoche la tête pour répondre à sa question, pendant que ma langue compte mes chicots. Pas de trou dans mon râtelier. C'est déjà ça, j'avais plus de crédits à claquer pour une couronne de rechange.

Il parle de m'emmener voir un doc. Je lui crie presque dessus en dressant mes mains, paumes tournées vers lui.

Ça va, ça ira!

Et là, je regrette d'avoir crié. Alors je bredouille:
Je veux dire...merci, ça va. J'irai voir mon doc de bord, elle a l'habitude. Et j'en aurai peut-être pas besoin, j'ai rien de cassé.
Vraiment? Mieux vaut tâtonner pour en être certaine. Je range mes lames puis je palpe mon squelette, comme si je m'auto-fouillais. Effectivement, rien ne semble cassé.

Par contre, j'ai la cheville qui fait mal quand j'appuie dessus. Et je vais avoir un sacré paquet de bleus partout.
Pourquoi t'es venu les taper, au fait?
S'il est Trini et qu'il me fait la morale sur les jeunes filles toute seules dans les rues, je lui crache mon sang au visage.

La réaction de la fille ne se fit pas attendre et Alej’ haussa un sourcil surpris. Même si elle aimait pas les docs, il s’attendait pas à une telle vivacité. Enfin, tant mieux, ça voulait dire qu’elle était pas si mal que ça. Puis elle avait un doc de bord. C’était bien, ça aussi, ça évitait de devoir déranger Vako. Parce que les docs trinitaire, c’était définitivement pas envisageable.

« OK, OK. Mais tu d’vrais aller l’voir quand même. Ça peut aider même si c’pas cassé. »

Enfin, c’était ce qu’il pensait quoi. C’était pas comme s’il avait l’habitude des bagarres, mais… un peu quand même. Mais bon, elle faisait bien comme elle voulait, hein.

Il haussa les épaules à la question suivante.

« J’aime pas les connards qui se battent à trois contre un. »

Et il avait envie de taper sur quelqu’un donc c’était bien tombé. Dire que sa colère était complètement retombée serait mentir mais ça allait un peu mieux. Puis la fille avait l’air de pas s’appuyer sur son pied, non ?

« Tu veux qu’j’t’accompage jusqu’à ton vaisseau ? »

Ouais, ouais...
Bien sûr que j'vais aller voir le doc Sandoz. Elle aime bien me crier dessus, de toute manière.
Ne vas pas la voir. Tu lui feras perdre son temps.
J'appuie un peu sur mon entorse histoire de chasser ce début d'idée noire avec de la douleur. C'est efficace.

Le gars me parle de "trois contre un". C'est bon signe. Les trinitaires ne considèrent pas que les femmes comptent pour un. Ça doit être un militaire, ou peut-être un pirate. Un gars qui ne vient pas de ce peuple de gentils illuminés, en tout cas.

Mais il ne faut pas qu'il me raccompagne au Nemesis. Si c'est un militaire, il ne faut pas qu'il s'en approche. Certes, nous avons une couverture et tout un tas de fausses identités, mais mieux vaux prendre ses précautions. C'est pourquoi je lui réponds:
Nan, ça va aller. Y'est trop loin, not' rade. Et je crois que les tocards supraliminiques de tout à l'heure m'ont collé une entorse. Du coup je vais appeler les collègues pour qu'ils viennent me chercher. Tu...
Personne ne viendra te chercher. Ils en ont tous marre de tes conneries
...saurais si y'a une taverne ouverte ou un truc du genre, un endroit calme où je pourrai les attendre?
Et aussi emprunter des glaçons pour mon visage.

La fille semblait pas trop enthousiaste pour aller voir son doc. Bon, bah, c’était elle qui voyait, hein. Même si une part d’Alej’ s’agaçait déjà de sa réponse. Ça sonnait comme les « ouais, ouais » de She’ quand elle avait pas la moindre intention de manger. Mais bon, She’ était sa sœur et la capitaine, s’il la forçait pas à avaler quelque chose, personne le faisait. La fille avait un équipage. Y en aurait bien un sur son vaisseau qui l’enverrait à l’infirmerie si elle allait pas.

‘Fin pour ça, fallait déjà qu’ils viennent la chercher, puisqu’elle voulait pas qu’il l’accompagne. Alej’ serra les poings une seconde, parce que sa remarque était juste débile – il était capable de la soutenir jusqu’à son vaisseau, hein – mais finit par hausser les épaules en tâchant de faire taire sa colère. C’était pas contre la fille qu’il en avait à la base.

« Comme tu veux. »

Il s’approcha de la fille.

« Y en a une pas trop loin, deuxième rue à gauche. Elle est pas top mais j’y ai jamais croisé de débiles trop profonds. »

Il était suffisamment près pour qu’elle puisse s’appuyer sur lui si besoin. Et si elle le faisait pas, on verrait bien combien de pas elle tenait sans tomber. Sauf s’il en avait marre et qu’il lui prenait le bras d’office, parce que ça servait à rien de jouer au con.

Oh, ben s'ils sont pas trop profonds, c'est....

Tu voulais faire une blague. Mais je te l'ai subtilisée. Effacée de ta mémoire, comme ça. Pouf! De toute façon elle était nulle. Tu ferais mieux d'avancer. Ne t'avises pas de t'appuyer sur lui! Si tu le fais, ça veut dire que tu ne vaux pas mieux que les petites dindes Trinitaires qui attendent que leur mari grand fort et pieux vienne les secourir
Oh et puis merde, ma cheville me fait mal.
Mais tu ne t'accroches pas à lui. Tu fais un pas, puis deux et...

Sa mère la Supernova!

Je me rattrape au gars au lieu de m'effondrer par terre. C'est déjà ça de gagné. Je suis vraiment con à ne jamais vouloir d'aide, sérieusement!
Ouais, t'es con. Mais surtout parce que t'en as eu besoin. Et puisqu'on parle de connerie...
Merci, au fait. Si t'étais pas intervenu ils m'auraient arraché l'autre bras, ces cons
Voilà. Au moins tu dis merci. On pourra faire quelque chose de toi, peut-être.

Quand je t'ai vu arriver, j'ai cru que t'allais les aider!, que tu lui dis en te forçant à rire un petit peu. Un petit rire qui sonne comme une toux et qui envoie un reflux d'odeur de sang dans ton haleine.  Ce rire ne peut pas être sincère. J'ai engourdi tes émotions. Comme ça tu ne crains rien.

J'appuie un peu sur ma cheville foulée. Ca va, ça douille. Ca veut dire que je suis pas morte...

S’ils étaient pas trop profonds, c’était… ? Alej’ haussa un sourcil quand la fille laissa sa phrase en suspens, mais il n’eut pas le temps de se demander s’il devait poser la question ou laisser couler qu’elle commençait à marcher. Seule. Il aurait pu lever les yeux au ciel tellement c’était prévisible. Et la suite aussi. Un pas, deux pas… et voilà. Au moins il avait suivi le mouvement, et la fille se rattrapa au lieu de s’écrouler par terre. Et elle le remerciait en plus. Il haussa les épaules.

« De rien. J’tai dit, j’aime pas les lâches qui se battent à plusieurs contre un. »

Et il avait envie de taper sur quelqu’un. Des connards de trinitaires faisaient très bien l’affaire. P’têt qu’il aurait dû la remercier du coup ? Mais le rire de la fille sonnait faux et chassa sa pensée.

« Tu m’avais rien fait, pourquoi j’serais aller les aider ? Tu les as provoqués, ces crétins ? J’veux dire, autrement qu’en étant une fille ? »

Ce qui était sans doute bien suffisant pour que ces cons d’arriérés esclavagistes s’attaquent à elle.

Et comme elle changeait d’appui et semblait prête à avancer, Alejandro lui prit d’office le bras pour qu’elle réessaie pas de faire trois pas toute seule. T’te façon, trois, elle y arriverait pas.

Oh que oui, tu les as provoqués. Pour me faire partir. Mais je suis toujours là
Mais j'ai nettoyé un peu de la merde que tu as mis dans mon esprit. Même si c'est pas suffisant pour me rappeler du nom de cette plante mo'at. Des fois, j'ai l'impression qu'ils rajoutent des trémas et des apostrophes juste pour m'emmerder, ceux là...

Ouais. J'ai demandé à un d'eux, celui à qui j'ai broyé les noix je crois...enfin, j'ai demandé où je pouvais acheter...et il m'a pris la tête soi-disant que c'est mauvais pour moi. Alors je lui ai envoyé un coup de latte.

Si on décernait le prix Doradien de la pire tête de noeud, tu ne saurais plus où ranger tes trophées.
Il m'attrape le bras, et appuie sur un bleu suffisamment fort pour que ça me rassure une nouvelle fois sur ma condition. Quand je me sens comme un zombie, j'ai besoin de ressentir que je ne suis pas un cadavre.

Je sais, je lui dis en levant les yeux au ciel. Si ma capacité à être une tête de cul pouvait propulser un vaisseau, j'aurais déjà traversé la galaxie une paire de fois!
Mes blagues sont meilleures quand je chasse Sad Pops que quand l'autre alter-ego me rend super gonflante.
En parlant de galaxie, t'es pas du coin, toi? En tout cas t'es pas trinitaire, si je ne m'abuse?
En tout cas il désapprouve la misogynie de ces allumés du piston. C'est déjà ça.

Elle avait demandé où elle pouvait acheter… ? Quoi ? C’était la deuxième fois que la fille ne terminait pas sa phrase et Alej’ se demanda une seconde si elle n’avait pas aussi pris un coup un peu violent à la tête. Ou alors, elle débloquait déjà un peu avant… C’était pas impossible, vu qu’elle avait un peu cherché les embrouilles. À une contre trois en plus. Ouais, c’était un peu la pute qui traitait le Compagnon de prostitué *. Mais la fille avait encore assez de neurones pour faire des blagues.

Sans lâcher son bras pour pas qu’elle trébuche à nouveau, Alej’ se fendit donc d’un sourire. Enfin d’une grimace, parce que les sourires, c’était pas trop son truc de base.

« Ceux qui te prennent la tête, t’te façon, ils méritent pas aut’chose que se faire latter la gueule, déclara-t-il simplement en haussant les épaules – dommage qu’il puisse pas le mettre en pratique avec les pourris d’Impériaux de l’équipage. Mais contre trois, t’avais pas trop d’chances de t’en sortir toute seule. »

Il se rembrunit un peu à la question suivante.

« Nan, j’suis pas un d’ces connards esclavagistes. Je bosse pour les Impériaux, répondit-il en réussissant à éviter un qualificatif peu reluisant mais en crachant presque le dernier mot. Et toi ? T’es corpo ? »

Spoiler:

Il a un bon esprit, ton sauveur de la soirée. Pas de concessions, comme toi. Peut-être que vous allez finir par vous mettre sur la tronche, finalement. Parce qu'il ne t'a certainement pas tirée de ce mauvais pas pour tes beaux yeux. Peut-être que tu devrais l'envoyer balader avant qu'il ne le fasse...

Hey ils étaient pas trois à la base!
Mais je ne fais pas toujours ce que tu me dis. Même si c'est vrai que je lui ai parlé un peu sèchement, au gars. Putain, j'en rate pas une...
Ils étaient deux. Le troisième, il est venu en renfort parce que c'est des connards de lâches
J'ai rectifié mon ton, le regard rivé sur le sol, sur mes pieds qui galèrent à trouver un rythme. Allez, je vais faire comme dans le vaisseau: une étape du voyage à la fois.

Il bosse pour les Impériaux. Et il les aime pas. Pourtant, c'est pas les pires. Sont juste risibles, avec leurs histoires de noblesse à la con.
Chuis corpo, ouais. Enfin, d'origine. Parce que ça fait longtemps que j'ai quitté l'UC.
Ils t'ont virée. Parce qu'ils ont vu ta véritable valeur, et qu'elle s'exprime avec un petit signe "moins" devant le chiffre
Au fait, moi c'est Poppy
Je m'arrête pour lui tendre ma main droite maculée de sang de trinitaire. S'il me serre la main, on sera frère et sœur de sang de connards.

« Ah ? » lâcha Alej’ quand la fille dit qu’ils étaient pas trois de base.

Il aurait pu s’offusquer du ton – ouais, même s’il faisait pas franchement mieux, il était capable de mal le prendre – mais il en eut pas le temps. La fille rectifiait. À une contre deux, c’était déjà plus raisonnable. Donc elle devait pas être trop siphonnée de base. Les connards, par contre, c’en était vraiment, et Alej’ regretta une seconde de pas les avoir poursuivis pour leur expliquer la vie. Une seconde seulement. La fille avait visiblement du mal à marcher. Au moins, elle rechignait plus à s’appuyer maintenant.

Et elle était corpo donc. Il s’en doutait, vu l’accent et le bras cyber. Il aurait pu demander pourquoi elle avait quitté l’UC, mais il en fit rien. D’une, ça l’intéressait pas vraiment. De deux, il avait pas envie qu’elle demande des détails sur son job en échange.

« Alejandro, répondit-il en lui serrant la main sans hésiter, pas rebuté par le sang qui la maculait. Mais t’as qu’à dire Alej’ comme tout le monde. »

Sauf les coincés de l’Empire. Mais la fille – Poppy, donc – était clairement pas une coincée de l’Empire. Il reprit sa progression vers la taverne, calquant son allure sur la sienne.

« T’t’es pas mal débrouillée. Si le troisième était pas arrivé, j’veux dire. »

'chantée, Alej'.
Alej'...C'est bizarre, comme nom. Pas plus bizarre que Pops, j'imagine.
Et de toute façon, tu oublies toujours les prénoms.

J'me suis débrouillée comme une merde, tu veux dire, je lui réponds en soupirant. J'ai latté son tibia sans réfléchir. J'aurais dû m'écarter, lui cogner la tronche avec mes lames et partir en courant, un truc du genre
Mais tu avais envie de te faire frapper. Parce que tu es irrécupérable...

Tout en marchant, je sors mon Com et je contacte une des pilotes qui partage ma cabine. La conversation est brève. Non, je peux pas marcher. Oui, j'ai encore fait une connerie. Oui, je sais, la doc en a marre de mon comportement. Non, elle ne peut pas venir me chercher mais elle envoie Dom. Non, y'a personne d'autre de libre. Oui, elle amène Rovert. Où est-ce qu'il cache les trucs qu'il vole? En ce moment, c'est sous mon oreiller, jettes-y un oeil. A plus, toi aussi, tchao et fais gaffe à toi.

Je coupe la communication, range mon Com et annonce à Alej' que tout est arrangé.

Sinon...ça sonne Impérial comme prénom, "Alejandro". T'es un militaire? Un indépendant, un ...truc comme ça?
Tu aurais du dire "contractant". Mais toute l'énergie que tu passes à me combattre, tu la perds pour ce qui est de parler normalement. Dommage, pas vrai?
Ta gueule...

Un haussement d’épaule répondit à Poppy quand elle déclara qu’elle avait merdé. P’têt que c’était le cas, p’têt pas. C’était difficile à dire quand on avait pas assisté à la scène. La seule chose qu’Alej’ savait, c’était qu’elle s’était pas mal débrouillée avec le troisième gars.

« C’toujours plus facile de dire c’qu’il fallait faire après. Tu fais quoi sur ton vaisseau ? »

Elle avait pas l’air d’être dans une équipe d’abordage. Mais si elle voulait pas répondre, il allait certainement pas insister. Faudrait pas qu’elle lui retourne la question avec trop de curiosité…

Raté.

Pourtant, c’était bien parti, elle contactait son équipage qui allait venir la chercher. Et ils arrivaient à la rue où on pouvait voir l’enseigne de la taverne. Mais… elle parlait de son prénom entier. Et de son boulot. La main d’Alej’ se crispa sur le bras qu’il tenait, sans qu’il réalise qu’il devait lui faire mal. Sérieusement ? Il avait l’air d’un militaire ? D’un militaire impérial ? D’ordinaire, il lui en fallait moins que ça pour coller son poing dans la gueule de son interlocuteur. Mais la fille, là, elle tenait à peine debout… Il se contenta donc de serrer son poing libre pour essayer de se contrôler.

« J’ai pas choisi mon prénom, gronda-t-il. Et ouais, j’suis un "truc comme ça". Ça pose un problème ? »

Ouais, c'est vrai ce qu'il dit. C'est toujours plus facile. Mais toi, tu sais toujours ce qu'il faut faire lorsqu'il est trop tard pour le faire.

J'suis navigatrice

Avec ta navette de retard, c'est à se demander comment tu fais pour anticiper les risques pour le vaisseau quand tu fais les trajectoires. D'ailleurs, chaque fois que tu t'en occupes, y'a des emmerdes...
Il te tient toujours le bras. Ça a un côté rassurant, après la trempe que tu as prise.
Ouais, s'il est sympa comme ça avec moi, ça veut peut-être dire que tu dis de la merde?
Te fais pas d'illusions. Je te connais. D'ailleurs, il semble que ton premier faux pas soit déjà arrivé...

Hé, mais fais gaffe! C'est mon vrai bras, ça! C'est pas ma putain de prothèse!
Bravo, c'est un joli cri de timbrée! Il a vu ton vrai visage de garce hystérique. Il va te planter et tu l'auras mérité.
Ta gueule! J'ai des ecchymoses partout et une cheville en vrac, et tu es toujours là! Si tu continues de faire chier, je le provoque encore, et il me tue, et tu crèveras avec, compris?
....
Je préfère ça

J'en ai rien à foutre de ce que tu fais, mec. J'suis plus dans l'armée corpo, donc tu pourrais être pirate que je m'en badigeonnerais l'horizon des évènements avec le pinceau de l'indifférence. Et puis franchement, tu crois que je vais te chercher avec ma tronche cabossée et ma jambe de travers?

Fais gaffe, je pourrais...

Le cri de la fille –Poppy, on a dit, pas la fille – permit à Alej’ de réaliser qu’il lui faisait mal. Pas de calmer sa colère, fallait pas pousser, mais il relâcha un peu la pression de sa main sur son bras. Il avait pas l’intention de lui faire mal, en vrai. Enfin, pas encore. Mais les mots qui sortirent de sa bouche étaient plus un avertissement ou une provocation que des excuses.

Mais la fille y répondit pas. Enfin, pas de la façon qui lui aurait fait perdre le contrôle. En fait, elle avait pas tort et il se sentit un peu con. Ouais, p’têt un peu plus qu’un peu. Comment il avait dit, déjà, le Vieux ? Le calme et le recul. C’était pas qu’il l’écoutait, fallait pas croire, et puis le calme c’était pas son truc, mais y avait p’têt un truc avec le recul. Genre un truc comme le fait que Poppy pouvait pas savoir que les Impériaux lui sortaient par les yeux.

« C’pas faux, » grommela-t-il.

Toute façon, si elle le cherchait, même sans sa jambe de travers, il était pas franchement inquiet, hein. Il souffla par le nez pour essayer de contrôler sa colère sans taper sur quoi – ou qui – que ce soit.

« Désolé, j’voulais pas te faire mal. »

Il prit à gauche.

« On est presqu’arrivé. »

Ce petit teigneux tombe d'accord avec moi. Je l'avais pas vue venir, celle là! Même qu'il s'excuse de m'avoir fait mal. Mec, tu ne pourras jamais me faire plus de mal que ce que je m'inflige à moi-même. T'es un petit joueur, à côté de mon ciboulot disjoncté.

Bon, j'ai donc affaire à un sanguin. Ça, je vais pas le lui reprocher. Je me suis fâchée à mort avec Trevor à cause d'un de mes coups de sang. Ça serait un peu comme si Tonton Miles traitait Tata Margaret de sale riche. Je suis peut-être de mauvaise foi, mais pas à ce point. En plus, je suis pas de mauvaise foi! Les gens me disent ça quand ils veulent pas admettre que j'ai raison.

Et j'ai aussi affaire à un type qui n'aime pas les Impériaux. Ils ont dû cramer sa famille, ou un truc du genre. Les Impériaux, avec leur armée, ils sont pareil que les Trinitaires avec leur Unique-ta-mère. En revanche, mieux vaut ne pas lui poser la question. Sinon, il va s'énerver et on va se traiter de tous les noms. J'ai cramé toutes mes insultes avec les trinis de tout à l'heure, donc je pourrai pas suivre.

Hey, tu voudras attendre ma collègue avec moi?

J'ai pas envie de rester toute seule. Et j'ai comme un pressentiment concernant Alejandro, comme s'il avait sa Sad Pops lui aussi

Ils approchaient de la taverne et il avait réussi à pas s’agacer. Enfin pas trop, quoi. En tout cas il lui avait pas fait mal. Pas volontairement du moins. Ouais, bon, un peu. Mais il s’était excusé. Et puis, une fois qu’il l’aurait déposée en sécurité sur une chaise pour qu’elle attende ses collègues, il retournerait dans la rue. Y aurait bien un autre crétin à qui apprendre la vie pour qu’il puisse évacuer sa colère…

… Sauf que Poppy lui proposait de rester attendre avec elle.

Pour le coup, ce fut au tour d’Alej’ de pas l’avoir vu venir, celle-là. Il était pas franchement le gars le plus sociable du coin, hein.

« J’suis pas très bon pour attendre, » répondit-il sur le coup, sans réfléchir.

Ils atteignirent leur destination et Alej’ poussa la porte de l’établissement. Il faisait sombre et bruyant à l’intérieur, mais il y avait encore de la place et il soutint donc Poppy jusqu’à une chaise libre.

« Tu veux boire un truc ? »

Ouais. Il avait pas dit qu’il restait. Mais il avait pas dit non plus qu’il restait pas. Et, dans tous les cas, il pouvait au moins aller lui chercher un verre pour qu’elle ait pas à le faire avec son pied en vrac.

Poppy s’asseyait et mettait quelques secondes à lui répondre. Alors ouais, il venait de lui proposer un verre alors qu’il avait dit que l’attente c’était pas son truc, mais ça voulait pas qu’il allait pas essayer. Ou qu’elle pouvait pas boire un truc toute seule, d’ailleurs. Du moment que c’était pas de l’alcool, visiblement. Alej’ hocha la tête en silence et allait se rendre au bar pour commander quelque chose quand elle le stoppa avec sa question.

« J’ai pas dit que j’restais pas, grommela-t-il. Juste qu’attendre, c’était pas mon truc. »

Mauvaise foi ? Si peu.

« Fallait que j’me défoule. Taper sur trois connards de trinitaires, c’était pas mal. Donc t’as pas pourri mon programme, s’tu veux savoir. »

Il grimaça un truc qui pouvait presque passer pour un sourire et s’éloigna vers le comptoir sans écouter une éventuelle réponse. Quelques minutes plus tard, il revenait avec deux verres identiques contenant du jus de fruit frais. Il aurait été bien en peine de dire quel était le fruit en question, probablement un truc de Renaissance. Il déposa les deux verres sur la table et s’assit face à Poppy.

« Va falloir que je rentre au vaisseau dans pas trop longtemps. Vaut mieux qu’je boive pas d’alcool non plus. ».

Histoire de pas perdre le contrôle et de flanquer un pain aux pourris de l’équipage. Et pourquoi il se justifiait, au fait ?

Donc finalement, il reste. Mais pas longtemps. Pas facile à suivre, celui-là. Aussi tordu que toi dans ta tête, si ça se trouve. Quoiqu'à y réfléchir....Non, il n'est pas tordu dans sa tête. C'est toi qui a du mal à comprendre. Tu es larguée par tes propres actes. Qu'est-ce qui t'a pris d'aller chercher de la drogue au hasard dans Port Salem? Chercher la bagarre, par contre, ce n'est pas inhabituel chez toi. Mais là, assise à cette table dans cette taverne avec Alej' qui revient s'installer en face de toi, ça te semble con. Si tu penses cela, c'est parce que je relâche un peu mon emprise sur toi, pour me faire plus discrète et entretenir ton espoir qu'un jour je m'en irai...

Merci

Je souris, mais mon sourire me fait mal aux ecchymoses. Je me demande quelle tronche j'ai, d'ailleurs. Tiens, je vais faire un selfie rapide avec mon Com'...

Tu te balades comme ça juste pour taper des gens? je demande en déclenchant la capture d'image. Parce que ça m'arrive parfois aussi. Mais bon, on ne peut pas dire que je sois un modèle de s....nom d'un fion à warp 5! J'ai vraiment cette gueule?

Ma tête n'est pas si abîmée que ça. Mais j'ai un oeil gonflé et la lèvre inférieure qui saigne. C'est suffisant pour me donner une sale tête, surtout en selfie holographique.

Un simple hochement de tête répondit au remerciement de Poppy. Nonni aurait sans doute trouvé à y redire, comme quoi il fallait dire « de rien, » mais Nonni était plus là depuis longtemps, et ils étaient dans une taverne pas très reluisante de Port-Salem après s’être battus contre trois connards de trinitaires. Alors merde.

Pour continuer dans le genre ce que je devrais dire même si c’est pas vrai, Alej’ aurait sans doute dû répondre que non, il se baladait pas juste pour taper sur des gens, mais il avait pas envie de se lancer dans des dénégations stupides. Et, de toute façon, Poppy lui laissa pas le temps de répondre avec son selfie.

« En un peu plus vivant et un peu moins holo, mais ouais, répondit Alej’ avec tact et délicatesse (ou pas). Mais tu t’en sors pas mal pour une bagarre à un contre trois. T’auras même pas de cicatrices. »

C’était vrai. Y en a qui finissaient beaucoup plus amochés que ça.

Il prit une gorgée de son verre et haussa les épaules.

« Et pour ma balade. Y en a qui m’prennent la tête mais j’peux pas leur latter la gueule. Alors les connards qui passent, j’vais pas m’priver. C’est pareil pour toi, j’imagine ? »