Celui qui bat peut être battu aussi

Un simple hochement de tête répondit au remerciement de Poppy. Nonni aurait sans doute trouvé à y redire, comme quoi il fallait dire « de rien, » mais Nonni était plus là depuis longtemps, et ils étaient dans une taverne pas très reluisante de Port-Salem après s’être battus contre trois connards de trinitaires. Alors merde.

Pour continuer dans le genre ce que je devrais dire même si c’est pas vrai, Alej’ aurait sans doute dû répondre que non, il se baladait pas juste pour taper sur des gens, mais il avait pas envie de se lancer dans des dénégations stupides. Et, de toute façon, Poppy lui laissa pas le temps de répondre avec son selfie.

« En un peu plus vivant et un peu moins holo, mais ouais, répondit Alej’ avec tact et délicatesse (ou pas). Mais tu t’en sors pas mal pour une bagarre à un contre trois. T’auras même pas de cicatrices. »

C’était vrai. Y en a qui finissaient beaucoup plus amochés que ça.

Il prit une gorgée de son verre et haussa les épaules.

« Et pour ma balade. Y en a qui m’prennent la tête mais j’peux pas leur latter la gueule. Alors les connards qui passent, j’vais pas m’priver. C’est pareil pour toi, j’imagine ? »

Merde, que tu réponds à son affirmation, ça m'en aurait fait une sur la tronche pour changer...

Oui, tu l'as dit tout haut. Tu en as trop dit et pas assez à la fois. Maintenant, tu vas être forcée de montrer celles sur ton bras. Et tu ferais mieux d'éviter d'appuyer sur ta lèvre gonflée, ça fait mal, et ça saigne. J'essuie ça du revers de mon sweater.

Le jus de fruits est semblable à celui que j'avais bu le jour où j'ai adopté Rovert. Un truc sucré, un peu acidulé et très léger. Pendant ce temps, Alejandro raconte son histoire. Ces gens à qui il ne peut pas refaire le portrait, je me demande qui c'est? Son équipage, peut-être. A cause du Code? Non, si c'était la seule chose qui l'empêche de régler ses comptes, il pourrait le faire à terre. Ça doit être les fameux Impériaux. Une armée, ça se latte pas à coups de poings comme ça.

Quant à savoir si c'est pareil pour moi?

Non. Enfin...ouais. Mais non...

Je suis prostrée sur ma chaise, le regard perdu dans mon verre. J'ai une furieuse envie de sortir la petite lame de ma poche, pour vider toutes mes ecchymoses.

En fait...disons qu'il m'arrive de me sentir tellement triste et ... vide...que j'ai besoin d'adrénaline pour me rafraîchir les idées. Et la douleur aussi, ça aide. Du coup, je vais emmerder des trop costauds pour moi...
Et j'ai honte d'être aussi débile dans ces moments là...

La réponse de la fille fit hausser un sourcil surpris à Alej’. Sa réponse s’était voulue rassurante – presque quoi, au moins sur la partie des cicatrices – et Poppy semblait presque déçue. Pourtant les filles aimaient pas les cicatrices, si ? Surtout sur le visage ? Vu son état, il était difficile de dire si elle était normalement plutôt mignonne ou pas – et c’était pas comme s’il était bon juge sur la question – mais quand même. M’enfin… c’était pas la première remarque bizarre de Poppy, alors Alej’ décida de pas s’y arrêter.

À la place, il répondit plutôt à la question qu’elle lui avait posée. Laconiquement. Mais elle devait comprendre ce que c’était que d’avoir besoin de frapper les connards qu’on croisait… Ou pas. Là encore, sa réponse était pas claire, mais Alej’ ne dit rien… Jusqu’à ce qu’elle développe.

« Ah, » émit-il très intelligemment.

Il était clairement pas le gars le plus compétent pour discuter, écouter ou compatir. Mais là, à voir Poppy prostrée sur sa chaise, les yeux fixés sur son verre, il se demanda si elle se sentait triste et vide. Et s’il devait dire quelque chose pour lui remonter le moral. Ce serait sans doute bien. Le truc, c’était de trouver quoi dire.

« C’pas forcément plus bête qu’ d’aller les emmerder pour s’ vider d’sa colère. »

D'la colère? J'en ai aussi, souvent. Mais je tape sur des objets, ou des murs, dans ces cas là.

Et voilà que je me justifie pour éviter de penser à cette furieuse envie que j'ai de m'ouvrir la peau en deux. Tiens, je vais mordre ma lèvre. Ca devrait aider.
C'est temporaire, tu sais? En rentrant, tu vas ajouter deux ou trois coupures à ta collection.

Ben on verra quand on rentrera, dans ce cas.

Bon, que disait mon thérapute, déjà? Eloigner ses idées de l'envie de se faire mal. Occuper son esprit. Parler à quelqu'un. Ça, je le fais déjà. Mais ça me ramène sur mon problème au lieu de me le faire oublier. Il faut que je dévie la conversation dans l'autre sens.

Sans vouloir être indiscrète, elle vient d'où toute cette colère que tu dois vider?
Voilà qui devrait faire l'affaire. On va parler un peu plus de lui et un peu moins de moi. Je force un sourire qui tire sur ma lèvre enflée.

Entre casse-gueules, on peut en parler, non?

« Ouais, aussi, » grommela Alej’ à la mention de taper sur les objets et les murs.

Les sacs de la salle d’entraînement de La Vanguardia en savaient quelque chose. Mais eux, ils risquaient pas de riposter ou de causer des ennuis… à lui ou, surtout, à She’.

Mais bon, il avait pas l’intention de s’appesantir sur la question. Poppy était assise, pas trop amochée – du moins pas suffisamment pour ne pas boire son verre – et son équipage allait venir la chercher. Ça devrait plus trop tarder s’ils traînaient pas en route. Ils avaient qu’à boire leurs jus de fruit en attendant et voilà…

Sauf qu’elle posait des questions. Alej’ faillit répondre que si, elle était indiscrète, mais son sourire forcé et son dernier commentaire le retinrent. Pas faux. Ce qui voulait pas dire qu’il allait se vanter du statut bâtard de La Vanguardia.

« Ben… Disons qu’c’est pas moi qu’ai choisi d’bosser pour les Impériaux, marmonna Alej’. Et qu’ça a pas l’air d’déranger grand-monde. »

Et surtout pas She’, bordel ! Alors qu’c’était le choix pourri de leur paternel, alors qu’ils avaient Mateo, alors qu’les pions de l’Empire se baladaient sans gêne partout sur le vaisseau !

Il a pas choisi de bosser pour les Impériaux? Il est quand même pas esclave? Bien sûr que non, espèce de résidu de ceinture d'astéroïde en perdition. Les Impériaux n'ont pas d'esclaves. C'est eux les esclaves de leur Empereur à la con, tout comme toi tu étais esclave d'Oni avant de te barrer. Ah, pardon! Je voulais dire: avant qu'ils ne te foutent dehors parce que tu es défectueuse

Et t'as pas moyen de, genre, te barrer?

J'avais commencé à sourire, mais je me suis vite ravisée. Parce que j'ai mal au visage, mais aussi parce que j'ai peut-être posé la question la plus con de l'univers observable. Oh oui, ta question était très con. Je suis en train de devenir aussi idiote qu'un pigeon hydrocéphale, ma parole. Si je prenais une des pilules du doc? Je sais que ça me ferais dépasser la dose, mais j'en ai marre d'avoir le cerveau bourré alors que j'ai rien picolé. Vivement que Sancerres vienne, avec Rovert.

Un mouvement inopportun d'un des muscles de mon visage m'informe que j'ai pas besoin d'une surdose, mais peut-être d'un peu de glace sur les ecchymoses. J'ai peut-être encore du sang qui coule de ma lèvre éclatée.

Et comme c'est le pire moment pour cela, je repense à cette blague de merde et je ris. Ou plutôt, j'étouffe mon rire de sorte que seule une sorte de grognement ne sorte. Quelle abrutie...

Se barrer ? Parce que, genre, il suffisait de l’vouloir et, paf, il se barrait ? Il laissait She’ au milieu des Impérieux qui arpentaient déjà les ponts du vaisseau pour qu’elle finisse d’oublier qu’elle avait été pirate un jour ? Et qu’il fallait qu’elle mange au moins un repas complet par jour ? Parce que, s’il se barrait, c’était sûr qu’y aurait personne pour surveiller qu’elle bouffe correctement. Même le Vieux f’rait pas gaffe. Faut dire qu’il était pas là à la mort de leur connard de paternel ; il avait pas vu dans quel état ça l’avait mise.

« Nan, y a pas moyen ! » répliqua Alej’, limite aimable.

Avant de réaliser que Poppy pouvait pas savoir non plus.

« Y a ma famille à bord, » précisa-t-il donc.

Il aurait pu détailler – ou pas – mais Poppy ne lui en laissa pas le temps. Ce qu’il prit d’abord pour une ébauche de sourire et qui faillit le vexer – ça la faisait rire que sa famille accepte de bosser pour les Impériaux ? – fit couler un peu de sang de ses lèvres et, vu le grognement qui suivit, ce devait plutôt être une grimace.

« T’as mal ? »

Ouais, même si elle posait des questions cons gênantes, il lui souhaitait pas de douiller trop. Si ses collègues traînaient encore, il faudrait peut-être aller demander de la glace.

Tu l'as pas volée, sa réponse du tac au tac. T'as pas brillé par ta perspicacité

Sa famille à bord? Le pauvre petit chou. Il a sa famille avec lui. Ça veut dire que ses parents ne l'ont pas renié après des années à vouloir le faire rentrer dans un moule qu'était pas le bon. Ça veut aussi dire qu'il a des gens à qui il tient. Oh la la, comme ça doit être horrible. A quoi je pense, sérieux, seule avec mon ta'leng dans le Nemesis?
Hey, un peu plus fort. On ne sent pas hyper bien ton sarcasme du côté d'Oscuro
Je sais j'exagère. J'ai Cap'tain Alvarez. Et le Roi du Rire. Et l'autre Roi du Rire aussi. C'est....déjà ça

Il faut que je lui explique pourquoi je ris au pire moment. Allez, montrons lui à quel point j'ai un quadrant qui manque à ma galaxie:

Nan ça va, en fait c'est parce que j'ai ma lèvre qui saigne. Et...
Merde, qu'est-ce que je suis con
...et du coup, j'ai repensé à la fois où j'ai saigné du nez, et y'a ma collègue qui m'a vue et je lui ai dit "oah, quand c'est pas d'un côté c'est de l'autre!"
Je me marre pour de vrai à présent. Parce que je suis peut-être con, mais les blagues de ragnoutes c'est toujours drôle.

Ah non, elle avait pas mal. Alors quoi ? C’était quoi cette espèce de grognement ? Elle se moquait ? C’aurait dû être une bonne chose qu’elle ait pas mal, mais l’idée qu’elle se moquait peut-être balayait toute autre considération. Personne se moquait de She’ – sa famille – ni de son statut de corsaire – à obéir aux Impériaux. Personne, pas même Poppy qui…

… se marrait à cause d’une blague avec une de ses collègues ?

La colère d’Alej’ retomba aussi vite qu’elle était montée, soufflée par un vent d’incrédulité et d’incompréhension. Il lui fallut bien quelques secondes pour comprendre de quoi parlait Poppy.

« Ah, » lâcha-t-il très intelligemment quand ce fut bon.

Mais il ne voyait toujours pas où était l'humour là dedans. Peut-être parce qu’il avait pas fréquenté assez de filles assez longtemps ou de façon assez proches pour parler de ça. Parce que non, il parlait pas de règles avec She’.

« Je pensais pas qu’c’était drôle, » avoua-t-il en marmonnant.

Il est marrant, ce gars. Il se braque pour un rien. On dirait toi quand tu es sous mon contrôle. L'autre aussi peut te rendre comme ça parfois. Et si c'était simplement ta personnalité? Parce que c'est bien joli de tout nous mettre sur le dos, mais si nous disparaissions soudainement, tu ne deviendrais pas quelqu'un de bien pour autant.

Tu es toujours dans ton réflexe de défense par le rire. C'est un truc que Trevor t'a appris, si je ne m'abuse?

Oh, j'ai visiblement fait remonter un souvenir critique! Une petite larme coule du coin de ton oeil. Ça passera pour une larme de rire. C'est sans doute vrai, d'ailleurs. Je n'ai plus aucune notion de ce que je ressens, de toute manière.

Si t'avais un utérus, toi aussi t'aurais envie d'en rire. Faut toujours rire des trucs chiants, sinon on arrive pas à les endurer

J'avais Trevor à l'époque pour rire des trucs chiants. Je l'aidais à rire des trucs que ses parents lui mettaient sur le dos, et il me racontait des blagues nulles quand j'avais le cafard.
Et merde, faut pas que je pense à Trev. Pas maintenant...

Je peux essayer de trouver des blagues sur les Impériaux si tu veux? Ça sent la fausse bonne idée...
Tiens: combien il faut d'Impériaux pour piloter une vedette?

La réponse de Poppy lui fit hausser les sourcils. Jusque-là, Alej’ avait jamais entendu de filles rire de leurs règles. Bon d’accord, y avait déjà pas de filles dont il était suffisamment proche pour en parler. Mais même. Rire des trucs chiants, c’était pas trop son domaine, de base. Il riait des trucs drôles avec l’équipage… du moins avant. Maintenant, il riait plus avec l’équipage puisque la majorité faisait partie des trucs chiants.

« Les trucs chiants, j’leur fous mon poing dans la gueule, grommela Alej’. Quand j’peux. »

Quand il pouvait pas, c’était quelqu’un d’autre qui prenait. Il était pas très bon pour rire, de façon générale.

Et l’idée de rire des Impériaux lui plaisait moyen. Ils méritaient pas des blagues, ils méritaient pire. Mais Poppy avait déjà commencé alors, plutôt que de la couper, il prit une gorgée de jus.

« Y a qu’un pilote dans une vedette. Mais j’suppose qu’c’est pas ça, ta réponse. »

Ouais, bon, d’accord. P’têt qu’il était un peu curieux de savoir.

Foutre son poing dans la gueule de son utérus? Si seulement c'était possible!
T'as déjà essayé. Tu te souviens de tes premières règles? T'as lardé ton bas ventre de coups de poings pour faire passer la douleur. Ta logique était déjà un peu spéciale avant que nous fassions connaissance, je n'ai pas eu tant de travail de sape à faire finalement

Nan mais t'as raison, y'en faut qu'un. Par contre, il va plus jamais revenir parce que y'a une étoile dans la galaxie d'à côté qu'a insulté sa famille et son honneur est en jeu
Je souris, et j'essaie de rire. Mais juste un peu, parce que rire de ses propres blagues, c'est bon pour les résidus d'étoiles à neutrons. Et en voyant Alejandro qui tire la tronche, je comprends que c'était pas la meilleure idée du monde, de tenter des blagues. Tout le monde n'est pas Trevor. Faut que j'arrête de chercher des Trevor là où il n'y a que des rois du rire...
Bon, c'est pas ma préférée. Je préfère les blagues sur les trinis, ou sur les pilotes. Les artilleurs aussi. Mais si tu veux emmerder des impériaux, franchement: fous toi de leur gueule.
Je hoche la tête. Ça fait mal à mes cheveux, mais c'est pas grave.
Ça les rend dingue. Une fois j'ai dit "fils de pulsar" à un Impérial, il a fallu deux mecs pour le retenir. Il savait même pas ce que c'est un pulsar, ce connard

La chute de la blague et le rire de Poppy amenèrent une ombre de sourire sur le visage d’Alej’. Oui, oui, une ombre. Fallait pas pousser non plus.

« C’est pas mal, » reconnut-il.

Il était honnête, même s’il avait pas une grande pratique des blagues. Avant, il plaisantait avec les autres membres d’équipage, évidemment. Mais ça, c’était avant. La prison, c’était pas vraiment un lieu pour rigoler. Et, à présent, de son point de vue, La Vanguardia non plus.

« Un mec sur un vaisseau qui sait pas ce qu’est un pulsar ? C’t’un crétin… affirma Alej’ – ouais, il avait peut-être pas reçu l’éducation la plus complète qui soit mais, quand tu grandis dans un navire pirate, t’as au moins les bases. Remarque, t’as pas dit si c’était sur un vaisseau. »

Pour ce que ça changeait. Si c’était un Impérial, c’était forcément un crétin.

« Le truc, c’est pas de trouver comment emmerder les Impériaux. Y a pas besoin de beaucoup d’imagination pour les insulter. Le truc, c’est surtout de pas déclencher de bagarre. Tu vois, j’suis pas le genre à me retenir – sans blague – et ça causerait des ennuis à ma sœur. »

Et à Mateo, où qu’il soit. C’était toujours le même problème, quoi : il ne devait pas emmerder les Impériaux. Que ce soit physiquement ou verbalement, c’était du pareil au même.

Il trouve ma blague pas mal. Il doit rudement se faire chier au quotidien, alors. Ma blague, elle était pas géniale. T'as un humour de merde, surtout quand tu es euphorique. Tu veux que je te rappelle toutes les mauvaises blagues que tu as dites sous endorphine?
Non, ça ira.
Eh bien je te les rappelle quand même. Tu te souviens quand tu as dit "ça te f'ra la bite" à Galwaïn qui essayait de piloter tranquille tandis que tu le gonflais? Ou quand t'as dit que Trevor était comme un arbitre corrompu car il était acheté, avec la liaison s'il vous plaît...
Pourquoi je me souviens de ces trucs honteux? Fait chier...

J'ai été obligée d'apprendre à me retenir. Parce que je déconne pas avec le Code. De conduite. Sur un vaisseau.
Ne te fais pas d'illusions, tu n'es pas convaincante. T'as juste à espérer qu'il sache pas ce que c'est
Parce que j'en ai marre de me faire virer. Remarque, ça pourrait être ta stratégie pour t'en débarrasser, des Impériaux: être tellement chiant qu'ils te paient pour te barrer. C'est plus ou moins comme ça que j'ai quitté les corpos
Et après, tu vas lui dire de se faire exploser le bras? Nan, il m'a sauvé les miches. Maintenant j'ai envie de l'aider, même si j'sais pas comment. Tu pourras rien faire de bon, tu sais. Ouais, je sais...

Alej’ était peut-être un peu (beaucoup) brute et pas très sociable, mais il était pas complètement stupide. Il avait grandi sur un vaisseau pirate ; le Code, il l’avait bouffé avec ses barres de nutrisoja, bu avec l’eau des réserves, respiré avec l’air recyclé. Alors la réponse de Poppy le fit tiquer. Même avec les deux précisions, son Code, il semblait bien porter une majuscule. Alors, ouais, y avait p’têt des vaisseaux qui avaient effectivement des codes de conduite. Mais elle avait quitté sa faction, elle suivait un Code... Ça faisait beaucoup. Et ce serait pas la première corpo à quitter sa faction pour se faire pirate, hein...

Mais c’était pas le truc à dire dans une taverne douteuse à Port Salem. Surtout que Poppy expliquait comment elle s’était barrée faite virée des corpos.

« C’est bien une idée tordue de corpos, ça, de tout régler avec des crédits, répliqua Alej’ sans réaliser qu’il pouvait être vexant. Si j’les emmerde trop, les Impériaux s’f’ront pas chier : ils m’enfermeront encore. »

Mais c’était pas le pire. Il était sorti une fois, il finirait bien par trouver une nouvelle faille. Le pire, c’était qu’il aurait encore laissé She’ dans la merde.

« Et ils auraient un truc de plus pour faire chanter ma sœur. »

Une idée tordue? Ouais, à bien y réfléchir, un corpo sans ses credits c'est comme une course de speeder sans, euh...sans speeder. Tu ne trouveras pas mieux, pas avec moi dans les parages. C'est la vie!

Tu ne trouveras pas non plus d'idée pour aider Alej' avec moi qui squatte ton cerveau. Et de toute façon, tu n'en trouverais pas car la situation a l'air trop complexe pour qu'on la résolve comme ça, autour d'un jus de fruits. Mais, ça, je le mets hors d'atteinte de ta raison. Et donc, tu t'en veux. Tu détestes te sentir impuissante, et tu détestes ne pas pouvoir aider en retour ceux qui te viennent en aide.

Pulsar à sphynctères!, tu cries en frappant du poing sur la table.

Cette sensation d'engourdissement à la surface de ta peau fait son entrée, comme elle le fait souvent quand je suis aux commandes. Tu as envie de te lacérer pour retrouver un peu de sensations. Mais il y a du monde...
J'en ai marre! tu grommelles, affalée sur ta chaise les bras croisés comme une gamine qui boude. Je peux jamais rien faire pour aider les gens. J'en ai marre de servir à rien.
Tu relèves un peu la tête pour le regarder dans les yeux.
T'aurais dû les laisser m'achever. Pour ce que ça te rapporte de m'avoir traînée ici, franchement! Moi et mes idées de merde en barres...

Sa situation était merdique, ça, Alej’ le savait. Il se débattait avec depuis plusieurs années et il se doutait que Poppy trouverait pas de solution en deux minutes. En revanche, il s’attendait pas à son juron – original d’ailleurs – ni au coup sur la table. Il avait l’habitude d’être en colère mais pas que ses interlocuteurs partagent ses sentiments. Ou alors, pas pour la même raison.

Quoique… La moue boudeuse de la fille et son « J’en ai marre » laissaient supposer que c’était plutôt sa compagnie qui la faisait chier, et Alej’ faillit répliquer vertement que c’était elle qui lui avait demander de rester et qu’elle pouvait demander plus gentiment qu’il se barre… sauf que non en fait. À nouveau, la colère du corsaire se dégonfla comme un ballon de baudruche tandis qu’il la laissait vider son sac sans trop savoir quoi dire. La colère, il connaissait. Le défaitisme, pas trop. Mais la référence à trois salauds de trinitaires lui permit de retrouver sa langue.

« Et les laisser gagner, ces connards ? »

Il sentait bien qu’y avait un truc qui allait pas. Mais il savait pas trop quoi. Ni comment le résoudre. Alors il opta pour le plus simple :

« T’as pas servi à rien. R’garde : on a mis la pâté à des crétins de trinitaires. Et comme ça, j’vais pas avoir envie de frapper les cons de mon équipage en rentrant. Enfin, pas trop quoi. »

T'as servi à rien, quoi qu'il en dise. Il aurait pu les tataner tout seul, ces trinitaires. Je suis là pour te le rappeler, car l'autre te le fait un peu trop souvent oublier. Tiens t'en à tes principes de base: tu n'es pas à la hauteur, et ceux qui te disent le contraire veulent juste te brosser dans le sens du poil pour éviter une crise de larmes.

Tu hausses les épaules et ton pied cogne celui de la table et...

Outch! Ma cheville tordue contre la table, ça prouve que tu ...

Je frappe du pied blessé par terre en serrant les dents. La douleur me réveille. Mon corps se tend comme un serpent foudroyé, je ferme les yeux le temps que la douleur s'en aille et je souris. J'ai même envie de rire. Je suis là, dans un bar Trini avec un prisonnier des Impériaux à boire un putain de jus de fruits sa nébuleuse. C'est pour ce genre d'instants absurdes que je suis contente que les corpos m'aient dégagée.

Viens, on va en trouver d'autres! je m'entends proposer à Alejandro. Je sais pas marcher mais c'est pas grave, tu me portes sur ton dos et moi je sors ça!
Mon petit mouvement familier du poing fait ressortir mes lames écorcheuses. Quant à Alejandro, je lui fais mon plus beau sourire de Good Pops malgré l'absence de cette dernière: toutes dents dehors, les zygomatiques proches du claquage...

Y avait vraiment un truc qui allait pas. Soit chez Poppy, soit chez lui, parce que plus ça allait et moins Alej’ y comprenait quelque chose. Alors, d’accord, il était pas très doué pour se mettre à la place des autres, surtout des filles, mais là… Genre trois secondes plus tôt elle jurait et boudait et avait presque l’air déprimé – parce que le « t’aurais dû les laisser m’achever » et le « mes idées de merde », ça sonnait pas franchement enthousiaste – et là elle voulait aller tabasser du trinitaire alors qu’elle tenait pas debout.

« Elles sont cool tes lames, tenta Alej’ en y jetant un œil le temps de chercher ses mots, mais j’suis pas sûr que ce soit un bon plan… parce qu’aller se battre sans vouloir gagner, c’était clairement un plan pourri… parce que les crétins se promènent pas souvent tous seuls et on sera pas aussi rapides et efficaces comme ça. »

Ouais, c’était pas un argument trop pourri, ça, non ?

« Et puis y a tes collègues qui arrivent, y vont s’inquiéter si t’es pas là, non ? »

Je souris en secouant ma tête, consciente de la connerie sidérale que je lui ai proposée. Quand je pense qu'on te laisse piloter des vaiss...une petite pression sur ma foulure pour la faire taire et un plissement d'yeux vient agrémenter mon sourire.
Ouais, quand je dis que j'ai des idées de merde!
Je rigole encore, et ajoute:
J'sais pas pourquoi j'ai dit ça, j'étais en train de gamberger toute seule dans ma tête. Il paraît que je le fais un peu trop, d'ailleurs.
Sans blague?
Et je me disais: je suis sur une planète loin de tout, à boire des trucs exotiques avec un gars sympa qui m'a empêchée de me faire massacrer par des crétins de sa mère la supernova. Et comme tu disais que j'avais pas trop ruiné ta soirée, ben...
Mon cerveau s'embourbe un peu, à chercher la manière la plus sensée d'expliquer comment j'en suis arrivée à une telle connerie. Pendant ce temps, mon index prosthétique tapote le bout de mon autre index. Mes lames sont toujours sorties, alors je les range en vitesse et je remets le cran de sécurité.
J'ai eu envie de faire un truc, et c'est ça qui m'est venu en tête. Parce que j'suis con. Mais sinon...on peut faire quelques pas à l'extérieur et regarder les étoiles? Je suis fan d'astronomie! C'est pour ça que je suis devenue pilote

Pour une idée de merde, celle de Poppy en était une. Mais Alej’ était pas sûr que ce soit une bonne idée d’acquiescer alors il reprit une gorgée de son jus. En fait il était pas trop sûr de rien parce que, maintenant, la fille souriait et paraissait presque normale alors que deux secondes plus tôt elle voulait aller tataner du trinitaire même si elle tenait pas debout et deux secondes encore plus tôt elle avait l’air toute déprimée. Et ses explications étaient pas très claires. Et elle avait toujours ses lames sorties. Mais elle disait qu’il était sympa.

Incrédule, Alej’ la dévisagea une seconde – sa figure prenait des teintes cheloues, faudrait vraiment que ses collègues l’emmènent voir son doc – pour être sûr qu’il avait bien entendu. Lui, sympa ? Fallait croire que c’était bien ça, puisqu’elle rangeait ses lames. OK…

La suite avait un semblant de logique quand même. L’astronomie, le pilotage… mais regarder les étoiles à c’t’heure… Un coup d’œil rapide aux fenêtres lui apprit qu’il devait être plus tard que ce qu’il pensait. Faut dire qu’il avait pas regardé l’heure locale en quittant le vaisseau.

« Si tu veux. Mais j’te préviens, j’les connais pas toutes, moi. »

Enfin si, il les connaissait. Mais pas avec leurs noms et leurs positions.

Il finit donc son verre d’une traite et se leva. Est-ce qu’elle allait  arriver toute seule aussi ?

Il descend son verre comme il aurait descendu un shot de rhum. C'est presque mignon, un gars plein de balafres qui botte des culs et qui prend des gnons, et qui prend son jus de fruits pour du tord boyaux! Je vais faire pareil. Descendons la fin de ce verre et levons nous de cette chaise! Sur une jambe, celle qui peut encore me soutenir. Quand je pose l'autre pied au sol, un pic de douleur vient transpercer Sad Pops et une partie de la vraie Pops au passage. Mes grimaces de douleur me font mal au visage.

Oh putain de sa mère la comète sans queue!

Je me rattrape à la table. Les verres vides vacillent avec elle avant de se stabiliser en même temps que moi. Je tends mon bras cyber à Alejandro en espérant qu'il m'aide à avancer.

Tu sais, c'est pas... tous les jours qu'on ne m'engueule pas pour... avoir été me battre pour rien, je lui dis alors qu'on quitte la taverne. Je crois que t'as une ...mauvaise influence sur moi

J'appuie exprès sur ma cheville qui me fait mal pour chasser Sad Pops encore plus loin. Ça me fait parler en haletant, mais c'est mieux que de la laisser me faire pleurer encore. Dehors, des gens picolent ou fument en terrasse. C'est surtout des mecs, une mini foire à la saucisse dans un port presque pas pirate. Pas de Sancerres à l'horizon, mais elle ne devrait pas tarder. En attendant, j'inspire l'air naturel...

Elle y arrivait pas, évidemment. Elle manquait de se casser la margoulette et d’emmener la table avec elle. Par réflexe, Alej’ attrapa le bord du plateau mais celui-ci ne versa pas. Et Poppy non plus. Elle se stabilisa et la table avec elle, si bien qu’Alej’ lâcha le mobilier pour attraper le bras métallique que la pilote lui tendait.

Il la soutint jusqu’à la porte.

« Ouais, je sais, grogna-t-il, j’suis pas fréquentable. »

Sans blague… Lui, engueuler quelqu’un pour s’être battu sans raison ? Rien que l’idée était risible.

« Mais t’inquiètes, j’parie qu’tes collègues te diront quequ’chose. Comme ma sœur… »

Dehors, des gars qui fumaient et qui buvaient. Aucun semblait leur prêter attention – soit ils étaient pas assez beurrés pour emmerder les passants, soit ils l’étaient trop pour s’y intéresser – et c’était tant mieux parce qu’il était pas d’humeur à essuyer la moindre remarque de la part d’un connard de trinitaire. Ni d’un connard tout court en fait. En revanche, pour regarder les étoiles, la proximité de la taverne et de l’éclairage électrique, c’était pas terrible.

« Faut qu’on s’éloigne un peu, on va rien voir là. Elle est censée venir d’où, ta collègue ? »

Nan parce que tant qu’à faire, autant pas partir dans la direction opposée, hein. Poppy avait pas l’air en état de faire des kilomètres pour rien.

L'air naturel, c'est cool. Ça décrasse les poumons, ça fait du bien. Par contre, la lumière pas naturelle, ça fait chier les nénés modèle géant. Le ciel n'a pas l'air trop nuageux, et pourtant on voit que dalle.

Elle devrait arriver de là-bas, je lui réponds en montrant la direction du quai où Nemesis est amarré. Sauf que si Sancerres prend un détour pour brouiller les pistes, je n'ai aucun moyen de savoir d'où elle arrivera. Mais on est ici sous une fausse identité, du coup elle n'a pas de raison de prendre des détours. Sauf si sa tête est connue dans le coin. Elle a des origines trinitaires, la Sancerres, après tout...

Mais on verra pas grand chose quand même, on restera trop proche des lumières. C'est pour ça que les atmosphères ça pue du cul! Ça te diffuse toute la lumière n'importe comment et paf! T'as un couvercle en photons par dessus ta tête...
J'ai chouiné un peu, on dirait. Grave, t'as chouiné. Tu sais faire que ça.

Oh mais attends!

Je repère un petit point dans le ciel. Normalement, il devrait être accompagné de deux autres et former un triangle régulier. Mais ce foutu couvercle en photons ...
Celle-là, c'est Oswald-IV ! Enfin c'est son nom corpo.
Les pirates l'appellent atyë majoris. Les autres factions, je m'en tape
C'est la première que j'ai appris à repérer en arrivant à Dorado. C'est mon point de repère quand je suis à terre.
Je la pointe du doigt métallique.

Seul un hochement de tête répondit à Poppy quand elle indiqua d’où était censée venir sa collègue. Bon. Ils avaient qu’à avancer un peu dans cette direction. Sauf qu’elle avait raison… Vers les quais, y avait pas vraiment moins d’éclairage et, de toute façon, ils resteraient trop près des lumières. Et ça avait l’air de la déprimer à nouveau…

« C’toujours mieux que l’atmosphère enfumée d’la taverne, » marmonna Alej’ à propos de l’atmosphère et des photons.

Ouais, il était nul pour les blague, il savait, merci. Mais valait mieux dire un truc que la laisser déprimer, hein. Des fois qu’elle proposerait un truc chelou, encore.

Ah, sauf qu’elle avait vu que’qu’chose quand même. Alej’ s’arrêta et leva le nez pour regarder dans la direction indiquée.

« J’vois, commenta-t-il, c’est une des plus brillantes. Mais je connais pas les noms corpos. »

Ni les impériaux, d’ailleurs. Il connaissait les noms pirates mais, même s’il avait un doute, il était pas sûr que le Code dont elle avait parlé soit bien celui qui avait une majuscule. Et puis… Utiliser les noms pirates dans un astroport plein de connards de trini, c’était pas le bon plan.

« On peut toujours essayer de repérer les planètes. Elles brillent plus, proposa-t-il avant de désigner un petit point lumineux. C’est pas Orca, là ? »

Normal qu'il connaisse pas les noms corpos. Il est pas corpo. Quoiqu'un bon paquet de corpos seraient fichus d'appeler leur fils "Alejandro" juste pour faire exotique. Ou alors un seul de ses vieux est Impérial, et son nom de famille c'est MacAndrew ou Wilson, un truc du genre. Ça expliquerait des trucs. Si je m'appelais Alejandro Wilson, moi aussi je ferais la gueule.

Tu fais déjà la gueule même quand tu souris, duconne

En Trini, je crois qu'on l'appelle "la bite à Dudule". En Impérial, c'est euh..."Loca Poppy de la Poppiglia"

D'habitude tu ris de tes conneries. Pas maintenant. Là tu te contentes de t'accrocher au gars qui t'a sauvée et que t'avais envie de sauver. Pour qu'il te sauve de l'embarras de te casser la figure en pleine rue avec peut-être la mignonne Sancerres qui te verra. De toute façon, vu comme tu t'accroches à son bras, Sancerres elle va se dire que t'es déjà prise

Orca? Ca se pourrait bien. Attends...
Tu trifouilles dans ta poche de ta main libre et j'ai enfin trouvé mon putain de 'Com, une petite pression sur la touche qui va bien et il m'affiche mon menu, puis ma carte de base du ciel.
Y'a plus qu'à chercher Renaissance, et...

...bingo! C'est bien Orca. Des fois on peut voir Hope aussi. Elles se ressemblent vues d'ici, sauf quand Orca est tout près parce qu'on voit ses anneaux

C'est pas Rovert qui crie, au loin? On dirait que Sancerres arrive...