Suu le ciel de Tortuga

Cela fait plus d'un mois. Beaucoup plus longtemps que prévu. L'animal volant est guéri à présent. Il est beau et il est fort. Il sera heureux dans la nature même s'il ne semble pas encore prêt à chasser pour se nourrir. Au pire sera-t-il la proie d'un autre animal tout aussi beau et bien plus fort. C'est ainsi. elle fait ce qu'elle peut, la Déesse fait le reste.

Débarquée sur Tortuga, Way'si fait le tour des vaisseaux, par habitude. L'oiseau la suit. C'est elle qui a la nourriture. Elle est habillée simplement d'une tunique beige et d'une longue jupe en patchwork. Ses pieds bruns frappent le métal du hangard. Elle ne devrait pas être pieds-nus. Il y a beaucoup de carburans, d'huile et de morceaux de métal partout par terre. La silhouette du Nemesis vient couper ces pensées stériles. Elle est comme elle est, où elle est. Et Suu vient de ce vaisseau, elle s'en souvient. Inconsciente de la flamme qui brûle toujours aussi fort, sans se soucier de choses aussi limitatives que demander la permission ou se protéger, elle s'avance sur la rembarde. Evidemment, des gardes lui demandent qui elle est. Ce qu'elle veut.

"Je cherche Suu." On lui demande qui le demande. "L'oiseau" répond-elle tranquillement. Son assurance n'empêche pas quelques remarques sur le fait qu'elle ferait mieux d'aller voir ailleurs et que c'est un vaisseau sérieux mais, finalement, l'un des deux entre appuyer sur la machine qui porte les voix...

- HEY SUU.

Le HCom explose en un hurlement. La voix est familière, son propriétaire un bon pote, mais rien de tout ça n'empêche la calamité qui suit : la pince que tenait ledit Suu lui tombe de la main, il se redresse trop vite, s’éclate le crâne contre une des gaines protégeant les câbles sur lesquels il travaille, et en guise de point final il manque de rouler face la première sur l’outil lâché.
Ce n’est pas étonnant qu’il soit de mauvais poil lorsqu’il répond, du coup.

- Quoi ?!
- Quelqu’un te demande à l’embarquement. Une jolie f… Femme.

Ben voyons. Ca ne sent pas l’embrouille, ça. Quelle jolie fille pourrait bien le demander ?

- C’est ça. Elle ressemble à Calypso et elle a plus de seins que Jezabel, c’est ça ?
- Euh...
- C’est bon, j’arrive. Y’a intérêt à ce que ce soit pas un mensonge !

Ca n’en est pas un. Il s’en rend compte lorsqu’il arrive près de la rampe d’embarquement et qu’il voit ses collègues de vaisseau regarder tous dans la même direction… Celle de Way’si. Il y a bien une jolie dame qui veut le voir. Toute trace de mauvaise disposition s’enfuit de Suu, qui décoche ce qui ressemble à un vrai sourire sincère.

- Hey, soeur. Tu me cherchais ?

Le sourire de Way'si illumine les lieux. Elle n'a aucune conscience de son effet, elle est simplement contente de le voir. D'un coup d'oeil purement médical, elle l'examine. Il n'a pas l'air malade. Peut-être un peu fatigué. Ils le sont tous, les envahisseurs. Ils refusent d'adapter leur vie à la nature autour d'eux. Su'u est peut-être mo'at dans l'âme mais il travaille pour l'un d'eux alors il est soumit à leurs règles. Elle s'avance, l'oiseau aussi. Puis tend ses mains, paumes vers le plafond, à hauteur de son ami. Elle a du s'agenouiller pour ça. Elle n'y a pas prêté attention.

"Moi non mon frère, même si te voir me remplit de joie, mais l'oiseau m'a demandé de le conduire jusqu'à toi. Il est prêt maintenant."

L'oiseau fait sa vie. Il ne reconnait pas Suu mais associe son odeur a de la protection quand ça ne va pas et n'a donc pas peur de lui. Il tourne à la recherche d'un perchoir, chie sur la tunique d'un des badauds du coin.

Le temps d’une seconde, une seule, il se dit que la vie va devenir insupportable sur le Némésis. Que ses camarades de vaisseau ne vont pas le lâcher avec cette histoire.
Le type en fauteuil et la plus belle femme du système se parlent.
On dirait le début d’une blague.

Puis la seconde part, les pensées de Suu se barrent très loin de lui. Il ne reste plus que quelque chose d’indéfinissable. De serein. Il pose ses propres paumes sur les poignets de Way’si et se perd dans ses yeux en souriant.

- Il a l’air d’aller bien.

Il le voit tourner autour du coin de l’oeil. S’il vole, alors il va bien. Le raisonnement du pilote est sans failles -et peut-être un peu trop calqué sur lui-même.

- Toi aussi. Tu veux lui montrer le chemin des arbres ?

Elle lui rend son regard, laissant ses mains sous les siennes, sans réfléchir au temps qui se suspend avant qu'il ne lui réponde. Alors seulement, elle se lève pour suivre des yeux l'oiseau qui continue à chercher un moyen de se poser près de Suu. Kha'alan a fait des miracles mais les muscles atrophiés se fatiguent encore vite. Doucement, elle lève le poing. Il s'y pose, frottant sa tête. Elle soupire et c'est comme un nuage qui vient masquer une seconde le soleil.

"J'aurais aimé. Mais il est comme moi, il a été trop marqué pour retourner sur Motuani. Il n'y a plus sa place." Une once de regret se lit dans sa voix. Elle aimait son monde, sa planète, son peuple. Elle s'en tient volontairement à l'écart. Elle ne veut pas les polluer par la haine que l'étranger a mit en elle. Suu n'y est pour rien. C'est une âme-frère qui s'est trompée de corps. Elle lui tend l'animal qui s'agrippe à un des accoudoirs du fauteuil. "Avançons ?" Les membres du Nemesis la rendent nerveuse, ils la regardent comme le faisaient les pirates qui voulaient la vendre.

Ah. Ce ne sont pas les mots qui touchent Suu -c’est comme ça, c’est tout, il peut comprendre-, c’est le regret qu’il entend dans la voix de la conteuse. Elle devait vouloir retourner chez elle, elle aussi. Marcher entre les arbres. Parler aux siens. Et elle ne peut pas.
C’est dégueulasse. Et injuste. Il fronce les sourcils un instant, bouffé jusqu’au coeur par l’envie de faire goûter le côté pointu de sa lame à ceux qui ont infligé cet éloignement à Way’si. Puis il se souvient qu’ils sont déjà morts, que ça ne sert à rien de monter sur ses grands chevaux, et il se calme.

- Ouais. Avançons.

Ce n’est pas avec l’oiseau à côté de lui, pile entre sa roue et son bras, que ça va être facile… Le pilote tend sa main repliée vers l’animal qui ne bouge pas d’une plume. Bon. Il va rester là. Il lève donc les yeux vers son amie, confiant comme pas deux.

- Tu veux me pousser ? Je crois qu’il est bien installé là...

"Bien sûr." Elle a reprit un peu de son assurance, se glissant souplement derrière l fauteuil pour le pousser. Au début, c'est un peu lourd et la secousse surprend l'oiseau qui laisse échapper une protestation. Puis, elle prend le plis et sa démarche redevient plus égale, presque souple. Elle ne fait qu'un avec le sol, même lorsque celui-ci est artificiel. Elle ne sait pas où ils vont. Il y vont. C'est le principal. Son esprit retourne vers l'animal qu'ils ont sauvé ensemble et qui, donc, a une part de lui, une part d'elle, les mêlant dans son coeur sauvage.

"J'ai entendu parler d'un endroit qui n'est pas Mo'tuani, mais où vont les pirates et qui aurait des arbres. Tu connais ?" Providence est le nom qui a été prononcé. Elle ne sait pas où c'est. Les frères et soeurs du Ni'huan non plus. Cela doit être réservé aux étrangers qui combattent les envahisseurs. Elle pourrait accepter ça. que les pirates restent, mais loin, et que les autres s'en aillent. Ce serait un début. A terme, peut-être que tous développeraient une âme comme celle du mécanicien.