Qui soigne les médecins ?

Soigner. Soigner. J'y ai passé la nuit, on y a tous passé la nuit et y en a encore à soigner, à rassurer. A engueuler parce qu'ils sont pas venus plus tôt aussi évidemment, y en a qui vont devoir être amputés alors que s'ils étaient venus plus tôt au lieu de crâner on aurait pu sauver le membre merde. C'est pas parce qu'on remplace un bras presque aussi facilement qu'un speeder de nos jours que c'est anodin bordel ! En plus y en avait qui ont été empoisonnés, les espèces d'araignées-scorpions-horreurs là y en a qui avaient des dards, ou des crochets, ou des appendices, du coup comme c'était pas considéré comme grave par les pontes, entre deux plaies et deux membres broyés j'ai été verni. Sauf que si c'est grave putain. J'crois que j'ai vu la moitié des types d'envenimation du monde. Au moins. Venins nécrotiques et neurotoxiques surtout, comme certaines araignées ou les scorpions. Et c'est souvent mal ou sous-diagnostiqué, même ici sur Renaissance. Bosser sur une planète pareille et pas se renseigner un minimum sur la faune endémique et les risques qu'elle comporte ?

Bouffons.

J'espère qu'ils ont pas renvoyé tous ceux qu'ils ont vus avec un pansement et un corticoïde léger parce que sinon ça va être la merde. Faudra faire une annonce pour prévenir. Insister pour la faire. J'y ai passé tout le temps que j'ai pu, sur mes pauses, à essayer de prévenir les collègues de deux ou trois fois mon âge. Mais qui écoute les internes ? Y en a bien qui m'ont écouté mais il a fallu dévider la moitié du CV, et y en a quelques autres qui avaient déjà l'air de savoir, heureusement, j'leur ai demandé de m'appuyer. Bref, perte de temps mais pas complètement, au moins les miens ils ont leurs ordonnances avec les bons produits.

Pis après la nuit le matin, et entre deux microsiestes j'y ai aussi passé, je sais pas, des siècles j'ai l'impression. C'est bien. Ca m'empêche de penser à moi, d'écouter les gens et d'essayer de les aider. Mais au bout d'un moment même un Searuweard finit par disjoncter s'il dort pas un peu et quand ma première pensée face à une énième contusion a été "tiens ça ressemble à la purée d'aubergines du self à Valenos, faut lui prescrire du sel et du poivre" j'me suis dit qu'il était ptet temps de faire une pause.

Du coup j'suis sorti. Fait beau. C'est le soir. Déjà le soir ? Merde. Il tombe tôt en ce moment mais quand même. Dehors ça pue la poussière et les gens avec un fond de médocs et de sang, mais y a encore un bout de soleil. J'me laisse glisser contre le mur et je ferme les yeux, la figure au soleil. Piouh ça fait du bien. Deux minutes. Juste deux minutes...

"Ah bah t'es là !" La voix du rouquin n'est pas aimable. Ca fait un monde qu'il cherche partout son crétin de frère et il commençait à se dire qu'il allait devoir louer un véhicule pour chercher au fond de la jungle un crétin affolé qui aurait fuit les hommes pour tomber droit dans la gueule des Toor'kran. Non, il était pas inquiet. Ce n'était pas prouvable. Et d'ailleurs il n'était pas non plus inquiet de le voir a demi évanoui sur le sol. "J'ai failli me faire un sang d'encre. Ca t'es pas venu à l'esprit de me dire que t'étais vivant peut-être ? T'as pensé à ce que ça aurait fait à maman si tu avais été blessé ? Allez, lève toi, on rentre."

Tentacules. Sang. Tableau noir. Tentacules.

J'me réveille en sursaut en entendant qu'on m'engueule, complètement paumé, et qu... nan j'dors encore c'est bon. Wulf a aucune raison d'être là.

"Tain Wulf tu fais chier, va emmerder quelqu'un d'autre." j'marmonne sans broncher, en refermant les yeux. Le bras qui m'a caché le soleil le temps d'essayer de voir retombe vaguement sur mes jambes.

Y a bien qu'avec un rêve que j'peux réagir comme ça. Si c'est pas une preuve.

Sa main se lève pour lui flanquer une taloche mais il a l'air tellement à l'ouest qu'elle ne frappe que le mur. Il n'avouera jamais qu'il a eu peur et que la rengaine familière le rassure plu qu'elle ne le devrait. "Nan. C'est fini de faire la princesse et de te prélasser. Tu te lèves maintenant et si tu ne le fait pas de toi-même, je te préviens, c'est moi qui te porte par les oreilles. Je compte jusqu'à trois." Il veut le fâcher. C'est en hurlant qu'il se débarrassera dans l'horreur et à moins de se fâcher, Wynn, il garde tout en dedans. Il ne veut pas que son petit frère soit traumatisé à vie alors il accepte, pour cette fois, de servir de punching ball. Puis c'est que comme ça qu'il saura ce qu'il s'est vraiment passé pour le gamin. "Un"

"IH !"

Couinement de gonzesse. D'awäk. De truc aigu. Ca a tapé à côté de ma tête. Comme la porte avec Niaw. J'me retrouve à moitié couché par terre, tassé contre le mur et une pile de... trucs. Gravats ptet. C'est dur et ça fait mal.

"Putain Wulf mais t'es vraiment un CONNARD !" Si les yeux pouvaient tuer putain... "Pis qu'est-ce que tu fous là ?!"

Merci, pensée rationnelle.

Un cri de fille, super aigu. Il fait si peur que ça ? Faut le croire. Il grogne, croise les bras. "Bah dit donc, ça te fait plaisir de voir que je suis encore vivant, merci de t'être inquiété, vraiment, j'vois bien que tu n'en dormais pas. Allez, debout !" Il ne le prend pas au collet pour le remettre sur ses jambes mais c'est pas l'envie qui lui manque. Ca, l'avenir des Searuweard. Ils sont vraiment tombés bien bas avec l'accident de papa. "Deux."

"Ben non j'm'inquiète pas, pourquoi j'aurais dû m'inquiéter, la dernière fois j'me suis fait pourrir et encastrer dans l'asphalte alors ton sarcasme tu peux t'le mettre au cul et souffler un bon coup, et j'suis pas un môme alors compter un deux gnagna c'est juste minable, j'ai pas à t'obéir, j'ai vingt-quatre ans putain et j'ai vu assez d'horreurs pour trois vies d'puis hier, et toi t'en as vu ptet des monstres plein de fils et de trucs quand t'étais avec tes connards dans ton vaisseau de merde alors ferme ta putain d'gueule !"

Ouais, dans un monde où j'aurais eu des couilles j'aurais sûrement dit ça. En gueulant. Et ptet avec un pain dans la gueule au passage. Mais comme on est dans la vraie vie, j'dis rien, j'regarde mon abruti de grand frère m'engueuler avec des yeux d'awäk pris dans les phares d'un speeder, ou de gamin de huit ans terrifié par l'éventualité du "trois" - parce qu'avec maman et même papa y avait souvent un deux et demi et un deux trois-quarts, mais pas avec Wulf.

S'lever ? Non, j'y pense même pas.

Et s'il avait dit ça, ptet même que Wulf aurait été assez surpris pour rigoler. Il l'aurait quand même encastré dans le mur, faut pas déconner mais il aurait été fier. A la place, il a une espèce de flaque qu'à même pas forme humaine. "Trois." Les quarts et tout, il y a jamais rien compris. Quand on dit des choses, on les fait, on va pas tenter de trouver des bonnes raisons pour pas les faire. C'est la parole qui fait l'homme. Alors, en homme, il attrape son cadet par le cadet et le remet sur ses guibolles. Avec difficulté parce qu'il est devenu grand le crevard, à défaut d'être lourd. Au moins, il l'a pas fait par les oreilles. "Si j'te lâche, tu tombes ou bien tu te rappelles quand t'as appris à marcher ?"

Ih ! ...pas de beigne ? Merde alors. On me l'a changé c'est pas possible. J'sors un peu la tête des épaules, l'oeil perdu.

"...j'sais pas..." J'inspire un grand coup pour pas hoqueter. Faut que j'y retourne... encore... ça va aller. "Mais sérieux Wulf. Qu'est-ce que tu fous là ? T'as vraiment une sale gueule." Soigner. "T'es blessé ? Tu veux que j'regarde ?"

Ou que j'fasse regarder quelqu'un. Ca serait mieux ptet. S'il est blessé, ce con, je risque de mal le vivre.