Autour d'elle, le vaisseau vibre et chante. Les canons fleurissent en lances lasers et en détonations au silence retentissant comme seul l'espace en produit. Les deux navires valsent entre les mains des pilotes, au rythme des ordres de leurs capitaines. Les traits tirés d'effort et d'espoir, Varya rit et râle. L'accouchement va lui faire rater l'abordage. Elle ne s'en inquiète pas. Il y en aura d'autres. Le Téméraire a, après tout, une fâcheuse tendance à pourchasser toute proie qui passe à portée - parfois pour le butin, parfois pour l'adrénaline.
Sarrazin nait donc au milieu d'un combat spatial, le premier de son existence.

"Sarrazin !"
Le cri résonne dans les couloirs mais le gamin n'y répond pas. Pirate en mauvaise herbe, il glisse sous un établi, saute par-dessus une boîte à outil avec l'énergie débridée des enfants qui ne craignent rien. La certitude que quoi qu'il lui arrive ne peut être bien grave suit dans son sillage de boucles brunes, presque palpable.
"Sarrazin !"
Un rire de filou fait office de réponse. Hilarité puérile et course cessent net face à une silhouette familière.
Le gamin se redresse, une tâche non identifiée sur l'aile du nez et un éclat comme de la poussière d'étoile dans l'azur de ses yeux. Le respect un peu impressionné de son ton tranche avec un reste de nonchalance accroché au creux de sa fossette. Des bouts d'accents empruntés à toutes les origines coulent dans ses mots.
" 'jour Capitaine."
"Bonjour canaille. Je crois avoir entendu ta mère t'appeler."
La Capitaine hausse un sourcil à demi réprobateur, écaillant tout juste la bonne humeur du plus jeune membre à bord de son vaisseau.
"En fait", poursuit-elle, "je pense que tout l'équipage l'a entendue t'appeler, sauf toi. Mais puisque tu as de l'énergie à revendre, peut-être qu'il est temps de t'occuper à autre chose que faire tourner en bourrique ma quartier-maître et apprendre à tricher aux cartes."
Le rire que Sarrazin contient remonte dans son expression aux traits mobiles, impénitente. Il aime bien, lui, apprendre à tricher avec ses aînés. Il y a dans cet art-là une forme de jeu dans le jeu qui lui plait. Mais ce n'est pas ainsi qu'on gagne une place durable sur le Téméraire.
"Vous n'avez qu'à ordonner, Capitaine~"

"Alors tu nous quittes ?"
"Oui Capitaine."
Dans le jeune homme, elle retrouve le sourire chaleureux de l'enfant qu'elle a confié à son maître artilleur des années plus tôt. Les années cependant ont apposé sa marque sur le brun. L'adolescence l'a élancé, les premiers combats ont posé sur sa peau le sceau de cicatrices discrètes. Son rire sonne désormais sur une tonalité plus grave sans avoir jamais perdu sa légèreté.
"Tu nous manqueras, Sarrazin. Je ne te souhaite pas bonne chance, tu n'en auras pas besoin."
Il ne prend pas ombrage de la formule, y entend ce qu'il veut - qu'il est débrouillard, qu'il tirera son épingle du jeu. Quelques instants plus tard, le regard de son ancien officier le suit alors qu'il se perd dans la foule de l'astroport. Il faut plus de temps à Varya pour se détourner. D'une main sur l'épaule de la mère du jeune homme, la Capitaine la rassure :
"Il s'en sortira, Varya. Il tient de toi."
La brune au teint d'or sourit doucement, un peu inquiète malgré la voix de la raison.
"Il faut bien. De qui d'autre tiendrait-il ?"

Quelqu'un hurle dans son HCom. Il le sait parce qu'il le voit, au travers des interférences. Il n'entend en revanche rien d'autre que le bourdonnement assourdissant de l'explosion de plus tôt. Ce n'est pas grave. Il en devine distraitement le sens - ce sera quelque chose sur le fait qu'il aurait pu rester un peu moins longtemps à son poste, tirer une salve de moins. Être un peu moins teigne. Le sol tangue follement sous ses pieds, à moins que ce ne soient ses jambes qui le trahissent. L'air à l'intérieur des coursives brûle et se raréfie. Il devrait entendre les alarmes. Il devrait voir plus, même au travers du sang et de la suie. Mais s'inquiéter lui prendrait l'énergie nécessaire à pousser le bouton d'ouverture du pod de survie.
Pod au complet. Visages familiers, plus ou moins balafrés, plus ou moins choqués. L'ignition les arrache de justesse au dernier rugissement muet du Lionroar.

"Au moins, l'explosion n'a pas eu l'oeil avec lequel je tire", qu'il déclarera, goguenard, au médecin qui le prend en charge. Ça ne fait rire que lui.

Sous ses doigts mouchetés de brûlures, les parfums se mêlent et se libèrent - rhum, épices, fruits exotiques, sirops et alcools de tous les horizons. Les verres promènent des liquides de toutes les couleurs de la galaxie alors que le brun transporte ses plateaux et fait glisser les verres le long du comptoir, le geste et son oeil désormais unique aussi sûrs que jamais. Il jongle avec les shakers, le soir, pour faire rire les nouveaux clients et joue à lancer fléchettes et couteaux avec les habitués. Dans la chaleur de sa voix quand il parle du temps où il naviguait, la Flamme jamais éteinte brûle d'une intensité ourlée de nostalgique.
"Tu sais que ta Flamme ne se contentera pas d'être noyée de rhum ?" lui demande un quartier-maître de sa connaissance et il rit et tourne la tête pour pouvoir prétendre ne pas l'entendre. Au creux de son oreille, entre les boucles d'or à ses lobes, le bourdonnement de la mort du Lionroar lui susurre de repartir.
"Qu'est-ce que tu fais encore à terre ?" ose une vieille connaissance du Téméraire - et Sarrazin hausse les épaules quand son accent chante pour répondre :
"J'attends quelqu'un."