[Vanguardia] De la glace sur les bleus [Barto]

Il n’y a presque plus de gaze.

- Où avez-vous mal ?

Il va bientôt manquer de désinfectant.

- Tendez votre jambe.

La peau de ses mains le tire tellement il les nettoie entre deux examens, ses yeux peinent à rester ouverts, mais il s’accroche.

- Montrez votre crâne.

Et c’est fini avec les invités.

Et ça reprend avec les membres d’équipage du Vanguardia dès qu’ils retournent sur le vaisseau. Ce sont ses propres réserves de matériel, ce sont des examens plus approfondis, mais les blessures sont globalement les mêmes, les problèmes se répètent. Des plaies, des os brisés, des esprits blessés.

- Enlevez vos vêtements s’il vous plaît...

Il convoque le dossier de “de Caetano, Bartolomea” sur son écran de HCom et le parcourt avec lassitude. Interface, pas de gros antécédents. Il revoit très bien ses cheveux trop colorés au milieu de la prise d’otages. Dix heures de sommeil misées sur “des pansements et des somnifères”.

- … Pour que je puisse vérifier si vous n’êtes pas blessée. Est-ce que vous avez mal quelque part en particulier ?

Gants, et un peu de courage pour continuer à avancer. Il peut y arriver.

La robe de soirée marine est déchirée, salie de sueur, de sang, de chocolat et de framboise. Elle avait coûté cher pourtant, quel gâchis. Bartolomea n'a plus ses boucles d'oreilles, laissées pour une bonne cause à la propriétaire du Crust. Elle n'a plus ses épingles pour relever ses cheveux, et sa tresse est à moitié défaite faute d'un ruban pour la nouer. Au moins elle a pu rincer ses bras et son visage pendant que les blessés étaient pris en charge. Elle colle moins.

Elle se dégoûte toujours autant.

Elle aurait payé cher pour une vraie douche, un de ces pyjamas ignoblement moches mais délicieusement confortables et réconfortants, et pour une nuit de vingt heures.

Cent balles et une barre chocolatée.

Impossible de prendre une douche avant l'examen, sa tenue de nuit est strictement fonctionnelle, et de toute façon elle est certaine de ne pas dormir cette nuit.

Quand c'est enfin à son tour d'être examinée, elle ne remarque pas l'état du médecin. Il lui revient en revanche qu'il n'était pas des plus lucides quelques heures plus tôt, à tout le moins. Il trouvait son nez amusant.

"Rebonsoir docteur." elle salue, un rien pince-sans-rire, levant un bras pour aller chercher les boutons fermant sa robe. "Au bras, et je veux bien que vous regardiez par ici." De sa main libre, elle désigne l'arrière d'une cuisse. Pas de quoi l'empêcher de marcher, mais elle n'arrive pas à voir ce qu'il en est. "Qu'en est-il pour vous ?"

- Bras et cuisse, très bien, je regarde ça.

Et lui ? Oh, lui ce n’est pas si grave comparé aux plaies qu’il a vu. Il a juste envie de dormir pendant trois jours et de prendre des nouvelles de son père, ce n’est rien.

- J’ai mal à la mâchoire, explique-t-il platement, mais au moins le gaz n’était pas mortel.

Et les mutants non plus malgré leurs efforts.
Vako attrape son plateau plein de matériel pour l’approcher de la jeune femme et décide de commencer par le bras, plus facile d’accès. Et un peu collant. Il va commencer par mieux nettoyer la peau avant de se pencher sur la plaie.

- Mentalement ? Est-ce que vous tenez le coup ?

"Ca ira." répond-elle, peut-être un peu plus sèchement qu'il n'est bienséant.

Il ne s'est rien passé de si grave après tout, n'est-ce pas ? Ce n'est pas comme si elle venait de vivre une prise d'otages, de la briser au mépris de tout bon sens sur la seule intuition qu'un homme allait de toute façon faire quelque chose de stupide et qu'il n'y aurait pas d'autre solution alors que le suivre dans sa folie et renverser la situation pour éviter les représailles. D'être blessée par des créatures qui l'auraient tuée. De les tuer.

Ce n'est pas comme si c'était la pire soirée qu'elle ait jamais passée et sans doute la plus dangereuse.

"Ca ira." répète-t-elle plus doucement, alors que le premier bouton cède enfin.

Il en reste encore n-1, elle arrivera certainement à tous les défaire avant le lendemain. A une main. Haut les coeurs !

"Si le besoin s'en faisait sentir, je reviendrais demain évidemment." ajoute-t-elle tout de même, pour ne pas passer pour la trop fière qu'elle est pourtant un peu.

Elle observe le plateau et les instruments qu'il soutient d'un oeil circonspect. Ce n'est pas parce qu'on ne couine pas d'horreur comme certains de ces messieurs qu'on est forcément heureux à l'idée de se faire tripoter la viande. Elle préfère chercher le regard du praticien - qui, n'avait-elle peut-être jamais réalisé, n'est pas bien plus âgé qu'elle.

"Nous nous en sortons bien n'est-ce pas." murmure-t-elle.

Elle dit “ça ira”, il comprend “donnez-moi des somnifères et revenez me poser la question dans deux jours”.
Elle dit “nous nous en sortons bien” et il entend “rassurez-moi”, alors Vako laisse de côté un instant les soins mécaniques, repousse un peu plus loin sa fatigue, convoque un pauvre sourire épuisé sur ses lèvres.

- Oui. Nous sommes en vie et nous avons aidé ces gens qui n’auraient sans doute pas pu se défendre sans nous. Nous nous en sortons bien malgré les dégâts et vous avez été brave là-bas. Vous avez aidé à ce que nous puissions parler là tous les deux.

Il est sincère. Il ne la quitte pas du regard, énonce très clairement ses mots pour qu’ils portent mais surtout, il est d’une sincérité absolue.

- Mais vous avez le droit de laisser les choses vous toucher, mademoiselle de Caetano. Ce n’est pas parce que nous nous en sortons bien que l’expérience n’a pas été difficile pour tout le monde. Et si ça vous aide à relativiser, ou à ne pas vous sentir seule, je compte prendre des cachets pour dormir parce que je suis certain de faire d’horribles rêves.

Il n’a aucun mal à avouer la chose face à Bartolomea, conscient qu’il peut l’aider à accepter son aide si elle comprend qu’il sait ce qu’elle peut ressentir, à sa manière.
Même s’ils s’en tirent bien. Ou du moins pas si mal.

Alors que le docteur Montagne lui dit exactement ce qu'elle avait envie - besoin - d'entendre, elle se laisse aller à un léger sourire. Bien vite son regard se durcit pourtant. Evidemment qu'il va faire d'horribles cauchemars. Evidemment qu'il va prendre des somnifères et qu'il va lui en proposer dans trente secondes.

Evidemment qu'elle n'en veut pas.

"Je vois." répond-elle tout de même, doucement, comme si elle n'était pas en train de réaliser qu'elle avait aussi serré les dents.

Elle veut voir. Elle veut savoir à quel point son inconscient sera insistant, s'il saura être plus fort que sa volonté qui pour l'instant repousse tout en bloc. Si la fatigue sera plus forte que le reste. C'est presque morbide à bien y réfléchir, mais se fuir dans deux comprimés sans même savoir si l'adversaire le mérite, c'est inconcevable. Ce n'est simplement pas digne. Et quand bien même elle a pu arborer pendant les combats une robe retroussée à mi-cuisse ou encore plus haut, elle est restée parfaitement digne.

Et puis ce n'est pas comme si elle avait l'intention de se comparer à un Trinitaire, quand bien même il serait le médecin du maudit vaisseau corsaire où elle a été affectée.

"Aviez-vous déjà rencontré de ces créatures ?" esquive-t-elle.

Pour l'essentiel, après tout, ils ne valaient guère mieux que la faune de Renaissance. La bipédie en plus. Le discours pour certains. Au moins un. Elle s'est bien gardée de l'approcher celui-là.

Bartolomea est une anguille. Elle glisse dans la conversation, lui échappe des mains, esquive la suggestion des somnifères pour elle aussi.
Il soupire.
S’asseoit sur un tabouret en attendant que sa patiente n’arrive à enlever sa robe, parce qu’il est presque certain que son aide serait malvenue.

- Non.

Il a croisé beaucoup de personnes différentes pendant sa vie, aussi courte soit-elle, mais aucune des créatures sentientes face auxquelles il s’est trouvé ne ressemblait à celles de la prise d’otages.

- Je n’ai aucune idée de ce dont il s’agit. Je ne me souviens pas d’histoires de mon père comprenant des choses comme celles-là et pourtant, il a voyagé une bonne partie de sa vie.

Un soudain doute horrible lui vient, lui serre la gorge. Il ne faut pas y penser, surtout pas, il faut chasser la peur de son esprit sinon il n’arrivera plus à rien alors qu’il y a encore des gens à aider.

- Mais j’espère qu’il s’agissait de créatures isolées, que la menace est repoussée grâce à nos efforts. Que nous pourrons être convoqués par les autorités de votre fa… De l’Impérium, faire un rapport, et retourner à nos activités habituelles.

Et qu’il n’y a eu d’attaques nulle part ailleurs.
Que son père va bien.

N-2, n-3. Si les robes élégantes qu'affectionne la jeune femme ont un inconvénient, c'est bien de ne fermer que par une ribambelle de minuscules boutons. Les fermetures éclair envoient un mauvais signal - ou plutôt un signal qu'il ne fait pas toujours bon envoyer. Il n'aurait pas fait bon l'envoyer la veille.

Un instant Bartolomea est tentée de répondre qu'elle a une idée, elle, de ce que pouvaient être ces créatures. Elle s'est renseignée, quand elle a su qu'elle était affectée dans le cloaque du monde. Visiblement quand on y naît et qu'on y grandit, on ne prend pas cette peine. Et puis la langue du jeune homme trébuche, et tout est dit. Vako Montagne-le Grandier n'est pas plus impérial qu'elle n'est pirate. Alors ses théories, elle les garde pour elle.

"Soyez certain que nous serons sous peu en contact avec l'Imperium." Dans un monde idéal, ce devrait même être fait depuis plusieurs heures. "C'était peut-être une attaque isolée. Espérons-le."

Sa voix est détachée, factuelle, froide. Piquante peut-être, suite au lapsus. Et il entendra certainement le "mais" informulé.

Ils n'avaient pas le comportement d'individus aux abois, ou qui n'auraient jamais vu d'humains. Ils n'ont réclamé ni nourriture, ni armes, ni rançons y compris quand la diplomate en a proposé. Elle en déduit déjà certaines choses - que le médecin n'a aucun besoin de savoir.

N-4.

Quant à savoir si c'est le chocolat ou la framboise qui leur faisait cet effet...

"Sans de plus amples informations nous n'avons pas vraiment d'alternative."

- Espérons-le.

Il ne veut pas penser au “mais”. Il le refuse. Les implications seraient trop terribles, trop angoissantes, pour le médecin déjà à fleur de nerfs.
Il n’y a pas de “mais”.
Pas plus qu’il n’y a de ressentiment pour la froideur de sa patiente. Il ne peut pas en vouloir à une jeune femme en état de choc de mal le traiter alors qu’il n’est pas capable de trouver ces comportements graves lorsque tout va bien. Nom trinitaire et vaisseau corsaire de l’Impérium ne font pas bon ménage, c’est tout.

- Nous n’avons plus qu’à attendre que la Capitaine contacte ses supérieurs, j’imagine. Et à soigner nos plaies en attendant.

Ce qui semble signifier, dans l’immédiat, l’activation de la bouilloire de Vako. La navigatrice semblant mettre du temps à ôter ses boutons, il peut se permettre de se préparer un thé. Il peut même lui en proposer en levant une tasse vide.

- Je vous fait un thé ?

"C'est sans doute ce qu'il y a de mieux à faire." admet la jeune femme. Que chacun fasse ce qu'il doit faire et les vaches seront bien gardées. "S'il vous plaît."

N-5, on accélère un peu on dirait. N-6 et oh ? Se pourrait-il que le suivant cède sans combattre ? Se pourrait-il qu'il ne reste alors plus que trois boutons ?

"Ces robes ne sont définitivement pas prévues pour les urgences médicales." commente-t-elle néanmoins à mi-voix, luttant avec n-8 qui fait de la résistance.

Deux thés alors. Il sort les infuseurs, s’applique à les remplir de la meilleure infusion qu’il possède, celle cachée au fond d’un tiroir pour la préserver des éventuels pillards de biscuits et boissons chaudes.

- Les robes ne sont pas prévues pour grand-chose de pratique, répond-t-il avec douceur.

La tasse de Bartolomea est posée près d’elle, juste hors de portée d’un mouvement brusque. Celle de Vako reste entre ses mains pour les réchauffer.

- Mais nous n’étions pas supposés sortir de nos vêtements pour nettoyer des plaies. Et votre robe était parfaite pour une soirée mondaine.

En plus de lui faire une silhouette très agréable. Cette remarque très peu professionnelle reste bien au chaud dans sa tête, pour ne pas risquer de provoquer d’incident diplomatique.

Quelque part Bartolomea aimerait bien pouvoir se débarrasser de la robe en quelques coups de ciseaux, mais cela lui semble bizarrement hors de propos. Déplacé, presque. Elle n’est pas en urgence vitale après tout, il y a tout de même un minimum de dignité à conserver même dans ces situations. Elle se demande où est passé son flegmatique cavalier aux éclats de verre dans la jambe, qui n’a pas bronché de la soirée et l’a fort courtoisement accompagnée jusqu’au dénouement… alors qu’il devait être au supplice.

"C’était sa dernière soirée je le crains." commente-t-elle avec une note de résignation, en soulevant un pan déchiré. Elle avait coûté cher. "Il faudra que je trouve un tailleur décent à Alegria." N-8 cède enfin, et elle glisse la main autour du thé avec un léger sourire, dessous apparents à travers l’ouverture. "Merci. Ce n’est pas exactement prioritaire de toute façon, je doute que nous aurons le loisir d’aller danser pendant quelques temps." murmure-t-elle.

Lentement, elle porte la tasse à ses lèvres.

- C’est dans ce genre de cas que je suis heureux de n’avoir d’une chemise à changer, souffle-t-il.

La robe doit avoir coûté une petite fortune alors que la chemise couverte de tâches de sang de Vako vaut une poignée de crédits. Le gilet bordeau pourra peut-être même être rattrapé avec un bon lavage. Vraiment, il se rend compte de l’avantage de l’habillement masculin en cet instant.
Au lieu de précipiter l’examen, il laisse Bartolomea boire tranquillement son thé. Il y a encore des patients après mais il serait cruel de presser la Navigatrice. Elle en a déjà trop vu ce soir.

- Peut-être pourrons-nous danser dans quelques semaines. Peut-être pas, mais il ne faut pas penser que nous allons passer des mois à être sérieux et tristes.

Ce serait bien trop triste, justement. Ils auront tous besoin d’un moyen de décompresser. Une fête avec des danses semble être un bon moyen de faire retomber le poids qui s’accumule en ce moment sur leurs épaules.
Le médecin ferme les yeux pour les reposer un instant.

- Le monde va de toute façon continuer à tourner… Quels que soient les ordres pour nous suite à cette attaque, il y aura des occasions de faire la fête.

C'est en voyant le thé s'agiter dans la tasse qu'elle se rend compte que sa main tremble. Oh, pas beaucoup, mais bien trop. Elle ne devrait pas trembler. Il n'y a pas de quoi. Pas de morts. Elle n'est même pas blessée sérieusement. Elle se fiche d'avoir une dizaine de raisons à aligner sans même réfléchir pour qu'il soit parfaitement normal de trembler, elle vaut mieux que tous ces pendards de corsaires et elle. Ne. Doit. Pas. Faillir. Elle fronce les sourcils, ce qui lui donne un air boudeur de poupée, et fixe le liquide comme s'il allait se figer par la seule injonction de son regard.

Malheureusement, le monde ne marche pas comme ça et comme s'il avait senti qu'il avait son attention, le thé danse de plus belle. Elle en prend une gorgée pour essayer de sauvegarder les apparences et le repose un peu trop sèchement.

"Sans doute oui." répond-elle distraitement. "Il y a toujours des occasions. Pourrons-nous les saisir, c'est une autre affaire."

Et y aurons-nous le coeur ? Elle pense que non. Mais il vaut mieux qu'elle aille occuper ses doigts indisciplinés avec n-9 et le petit dernier. Elle comprend mieux pourquoi ces fichus boutons étaient aussi longs à défaire à présent. Mais ils ne devraient pas. Et les deux derniers ont intérêt à se laisser faire.

- Il faut penser que nous serons là pour les saisir.

L’inverse serait trop triste. Trop défaitiste. S’il avait été incapable de voir des avenirs lumineux, des lendemains tranquilles où tout va mieux, Vako ne serait même pas là pour parler. Il n’y aurait pas la vapeur chaude du thé pour lui caresser le visage, l’émail de la tasse si lisse sous ses doigts, et ce serait également une chose triste.
Il ouvre les yeux, regarde avec bienveillance la Navigatrice au caractère compliqué.

- Si vous vous rendez compte que vous avez souvent des pensées négatives dans ces prochains jours, venez me voir. S’il vous plaît.

Oui, il remonte au front pour les dommages psychologiques. Il est bien obligé de le faire. Le moment n’a pas l’air si mal choisi pour une tentative.

- Si vous avez simplement envie de parler, n’hésitez pas non plus. Ma porte est toujours ouverte. Je serais ravi de vous aider de quelque manière que ce soit.

Même s’il a plus envie de dormir que d’aider, même s’il ne tient debout qu’à la force de la volonté, il est prêt à être disponible jour et nuit pour les autres. C’est ce que font les médecins, non ?

Oh, ils seront là certainement. Mais ils auront sûrement autre chose à faire.

Le regard torve qu'elle lui jette quand il évoque les "pensées négatives" qui pourraient l'assaillir offre un contraste étrange dans son beau visage d'ordinaire si policé. Il disparaît bien vite dans une grande inspiration, après tout il est difficile d'en vouloir à un médecin de faire son travail. Sa voix est à peine plus cassante qu'à l'accoutumée lorsqu'elle prend la parole.

"Je vous remercie, je pense que ce ne sera pas nécessaire."

Ce ne sera pas nécessaire. Elle n'a aucune raison d'en avoir besoin. Elle est encore moins ouverte à l'éventualité qu'à son arrivée, parce qu'elle a encore plus peur d'en avoir besoin et il n'est pas séant d'avoir peur. Pour se détourner de ces billevesées, elle remonte à l'assaut de n-9 qui finit par céder, et de guerre lasse décide que n-10 se passera de ses attentions.

La robe tombe enfin, dévoile des dessous de dentelle sobres, sombres et évidemment assortis. Elle n'avait aucunement l'intention que quiconque les voie ce soir-là, mais porter une belle robe et des dessous mal ajustés ou mal assortis aurait été ridicule. Il s'agit de ces détails qui comptent.

Ce sera nécessaire. Il n’en doute pas un instant.
Mais forcer un patient à parler n’a jamais rien apporté. Il ne veut pas la braquer plus que de raison, la demoiselle De Caetano qui déjà menace de lui filer entre les doigts à chaque instant. Il répond donc aussi doucement qu’il le peut.

- Très bien.

Il abandonne. Il a tendu sa main, il ne la reprendra pas, mais il ne la poussera pas plus vers elle. Ce n’est pas très grave, se persuade Vako en observant le mur alors que le dernier bouton cède. Il y a d’autres membres d’équipage qui accepteront d’être soignés, eux.

- Installez-vous sur le ventre, s’il vous plaît.

Il n’y a pas de remarque sur les sous-vêtements parce qu’il n’en a rien à faire. Il a plus important à observer que l’harmonie de couleurs et de tissus entre bas et hauts, que tout ce qui n’est pas médical en fait.
Sa tasse finit dans l’évier, ses mains sont lavées, et il enfile ses gants pour l’examen.

- Je vais commencer par inspecter l’arrière de votre cuisse.

Aldéric lui a toujours dit d’expliquer ses gestes pour éviter une mauvaise réaction. Il préfère se concentrer sur le bon conseil plutôt que sur l’absence de nouvelles de son père.

- Puis je vous demanderai de vous asseoir sur la table d’examen plus votre bras et le reste des vérifications. Si vous avez une objection, dites-le moi maintenant.

Enfin on en arrive à la raison de sa présence ici. Maudits boutons. Elle obtempère sans se faire prier, mais avec une grimace quand elle remue sa jambe douloureuse, à un moment où le médecin a le dos tourné. Elle guette, évidemment, tout regard ou tout geste malvenus, ne saisit rien au vol et s'en rassure. Ce n'est pas comme si les médecins étaient tous totalement désintéressés, ils restent des hommes et des femmes au même titre que le clergé de la Trinité.

"Faites votre travail, docteur Montagne." elle commente simplement quand il demande si elle a des objections.

Après tout, tant que ça n'implique pas de la faire parler de ses éventuelles pensées négatives, il est là pour ça.

S’il n’y a rien à redire… Il peut se pencher sur les cuisses découvertes, y découvrir -justement- un vilain hématome surmonté de peau éraflée.

- Vous avez pris un choc d’ici, explique-t-il en effleurant un point de jambe, à là. Ce n’est pas une grosse plaie. Vous avez de la chance.

Mais il faut désinfecter. Il s’y applique avec ses éternels gestes doux, de ceux qui évitent autant de douleur que possible, sans contraindre sa patiente à l’immobilisme.

- Les égratignures se résorbent vite, le bleu devrait mettre un peu plus de temps. Je vais vous laisser partir avec une crème pour ça. Il faudra en mettre matin et soir.

Cette fois, ce n’est pas une proposition. Le ton de Vako se durcit juste un peu lorsqu’il prend son manteau de médecin autoritaire attaché au respect des traitements. Le seul bon patient est celui qui suit son ordonnance à la lettre. Il espère vraiment que Bartolomea sera de ceux-ci.

- Et je vous donnerai une poche de glace. Vous devrez éviter les entraînements quelques temps.

La jeune femme se laisse ausculter, fronce légèrement les sourcils de contrariété comme de douleur quand il la touche mais ne bronche pas. Les explications accentuent son expression renfrognée.

"Bien." Que répondre d'autre, de toute façon ? Ce n'est pas comme si le ton du médecin avait la moindre influence sur sa réaction, simplement elle sait très bien ce qu'on risque à surestimer son corps. "Une semaine suffira-t-elle ?"

Il réfléchit une seconde, pas plus. C'est un instant durant lequel Vako cesse son travail de désinfection pour regarder droit devant lui, avant de se remettre à travailler. Il se rapproche même un peu de la jambe de la navigatrice pour vérifier l'absence de bouts de verre dans les éraflures.

- Non. Il faut au moins deux semaines pour résorber un hématome correctement et le votre est très étendu. Vous pouvez bien sûr ignorer mes conseils et vous dire au bout d'une semaine que vous avez moins mal et que vous voulez reprendre votre vie. Je ne dirais rien si je vous vois dans les salles de sport.

Plus il remonte la cuisse de Bartolomea, plus il fait attention. Ses gestes se font plus froids, plus légers, pour que rien ne lui soit reproché.

- Ce sera simplement inconfortable pour vous. Rien de dramatique. Vous avez évité le pire et l'hôpital militaire vous aussi.

Et il grimace imperceptiblement à l'idée de devoir aller, lui, dans un de ces hôpitaux. Il préférerait s'opérer seul que d'affronter des médecins inconnus.

- Mais ce n'est pas un passe-droit pour ne pas suivre mes prescriptions, précise-t-il un peu sèchement.

"C'est entendu." Elle est beaucoup plus disciplinée sur la question des soins physiques que psychologiques, à n'en pas douter. Peut-être dix jours, elle décide, si l'attente se fait vraiment trop insupportable. "Je suivrai vos prescriptions, je n'ai pas envie de gâcher ma chance." Elle regarde devant elle, frustrée néanmoins. C'est long, deux semaines. "Une rééducation quelconque sera-t-elle à prévoir après ces deux semaines ?"

- Non. Sauf si vous avez l’impression qu’il vous en faut…

Les éraflures ont l’air saines. Ne souhaitant pas passer plus de temps que nécessaire à observer les cuisses d’une dame impériale légèrement caractérielle, il s’éloigne pour préparer de quoi faire un pansement, pour laisser de l’air à la navigatrice aussi.

- Si c’est le cas, vous pouvez venir me voir. Je sais que vous… Que les membres de cet équipage sont fiers.

Et bornés. Parfois jusqu’à la faute, souvent jusqu’à la faute, mais il ne peut pas dire ses pensées. Il arrive que la mentalité impériale l’agace. Qu’il regrette les patients plus faciles à traiter d’Espoir ou de culture trinitaire. Mais vraiment, ce ne sont pas des choses à dire.

- Mais je ne vous jugerai pas et je ne parlerai pas de ce qui se passe entre mes patients et moi. Vous pouvez me demander une rééducation ou autre chose, ce dont vous avez besoin, sans vous compromettre.

"Si je nourrissais le moindre doute quant à votre discrétion professionnelle, docteur, croyez bien que je me serais contentée d'un miroir et de désinfectant." commente-t-elle d'un ton pince-sans-rire.

Mieux vaut le prendre ainsi que lui faire remarquer que si c'est une tentative de ramener le sujet des calmants sur la table, alors le jeune et bienveillant médecin de la Vanguardia peut tout de suite se fourrer le doigt dans l'oeil jusqu'à la gorge, étant entendu que l'oeil ne désigne pas ici l'organe de la vision.

- Si vous nourrissiez le moindre doute sur ma discrétion, professionnelle, je suis certain que je ne servirai plus sur ce vaisseau.

Il faut parfois être honnête et avec sa voix sèche, Vako l’est en cet instant. Il est certain que si mademoiselle De Caetano trouvait quelque chose à lui reprocher qu’elle puisse véritablement faire remonter à sa hiérarchie -son implication professionnelle, le passif de son père, ses propres particularités-, il serait débarqué à la première escale.
Il se rapproche de nouveau avec sa gaze, son sparadrap, et ses sourcils froncés de concentration pour appliquer les pansements.

- Et vous vous contentez déjà de désinfectant et d’un peu de gaze...

Si ce n’est pas une métaphore fabuleuse pour le peu de confiance qu’il pense placée en lui, il ne voit pas ce que la situation pourrait bien être de plus.