Non-urgence?

"Mais puisque je vous dit que j'ai deja eu les premiers soins! Y a des gens plus gravement touchés que moi!"

La rouquine qui résistait aux secouristes, c'était bien évidement Audrey. Ça faisait trois fois qu'elle s'enfuyait de la fille d'attente des gens à soigner et ça faisait quatre fois qu'on l'y ramenait. Mais elle continuait à maintenir qu'elle n'avait pas besoin de soins urgents, contrairement aux autres bougres.

"Votre pansement est sale, madame. Je me fiche de savoir si on vous a soigné, il faut vous resoigner, ou vous serez bientôt une urgence. Alors vous cessez de vous enfuir ou je vous attache."

La cuisinière leva les yeux au ciel en soufflant bruyamment. Ce faisant, son regard se posa sur le médecin vers qui on l'amenait:

"Oh, Salut Wynnstan. Tu vas bien?"

J'ai perdu le compte au douzième. J'ai l'impression d'être dans une usine. Une charcuterie ptet. Cassagnac au moins il coupait proprement. J'ai pas appris la médecine de guerre, j'ai pas appris à soigner les morsures et les coups de cornes de "mutants", j'avais lu un truc sur les mutants à une époque. Mais j'ai traité des trucs qui ressemblaient. Pis y a plein de gens qui se sont pris des gravats dessus. Ca j'ai traité aussi. Je sais faire. Et puis comme je suis jeune et pas diplômé ils m'ont pas filé les cas les plus graves, pas les tripes à l'air et les amputations des deux jambes quoi, ça c'est les docs de l'armée et de la police qui s'en occupent quand ils sont dispos. Ils ont l'habitude. Plus que moi toujours.

Je me lave les mains après le dernier patient. J'ai déjà oublié ce qu'il avait. On m'en amène déjà un autre. Qui m'appelle par mon nom. Je me retourne. Roux. Surprise. Audrey. Elle a l'air en forme. A part le gros pansement sur son bras.

"Qu'est-ce que tu fais là toi ? Tu bosses plus au Runny ?"

Non j'vais pas bien non. Mais au moins quand j'ai du désinfectant, une aiguille ou un bandage dans les mains, je tremble pas. Je pense pas. Je pense pas parce que je sais faire. J'ai déjà fait. J'ai déjà sauvé. J'soupire.

"J'suis pas blessé. Installe-toi, j'arrive." J'me sèche les mains. "Qu'est-ce qui s'est passé, raconte-moi."

Qu'est ce qu'elle faisait là? C'était une rudement bonne question. Elle avait au moins deux endroit ou elle aurait du se trouver plutôt qu'ici. Le Cerberus et le Runny. Mais non.

"C'est compliqué. En gros. J'ai rendu visite à mon père."

Ouais. Pas besoin d'expliquer le Cerberus. La clef du mystère était là. Elle avait dit "oui" quand Papa avait dit "Tu viens à la fête du Sommeil?". Quelle idée...

Papa... Il n'était toujours pas là.

La rouquine repoussa cette pensée. Elle qui était joyeuse de croiser Wynnstan une seconde auparavant.

C'était l'épuisement. Elle n'avait pas dormis depuis des heures. Lors de la longue attente dans le refuge, elle n'avait pas dormis, incapable de se laisser aller avec ces montres a une porte de là. Depuis elle tenait sur les nerfs. Elle avait emprunté un HCom pour envoyer un message à son pere. Il lui avait répondu brièvement. Il était vivant, content qu'elle aussi, mais il devait nettoyer les rues avec son unité.

Et depuis, elle ne pouvait pas dormir. Elle avait besoin de voir Papa. Vivant.

La question de Wynnstan perça ses pensées.

Qu'est ce qui lui était arrivé?

"Le vaisseau est tombé. Je suis tombé dans un bassin... J'ai marché dans les égouts... Et on s'est réfugié dans un abris du métro."

Une idée lui traversa l'esprit:

"Ha! A mon bras? J'ai tué un de ces monstres. Avec une Pioche. Mais il m'a touché avant de mourir. Sale bête. Il nous bouchait l’accès à l’abri."

Bassin, égouts, métro. Qu'est-ce que c'est que cette histoire ? Je hoche la tête quand même, genre j'ai tout compris. J'aurai oublié quand elle sera partie. Pourtant je sais que je retiendrai tout, que si on me demande ça ressortira, que les souvenirs se tricoteront entre eux pour reconstituer le tableau et que si j'avais des rapports à faire je saurais quelles horreurs associer à qui, et je verrais sûrement apparaître une logique d'ensemble. C'est comme ça que ça marche chez moi.

"Tu as tué un de ces trucs." je répète bêtement. Je savais qu'elle était dangereuse mais à ce point ? Misère. "Je vais regarder ton bras. Tu es blessée ailleurs ?" J'ausculterai quand même hein c'est pas la question. Mais pour savoir.

"Ouais. Il nous bloquait l’accès à l'abri."

Audrey soupire quand le médecin décide de regarder son bras. Ce n'est pas comme si c'était grave... Mais bon, pour Wynnstan, elle peux faire un effort.

"Non. Je crois pas. A part mon bras, je vais bien."

Puis l'idée qui germait dans son crane depuis quelques heures resurgit et s'étoffe.

"Je vais envoyer un télégramme à Wulf. Pour lui dire que je vais bien. Je peux ajouter un ou deux mots au message, si tu veux. Tu veux que je dise que tu vas bien aussi? Ça lui fera plaisir."

"Mh."

Genre il lui bloquait l'accès et elle l'a buté comme ça, comme si c'était facile et rien du tout. Bien sûr.

Cette fille est un monstre putain.

"J'veux bien ouais c'est gentil, je sais pas quand je pourrai." Pis j'ajoute dans la foulée, déjà la tête et la voix de retour au boulot : "Je vais quand même te demander d'enlever tes habits s'il te plaît."

Ouais euh. J'réalise vaguement en le disant que ça sonne beaucoup moins bizarre quand on le dit à quelqu'un qu'on connaît pas, qu'on reverra jamais plus et qu'on vouvoie. J'me mords les lèvres pour pas m'étaler en justifications qui vont rendre ce bordel encore plus bizarre et j'continue à m'occuper, rangeouiller un peu. Reste en mode pro Wynn parce que là si tu commences à te poser des questions t'es foutu.

Non, ca n'avait pas été facile. Non, ca n'avait pas été rien du tout. En s’élançant, une partie de l'esprit d'Audrey avait été certain de mourir. Mais elle avait réussis, par un improbable miracle, elle avait réussis. Et depuis elle refusait de s'attarder sur la question. d'y réfléchir. Ou la panique rétrospective la submergerait.

"Ok, je ferais ça. Je lui dirait que tu es vivant."

Puis il lui fit une demande étrange.

"Me déshabiller? Pourquoi? Je ne suis blessé qu'au bras."

Mais, par bonne volonté, elle consentit à ôter son Tshirt, pour moins gêner le médecin dans son accès au pansement. Ce faisant, elle révéla un très joli soutient gorge en dentelle rouge qui s'accordait... étrangement à ses cheveux. (Ok, ça jurait. Mais elle aimait le rouge... Alors elle n'en portait certes pas dans ses vêtements, ou c'était visible, mais sur ses sous vêtements que personne ne voyait jamais, elle se faisait plaisir.)

"Ouais c'est gentil, merci."

Et pour environ la millième fois d'la... nuit ? Journée ? J'sais même pas quelle heure il est. Bref, pour la millième fois au moins, j'explique avec ma voix un peu neutre et beaucoup plus assurée que... ben tout l'reste du temps :

"Pour vérifier qu'il y a rien d'autre ailleurs. Des fois on se rend pas compte qu'on est blessé."

Pas comme si j'étais du genre à profiter de la vue, ça va, j'suis vacciné. Et nul et pas doué comme je suis, j'devrais même être insoupçonnable. Totalement insoupçonnable.

...

J'comprendrai jamais les filles qui mettent de la dentelle. On en met, nous, d'la dentelle ? Bah non. Bah voilà.

"Le bas aussi. S'il te plaît." j'ajoute quand même.

Y a une procédure à suivre et j'la laisserai pas repartir tant que j'aurai pas pu vérifier partout. En plus si elle a un poil de travers, Wulf va me tuer.

La jeune femme enregistra l'info. Il fallait qu'elle dise à Wulf que Wynn allait bien. Ok.

Le médecin insista encore pour qu'elle enlève le bas. La jeune femme, déjà en soutien-gorge souffla agressivement et entreprit de déboutonner le bouton de son jean d'une seule main (l'autre étant toujours en écharpe). Elle galera quelques instants pour enfin faire tomber ledit pantalon sur ses chevilles, révélant une paire de jambes intactes. Et un slip en coton blanc.

"Voilà, content?"

Si tu savais ce que j'ai déjà trouvé sous les habits pas déchirés de gens qui étaient "pas blessés", tu soufflerais pas et ton truc tu l'enlèverais même plus vite que ça. Je commente pas. M'énervent, les gens qui croient qu'on leur demande des trucs pour les faire chier, ça irait tellement plus vite de bâcler. J'regarde, j'prends le temps de bien vérifier, les articulations aussi.

"Lève le pied s'il te plaît." Que je voie la plante. "L'autre." Pas d'ecchymose, pas de plaie, pas de truc à soigner quoi. Même pas une petite éraflure de rien du tout.

"C'est bon pour le bas, rien à signaler. Tu peux t'installer. Tu l'as mis quand, ce pansement ?"

Pis après y a le haut, que je regarde d'autant plus attentivement qu'elle s'est déjà fait éborgner le bras. Ca va aussi. Quelques éraflures, rien de grave si elle m'avait pas parlé d'égouts et si effectivement elle sentait pas légèrement le renfermé et l'humidité sur fond de sueur âcre. Même si visiblement elle est pas tombée dans la fosse à merde, faudra tout désinfecter à l'acide - pour citer je ne sais quelle célébrité.

Pas du vrai acide merde, j'suis un peu plus qualifié que ça. Pfff.

"Maintenant je vais enlever le pansement..."

Chose que je fais délicatement, parce que j'ai un peu peur de ce que je vais trouver.