I'm not a piece of cake [Serena & Raedhun]

Une journée comme les autres sur le Crust. Non pas que ça me dérange, en fait. On court partout, on répond aux moindres sollicitations de nos clients, on fait - bien - à manger et on fait en sorte que notre affaire tourne bien. Moi, j'ai pas de poste fixe. Trop de trucs à faire. En ce moment, mon mari et moi sommes tous les deux à bord du Crust. C'est assez rare pour être souligné. Mais on a pas trop eu le temps d'en profiter. Bon, un peu. Mais pas autant qu'on le voudrait. Mais bref, toujours est-il que j'étais avec lui quand on nous a appelé pour de l'aide, dans les cuisines, à l'accueil, dans les salles de service. Alors on a foncé. Lui dans les cuisines, moi à l'accueil. Waalan autour de mon corps, tellement grosse qu'on voit presque pas que je porte des habits sous elle. J'suis pieds nus, comme d'hab. Les cheveux attachés en un chignon négligé.

Je rejoins les cinq gus qui sont à l'accueil - dont deux qui y sont toujours ou presque. C'est l'heure des gros arrivages, quand la navette est pleine à craquer. Apparemment, y a du monde ce midi. C'pour ça qu'on m'a appelée en renfort. Les gens, faut les accueillir, chercher leurs réservations ou leur présenter le Crust, parfois même leur faire une visite guidée. C'est pour ça qu'on a besoin d'autant de gens ici. Mais bref, peu importe. Nous, on est prêts. Y a plus qu'à attendre les clients.

Serena est arrivée au Crust.
Elle en a entendu parler, du Crust. Les rumeurs ne tarissent pas d’éloges à leur sujet. Attisée par la curiosité, il n’en faut guère plus à Serena pour s’y rendre directement. Amassée contre d’autres personnes impatientes, elle s’autorise un lever d’yeux fatigué en se mordant la lèvre pour garder son calme face à une dame richement vêtue, serrée dans une robe trop courte pour elle ― faut-il préciser qu’il s’agit d’une rose bonbon bordée de froufrous?―. Serena soupire bruyamment et la contourne avec son aisance féline ,marquant bien le soin de taper son épaule avec la sienne tout en feintant l'accident.

―Mademoiselle ?!

Serena s’apprête à se retourner, mais marque un temps d’arrêt brutal, sur le qui-vive d’un seul coup.

― Mais je vous connais !

La grosse dame la pointe de l’index d’un air inquisiteur.
Serena l’observe. Une marée montante de froid lui dévore les pieds jusqu'au niveau du ventre.
Son sang ne fait qu’un tour.
Impossible ! L’aurait-elle reconnu ? Elle, la fille illégitime en fuite ?
Serena faillit s’étrangler en déglutissant, elle porte doucement une main à ses lèvres pour tousser avec discrétion. Un sourire fébrile s’accentue sur ses lèvres.

― Vous devez… faire erreur.

Elle pivote rapidement son dos, comme un bouclier face à la dame et avance rapidement face aux portes d’entrées et s’engouffre rapidement à l’intérieur face à l’urgence de la situation. Une fois à l’accueil, elle évite le regard suspicieux de la grosse dame qui lui emboîte le pas en tentant de l’accoster à nouveau.

― Bonjour. Je viens pour la réservation de… au nom d’Artemiscia.

Son deuxième prénom. En espérant que les employés ne posent pas plus de question. Légèrement décontenancée, elle glisse une main souple dans ses cheveux pour avoir l’air détendue.
Elle ne l’est pas.
Son regard balaie l’assemblée et se retrouve confrontée à celui d’une femme.
Elle l’observe avec insistance...
...Et l’implore du regard.
La grosse dame mange les derniers mètres qui la sépare d’eux.

Tout commence bien, comme d'hab, quand j'vois une fille qui a pas l'air bien. Si ça tenait qu'à moi, j'dirai qu'elle fuit un truc. Nan, pas un truc. Elle fuit quelqu'un. Une grosse dame un peu trop insistante, visiblement. J'lance un regard à un de mes collègues. Il a vu aussi, et on sait quoi faire dans ses cas là. Lui se barre en direction de la dame, l'intercepte en chemin.

- FELICITATIONS ! Vous êtes officiellement notre millième visiteur de ce mois-ci ! Si vous voulez bien me suivre Madame, je vais vous expliquer tout ce que vous avez gagné à l'accueil.

La grosse a l'air ravie, et les clients autour commencent à murmurer, envieux. Enfin bref, moi je perds pas de temps, j'appelle un remplaçant en urgence, et je m'approche de la dénommée Artemiscia, mon h-com en main avec les réservations.

- Artemiscia ? J'ai votre réservation, suivez-moi.

Je lui souris, et je la guide déjà vers nos couloirs, laissant la grosse dame aux mains de mon collègue. Elle est trop occupée pour porter préjudice à cette cliente, et tout le monde est content, blablabla. Bref, quand on s'est un peu éloignées, je ralentis le pas.

- Tout va bien ?

Tout se passe très vite.
La grosse dame insurgée est vite mise en déroute, Serena gratifie sa bienfaitrice d’un demi-sourire faible avant de se contenter de la suivre silencieusement.

― Merci.

Aïe, même si la question « tout va bien » est insignifiante, elle déboussole Serena bien plus que de raison. Elle était en fuite, loin de Tyrion...

― J’imagine… Qu’il y a toujours des personnes qu’on ne souhaite jamais croiser.

Elle baisse les yeux et affiche le sourire d’une petite fille prise en faute. Une légère moue contrite glisse sur son visage mais disparaît, aussi rapide qu’un éclair.

― Je pense que vous savez ce que c’est aussi, n’est-ce pas ?

La fille a pas l'air hyper sereine, et j'peux la comprendre. J'espère qu'elle aura pas d'autres soucis, et va falloir qu'on surveille cette grosse dame durant son séjour. Faut être conne pour chercher à importuner quelqu'un à bord du Crust, merde. J'l'entraîne dans les couloirs les moins fréquentés, histoire de lui laisse un peu de temps pour se remettre de ses émotions. Faudrait pas que ce soit une criminelle en puissance suivie et recherchée par beaucoup trop de monde... Enfin, j'm'en fous qu'elle soit une criminelle ou pas, tant qu'elle fout pas le bordel dans mon établissement. C'qui me gênerait plus, c'est qu'on l'emmerde.

- C'est vrai, oui. Mais vous n'avez pas à vous inquiéter. On va faire le nécessaire pour que vous puissiez être tranquille. Si jamais vous êtes importunée malgré, n'hésitez surtout pas à faire appel à nous.

Je sors un petit boitier avec un unique bouton de ma poche et je lui tends.

- On donne ça à nos clients, quand leur tranquillité peut être menacée. Ca permet de nous joindre en urgence et d'avoir une intervention dans la minute, si jamais vous avez un souci. N'hésitez pas à vous en servir. Vous aviez réservé... Une chambre, c'est ça ?

Serena cligne des yeux plusieurs fois, encore un peu secouée par cette rencontre avec cette grosse femme. Sa main se tend mollement vers le bouton que lui tend Raedhun. Oubliée, perdue cette superbe dont elle aimait se revêtir, laissant l’image d’une petite fille apeurée, elle s’en veut d’offrir cette vision d’elle à une inconnue.

―Merci. Oui, j’avais réservé une chambre.

Elle suit Raedhun. Puis elle se stoppe brutalement.

― Cette femme. Je ne la croiserai pas, n’est-ce pas ?

Elle déglutit péniblement.

― Je suis prête à mettre le prix pour l’éviter. Elle risque de revenir à la charge.

Elle ne sait pas pourquoi. Elle est incapable de s’arrêter.

Mon h-com bip, et je regarde les infos qui s'affichent dessus. Devant l'air paniqué de ma cliente, j'ai pas longtemps pour agir, avant qu'elle décide de prendre ses jambes à son cou.

- Calmez-vous Madame...

Je regarde son nom sur le dossier que je tiens entre les mains.

- ... Divocci.

Je lui offre mon plus beau sourire - le commercial mais qui, à ce qui parait, fait juste sympathique.

- Cette dame qui vous a importuné vient simplement pour la soirée. Elle n'a pas réservé de chambre dans notre établissement, et nous sommes complets. Je vous conseille d'éviter la salle de spectacle, quoi qu'avec l'obscurité, les chances pour qu'elle vous traque semble bien maigres. Mon collègue s'est occupé de la détourner de son objectif, et d'ici une dizaine de minutes, je peux vous garantir que vous serez le cadet de ses soucis. Peut-être même moins.

Heureusement que je mens bien, parce qu'en fait, j'en sais rien. Si cette femme traque ma cliente depuis des années, elle risque pas de s'en détourner. Mais en tout cas, mon collègue va pas la laisser respirer, et elle aura tellement d'étoiles dans les yeux, d'activités et de paillettes qu'elle risque quand même d'oublier jusqu'à son nom.

-Et vous aurez toujours ce bouton, en cas de soucis. En attendant, je vais vous montrer votre chambre et notre spa, et pour nous faire pardonner cette arrivée désagréable, j'aimerais également vous offrir un verre. Cela vous convient-il ?