Traición del Capitán

La lueur de surprise et la pâleur du maître artilleur avait échappé à tous ... mais pas à moi. J'avais observé discrètement ses réactions, ses faits et gestes ; aux yeux d'un public peu averti, le Capitaine de Golazzo s'était comporté normalement, bien qu'un peu plus froidement qu'à son habitude. Mais pour d'autres, comme moi qui avait patienté jusqu'à accuser un regard qui finalement ne vint jamais, la retraite de Felipe n'était pas passée inaperçue.

La cérémonie terminée, je n'avais pas vraiment besoin de le chercher : je savais parfaitement où Felipe, depuis toujours, se réfugiait quand il ne savait quoi faire ou penser. Je déglutissais face à la porte, incertaine face à l'inconnu qui m'attendait. Quoi qu'il puisse me dire, quelle que puisse être la force de sa réaction à venir, je la mériterais, et dix fois encore, sans doute.

Depuis toujours, il y avait des mots dans les regards que nous échangions. Et depuis son arrivée à bord, des promesses implicites, celles d'un futur - celui-là même qui venait de nous être refusé officiellement ce soir.

Il n'était pas stupide, il saurait. Si j'avais pris la parole à certains moments de la cérémonie, ce n'était pas pour rien : je savais depuis un certain temps, déjà, que Zohar devrait s'en aller. Quinze jours, pour être exact. Quinze jours durant lesquels le maître artilleur et moi flirtions en privé sans nous l'avouer et sans rien montrer au reste du monde.

J'inspirais longuement. Ressasser le mal qui était déjà fait ne m'amènerait nulle part, et il me fallait tuer dans l'oeuf le problème qui ne tarderait pas de s'immiscer entre le Capitaine de Golazzo et moi-même. Je tapotais sur la porte pour afficher la salle de sport fermée pour cause de maintenance en usant de mes accréditations de Second, avant d'ouvrir la porte de la salle de sport puis de la refermer derrière moi, la verrouillant de l'intérieur.

Je ne savais quoi dire, alors je me tus, prête à recevoir, l'air ferme, la correction que je méritais.

J'avais mal. Terriblement mal. Mal au cœur. A la tête. Mal à avoir les larmes aux yeux. Mais un homme ne pleure pas. Un noble impérial garde la tête haute, toujours, il ne montre pas ses blessures, il porte ses cicatrices comme autant de trophées. Mais un officier des Forces Impériales ne se permet aucune faiblesse. Alors j'avais tenu mon rang. Jamais je n'avais mérité mes médailles du courage et de sang froid autant que ce soir. Et l'on m'avait donné celle du commandement, comme si une médaille pouvait racheter une vie de servitude. Une vie de renoncement. Que l'on me demandait d'accepter, encore. Pour l'Empire, encore. Jusqu'à quand ? Jusqu'à quand allais-je réussir à accepter de me fondre dans ce moule que l'on m'avait réservé à la naissance ?

Mes poings contre le sac frappaient avec fureur. J'étais en chemise, j'avais gardé mon pantalon d'uniforme de cérémonie, ôté l'écharpe aux couleurs de ma famille qui ceignait ma taille et mes armes d'apparat. Je frappais. La sueur coulait entre mes omoplates. Des coups secs sur le sac qui ne répondait pas. Je luttais contre moi-même, contre mes émotions qui menaçaient de chavirer.

Le bruit de la porte entre deux séries de coups me ramène à la réalité. Jusqu'ici, j'avais été seul, seul face à moi-même, seul à épuiser mon corps pour ne pas penser, pour ne pas avoir de peine. Je termine ma série, attrape ma serviette, me retourne. Me fige. Elle.

"Capitaine." fais-je alors, glacial.

« Felipe », répondais-je à mon tour. Il était à peu de choses près dans l'état que j'avais pu imaginer. En de rares moments, de Golazzo était une boule de colère difficile à contenir ; il n'était pas étonnant que j'en fasse les frais ce soir-là.

"Je suppose que les félicitations sont de rigueur." continuais-je en lui tournant le dos. La voir ainsi me blessait encore. Je ne pouvais dire ce qui me faisait le plus mal. Les promesses implicites rompues, le secret qu'elle avait gardé en jouant avec moi, les sentiments que je refusais d'avouer et qui me rongeait ou encore ma fierté de voir cette femme m'échapper alors même que je m'étais promis de l'emmener jusqu'à la gloire.

Je profitais qu'il tourne le dos pour déglutir à nouveau. Je l'avais blessé, c'était évident. Et comment lui reprocher de m'en vouloir, moi qui avait joué avec ses sentiments ces dernières semaines ?

« J'aurais aimé que les choses se passent autrement. » Je luttais intérieurement pour ne pas chercher d'excuses : à quoi bon, quand j'étais à moitié responsable ?

"J'en doute." J'essayais de rester froid, clinique, mais l'émotion rendait ma voix rauque et je sentais bien que le souffle peinait à passer à travers ma gorge serrée. Au moins ne voyait-elle plus mon trop parlant regard. Mes poings étaient toujours fermés, je me sentais bouillir de multitudes d'émotions.

"Après tout, les choses pouvaient-elles se passer mieux pour vous ? Vous gardez ce vaisseau pour lequel vous avez travaillé, où vous avez recruté et formé vous-même plus de la moitié des effectifs tout en bénéficiant d'une promotion qui est un pas de plus sur vos objectifs de carrière." Je me sentais trahi. Utilisé. J'avais toujours su qu'elle était déterminé, manipulatrice et carriériste. C'étaient nos ambitions qui nous avaient fait nous séparer la première fois. C'étaient elles, encore, qui nous séparaient, quarante ans plus tard.

"Je suppose que vous avez fait tout ça pour faire de moi un allié dans vos différents plans. C'était bien joué." C'était injuste. Au moins en partie. Je m'en fichais. Je voulais lui faire mal. Je voulais qu'elle pleure. Je voulais arracher ce masque et voir pour de vrai ce qu'il y avait dessous. Me faire ma propre idée. Je n'étais pas d'humeur à être beau joueur ou prendre des pincettes. Elle était venue me chercher. Elle me trouverait.

Piquée à vif, j'accusais le coup de ses mots. Il savait. J'étais certaine qu'il savait, et pourtant il avait osé utiliser comme argument ma vendetta, et indirectement ses causes. Je sentais la colère ronger lentement le masque calme de l'officier, au point que, moi aussi, les mots m'échappèrent.

« Parfaitement. Toutes mes décisions ont été basées dans le simple but de récupérer le Cerberus au nez et à la barbe de Zohar », m'emportais-je légèrement, sans hausser la voix. « Et qu'importe si l'Amirauté ne l'aimait pas, qu'importe si je ne suis pas celle qui choisit mes affectations ; tout ça n'a rien à voir là-dedans. Vous avez parfaitement raison, Capitaine, j'ai tout orchestré pour que vous deveniez mon allié quatre semaines durant, pour mieux briser ensuite tout ce travail en une seule cérémonie. »

Sarcasme et ironie, ses plus belles armes. Elle avait laissé de côté l'hypocrisie des excuses. C'était déjà ça. Au moins, je pouvais l'imaginer vaguement plus spontanée mais ce n'était pas encore assez. Peut-être qu'elle n'avait pas calculé. Peut-être. Je n'étais pas assez naïf pour mettre cette hypothèse de côté, ni assez paranoïaque pour m'y attacher coeur et âme. Non. Je ne m'étais servi de cette première passe d'arme que pour tenter de la blesser. Rendre coup sur coup. Je laissais tomber le vouvoiement.

"Tu vas me faire croire que tu n'étais pas au courant ? Que tu as accepté de faire ce discours sur nos camarades tombés sans poser de questions ?" Je me sens gronder. J'avais trouvé ça curieux et pourtant, j'avais refusé de voir. D'entendre. Tout comme le fait que Zohar avait pris la tête de l'excursion laissant Mia assumer de facto le rôle du Capitaine. J'avais été naïf mais je ne voulais pas m'en vouloir. Je lui en voulais à ELLE. Parce que je l'aimais.

Je soupirais d'agacement non feint, secouant doucement la tête en mesurant mes prochains mots. « Je n'irais pas insulter ton intelligence à ce point, Felipe. » Et, à nouveau, se succédaient dans ma tête la farandole d'excuses plus ou moins crédibles qu'il me serait possible d'offrir. Mais à nouveau, à quoi bon lui mentir ? A quoi bon me mentir ?

« Je suis au courant depuis le dernier dîner des officiers, le 15 Tercer », avouais-je en baissant le ton et le regard, honteuse mais tentant de le masquer.

Le 15. Le repas que j'avais passé à flirter avec Flora. C'était avant le week-end sur le Crust. A quoi avait pensé Zohar en m'encourageant à le faire ? Je donnais un crochet du droit dans le sac de sable qui gémit à ma place. Je ne pouvais pas lui reprocher le temps et l'argent dépensé, je l'avais fait de moi-même mais me souvenir des moments qu'on avait partagés alors. Je pensais qu'elle s'était confiée à moi.

"..." je ne savais pas quoi dire. Juste que j'avais mal. Que je lui en voulais. Que je voulais la blesser sauf qu'une autre partie de moi s'obstinait à vouloir la protéger. Des baffes. Je ne méritais rien d'autre. "Et maintenant ?" Je lui tournais toujours le dos. C'était plus prudent.

J'aurais souhaité lui crier que j'étais désolée. Que je n'avais pas su le lui dire parce que j'étais faible, parce que j'avais peur qu'il ne s'éloigne. Que plus le temps s'était écoulé, plus il m'était impossible de le lui en parler, malgré l'insistance et les rappels répétés de Zohar, bien trop perspicace pour son propre bien ... Mais je n'en fis rien. Lui ouvrir mon coeur aurait été présenter ma faiblesse. Et à quoi bon ? Rien ne serait plus possible, entre nous. Le seul avenir qui pouvait nous attendre était péché, mensonge et punition.

« La logique des grades veut que tu deviennes mon second, mais tu en as en définitive le choix. » Je savais parfaitement que ce n'était pas la question qu'il posait, mais m'était convaincue du contraire. Au lieu de lui offrir l'habituelle familiarité réservée à nos rares moments d'intimité, j'étais restée debout et droite.

"Trop aimable." Répondis-je à sa proposition sur un ton mouillé d'acide. J'avais refusé de devenir commandant pour ne pas rester derrière un bureau, j'avais traversé des systèmes pour rester proche de mes canons et en plus de me percer le coeur, elle me demandait de renoncer aussi à ma vie d'artilleur pour celle d'officier. Certes, je restais actif mais... mais. C'était injuste, immoral. Si je refusais elle irait nommer Del Ruiz ou on ne savait quel bellâtre qu'elle aurait trouvé on ne savait où, comme elle trouvait tous ces jeunes talents qui peuplaient les rangs des officiers. Des hommes et des femmes efficaces, intelligents mais qui n'avaient pas toujours leur place dans un corps d'armée. Et surtout qui n'avaient aucune expérience du combat. Je ne pouvais pas refuser et rester fidèle à moi-même. Je pense qu'elle le savait.

"Je vous remercie pour votre proposition, Capitaine, et vous prie de me laisser le temps d'y réfléchir à tête reposée avant de vous faire part de ma réponse." fis-je sur un ton mécanique et automatique. Ce n'était pas la première fois que je disais ces mots. J'étais doué. Très doué. Et ce genre de choix m'était familier. J'avais même commandé tout un navire, une fois. "J'aimerais également avoir une simulation de mes droits à la retraite." Contrattaquais-je après un silence

Il persistait dans le vouvoiement. Très bien, deux peuvent jouer à ce jeu.

« Vous avez tout le temps nécessaire, Maître Artilleur », débutais-je sans l'appeler par son grade, un petit jeu que nous adorions pourtant d'habitude, avant de tiquer, fortement agacée, à sa remarque sur la simulation.

« C'est votre droit », répliquais-je, très amère. « Je me renseignerais également sur les postes administratifs, s'il y en a de disponibles, afin que vous ayez plusieurs solutions de retraite. » Une insulte très ciblée, puisque c'est la raison même pour laquelle Felipe est arrivé en Dorado.

Maître Artilleur, pas Capitaine. Elle avait choisi son poste à son grade, cela ne faisait aucun doute et je me sentais trembler de colère. Je ne craquerais pas. Je ne réservais mes vraies émotions qu'à mes amis. Avec les autres, spécialement mes supérieurs, j'étais, au pire, poli.

"Ne vous donnez pas cette peine, vous allez avoir fort à faire avec le départ du Capitaine de Aragon pour suivre ses pas et je ne suis pas exempt de contacts et d'amis. Au pire, je rentrerais en Avalon auprès de mon épouse."

Avec le recul, je l'admets : il avait bien anticipé la prochaine attaque. Puisque nous en étions aux attaques puériles sur nos tares respectives, il était évident que ma prochaine serait sur son mariage - et voilà qu'il me coupait l'herbe sous le pied, me laissant sans argument. J'ouvrais de fait la bouche, puis la refermait pour chercher mes mots, agacée plus par sa manoeuvre que par l'information.

« Eh bien parfait. Vous pourrez ainsi en faire un Second. » Oui, c'était un jeu de mot stupide, mais je n'avais rien trouvé de plus fin, et bien trop de fierté pour ne pas répliquer. Je luttais intérieurement pour ne pas bouger d'un cil, pour garder ma posture militaire droite et assurée - sans grand succès.

"Au moins, moi, je peux." répliquais-je, me retournant enfin pour la regarder. Je n'avais aucune idée de la portée de cet argument là. C'était presque trop intime pour que nous l'ayons alors abordé et maintenant...maintenant c'était trop tard. Mes yeux étincelaient de colère rentrée, de larmes internes. Je la fixais, la défiant du regard. Je voulais qu'elle craque, qu'elle s'énerve, qu'elle ait mal, qu'elle le MONTRE. Je refusais d'être celui qui arrêterait le premier.

Une phrase avait suffit : mon visage était passé de la colère à l'apathie, mes épaules s'étaient affaissées. J'étais restée là, sans savoir quoi dire. Sans oser me demander s'il avait bien dit ce qu'il venait de dire. Felipe avait gagné cette bataille, mais à quel prix ?

J'avais souhaité répliquer, répondre, exploser de rage ; n'importe quoi d'autre que ce que je fis en définitive : me diriger à grandes enjambées vers la porte, ravalant mes émotions pour qu'elles n'explosent pas face à lui.

Je la regardais se déliter. Ses épaules s'affaisser. Je regardais son silence. J'attendais qu'elle réplique, réponde, explose de rage. Mais non. Elle fit demi tour et s'éloigna. Pendant un battement de coeur j'en fus content. Je lui avais fait mal, clairement. Je n'avais pas pu l'atteindre sur notre relation, j'avais attaqué sur une autre faiblesse, suite à une perche qu'elle m'avait tendu. Et puis, d'un coup, je me rappelais qui elle était. Pour moi. Je la rattrapais en deux foulées, attrapant son poignet, fermement, sans violence.

"Excuse moi. C'était bas." Cette fois, j'étais sincère.

Il m'avait attrapé le poignet et, comme par réflexe, je m'étais retournée pour dégager mon bras avant de lui offrir le regard glacial et intimidant, légèrement écarquillé, que je n'offrais habituellement qu'à mes ennemis. Les mots qui suivirent furent si détachés et autoritaires qu'ils en auraient été comiques, dans un autre contexte.

« Dans deux jours, dès notre atterrissage, nous annoncerons à l'équipage que vous agissez en qualité de Second par intérim, jusqu'à ce que votre décision finale soit prise. Pas de discussion. C'est un ordre, Capitaine », concluais-je, en une formulation impérative que je n'avais jusqu'alors jamais utilisé avec lui, avant d'actionner la porte derrière moi, du bout du doigt, pour l'ouvrir.

Elle se dégagea et me rendit un regard glacial. Je le soutins. Elle était peut-être blessée mais moi aussi et je n'étais pas celui qui était venue la trouver. Elle aurait du savoir qu'il fallait me laisser me calmer. Laisser la tempête de mon mauvais caractère retomber. Elle ne l'avait pas fait et elle se l'était pris de plein fouet. Je me mis au garde à vous, par réflexe, face à son ton impérieux. Impérial.

"A vos ordres, mon Capitaine."

En commun, nous avions encore -nous aurions toujours- l'avenir du Cerberus et la grandeur de l'Empire. Je ne tentais pas de la retenir à nouveau. Qu'avions nous à échanger, sinon des coups. Il fallait laisser le temps cicatriser les blessures que nous nous étions infliger. Et que je me protège, pour l'avenir.