Divenire

J'ai un peu perdu le fil du temps. Depuis combien de jours suis-je ici ? Ou bien cela se compte-il déjà en semaines ? Non, ça ne fait pas plus d'un mois, je le sens. Mais tout est si différent. Tout est si anormal, bizarre. Je n'arrive pas à me faire à cette nouvelle vie. J'ai l'impression de flotter au dessus de mon corps en ayant perdu l’entièreté de mes facultés de décisions. Parfois, j'ai encore l'impression de sentir la poussière, ça me fait tousser, éternuer. Pourtant, je ne suis plus là-bas, au Taïin. Je suis là, dorénavant. Ces immenses pièces, ces immenses couloirs, ces bruits feutrés, ces ambiances sonores tamisées, ces sols douillets et moelleux. Avant d'arriver, c'était un peu la représentation du paradis que je me faisais. Maintenant que j'y suis, je me sens perdu. Je n'ai recroisé ni mon frère, ni ma sœur dans ces grands couloirs. Le reste de ma famille n'est pas revenue non plus. Je sais qu'ils ont beaucoup à faire mais je ne peux m'empêcher de sentir une forme d'abandon naître au creux de mon ventre.

J'attrape parfois des bribes de conversations. Ils parlent vite, avec un accent différents des Trinitaires. Je ne comprends pas toujours tout. Si j'ai bien compris, je n'ai pas changé de planète mais me voilà rattaché à une autre faction, rivale des Trinitaires : l'Union Corporatiste. Et je suis dans la Guilde des Compagnons. Je n'avais pas tout compris en arrivant. Ce sont des gens qui sont prêts à me former dans l'art de la musique pour peu que je donne de mon temps à leur client pour leur faire profiter de mes talents. Je n'ai connu que l'esclavage, cela me semble honnête. Et puis, je n'ai jamais porté de si beaux vêtements. J'ai l'impression de flotter à l'intérieur de cette grande toge douce et délicate. C'est agréable.

Je n'ai pas vraiment exploré mon environnement. Personne ne m’accompagne, je suis encore seul et j'ai vraiment peur de faire une bourde. Ma cécité m'empêche de me rendre tout à fait compte de ce qui m'entoure et n'étant pas bien au courant des coutumes locales... je préfère ne rien faire et demeurer, silencieux, dans ma chambre. Au premier jour, j'ai retenu par cœur le trajet de ma pièce personnelle au réfectoire. Depuis, c'est mon seul déplacement quotidien. Je ne sais pas ce que j'attends. Ni si je dois vraiment attendre.

Parfois, je sors mon hang et entame quelques morceaux. Mais la réverbération est telle que cela me met mal à l'aise. Le silence devient presque pesant et j'en viens à regretter l'animation du camp. Alors, je me recroqueville sur mon lit en attendant que le temps passe. Qu'on me dise quoi faire. Qu'on m'explique.

Les larmes accompagnent souvent ces moments.