[Crust] Soirée pas très privée

Il hésite mais accepte sans que j'ajoute un mot de plus. C'est même lui qui prend les devants et s'enfuit pas le couloir. Il est déjà en train de se déshabiller. Je m’esclaffe et pars à sa poursuite en détachant à mon tour mon nœud papillon. Je sais même pas pourquoi on continue à se suivre alors qu'à part des nœuds papillon, y'a pas grand chose qui nous lie. Il y avait un truc, il me semble à la base... une mission... des informations... un trinitaire... c'est un peu passé au second plan. On court maintenant comme des idiots dans les couloirs du Crust en gloussant.

Au bout du couloir, on aura juste à tourner à droite et la piscine sera à nouuuuus !

On est forcé de s'arrêter net à l'angle. Deux personnes semblent garder la sortie. Je suis mort de rire. Je crois qu'on est déjà repéré.

« _ Messieurs. La soirée est au bout du couloir. Dans l'autre sens. »

Je continue à me marrer. Je suis obligé de me soutenir au mur pour éviter de m'effondrer au sol de rire. Il faut que j'arrive à reprendre ma respiration pour répondre au gars.

« _ On che...-rche notre... chambre. M'voyyeeez... Je joue des sourcils et j'attrape le bras de Vako. Oui, bon, ça fait deux fois ce soir. J'ai pas mieux. Je crois qu'il est encore soupçonneux, il fronce les sourcils en retour. Allez Vako, aide-moi ! »

Quoi que non comment ça, des gardes ? Pourquoi est-ce qu’il faut que cette piscine soit gardée, pourquoi il faut tomber sur des inconnus pas vraiment bienveillants précisément quand il est presque torse nu, la moitié de ses vêtements dans le bras, la chemise à peine tenue sur les épaules ?
Soudain la lumière revient dans l’esprit de Vako. Galvanisé par tout le faux courage qu’il a rassemblé pour juste dire oui au plongeon en sous-vêtements, il relève bien haut le menton, enroule son bras autour de la taille du rouquin. S’il faut mentir…

- C’est urgent… Vraiment. S’il vous plaît ?

Sans subtilité aucune, le médecin se glisse encore plus près de l’autre jeune homme, un sourire résolument désarmant aux lèvres.

- Vraiment, vraaaiment urgent, ronronne-t-il en se disant qu’il n’a qu’à faire comme lorsqu’il essaie de mettre une fille dans son lit. Sinon on a qu’à trouver un rideau tranquille où se cacher ? Hein, chéri ?

Je ne sais pas s'il est très bon acteur ou excellent menteur maaaaais ce cher Vako se rapproche de moi en entrant dans mon jeu et insiste d'autant plus sur les choses pressantes qui nous attendent. J'avais déjà chaud. Mais là j'ai très très chaud. Et puis je suis plus très sûr de où il veut en venir. Ni de où je veux moi-même aller. Mon cerveau est une ébullition volcanique. Et pas que mon cerveau.

...
...
Merde.

Je crois que je vais devenir une flaque d'eau. Au moins, ce petite manège a le don de fonctionner et les deux gars baraqués nous laissent passer sans plus de questions.

Je me dégage du médecin qui fait bien trop d'effet à l'idiot bourré que je suis et je me détourne un peu de lui. Hors de question de lui présenter ma... ma... ma faiblesse momentanée. Heureusement, la porte de la piscine est pas bien loin. Je l'enfonce d'un coup de coude et on débarque dans les vestiaires. Homme ? Femme ? Il n'y a l'air d'avoir que des cabines individuelles. Mais il est déjà moitié torse-poil (ce qui arrange pas mon affaire).

« _ J-je passe aux chiottes... »

Sérieuuuuux sérieuuux. C'est gênant.

Ce n’est pas Vako qui va retenir qui que ce soit : une fois les deux baraqués passé, la porte de la piscine ouverte, il pique lui aussi un print vers un coin tranquille en laissant sans se retourner son frère de noeud papillon derrière lui.
Par l’Unique par l’Unique par l’Unique nooooooon…
Mais dans quoi s’est-il fourré encore ? Que vont croire les deux gardes ? Oh non, non, il sait parfaitement ce qu’ils vont croire et c’est exactement ce qu’il voulait pour pouvoir passer, mais maintenant que le courage est retombé le pauvre médecin hyperventile juste tout seul. Et Nynniaw ?!
UNIQUE NOOOOON.
Non mais ça va il lui a dit qu’il aimait les filles. Ou alors ça ne va pas ? Il ne va rien tenter au moins, ne pas se faire d’idées ? Et il va le voir presque nu ?!
AU SECOURS.
Non il refuse de se déshabiller plus.
Ou pas.
Il ne sait pas il ne sait plus l’oxygène n’arrive plus qu’à moitié dans son cerveau, visiblement, parce que rien ne retombe.
Dans un sursaut d’idiotie, il cesse de geindre le visage contre le mur et enlève le peu de vêtements qu’il portait pour sauter dans l’eau, une bonne fois pour toutes, et… Geindre dans sa tête, assis sur les carreaux du fond. Son père serait mort de rire s’il le voyait comme ça.

Il répond, il répond pas, je sais pas. Je suis déjà partiiiii. Hop, planqué.
Je respire. Lentement. Okay. Tout va bien se passer. Je jette un œil en bas. Il me semble que la situation a évolué. Au moins un peu. En bien. La proximité non immédiate du jeune homme doit surement aider. J'en profite quand même pour faire un pissou au moins mimer le gars qui sort tranquillement des toilettes.

A ma grande surprise, Vako a disparu. A droite... non. Tout droit. Ah ! Il est affalé devant le mur. Je dois m'inquiéter ? Ou alors la boisson fait son effet pour lui aussi ? Je me barde d'un nouveau sourire avant de l'interpeller.

« _ On y va ? »

My body is ready !

Hop ! Je n'attends finalement pas sa réponse, on verra bien s'il est une poule mouillée. Eheheh ! Je me débarrasse de mon nœud papillon, de mon haut souillé de transpiration et finalement du maudit pantalon bien droit et bien trop serré. Tout fier, je suis le premier en slibard !

Un... deux... trois...

Plouf !

« _ Tu viens ?! Elle est troooop booonnnne. »

Naaaaan on y va paaaaas.
Vako se relève, très lentement. Plie impeccablement sa chemise pour la poser au sol, bien dos à la piscine. Il entend le bruit de l’eau qui est dérangée par un saut, l’encouragement à rejoindre Nynniaw dedans. Ses doigts passent sur ses cicatrices, rageusement. Ca va aller ça doit aller. Il plie aussi le veston, le pose sur le reste. Enlève ses chaussures, ses chaussettes vert canard, hésite un peu mais se force pour retirer le pantalon en dernier. Ne reste que son boxer et toutes les hésitations du monde.
Mais il faut qu’il se retourne. Il va le faire. Il va… Là, maintenant, allez !
Rapide comme l’éclair, le médecin court vers l’eau et y saute tête la première sans laisser un moment de battement durant lequel le rouquin aurait pu risquer de poser des questions sur beaucoup trop de choses -qui n’existent que dans sa tête.

- Elle est glacée !

Quand il remonte de son plongeon, c’est tout ce qu’il trouve à dire : qu’il a froid, malgré ce qu’il pense être une température correcte de l’eau. La natation n’a jamais été son sport préféré.

- Vous avez l’habitude de nager dans des lacs pour la trouver bonne ?!

J'ai pas le temps de cligner de l’œil. Il a sauté, sous mes acclamations. Il est allé vite mais son corps bien battit ne m'a pas tant échappé. Il relève la tête et se plaint de la température de l'eau.

« _ Tu veux qu'on se réchauffe ? »

Euuuuh... ça m'a échappé. Enfin. C'était mi-sérieux. Mi-pas sérieux. J'ai envie de couler à pic et de me volatiliser. Pour faire passer la pilule, je sors un rire qui finit par s'étouffer tout seul. Magnifique. Grand art. Heureusement, voici une nouvelle question pour m'apporter un peu de fraîcheur.

« _ Pas trop, enfin, de temps en temps, quoi. C'est si gelé ? »

Un nouveau coup à boire serait pas une mauvaise idée, là, maintenant. Je zieute les alentours et mes yeux repères une flasque. Huhuhu. On laisse traîner tout et rien ici.

« _ Bingo ! J'ai te quoi te réchauffer ! Je nage avec facilité jusqu'au bord de la piscine et choppe la bouteille. Je goutte. C'est fort. Je tousse. Okay, ça fait chaud ! »

Ca commence à faire beaucoup de sous-entendus, ou en tout cas assez pour que Vako choisisse de l’ignorer du mieux qu’il peut, de ne surtout pas penser à ce qui pourrait être réalisé pour faire grimper la température.
C’est ridicule. Et très confus.

- Oui c’est gelé !

Elle part peut-être un peu fort, sa phrase, dans une indignation qui n’est pas le fait que de l’eau. Mais puisque le médecin est, semble-t-il, une bonne pomme, il suit Nynniaw jusqu’au bord où se trouve la flasque. Ca semble être une très mauvaise idée…

- Faites voir ?

… Mais une idée dans laquelle il saute à pieds joints. L’alcool change de main, lui glisse dans la gorge comme un feu de forêt. Il tousse aussi. C’est tellement fort qu’il n’a senti aucun goût, juste l’éthanol.

- Mais c’est…

Une nouvelle gorgée. Ce n’est pas mieux à part pour la chaleur qui lui mange l’estomac maintenant. Il rend le contenant au rouquin avec une grimace.

- Qui a laissé de l’alcool à désinfecter là ? Mademoiselle Van Haten sert vraiment ça à ses clients… ? Erk. J’aurais dû demander la bouteille entière de whisky au bar.

Enfin, ça ne l'empêche pas d’être prêt à reprendre une lampée.

Je me met tout à coup à tousser. Je m'étrangler. L'alcool pour infirmier ?! Mais qu'est-ce que ça fout là ?! On veut notre mort ou bien ? Vako en reboit pourtant sous mes yeux à la fois amusés et estomaqués. Je vais pas rester comme ça. Alors je lui pique la flasque et bois à nouveau. A ce petit jeu... je peux être très fort aussi.
Je lui offre la bouteille une nouvelle fois et me tourne face à la piscine. Je crochète mes bras au pourtour et m'extasie sur les reflets lumineux sur la surface aqueuse.

Je noie mes yeux sur le sol aquatique. Les lumières font mouvoir quelques étincelles lumineuses, c'est magnifique. Je n'arrive pas à m'en soustraire.

« _ Tu as vu ? C'est beau, hein ? »

Je remue les jambes pour rester à la surface. J'en ai presque oublié que quelques minutes auparavant Vako me faisait un petit effet. Maintenant, ce sont les chatoiements qui me fascinent.

Une nouvelle et dernière gorgée, qui donne l’impression au médecin de se faire désinfecter les intérieurs. C’était bien la seule chose qu’il n’avait jamais eu à rendre stérile… Il peut le barrer de sa liste maintenant. Son traitement va tellement, tellement lui mordre le postérieur pour cette incartade…
Il verra ça demain.
Il y a des lumières sur l’eau à regarder. C’est vrai qu’elles sont jolies. Est-ce qu’il peut les attraper… ? Vako lance sa main dans la direction des petits éclats lumineux qu’il voit et les rate lamentablement. Ils bougent trop. C’est un peu vexant.

- C’est vrai que c’est…

Que c’est vraiment joli, mais qu’il veut encore les toucher pour voir. L’alcool lui murmure gentiment une idée brillante, il s'attelle à l'exécuter : à deux mains, il a deux fois plus de chances d’y arriver.
Ou de ne plus arriver à se maintenir à la surface.
Il semblerait que ce soit la seconde option puisqu’il va vers le fond, là.

Vraiment, je pourrais regarder ces petites lueurs pendant des heures. Sans me lasser. En y trouvant toujours une nouveauté. Vako se met soudainement à nager dans la direction des reflets scintillants. Ça fait des remous à la surface. C'est tellement joli que ça me fait sourire. Puis me marrer. J'ai envie de dire à Vako que c'est joli. Je me tourne vers lui. Ah mais oui, je suis con, il est en train de nag... ah ben non. Une légère vague de peur m'étreint. D'autres reflets attirent mon regard, sur les vitres, sur les murs, sous l'eau...

Sous l'eau ?! C'est quoi cette tâche brune qui cache mes lumières ?! Je me frotte les yeux. Je lâche un hoquet de surprise. Ce truc visqueux et bizarre ressemble à Vako. J'ai de vague souvenir de mes cours de sauvetage en mer.

Je me laisse couler droit comme un piquet et j'ouvre les yeux sous l'eau. Je me laisse presque happé par toutes ses nouvelles couleurs. Tout ces jolies tourbillons de bubulles et de lueurs qui s'agitent au fond de l'eau. Mon corps finit juste par me rappeler que je ne suis pas un poisson. Je donne quelques coups de bras pour récupérer le médecin. C'est qu'il est lourd ! Je tente tant bien que mal de le ramener à la surface...

Allez... encore un petit efffoooooort. Grande respiration en sortant de l'eau.

« _ Vako ! Vako ! »

Je l'extirpe de la piscine, vacillant, et je m'effondre à son côté.

Ce n’est pas qu’il ne veut pas remonter… C’est que ses bras et ses jambes ne battent pas du tout le même tempo et que toute son agitation ne fait que pousser Vako vers le fond malgré ses meilleurs efforts. La panique commence tout doucement à pointer sous l’alcool, lui laissant le cerveau froidement conscient du manque d’oxygène dans ses poumons mais les membres toujours aussi peu coopératifs.
Naaaaan je ne veux pas mourir !
Ce serait idiot. Son père serait très triste. Il faut qu’il remonte !

Heureusement qu’il n’est pas seul, heureusement que Nynniaw est plus efficace que lui, qu’il le remonte. Aussi agile qu’un chiot, le médecin l’aide à le hisser sur le bord de la piscine où il tente vainement de reprendre un semblant de respiration normale.

- Haaaa… Unique SA TANTE.

Non vraiment, c’était malin de crier alors que tu as le souffle aussi défait, Vako. Surtout pour jurer.
Il roule mollement sur le côté pour essayer de voir son sauveur roux, de s’assurer de son état.

- Nyn ? Ca va ? Je suis désolé !

Ouf. Il respire. Il est vivant. Il échappe à mon bouche à bouche. Presque dommage. Mais je me perds le long de son corps où les gouttes d'eau se sont accrochées. Elles reflètent diverses lumières. Si je penche ma tête à droite, cela change toutes les perspectives. Si je penches à gauche, une nouvelle palettes de couleurs s'offre à mes yeux. Alors je parcours du regard le corps qui a coulé en m'émerveillant sans bruit à chaque nouvelle goutte rencontrée.

« _ Oui, oui, ça va. Et toi ? »

Je tourne une tête d'ahuri vers sa tête. Une perle translucide est en train de dévaler son front. Je la suis des yeux.

Est-ce qu’il se fait observer… ? Parce qu’il en a bien l’impression et il y a quelque chose qui lui donne l’impression d’avoir le coeur dans la gorge mais entre l’alcool et le manque d’oxygène, il n’arrive pas trop à déterminer s’il s’agit de peur ou d’autre chose.
Il laisse donc faire, en rougissant certes un peu mais sans s’enfuir en courant.
C’est comme si toutes les craintes habituelles sur sa carrure, ses cicatrices, sur tout lui, se retrouvaient mises dans une petite boîte loin de son cerveau.

- Oui ? Oui ça va pour moi aussi. Tu m’as sauvé je crois…

Allons bon, le vouvoiement est parti à l’eau. Manquer de se noyer rapproche les hommes.

- J’aurais pas dû essayer d’attraper les lumières…

Et le voilà à froncer mollement ses sourcils en se disant qu’il a été idiot.

- Je te dois au moins un repas. Au moins.

La goutte est pile entre ses deux yeux. Je louche dessus. Je m'en rapproche un peu. Elle va glisser sur son nez... sa joue... jusqu'au bout du menton. Il capte mon attention en parlant des lumières. Mon regard remonte jusqu'à ses yeux.

« _ Tu les vois, toi aussi ? »

Je pars dans un nouveau rire en tombant sur les fesses.

« _ On voit les lumières ! Il faut trouver les lumières ! »

Nouvelle mission. Nouvelle personne. Je me ramasse sur moi-même pour me relever avec difficulté. Le monde a beau tanguer, les lumières sont partout. Je tends les bras en essayant d'attraper quelques reflets. Là-bas ! Plein de lueurs !

Un pas...
Deux pas...

Plouf !

Ah oui, la piscine.

- Non-non-non-Nynniaw-noooon !

Trop tard : le rouquin fait plouf, l’eau éclabousse tout, Vako se redresse sur ses genoux aussi vite que possible pour tenter de faire quelque chose. Ce n’est pas facile pourtant, d’être sauveteur. Il a du mal à se traîner jusqu’au bord de l’eau, un peu de mal à coordonner tous ses gestes pour réussir à attraper monsieur Searuweard sous le bras sans lâcher la terre ferme de l’autre main.
Mais il y arrive. Et il lutte tout autant pour remonter le poids de quelqu’un plus grand que lui mais les heures en salle de sport s’avèrent utiles, puisqu’il y parvient.

- Le spa !

C’est la première chose qu’il glapit une fois assuré que son camarade de beuverie n’est pas en train de mourir.

- On va dans le spa !

Il ne sait même pas s’il y en a un, mais un bassin peu profond d’eau chaude lui semble soudain beaucoup plus sécuritaire que cette stupide piscine tueuse.

« _ Un partout ... ! »

Il semblerait, en effet. Je tends encore un peu les mains vers les lumières mais Vako est pas content et m'empêche d'y aller. Pourtant, il propose une alternative alléchante aux jolis rayons de faux-soleil : des bulles. Pas besoin de me le répéter deux fois, j'agite déjà frénétiquement la tête en signe d’acquiescement.

Je m'appuie à moitié sur ses mains, son épaule et mes genoux pour me relever. Trempé de la tête au pied, je ne ressens pourtant pas la morsure du froid extérieur. J'abandonne même mes affaires ici. Le jacuzzi ne doit pas être bien loin. C'est même peut-être tout proche ! Je pars en exploration de l'un des derniers bords de la piscine... Bingo ! Un panneau est affiché au mur : balnéothé... un mot compliqué pour dire : BUBUUUULLLES.

Je fais de grands signes à Vako pour lui dire de ramener sa fraise et je m'engage dans le nouveau couloir. Il est bordé de salle de massage, de petits bassins vides, de salle pour le personnel, d'un spa et... eheh ! De petites piscines à bulles. Fier comme un paon, j'ouvre la porte à mon compagnon.

« _ Si Môsieur veut se donner la peiiiine » Et je fais un petite courbette en indiquant le chemin.

En voyant le rouquin accepter son idée, Vako ressent un intense et très normal soulagement : ils vont enfin arrêter de risquer leurs peaux. Que Nynniaw a absolument… Non, stop, on arrête ça de suite. Qu’il a fort sur son dos.
Avant de rejoindre l’autre, le médecin prend le temps de fouiller dans ce qui ressemble à un bar. Lorsqu’il arrive près des bassins à remoux, il a dans les mains une bouteille de liqueur et deux verres qu’il agite avec un petit air triomphant.

- Môssieur apporte sa contribution.

Il la pose sur le rebord du bassin à bulles, en équilibre autant qu’il peut, et se plonge dans l’eau. Un gros soupir ravi lui échappe.

- Enfin une eau pas froide… Merci, Nynn, d’avoir trouvé ce bassin.

Tel un caramel mou chauffé au bain-marie, il commence donc à s’étaler.

- Je veux ça chez moi...

Ow. Pour quelqu'un qu'était pas chaud lors de son premier verre, il s'est plutôt amélioré. "Nynn" ? Je relève pas mais pour le gars qui me vouvoyait jusqu'à me voir en slip, on avance à grands pas. C'est électrisant. Et je frissonne tout entier, toujours galvanisé par le taux d'alcool présent.
Je me presse jusqu'au bassin pour retrouver la chaleur. Je me glisse dans l'eau. De nouvelles bubulles miroitantes où mon regard a définitivement envie de se perdre.

Par rapport à la piscine, on s'est au moins rapprochés de 70%. Ça risque de devenir le bordel là-dessous. Surtout s'il se prélasse comme ça. Surtout s'il continue à coup de "Nynn".

Je me glisse jusqu'au cou dans l'eau pour éviter le pire. Mais bon, c'est petit ce nouveau jacuzzi. Mon bras touche par inadvertance sa jambe. Gloups. Je le retire vivement et me retourne vers le mini-bar apporté jusqu'au bord des bubulles.

« _ Je te sers ? »

Totalement fondu par la chaleur, par le contact des bulles dans son dos, Vako ne remarque pas vraiment le bras trop rapidement retiré. Il est juste bien. Il veut un bassin comme ça sur le Vanguardia, ce sera son rêve irréalisable à partir de maintenant.
Enfin là il veut surtout à boire. Il se redresse pour se mettre mieux dans l’eau, fait un immense sourire en entendant la proposition de verre.

- Volontiers, s’il te plaît.

Mais c’est qu’il est bien élevé, le médecin à la limite de se mettre à générer paillettes et lumière tellement il est heureux. Et désinhibé. Surtout désinhibé.

- J’ai pris un peu au hasard mais au moins c’est pas juste de l’éthanol. Ca sera meilleur.

Alors je sers. Deux shooters bien plein. Ça aidera. Pourquoi ? Je sais plus bien. Peut-être à saisir un peu mieux les lumières. Je lui tends son verre et on trinque. Pourquoi la combientième fois de la soirée déjà... ? Bof. Il y a un moment où j'ai arrêté de compter.

Cul sec. Ça passe mieux. Je secoue la tête pour faire passer ce truc sacrément fort. Et j'ouvre la bouche en "O" dans un signe d'apaisement. La chaleur me brûle le gosier et me réchauffe le creux du ventre.

Je m'enfonce dans l'eau bouillante jusqu'au cou. Ça va mieux. Soupire de soulagement. Les yeux à moitié fermés, je questionne Vako.

« _ T'as quel âge, mystérieux médecin ? »

Il y a un arrière-goût de framboise cette fois dans l’alcool, quelque chose de sucré et délicieux qui lui reste sur la langue après avoir descendu son shooter d’un coup. Le plus important n’est toutefois pas le goût, mais l’effet du verre : il ne sent plus vraiment ses doigts, il a le cerveau qui continue de s’élever, tout le corps qui se détend.
Pourquoi il ne boit pas plus souvent déjà… ? Une histoire d’hormones non ?

- Je suis majeur !

Ca sonne comme une défense. C’en est une en fait, un peu maladroite, un peu sortie par habitude par un jeune homme qui a beaucoup trop tendance à vouloir être un Vrai Adulte Responsable.

- … Vingt-quatre. Bientôt vingt-cinq.

Pas exactement bientôt, mais ce sera dans moins de six mois alors ce n’est pas un mensonge non plus.
Histoire de retourner la question à Nynniaw, il s’en rapproche légèrement et l’observe, détaillant son visage beaucoup plus longtemps qu’il ne le faudrait à quelqu’un de sobre pour jouer aux devinettes.

- Toi tu as…. Vingt-sept ans… ? Plus que moi, moins que trente…

Vako, tu sais que tu n’as pas besoin d’être à dix centimètres d’un visage pour le regarder ?

Je rigole tout en faisant des bulles de temps en temps de l'eau. J'essaye de faire un rapide calcul de notre différence d'âge mais... euh. Ça marche pas. J'arrive pas à me rappeler comment ça marche, la différence des chiffres. C'est compliqué. Puis de toute façon mon attention est bloquée sur son visage qui s'est tout à coup rapproché du miens.

Que-que-que-que ?

Même si j'avais voulu, j'aurais même pas pu m'éloigner, je suis déjà contre le bord. Alors je l'observe du coin de l’œil. Mon attention se retient sur le côté de son crâne. Une longue marque plus claire. Je me redresse.

« _ Presque, j'ai vingt-huit... que je réponds, un peu pensif. Parce que je suis focalisé sur cette cicatrice. Et que je peux pas m'empêcher d'aller vérifier. J'approche une main légèrement tremblotante du côté de son crâne. Entre fascination et horreur. »

Pof.
C’est le bruit approximatif que fait le crâne de Vako posé très volontairement sur la main qui tremblait près de sa cicatrice quelques instants plus tôt. Ca va, ce n’est pas un affreux monstre que cette marque : elle n’est pas très jolie, elle n’est pas liée à un souvenir des plus agréables, mais elle n’est pas à cacher absolument.
Et puis quoi qu’il en soit, il est en sous-vêtements. Les choses à cacher ne le sont même pas.

- J’ai des géniteurs pas très sympas. C’est leur cadeau. Elle ne fait pas mal, elle est parfaitement saine, et tu peux la toucher.

Certes, il lui a collé sur la main et il aurait pu dire ça avant, mais… L’alcool ne l’aide pas beaucoup à être cohérent. Elle lui évite de partir en hurlant des choses incohérentes du bassin, c’est déjà mieux que rien.

Dans la chaleur ambiante, ma main brûle au contact de la cicatrice. Mais j'ai pas envie de l'enlever. Alors même qu'il m'autorise à toucher. Et que je parcours le long de son crâne l’estafilade du bout des doigts. Empathie renforcée par l'alcool, je dépose mes lèvres sur sa cicatrice.

C’est juste étrange.
Une part de sa conscience est très certaine qu’il faudrait réagir, là, que tolérer le contact des lèvres sur sa cicatrice est bizarre, inhabituel, dangereux même mais c’est comme si l’alarme était loin. Comme si l’alcool avait fermé cette porte et ouvert d’autres options.
Il n’a pas peur, pas vraiment.
Il n’y a pas de et si ou de d’habitude.

- Nyn ?

Il veut juste comprendre, vaguement, l’idée derrière le geste. Ce serait dommage que ce soit parce que le rouquin imagine que cette cicatrice le rend triste ou qu’il a eu une vie horrible et pas pour… Des choses qu’il ne veut pas formuler. Contre lesquelles il n’a pas vraiment d’objections là mais qu’il ne veut surtout pas regarder en face.