[Crust]De l'autre côté du miroir

Le Crust. Au large d'Esperanza, cette corvette ressemble plus à une mini-station mobile qu'à un vaisseau proprement dit. Dans la navette qui me mène de l'astroport au bâtiment, je regarde autour de moi un paysage magnifique d'étoiles et de vide. J'ai toujours aimé l'espace. J'y suis depuis tant de temps que je m'y sens chez moi. On me dépose dans un sas puis dans des couloirs magnifiques qui me permettent de gagner la réception. Autour de moi, des adultes mais aussi des enfants de toute condition sociale semblent se mêler. Je sais qu'il n'en est rien et que la vraiment haute société a ses salons à part. Cela ne me dérange pas, j'ai l'habitude de ces clivages. Finalement, c'est bien naturel.

Impeccable dans mon uniforme de cérémonie, Cariño dans ma poche, comme toujours, j'attends mon tour entre les familles déjà présentes qui veulent un pass au spa, les jeunes qui cherchent à s'inscrire aux attractions à sensation forte et les autres aléas quotidiens de l'endroit. J'espère que ce ne sera pas trop long. Le Capitaine de Aragon a été assez bon pour me permettre de filer quelques heures à l'occasion d'une escale mais j'ai, malgré tout, du travail et beaucoup de choses à organiser ici. L'ambiance en tout cas me plait beaucoup. C'est exactement ce que m'en a dit mon contact et probablement ce qu'il faut à ce que je veux faire. J'y trouverais de l'aide et les conseils dont j'ai besoin, j'en suis persuadé. Après tout, ce qui se vend ici, c'est avant tout un service, m'a-t-on dit...

Putain, on désemplit pas, ces derniers temps. Tant mieux, tant mieux, mais on trouve toujours pas le personnel qui pourrait nous permettre d'être un peu moins débordés. En attendant, on est trois à l'accueil, ce matin. Y a de gros arrivages, et la salle d'accueil pourtant grande est quasiment pleine à craquer. Si jamais ça continue, va falloir réfléchir à de nouveaux stratagèmes pour pouvoir accueillir encore plus de monde. Si ça se trouve, on finira par ouvrir un second restau'. Qui sait.

Déjà, faudrait qu'on ait suffisamment de personnel ici. C'est pas les fonds qui manquent, hein. Le chiffre d'affaire a jamais été aussi bon, et avec nos activités en parallèle, on gagne super bien nos vies. D'ailleurs, ça me permet d'envisager sérieusement à ouvrir cette association pour les démunis... Mais bref. C'pas le moment de penser à tout ça.

En attendant, on bosse comme on peut. Waalan accroché autour de moi, j'ai une longue jupe qui descend jusqu'à mes chevilles nues et un haut décolleté - comme d'hab. Ma collègue se charge d'un groupe qui contient une dizaine de personnes, dont des enfants. Un anniversaire, si j'ai bien compris. Elle se charge de les guider, et moi, j'ai en charge le client suivant. Un type seul, mais avec un bel uniforme. Un type de l'impérium, sans doute un noble. Je lui souris, bonne commerçante.

- Bonjour Monsieur, et bienvenue au Crust. Vous avez une réservation ?

"Bonjour Madame." Je souris à la jeune femme, décorée d'une espèce de serpent immense, probablement autochtone à l'une des planètes ou l'un des satellites du système. Je n'ai jamais vu son pareil et reste sans honte à distance raisonnable du reptile. Je n'oublie pas le palmidé dans ma poche.

"Je n'ai pas reservé, non, je viens pour le faire et organiser un séjour. Serait-il possible de voir un responsable ou un spécialiste des animations ? Je risque d'en avoir pour un moment et je ne voudrais pas faire attendre les personnes derrière moi."

Malgré ma politesse, je ne doute absolument pas que l'on trouvera le moyen de m'accomoder et cela se sent dans mes paroles. Je suis simple, sans démonstration excessive d'agressivité ou d'autorité mais je sais que l'on sent souvent mon assurance et mon charisme.

J'lui souris toujours. Il m'a encore rien dit de ce qu'il veut faire, mais ça a l'air sacrément intéressant. On va s'en foutre plein les poches, et surtout, eux, on va leur en foutre plein les yeux. Quoi qu'il demande, c'est clair qu'on va s'plier en trente pour lui offrir ce qu'il veut et mieux encore. Il a du charisme, le type. On sent qu'c'est un type important.

- C'est votre jour de chance, Monsieur. Niveau responsable, y a pas plus haut placé que moi, ici.

J'lui tends la main, comme je fais quand je reçois un type important avec qui on va faire de sacrées affaires.

- Raedhun Van Haten, je suis la propriétaire et la gérante des lieux.

Waalan siffle en direction de l'homme, mais elle demeure immobile sur moi. Elle ne bougera pas. Je ne demande pas l'identité de l'homme. Il me la donnera s'il veut. Sinon, j'aurais besoin d'un nom de code ou d'un truc pour réserver, mais c'est tout. On force personne, ici. Ce serait con sinon, au vu de la politique de la maison.

- Si vous voulez bien me suivre, on va aller se mettre à côté.

J'fais un signe au dernier de mes gars qui reste à l'accueil, et il appellera du renfort s'il a besoin. Il a compris, alors j'me fais plus de soucis pour lui. Moi, j'vais ouvrir une salle d'accueil juste à côté. Pas très grande, un bureau, des fauteuils.

- Alors dites-moi, Monsieur, que puis-je pour vous ?

Je serre la main tendue, souriant mais sérieux. Professionnel. "Capitaine Felipe de Golazzo des Forces Impériales." Van Haten cela sonne corporatiste alors j'ignore si elle comprend la valeur de mon titre dans nos arbres de noblesse mais être reçu directement par la propriétaire est soit un coup de chance, soit la preuve d'un très bon service de renseignement à l'accueil. Le serpent siffle et je lui jette un coup d'oeil détaché. Je reste sur mes gardes. On ne sait jamais avec les animaux sauvages. Raedhun cependant ne semble pas s'en formaliser aussi je la suis dans les couloirs jusqu'à une petite salle. Sans attendre, je m'assied dans un fauteuil, lui désigne l'autre et prend dans une sacoche un bulletin d'inscription à un tournoi d'échec organisé dans le complexe le 27 Tercer, jour du Repos trinitaire. Il est rempli au nom de Mia de Moya. Je le lui tends.

"Pour commencer, j'aimerais savoir si cette manifestation que l'on ma fait transmettre est toujours d'actualité et si j'y peux inscrire une amie. C'est pour une surprise, elle n'est pas au courant mais je sais qu'elle sera parfaitement capable de tenir son rang lors de cet évènement."

J'ai suivi sa carrière aux échecs. Je ne crois pas que qui que ce soit dans ce système de parvenus puisse lui tenir tête longtemps.

Quand il choisit d'me dire qui il est, j'affiche rien mais je note précieusement l'info dans ma tête. On s'assied, il me tend le formulaire d'inscription au tournoi, rempli. J'le parcours rapidement du regard, j'hausse un sourcil surpris quand je vois le nom de l'inscrite. Mia de Moya. Grand-mère. Alors j'affiche un sourire, et je jauge ce type d'une autre manière. Après tout, les amis de mes amis sont mes amis. J'suis contente de voir qu'il y a des gens bienveillants qui entourent la femme. J'l'aime vraiment beaucoup. En plus, ça va me faire une occaz' de la voir, même si c'est en coup de vent. Sans me lever, j'sors mon h-com et je consulte nos listes.

- C'est effectivement toujours d'actualité. J'inscris votre amie tout de suite. Et c'est noté pour la surprise. Je mets son nom dans les participants, mais je vais réserver à vôtre nom. Est-ce que ça vous convient, Monsieur ?

Nos inscriptions sont payantes, mais c'est franchement raisonnable. C'est surtout parce qu'on a pas mal de succès sur ce genre de manif'. J'lui parle pas encore de règlement, surtout qu'on va pouvoir appliquer des réducs' si jamais il nous prend plein de services.

"C'est entendu. Il nous faudra deux chambres, pour les nuits du 26 au 27 et du 27 au 28. Une chambre de catégorie haute pour elle et une de catégorie moyenne pour moi."

Je n'ai aucune honte à préciser, ni même une hésitation. Il est tout aussi normal pour moi de séparer nos sommeils que de penser qu'on puisse nous prendre pour un couple et qu'il y ait besoin de précisions. Après tout, ce ne serait pas étonnant. Je poursuis parce que j'ai beaucoup à demander.

"Nous devrions arriver vers l'heure du déjeuner, il nous faudrait donc dans sa chambre un déjeuner pour deux comportant sandwiches, salades, vin rouge léger, fruits. Il serait également agréable de disposer d'une navette qui viendrait nous chercher dans la matinée sur Esperanza et qui n'aurait aucune mention du Crust, afin de ne pas faire jazer l'équipage et de préserver un peu plus la surprise."

Pour le moment, cela reste du service normal pour un établissement de ce standing.

Je termine la réservation pour le tournoi d'échec, je valide, et après, j'm'occupe du reste, en lui jetant des coups d'oeil fréquents, pour lui montrer que j'écoute bien ce qu'il dit. Je note tout, aussi bien ses exigences pour les chambres, le repas, la navette privée. C'est pas le compagnon d'la grand-mère. Pas encore, parce que vu la surprise qu'il lui prépare...

- Ce sera fait. Une navette personnelle viendra vous chercher sur le coup des dix heure et demi. Est-ce que ça vous conviendrait ? J'ai simplement besoin d'une petite précision pour les chambres que vous souhaitez réserver. Nos chambres sont toutes de haut standing, simplement, elles peuvent accueillir de deux à quatre personnes. Pour le standing au-dessus, nous avons des suites. Est-ce que je vous réserve deux chambres, ou une suite et une chambre ?

Je commence tout juste.

"C'est parfait. Notez une suite et une chambre. Ensuite, j'ai cru comprendre que vous offriez un service de spa. J'aimerais réserver dès maintenant pour le 26 après-midi pour mon amie. La totale. Spa, massage, pedicure, manucure, coiffeur, bref, tout ce qu'il est possible d'avoir en une après-midi. Est-ce que vous avez un service de couture ou de livraison ?"

Je secoue la tête au rythme de ses demandes, et mes doigts pianotent rapidement sur mon h-com. L'habitude rend ça facile. J'suis la gestionnaire de ce foutu vaisseau, après tout.

- C'est réservé pour le spa. J'vous mets ma meilleure équipe sur le coup.

Puis, je lève les yeux un moment de mon h-com, avec un sourire satisfait.

- On a absolument tout ce que vous souhaitez, Monsieur. Demandez, on exauce.

Et ouais, c'est ça, le Crust. Vous avez des envies, des souhaits, des rêves ? On les réalise pour vous !

La meilleure équipe est toujours celle qui est disponible dans ce genre d'établissement. Je ne relève pas mais sourit lorsqu'elle me défie de la défier. Elle ne sait pas sur qui elle est tombée, pauvre femme. Si je ne suis pas un joueur invétéré, je ne recule jamais devant ce genre de challenge. Alors c'est parti. Je ramasse le gant, le relève...métaphoriquement, et tend un papier tout ce qu'il y a de plus réel à la jeune femme.

"Il me faudrait une robe. Idéalement dans les gris foncés, peut-être les bleus mais le gris lui va mieux. Un tissu simple, comme un coton de bonne qualité ou bien une soie sauvage, pas de satin, cela la rendrait mal à l'aise. Avec une coupe élégante, qui la mette en valeur sans trop la sexualiser. Ce devra être une robe confortable avant tout, donnant une certaine aisance de mouvement, ni provoquante, ni banale, ni sophistiquée. Vous trouverez sur ce papier une photographie ainsi que les tailles haut et bas de ses uniformes pour avoir une idée de ses mensurations. Et il me faudrait la robe sur son lit dans sa chambre lorsqu'elle remonte du spa mais pas avant. Cela est-il possible? "

Je note rapidement tout ce qu'il me dit. J'reste pro, concentrée. J'l'avouerai pas, mais j'aime bien ça, les clients exigeants, qui me posent des défis. Les clients qui savent ce qu'ils veulent ou qui me demandent une implication particulière pour satisfaire leurs souhaits, même si j'aimerais bien avoir plus de temps pour pouvoir faire ça, et me consacrer surtout à ça. Et le petit plus de cette affaire, c'est que j'connais bien la grand-mère. Assez bien pour trouver la bonne teinte pour sa robe, et pour pas trop faire de conneries. J'espère, en tout cas.

- Ce sera fait, Monsieur. Elle sera ravissante. Je parle de la robe, mais ce sera vrai aussi pour... Pour votre amie.

J'allais dire la grand-mère. Putain, heureusement que j'me suis reprise. J'ose même pas imaginer sa gueule, ni à quelle vitesse il aurait quitté les locaux devant cette appellation qu'il aurait p't'être jugé comme étant offensante. Sûrement, même. J'me racle la gorge, mais pas comme un gros dégueulasse. Classe et distinction. Ca, j'sais faire au moins.

- Est-ce que vous désirez qu'on vous envoie une photo de la robe dès qu'on l'a terminée, pour que vous nous disiez si elle vous convient ou s'il faut faire des retouches ?

"Inutile. Je vous fais confiance. Surprenez-nous." Des robes. Est-ce que je m'y connais en robe ? Curieusement beaucoup trop. Ma femme me parlait sans arrêt de coupes, de tissus, de couleurs et de rubans. Elle semblait ne s'intéresser qu'à ça. Lorsque ce n'était pas pour des vêtements, c'étaient pour des rideaux, ou des coussins. Pour refaire le parloir. Pour habiller les employés de maison. Personnellement, ce qui m'intéresse, dans les robes, c'est comment les enlever. Non. Pas avec Mia. Plus maintenant. Ce n'est pas le but de la manoeuvre.

"Ensuite, il nous faudra bien évidemment une table dans votre restaurant étoilé. Avec vue sur l'espace, deux menus dégustations, choix du sommelier pour les vins accompagnant chaque plats, eau plate et gazeuse. Puis quartier libre jusqu'au lendemain. Réveil dans sa chambre a huit heures dix-sept avec un petit déjeuner complet. Pour ma part je descendrais dans l'un des restaurant. Vous lui remettrez ce mot avec le plateau."

Il tend un nouveau papier, non cacheté. En l'ouvrant, il y a une publicité pour le concours d'échec qui commence à neuf heures avec une mention manuscrite "pour l'Empire - FdG PS : En cas de défaite, une bière devra être offerte aux supporters."

Meilleure réponse qu'il pouvait me donner. J'souris, satisfaite. J'aime bien quand on me demande de surprendre. J'aime même beaucoup trop ça. Waalan a glissé de ma poitrine pour se caler sur mes genoux, elle dort tellement profondément que c'est plus qu'un gros rocher que j'ai sur moi. J'note ce qu'il me dit sur le restau, je rajoute une petite note pour rappeler les allergies à la cerise et à la fraise. Il s'agirait pas de la faire crever, hein. Il est précis, il sait ce qu'il veut. Il y a sans doute réfléchis pendant longtemps. C'est un militaire quoi, et ça se sent.

Tant bien que mal, j'me penche en avant pour récupérer le papier qu'il me tend. Waal' bouge pas davantage, même si j'note qu'en fait, elle dort pas si bien que ça, et elle regarde le type en face avec un air étrange. J'la surveille, il se passera rien, mais j'me demande pourquoi elle lui porte cet intérêt soudain. Sans plier ce qu'il m'a tendu, j'le glisse précieusement dans une de mes poches. J'dis rien cette fois, juste je le regarde lui en attendant la suite, si y a une suite. C'déjà une belle surprise, là, mais sait-on jamais.

"Je ne sais pas ce qui est prévu pour le déjeuner des participants au tournoi. Si rien n'est organisé, je vous demanderais de réitérer le plateau sandwich, salade et dessert avec une boisson énergisante aux fruits. Sinon, autant ne pas déranger plus que nécessaire l'organisation en place. Comme toujours, je me débrouillerais pour ma propre nourriture, ce n'est pas un problème. Reste le second soir. Je pense lui laisser quartier libre pour réseauter et fêter sa victoire jusqu'à 19h30 environ. J'ai entendu dire que nous pouvions privatiser une navette pour dîner dans l'espace ? Est-ce vraiment intéressant, voit-on des choses inédites ou bien avez-vous une autre idée qui permettrait de terminer en apothéose ? J'ai regardé les options internet mais si vous avez des suggestions, je suis preneur." Je vais dépenser beaucoup d'argent pour deux jours de repos. A ce prix, j'espère pouvoir convaincre la femme en face de moi de faire un geste et de m'indiquer quelque chose qu'aucun autre n'aurait pu offrir. Quelque chose que Mia ne pourra pas oublier et qui lui rappellera ce que c'est que de lâcher prise, de se laisser conduire, d'arrêter de travailler. Je veux mettre des étoiles dans ses yeux, rappeler la folie de notre jeunesse, sans les folies que nous y avions alors associé.

- On a tout prévu pour le tournoi. Y aura un buffet à volonté, avec boissons et encas distribués tout au long du tournoi pour tous les participants.

Ca, c'est la partie facile. Celle qui me pose pas trop de soucis organisationnels, et qui rentre dans nos plans initiaux. Pour le reste, va falloir se creuser un peu les méninges. Le gars, il a l'air d'attendre beaucoup de notre établissement. C'est l'moment d'en foutre plein la vue, surtout si on veut qu'il ait une bonne raison de revenir après, ou de faire de la pub à notre établissement.

- Nous avons effectivement des navettes, ouverte à 360°, à laquelle on donne une légère impulsion pour qu'elle tourne sur elle-même d'une manière lente et continue, tout en vous donnant une sensation de stabilité. Pour accompagner votre soirée, nous pouvons vous faire un spectacle lumières et artifices sur mesure. Quelque chose de grandiose, qui jouera sur les ombres, autour d'un des astres dont on sera le plus proche, avec des couleurs... Un spectacle que vous serez les seuls à voir. Tous les deux, dans cette navette, avec jusqu'à deux membres d'équipages si vous le souhaitez - ou seulement vous deux - et l'Univers rien que pour vous.

Est-elle poétique, la Mia d'aujourd'hui ? Je l'ignore, cela ne fait pas assez longtemps que je la fréquente à nouveau. Je connais son esprit rationnel, son intelligence sauvage, sa fierté indomptée. Je sais qu'il s'agit d'une volonté de fer et d'une loyauté à toute épreuve. L'adolescente que j'ai connu aimait aussi s'amuser, ou du moins goûtait mon humour. Avec cette sortie, je la force à me céder le contrôle de sa vie pour deux jours. Ce ne sera pas facile pour elle, je le sais car je suis pareil. Je ne dois pas me tromper. Je dois lui montrer qu'en s'abandonnant, on peut se reposer, on peut se retrouver. La Mia d'avant s'est perdue. L'ami que j'étais ne me pardonnerait jamais de ne pas tenter, ne serait-ce qu'un peu, de la ramener à la surface. Un spectacle de lumière autour d'une étoile dans l'espace ? Est-ce assez ? N'est-ce pas trop ? Je réfléchis intensément, en silence. Cariño s'impatiente soudain, sortant la tête de la poche pour me pincer le doigt. Je l'y remet machinalement. Il recommence. Je fronce les sourcils. "J'ai peur que ce soit trop romantique. Qu'en pensez-vous ?"

J'vois le petit truc qui sort de la poche du grand bonhomme, et j'comprends brusquement ce qui intéresse tant Waalan. Elle a relevé la tête d'ailleurs. Je claque de la langue, agacée, et elle comprend tout de suite. Elle siffle en ma direction, mécontente, mais elle glisse sur elle même, se retourne, la tête dos à nous, et elle se pose. Je soupire et me reconcentre sur le type.

- Nous sommes un vaisseau de luxe, au beau milieu de l'espace. Beaucoup de nos activités peuvent, effectivement, être considérées comme étant romantiques. Cependant, notre spécialité est aussi d'en mettre plein la vue à nos clients. Il n'y aurait pas de musique romantique à bord, et nous axerions le spectacle sur des thèmes qui ne sont pas romantiques. Peut-être des souvenirs que vous avez en commun, un film que nous pourrions diffuser, ou simplement quelque chose de grandiose, à sa hauteur. Quelque chose qui ravivera les flammes des âmes d'enfant les plus profondément cachées. Quelque chose de... De magique, vous voyez ?

Elle vend bien ses services et elle a des arguments intéressants. Certes, tout peut sembler romantique à première vue, c'est certain. Mais jusqu'ici, j'ai bien fait attention à ce qu'il y ait des gens autour de nous pour prouver en cas de besoin à l'Etat Major que nous n'avions pas franchi "le seuil lumineux de l'amitié' comme l'avait dit un très vieux sage de je ne sais plus où, je ne sais plus quand.

"Va pour la magie des âmes d'enfant. Avec la présence des membres d'équipage et si vous voulez le vendre à deux autres personnes, tant qu'il ne s'agit pas d'enfants turbulents ou d'adolescents alcoolisés, cela ne nous dérangera pas. Nous rentreront à l'hôtel après l'activité pour dormir, puis réveil à neuf heures, avec petit déjeuner comme la veille et navette pour retourner à notre poste avant midi. Je crois n'avoir rien oublié... faut-il réserver la salle de sport ou bien y a-t-il souvent de la place ?"

Ah, il se laisse convaincre. Je note, j'vais m'occuper personnellement de ça, et putain, il va pas être déçu. Comme on dit, il va en avoir pour son argent. Ca va être un we intense. J'mettrais au moins deux personnes à temps plein juste pour s'assurer que tout est parfait, qu'ils manquent de rien, que tout se déroule sans accroc. J'serai pas loin non plus, ça c'est certain. C'qui est bien dans son programme, c'est qu'il a gardé des plages horaires prévues pour que la grand-mère s'amuse et se détende. Ca me laissera peut-être l'occaz' de prendre un moment pour avoir de ses nouvelles. J'hoche donc la tête, et j'confirme tout ça avec mes dernières notes. On a du boulot, mais ça va valoir la peine, parole de Van Haten.

- La salle de sport est assez large pour que vous trouviez la place dont vous avez besoin, n'ayez pas d'inquiétude à ce propos. Nous nous occuperons de tout pour que votre séjour parmi nous soit parfait, vous pouvez avoir confiance. Peut-on faire autre chose pour vous, Monsieur ?

"Non, je crois que j'ai ce qu'il me faut." J'allais me lever lorsqu'une nouvelle idée vient me frapper, me stoppant dans mon élan. Je me rassied. "Si. J'aimerais un plan de la partie hôtel du vaisseau et la mener moi-même à sa suite, sans que l'on nous guide. Si elle est égale à elle-même, elle devrait être assez nerveuse à notre arrivée et je ne ferais pas subir ça à un pauvre employé, aussi gros soit le pourboire. De plus je préfère éviter les fuites. Le secret et le timing sont primordiaux."

J'hoche la tête. Parmi toutes ses demandes, c'est la plus simples. J'me lève, donc avant j'soulève la grosse et j'la pose sur mon fauteuil à ma place. J'm'approche du bureau, et en moins de deux secondes, j'en sors une petite plaquette, avec à l'intérieur, un plan détaillé de toutes les parties du vaisseau accessibles par le visiteurs. J'm'approche de mon client et je lui tends.

- Si jamais vous avez des soucis malgré le plan, n'hésitez pas à me faire appeler. J'ai l'habitude des clients nerveux.

Et la grand-mère, elle me fait pas peur. J'lui souris, et j'm'arrangerai pour être là à ces dates. J'sais pas si Rob' sera là ou pas, on verra bien. C'pas vraiment nous qui choisissons, ce genre de trucs.

J'attrape le plan et me lève à mon tour. L'entrevue se termine. Malgré moi presque. C'est une femme professionnelle, qui semble fière et aimer les défis. J'aurais plaisir à la rencontrer de façon moins formelle. Peut-être durant mon passage, qui sait. Même si je sais déjà que m'occuper de Mia prendra le plus clair de mon temps. C'est que cette surprise est pour elle avant tout. Je souris.

"Je n'hésiterais pas." Je songe un moment à proposer de la faire appeler pour des choses moins en rapport avec les clients nerveux et décide de ne rien en faire. Ne compliquons pas tout tout de suite. J'ai tout monde temps. "Je vous remercie pour votre professionnalisme et votre temps, Madame Van Haten. C'est un plaisir de faire des affaires avec vous. Je suppose que la facture m'attend à la réception ?"

J'aime bien ce type. Il a des idées précises, me lance des défis aussi gros que son porte-monnaie, certainement. Et puis merde, il réserve un séjour vachement sympa à une pote qui est aussi la mienne. Ca, ça fait plaisir. J'lui souris, pro jusqu'au bout. J'incline la tête, comme l'air de dire "Y a pas d'quoi, gros... Heu, Monsieur le Noble.".

- Et moi, je vous remercie pour votre confiance, Monsieur de Golazzo. Effectivement, le règlement se fera là-bas avec un de mes collègues. Je vous raccompagne.

Je vérifie que j'ai rien oublié, et je me penche un instant au-dessus du fauteuil. Waal' est déjà prête, et elle s'enroule autour de mon bras puis de mes épaules. Mais non, j'vais pas t'oublier, bêtasse. Et puis, en souriant encore, j'me dirige vers la porte, je l'ouvre et je fais une petite révérence pas trop poussée au gars pour l'inviter à passer.

- Je vous en prie.

J'refermerai la porte derrière nous, puis j'vais le saluer avec une bonne poigne de main bien virile - mais pas trop non plus. Et après, j'repartirai au travail pendant qu'on l'encaissera à l'accueil. C'est un joli contrat qu'on vient d'se prendre, là. J'ai hâte que ça se fasse.