Bienvenue au Crust [Lawrence & Raedhun]

Je cours presque dans les longs couloirs du Crust. On a une grosse arrivée, tout le personnel est déjà surchargé et bien sûr, Robert n'est même pas là. Il choisit bien ces moments, celui-là. Waalan me ralentit ; enroulée autour de mon torse, d'un de mes bras puis de mon cou, une partie de sa queue traîne quand même par terre. C'est qu'elle commence à être lourde. Au moins, ça m'fait les muscles. Je passe rapidement devant les différentes salles à thème : nature, classique, taverne, high-tech, puis la salle de spectacle. Il reste des places partout, mais c'est déjà bien rempli. On a trois de nos salles privées qui sont réservées aussi. L'hôtel et le spa sont dans l'même état.

Je me dirige vers l'accueil, et en bonne commerçante, je me force à adopter une attitude chaleureuse et ce putain de sourire - que je travaille, mais 'parait que c'est toujours pas trop ça. Ici tous les clients doivent être traités comme des rois. C'est la règle. Peut importe ce qu'ils font et ce qu'ils demandent. Mais étonnamment, on me fait rarement chier. La salle d'accueil est une large salle richement décorée. Le sol est couverte d'un tapis aux motifs noirs et rouges. Les murs sont décorés par des ornements dorés, et un beau lustre éclaire le tout. Face à l'entrée, il y a notre comptoir. Et c'est derrière ça que je me tiens, droite.

Le Crust est un vaisseau qui reçoit les plus déjantés de l’intelligentzia de Dorado. J'en connaissais la réputation longtemps avant de prendre place à bord de l'Albatros mais, n'en voyant que le côté tourisme sexuel, je n'y avais jamais pensé comme d'un endroit d'affaire et quand le Capitaine m'ordonna d'y poser l'oiseau, je fus naturellement étonnée.

Et pourtant, franchement, j'aurais du y penser avant.

La corvette est immense et je dois avouer que je suis ravie de poser mes sandales sur ses tapis chaleureux. Pour l'occasion, j'ai troqué mes pantalons pour une jupe qui s'arrête au dessus du genou avec un top tout joli, le genre classe et chic que mon père aurait pu approuver mais qui me laisse assez de liberté de mouvement pour redevenir combattante si jamais le besoin s'en fait sentir. Je n'oublie jamais que j'ai fait l'armée et m'entraîne souvent pour ne pas que ma technique se rouille. Comme je ressemble à rien, je me dis que ça pourrait être utile.

Beth est à ses trucs, elle ne m'a pas dit quoi, je n'ai pas demandé. Du coup, je regarde l'ambiance rococo à base de rouge, de noir et de doré. Il y a une femme derrière un comptoir. Je lui fais un sourire et un signe de la main.

« Bonjour ! »

Une jeune femme pénètre dans l'accueil, et je lui offre le sourire le plus avenant dont je suis capable - j'suis une bonne commerçante, mais faut pas se demander pourquoi je suis pas à l'accueil d'habitude. Le premier contact, c'est pas toujours mon truc. Enfin, en tout cas, ça me demande un effort que j'ai pas toujours envie de faire. Mais bon, on me demande pas vraiment mon avis. Et puis le Crust pourrait pas fonctionner si j'avais une réputation de femme désagréable, alors j'essaie de me calmer.

- Bonjour, et bienvenue au Crust ! Je m'appelle Raedhun Van Haten, et je suis la propriétaire. Je serai également votre guide pour que vous passiez le moment le plus agréable possible. Vous connaissez la maison, ou c'est votre première fois ?

Mon guide pour que je passe un moment agréable ? Et bien, dites donc, si je m'attendais à un accueil pareil dans l'espace...j'aurais pas réagit différement je crois. Je souris à mon tour, juste joyeuse – je souris trop, je sais – et m'approche d'elle. La fille, elle ressemble à Toor'kan (si je me trompe pas dans la prononciation du prédateur de Renaissance) et moi, petite face à elle mais pas folle comme guêpe, je note de pas tenter de trop la faire chier. J'espère quand même qu'elle est moins susceptible qu'elle semble le montrer.

« C'est ma première fois. Je suis arrivée avec l'Albatros et on nous a donné quartier libre pour visiter alors je me suis dit, pourquoi pas, toute nouvelle expérience est bonne à prendre. Mais si vous partez pour moi seule, vous ne risquez pas de laisser l'accueil vide ? Je ne voudrais pas vous causer de soucis, je peux bien me balader seule s'il le faut. »

L'Albatros est bien le seul vaisseau qui a amarré dans l'heure, et c'est pas l'heure pour la navette. J'aurais pu deviner seule sa provenance. M'enfin, je dis rien. Elle s'inquiète pour les autres clients, si c'est pas mignon. Elle a l'air bien gentille pour une corsaire. D'un geste désinvolte de la main, je balaie ses paroles. Waalan n'apprécie pas trop ça, et siffle pour me le faire comprendre. Je la caresse et elle se calme immédiatement.

- Vous en faites pas pour les autres, je suis heureusement pas seule à faire marcher ce rafiot. Et puis comme je vous l'ai dit, je suis la propriétaire. Les soucis, c'est moi qui les crée, mais pas moi qui en ait.

Je lui fais un clin d'oeil pour montrer que c'est de l'humour - ça se peut qu'on comprenne pas bien mon humour, parfois. Faudrait pas qu'elle ait déjà envie de fuir, alors qu'elle vient juste de débarquer. Et puis avec de la chance, si elle passe un bon moment, elle fera de la pub à ses petits camarades restés à bord de l'Albatros pendant l'escale.

- Le Crust est assez grand, et je suis bien certaine que vous trouverez ce que vous cherchez, quoi que ce soit. Nous avons quatre salles à thèmes, ainsi qu'une grande salle de spectacle, un hôtel et un spa. Vous avez des envies particulières ? Je peux vous faire visiter l'ensemble pour que vous vous décidiez.

Un spa ? Et les mecs du vaisseau ne l'ont pas encore pris d'assaut dans l'espoir de croiser une nana ? Etonnant. Mais de toute façon j'ai pas pris mon maillot de bain et je me montre pas à poil à mes subordonnés sinon j'arriverais jamais à les faire travailler correctement. N'empêche, c'est grand ici. Moi qui ait surtout l'habitude des corvettes de combat, aménagées pour contenir surtout des gens et des armes quoi, je me demande comment sont les salles,quelles tailles elles ont et genre un hôtel ? Et bien et bien. Elle se refuse rien le Capitaine pour ses affaires. Bon je me moque mais je sais bien que ça me regarde pas.

« Je veux bien visiter alors, si cela ne vous dérange pas. Vous arrivez à le faire fonctionner, à loger le personnel ET à avoir autant de place, je suis curieuse et impressionnée. Comment cela se passe pour le ravitaillement ? »

Je lui offre à nouveau un sourire commercial - putain, c'est vraiment pas naturel de sourire.

- Bien sûr. Par ici, je vous en prie.

Je lui indique un couloir, et je m'engouffre à sa suite. Ce couloir-là mène aux deux salles à l'étage, puis au rez-de-chaussée. On commencera donc par l'étage.

- Vous allez voir, c'est un peu la magie du Crust. Il est bien plus grand qu'il n'en a l'air ! On a beaucoup travaillé sur sa conception.

Puis, tandis qu'on commence à marcher vers la première salle, je réponds à sa question.

- On a des accords avec tout un tas de commerçants partout dans l'univers, que ce soit dans l'alimentaire ou les produits de soin et d'entretiens divers. Deux fois par semaine, on est ravitaillés par un vaisseau qui nous apporte les vivres dont on a besoin et qui fait nos vidanges. C'est simple, pas vrai ?

Et puis, on arrive devant la grande porte de la première salle. Je me racle la gorge.

- Voici notre première salle, sur la thématique du grand luxe.

J'ouvre la porte pour découvrir le grand espace aux couleurs claires, sobres et classes, les lustres immenses et royaux qui éclairent la salle, les diverses tables nappées de blanc et fleuries, les larges fenêtres qui ouvrent sur l'infini de l'espace. Une musique classique y est diffusé à l'instant.

- Celle-là attire beaucoup le grand monde, et ceux qui viennent fêter une occasion spéciale. Un mariage, un anniversaire... Vous aimez ?

Je suis pas dupe. Un Too'kran qui sourit on sait jamais s'il montre les dents ou pas mais je réponds par un sourire tout ce qu'il y a de plus joyeux et lumineux, parce que moi, sourire, c'est aussi naturel que de respirer. En vrai, c'est quand je fais la gueule qu'il faut se méfier parce que malgré mon côté solaire, je peux être une putain de nuisance. Par chance, aujourd'hui personne ne m'a encore fait chier.

Je la suis donc, allongeant le pas pour être à côté plutôt que derrière. J'aime pas parler à des culs. Et je la laisse me débiter son blabla commercial. Est ce qu'elle l'invente ou est ce qu'elle l'a appris par cœur après avoir confié sa rédaction à une équipe de com ? J'imagine des trucs, me sentant décrocher comme toujours quand quelqu'un se lance dans un monologue.

On rentre dans une salle. Luxe est en effet le mot pour la décrire. Comme je sens que pour le coup on va me demander des trucs, je me reconcentre assez pour saisir des histoires de mariage et la question qui suit. Ouf !

« C'est sympa. » ouais bon, après j'ai vu des palais de cardinaux et des trucs d'ambassadeurs alors le luxe ben, ça m'épate pas autant que le clampin moyen. J'essaie quand même de pas la vexer. « Personnellement je préfère plus de personnalité aux endroits mais pour ce à quoi elle sert à savoir les réceptions officielles, elle est bien pensée et bien décorée. »

Elle est bien élevée la petite dame, mais on est pas obligés d'être faux-cul ici.

- Vous avez le droit de le dire, si ça vous plaît pas. Vous allez voir par vous-mêmes, nos salles sont très différentes, justement pour pouvoir plaire aux goûts de chacun.

Je referme la porte, et je la guide jusqu'à un escalier qui descend.

- La seconde salle est la plus moderne. On l'a faite sur le thème de l'hightech.

J'ouvre une porte métallique, et on se retrouve face à un univers très différent de la première salle, avec de l'électronique, de la technologie et de la modernité qui offrent une ambiance qui n'a rien à voir avec ce qu'on vient de voir.

« C'est pas que ça me plaît pas, c'est que c'est une salle de bal. Avec des gens en tenue, de la musique et de la bouffe elle serait parfaite mais les salles de bal vide, j'ai toujours l'impression que c'est un lendemain de fête, le genre déprimant et terne malgré les couleurs voyez, genre quand on a la gueule de bois et qu'on se prend le soleil dans la gueule. On a beau aimer le soleil, on trouve pas ça cool. »

J'sais qu'elle s'attendait pas à ce que je me justifie mais quitte à causer, j'aime autant causer de trucs qui soient pas sur le prospectus et j'dis jamais non à un bon débat des familles. On arrive ensuite dans une salle hightech et pareil, elle est vraiment bien décorée c'est cool – j'aime d'ailleurs mieux ce style là même si je sais que ça fait geek dit comme ça – mais elle manque de bruits de machines et tout.

« Vous devriez mettre une ambiance musicale quand elle est vide. Des conversations je veux dire, par dessus de la musique vierge, ça ferait plus vivant, on imaginerait les fantômes des fêtes passées, invisibles mais audibles qui se seraient inscrits dans les murs froids du vaisseau. Ca irait bien avec votre image en plus. »

Je la fixe un moment, en réfléchissant.

- J'prends en compte vos conseils. On fera quelques aménagements pour que la salle du haut soit toujours en ambiance soirée de bal, et puis j'rajouterai des bruits de conversation dans la bande sonore de celle-là, au-dessus de la musique et des bruits métalliques. N'hésitez pas si vous avez autre chose à dire, c'est toujours constructif. C'est aussi pour ça que j'aime mon établissement. On peut toujours l'améliorer, et rendre ça plus attrayant pour les gens.

On emprunte un couloir qui longe la dernière salle qu'on a vu, et puis j'ouvre une nouvelle porte, en bois cette fois. La salle est toute en bois, y a une musique énergique et quelques clients dedans qui parlent fort.

- Ambiance taverne : musique, rhum et feu de cheminée.

Elle dit qu'elle va prendre mes conseils en compte. Ptet qu'elle le fera, ptet qu'elle le fera pas mais au moins, elle prend pas la mouche et c'est tant mieux parce que j'ai pas vraiment envie de rendre la vie plus difficile à la Captain en me frittant avec la proprio. En plus j'suis sérieuse. Des trucs de luxe j'en ai vu plein dans ma vie de fille de, et puis voilà quoi, ça m'a jamais autant fait rêver qu'une carte 3D en simulation avec quelques chutes d'astéroïdes. J'continue à la suivre et on arrive dans une salle de taverne qui me rappelle celle de Hope là, avec le type roux. Mais dans l'espace. Même idée, du bois, des gens, de l'alcool.

« Là c'est plus ma cam' mais après, c'est logique, j'viens d'un vaisseau corsaire. Vous servez quoi comme boisson dans cette salle ? On y danse aussi ou c'est réservé à la salle de bar ? Vous faites comment pour faire la différence entre les gens qui ont pris genre une semaine dans votre hôtel et viennent se détendre et ceux qui sont juste là de passage ?»

Elle a plein de question la p'tite corsaire, et elle a l'air de vraiment s'intéresser à mon établissement. Ca me fait plaisir. J'aime ça, les clients qui se sentent concernés par l'endroit où ils vont, et qui ne se contente pas d'hocher bêtement la tête pendant la visite de bienvenue. On est en train d'installer des écrans à l'accueil pour que la visite se fasse sans bouger dans tout l'vaisseau comme ça, mais c'est pas encore fonctionnel, et ça me convient qu'à moitié. Y a qu'en allant dans ces salles qu'on peut vraiment ressentir les ambiances qui s'en dégagent.

- On sert une grande diversité d'alcools, et tous types de cocktails, alcoolisés ou non. Y a quelques boissons qui sont effectivement typiques de la salle, mais sinon, y a moyen de commander n'importe quel plat ou boisson servi normalement sur le Crust.

J'hausse les épaules.

- Y a pas de règlement qui interdit la danse. Comme vous l'entendez, y a souvent de la musique bien entraînante ici, alors y a des moments où ça partirait presque en boîte de nuit. Mais généralement, c'plutôt calme et bon enfant. C'est pas une salle où on se prend la tête. Et on fournit des bracelets colorés à ceux qui sont ici pour plusieurs jours. Ca leur ouvre aussi l'accès gratuit à notre aire de bien-être.

"Ah ouais ? Elle ressemble à quoi la salle où on se prend la tête, je suis curieuse de voir ça !" Jusqu'ici j'ai été sage, diplomate tout ça mais chassez le naturel, il revient au galop et là, franchement, la perche est juste trop belle pour ne pas la saisir. Si elle me regarde, elle verra bien que je souris franchement donc ça ne devrait pas poser de soucis, à moins qu'elle ne soit susceptible.

Je la crois trop commerçante pour ça, j'parie mes sandales que même si elle le prend mal, elle le montrera pas. N'empêche, l'alcool, les cocktails, c'est cool. Moi par exemple, j'aime bien la bière, blanche, fraiche avec du citron par exemple. Et les cocktails sucrés évidemment. Et la vodka quand j'ai vraiment envie de me mettre minable mais ça, c'est déjà plus rare.

"C'est compris dans le prix de la chambre, l'aire de bien être ou faut payer genre un forfait spécial VIP ou truc du style ?"

- Je pourrais pas vous les montrer aujourd'hui, malheureusement. Il se trouve qu'elles sont déjà toutes réservées. Mais on a tout prévu, au Crust. Ce sont des salles privées, ni trop grandes ni trop petites, qu'on réserve. On a même un forfait spécial "vaisselle cassée", avec des prix sympas pour nos habitués. A l'occasion, si vous avez envie de vous engueuler avec quelqu'un au calme, pensez à nous.

Je referme ensuite la porte, et je l'invite à me suivre à nouveau dans les couloirs.

- C'est compris dans le prix de nos chambres, ouais. On peut aussi y accéder si on est pas en chambre, mais faut payer par contre. Si vous voulez, j'finis de vous montrer les deux salles qui reste, et je vous fais voir rapidement le spa.

D'ailleurs, je l'entraîne jusqu'à la dernière salle de notre première aile. On s'arrête devant une porte massive, en bois naturel, avec du lierre qui la décore.

- La dernière salle du premier bâtiment.

J'ouvre la porte pour découvrir le sol en terre et herbe, avec la cascade, le petit point d'eau, les tables et les chaises en troncs, l'ambiance nature avec des bruits tout droit sortis de Renaissance qui sont diffusés, et les larges trompe-l'oeil sur les murs qui font qu'on s'y croirait vraiment.

« Je ne me dispute jamais, moi, voyons. Je suis bien trop bien élevée pour ça » je rétorque avec un sourire avant de faire un tour sur moi-même, bras écartés en un joli pas de danse. Mais la visite se poursuit et je la suis dans les couloirs à nouveau. L'endroit est bien plus grand que je l'avais imaginé. Je me demande s'ils arrivent à tout remplir et quels genres de gens viennent là même si je sais que ce ne sont pas mes oignons. La vérité c'est que je suis curieuse. Je me demande aussi à quel point ce machin est un mastodonte à faire voler ou s'il est suffisamment manœuvrable pour faire autre chose que des trajectoires droites et des ellipses stationnaires autour de cailloux.

« Vous faites comment pour l'eau ? C'est un système fermé j'imagine ? Mais vous devez avoir des pertes avec la condensation et l'humidité sans parler de la terre et de l'herbe que vous devez arroser. L'eau pèse lourd. Je doute que vous soyez très autonomes en voyage, si ? »

- Oh, vous savez, même les plus grands de notre monde ont leur part d'ombre.

Et je sais de quoi je parle. Y a qu'à voir les soirées dans lesquelles je vais. Et sans partir si loin, y a pas que des pirates violents et sanguinaires qui me cassent ma vaisselle. En tout cas, j'suis plutôt contente de l'intérêt que la dame porte à mon établissement, et j'en suis d'autant plus fière que les détails qu'elle voit, c'est effectivement des trucs qui nous ont posé des petits soucis à la conception.

- C'est un circuit fermé, ouaip'. On a des récupérateurs de condensation, et on a des contrôleur d'humidité dans la pièce qui permettent d'éviter au maximum les pertes. C'est pas du 100%, mais ça suffit largement. On a également un petit système très efficient de traitement de nos eaux usées, qui permet de minimiser encore plus les quelques pertes qu'on peut avoir.

J'hausse les épaules. Enfin, j'essaie. Avec Waalan enroulée autour de moi, c'est pas franchement une réussite.

- Mais effectivement, ça poserait des soucis pour de longs voyages. Heureusement, on bouge pas beaucoup, ni souvent ! Le Crust a pas été conçu pour être hyper mobile.

Oh je sais. Les Grands De Ce Monde (ou du moins les gradés de l'UC) j'ai fréquenté souvent dans des bals et je confirme, certains sont terriblement pervers, beaucoup ont été pervertis par la richesse ou la renommée ou le pouvoir. Mais moi qui ne suis pas Grande, ma part d'ombre, elle n'est pas comme ça. Elle est dans l'éclat froid de mes yeux d'acier lorsque j'ai décidé un truc. Je souris à nouveau, consciente de la lumière de ma joie, sans rien rajouter qu'une lueur amusée dans mes iris. La proprio reprend avec des détails techniques. C'est très intéressant mais reste que ça doit être lourd de se faire chier à porter tant d'eau dans l'espace juste pour le luxe.

"Je comprends. C'est une bonne idée vraiment. Votre bestiole s'adapte bien à la vie hors planète ?"

Je ne sais pas ce que c'est, je ne suis pas très branchée bébêtes même si je les aime bien et que je suis curieuse d'entendre parler du machin reptilien.

Elle m'écoute tranquillement parler, et elle apprécie notre travail. Ca me satisfait plutôt. Je referme la porte de la salle, et je la guide à nouveau à travers les couloirs.

- J'ai Waalan depuis qu'elle est sortie de l'oeuf, en fait. Elle a jamais connu la vie sur Renaissance, donc elle a pas de souci d'adaptation. Vingt-trois ans qu'elle me suit partout, et qu'elle me muscle les épaules. C'est chiant pour passer inaperçu, mais vous imaginez bien que j'm'y suis faite, depuis le temps. Et votre p'tit gars à vous, ça fait longtemps que vous l'avez ?

On marche dans le vaisseau, et on arrive finalement à la dernière salle du Crust.

- Et voilà notre plus grande salle, qu'on appelle familièrement "la salle de spectacle".

C'est une salle vraiment grande, avec une moquette rouge sur le sol, des tables plutôt basses et des fauteuils en cuir. Y a un grand aquarium qui décore l'endroit et une scène assez imposante pour accueillir à peu près tous les spectacles de la galaxie. La lumière est tamisée et légèrement colorée, comme dans une boite de nuit, un peu.

"Josh ? Pas longtemps, un an environ ? Peut-être deux ? Le temps file, en ce moment c'est impressionnant. Par là quoi." Je regarde la salle de spectacle et l'aquarium et tout. Franchement c'est beau, chapeau. Tout l'endroit a été fait pour en mettre plein la vue, clairement. Après... ben après je sais pas, faut voir habité. Moi, les beaux trucs, bah j'suis un peu blasée. Donnez moi un calcul de trajectoire un peu chaud et LA je suis votre homme. Enfin, votre femme. Bref.

"C'est possible de jeter un coup d'oeil à votre poste de pilotage ? Je me demande comment vous vous êtes organisée pour déplacer tout ça, le poids total, la conso de carburant, les flux et champs gravitationnels, votre force kinétique etc..."

J'suis un peu surprise quand elle me parle de mon poste de pilotage. D'abord, j'suis pas trop chaude pour le lui montrer. C'est pas une zone ouverte au public. Mais vu qu'elle a pas l'air de se décider pour une de nos salles, peut-être que ça lui donnera l'envie d'enfin consommer un truc, voire de revenir régulièrement quand l'Albatros sera amarré à nos portes. Et puis de ramener ses petits copains. Alors j'affiche un nouveau sourire, en bonne commerçante.

- Habituellement, nous n'ouvrons pas notre poste de pilotage au public. Cependant, j'apprécie votre sollicitude et les nombreux conseils que vous avez pu m'offrir pour rendre le Crust encore meilleur. Je compte sur vous pour garder ça secret, j'voudrais pas voir débarquer une armada de touristes curieux là-haut. Si vous voulez bien me suivre.

Et je referme la porte de la salle, puis je me dirige vers une porte qui se fond quasiment dans le couloir, fermée à clé. Je l'ouvre, et je lui fais signe d'entrer en premier dans le couloir assez large réservé au personnel, qui s'allume aussitôt qu'il repère notre présence. On marche jusqu'à un escalier, qui donne sur une nouvelle porte fermée à clé. Je la dépasse et vais ouvrir la porte, avant de saluer mes hommes qui s'affaire dans la salle pour surveiller constamment la trajectoire du Crust, mais aussi qui gèrent les amarrages de tous les vaisseaux. Puis, je fais signe à ma cliente d'entrer.

Les postes de pilotage, ça c'est ma cam'. J'espère bien qu'elle l'ouvre pas au premier venu qui demande gentiment parce que c'est chiant quand t'es occupé avec tes coordonnées d'avoir un néophyte excité qui veut absolument appuyer sur tous les boutons ou un blasé de la vie qui pense que tout est automatisé et que notre boulot consiste à rentrer des lignes de codes. Ouais, y a des calculs automatisés mais si tu veux vraiment bien faire ton boulot, tu passes autant de temps à contourner les sécurités pour aller au plus juste qu'à faire tes schémas. N'empêche, elle m'ouvre. Alors ptet qu'lele le fait à tous ceux qui demandent. Ou ptet qu'elle aime bien ma gueule. Qui sait. Ou alors, et je pense que c'est la vraie raison, elle est vexée comme un pou de pas m'avoir impressionnée avec le reste donc elle tente ça.

Ben vous savez quoi, ça marche.

J'entre dans l'antre et je vais d'une console à l'autre avec un plaisir non feint et bien visible. Un type à l'air de grogner, je lui tire la langue et fait un clin d'oeil à un autre plus jeune. Mes questions fusent, pour la plupart très techniques. Je vois la condescendances des pilotes se transformer en ébahissement. Et oui les gars. Moi aussi je sais tenir un manche.

Lorsqu'on arrive dans la salle, mes gars me jettent un coup d'oeil surpris, à cause de la présence de la cliente. Mais c'est pas n'importe quelle cliente, et ils s'en rendent vite compte. Elle connait son métier, la navigatrice. Moi j'croise les bras et je m'appuie sur le mur près de la porte. Waalan a glissé jusqu'au sol, et elle se balade dans la salle. J'y connais que dalle, à la navigation. Je sais à peu près comment marche le Crust - encore heureux - mais j'aurais aucune foutue idée de comment expliquer ça à quiconque. Heureusement, mes gars sont au fait de ce qu'ils font, et ils nous font pas passer pour des cons.

- Alors, qu'est-ce que vous en pensez ?

Je suis curieuse de voir ce qu'elle va pouvoir dire. Et puis, l'Albatros, c'est un sacré bestiaux. Très différent du Crust, et on a pas du tout la même utilité. Mais avoir l'avis de la maître navigatrice d'un vaisseau comme ça, faut être con pour cracher dessus. Même si on a bien rodé notre système. On en a chier pour faire un truc fonctionnel, mais là, j'suis plutôt satisfaite de ce qu'on a fait.

J'hoche la tête en un coup un peu sec, tout en l'observant.

- Recevoir ce type de commentaires de la part d'une pointure de votre genre en navigation, ça fait chaud au coeur. Je vous l'ai dit ; le Crust, c'est mon bébé. Mon mari et moi-même, on a beaucoup bossé dessus et on a fait en sorte de rien laisser au hasard. On fait pas n'importe quoi avec un tas de ferrailles de cette taille, vous le savez bien.

Je me redresse, abandonnant le mur sur lequel j'étais appuyée, mais je garde les bras croisés.

- Vous avez encore des questions à poser ou des paramètres à vérifier ? Sinon, j'vous inviterai bien volontiers à boire un verre.