Entends ses cris quand tu as ignoré les miens. [feat. Némésis Crew]

Je regarde le plafond de l'antre des informaticiens. Une boule au ventre. Pourtant, je devrais jubiler. Je devrais me sentir bien, mais quelque chose m'en empêche. Et je n'arrive pas à mettre le doigt dessus... J'atteins enfin un de mes objectifs, que je me suis fixé depuis mon arrivée ici. Dès que j'ai su... Je vais enfin faire souffrir le capitaine Alvarez. Je vais faire souffrir ma soit-disante mère. Je vais lui enlever sa si précieuse fille. Comme j'aurais aimé voir sa tête! Je me contenterai des cris et de tout ce qu'il en suivra. Qu'importe si elle retrouve l'assassin, ma vengeance est si belle. La tuer n'est pas assez. Lui offrir une vie de souffrance à l'égal de celle qu'elle m'a offerte. Pire encore... Non. Ca ne peut pas être pire. Cette femme n'a pas de coeur, je refuse de croire qu'elle peut aimer sa fille... Cette... Jillian. Et pourtant, ces regards, ces attentions, cette façon qu'elle a de se comporter lorsqu'elle est en présence de sa fille chérie...
J'ai envie de vomir. Ca me dégoûte. Peu importe, je n'aurais plus à subir ces visions d'horreur. Parce qu'aujourd'hui, j'ai enfin mis mon plan à exécution. Après des mois d'intense réflexion. Des feuilles imaginaires déchirées dans ma tête, des plans annulés. J'ai enfin réussi!

J'ai empoisonné Jillian Alvarez.

Dommage collatéral, pardon chérie. C'est pas contre toi. Enfin, un peu. Parce que tu as eu ce que je n'ai pas eu. Si elle t'aime, pourquoi ne pouvait-elle pas en aimer deux? Tant pis pour toi. Tu n'es pas née dans la bonne famille, il faut croire.
Mais tant pis, tu vas tomber dans mon piège. Et tu vas la manger, cette pâtisserie. Je t'ai observée, après tout, je contrôle toutes les caméras à ma guise. Je te connais. Et je sais que tu te lève la nuit, pour manger. Et cette petite sucrerie, seule, laissée là, tu vas la manger. Au pire, ce sera quelqu'un d'autre... Et je recommencerai autrement. Peu m'importe, j'ai tout mon temps.

Je me redresse et continue de trafiquer les caméras de surveillance histoire de m'effacer de toutes les vidéos. J'ai pris mes précautions. Je met en boucle une vidéo de moi en train de taper sur mon ordinateur, dans la salle d'informatique. Mes cheveux rose sont assez évident. J'ai mis des gants tout au long de ma petite escapade, je n'ai croisé personne. Je m'en suis assurée. J'ai étudié toutes les rondes de la nuit. Quand au poison? Dans une petite fiole que je n'ai jamais touché de mes doigts nus. La fiole? Je l'ai discrètement mise dans le dortoir d'abordage. Histoire de.

Et si Elle remonte à moi avec toutes ces précautions? Je lui dirais. Je lui cracherai tout au visage. Qu'importe ce que la si terrifiante Alvarez me fait. Jamais elle ne pourra me faire pire. Cet homme à qui elle m'a confiée m'a déjà tout pris. La vie? Qu'elle me la prenne. Je n'aurais plus à me battre. Mais je me serais vengée.

Difficile de trouver le sommeil pour elle des fois. Elle entend encore les cris des blessés d'abordage dans sa tête parfois avant de s'endormir et plus le sommeil la fui, plus il est difficile de les ignorer. Mam dit qu'avec l'âge ça passera et que ça deviendra comme une vieille habitude mais Jill sait qu'elle aussi a le sommeil léger. Peut-être que pour elle ce n'est pas la peur au ventre de se faire attaquer pendant la nuit, de se sentir fragile, faible et dépendante des autres... Parfois elle aimerait déjà être grande pour terrasser ses ennemis avec sa propre force et ne plus se tenir derrière les autres.

Ce n'est pas dans son habitude les idées noires mais certaines nuits sont plus difficiles que d'autres. Alors ces nuits là elle se lève pour aller chercher quelque chose de sucré en cuisine. Le sucre ça lui rend le sourire et ça focalise son esprit sur quelque chose assez longtemps pour qu'elle s'endorme. Mais ce n'est pas son pas léger habituel qui l'emmène jusque là bas. C'est plutôt un pas trainant et bruyant jusqu'à ce que... A-t-elle entendu un bruit ? Elle se retourne lentement et cherche autour d'elle. Personne, pas de monstres... ouf. Elle presse le pas pour arriver dans les cuisines, vides. Seul un cupcake trône, magistral, au centre d'une des tables. Victuaille oublié d'un autre repas nocturne ?

Spoiler:

Eugène n'arrive décidément pas à dormir, suite à sa séance de sport de l'après-midi il a encore oublié de manger le soir et son estomac gronde. Dans son hamac, au milieu des ronflements de ses hommes il pèse le pour et le contre d'aller à la cuisine. Et il se lève prestement sur ses pieds. Evidemment Bullet ouvre les yeux, prête elle aussi à suivre son maître partout où il va. Et sur ses cornes le dernier butin de Loose Cannon. Un moineau qu'il a trouvé à terre et qui a adopté les cornes de son Kao comme son nid.

Pieds nus pour l'un, sabots nus pour l'autre, ailes étirées pour le dernier, ils se glissent dans le bateau ensommeillé jusqu'aux cuisines. Le pas d'Eugène est souple comme souvent, et son cyber-oeil le guide dans la nuit. Malgré tout son corps est massif et son pas s'entend.

De loin il voit une silhouette aux cheveux blancs. Il n'y en a qu'une comme ça sur le navire. Il hésite à lui faire peur mais il déteste voir l'air apeuré d'un enfant alors il change automatiquement d'avis.

"Chhhht"

Il murmure volontairement à Bullet qui s'assit, les oreilles dressées.

"Y'aurait pas une p'tite chapardeuse au ventre vide par ici ?"

Avec sa peau noire, on ne voit que son sourire cassé et ses yeux ouverts. D'un saut acrobatique il se poste sur une table et fait mine de chercher quelqu'un avec sa main en visière. Toujours en chuchotant.

"Mais qui vois-je ?"

La vidéo est mise en boucle permanente. Actuellement encore. Je suis seule dans la salle d'informatique, les trois autres dorment sûrement dans leurs quartiers. Enfin, c'est ce que je suppose puisqu'ils ne sont pas de nuit. Ce soir, c'est moi. Et j'y resterai toute la nuit sans sortir la moindre seconde. Pour les autres. En réalité, je suis sortie, mais qu'importe la vérité, la vidéo ne ment pas. Ou presque pas. Je m'en suis assurée.
Je ne me retiens plus, j'ai envie de voir. J'accède alors à la caméra que je recherche, après quelques minutes. Et je regarde. La petite silhouette blonde apparait tellement vite, trop. Je suis un peu frustrée... Mais qu'importe, elle l'a vu. Parfait. Ce sera bientôt fait.

Je m'apprête à éteindre lorsque je vois une seconde silhouette. Mon coeur s'emballe, parce que je reconnais ses dreads. Je reconnais sa façon acrobatique de s'assoir sur la table. Son visage se dévoile et j'ai envie de hurler. Je me retiens, il ne faudrait pas alerter quelqu'un...

Mais bon sang! Que fait-il ici? Pourquoi s'est-il levé cette nuit? Quel imbécile... Et j'avoue que j'ai peur, d'un coup. Parce que cet idiot serait capable de manger le cupcake bien en évidence. Mais qu'est-ce que j'peux faire? Je ne peux pas sortir...
Je commence à paniquer, les yeux fixés sur l'écran.

-Quel imbécile... Vas-t-en et laisse-la tranquille...

Et soudain, mon coeur s'arrête. Et s'ils... pensaient que c'était mon Crocket? Mais pourquoi s'est-t-il levé, bon sang?!

Elle entend un bruit de nouveau. Son regard se tourne machinalement dans la pièce et elle prend une posture défensive et tendue, en attente de voir le danger.

« Y a... Quelqu'un... ? »

Elle avance lentement mais sûrement vers le cupcake, toujours sur ses gardes. Au moment de l'atteindre, Eugène surgit des ombres et s'assoit de manière acrobatique sur une table. Elle pivote rapidement vers lui dans un mouvement de surprise et de peur, sa main se met à sa ceinture comme pour chercher une épée inexistante et la brandir en signe de défense. Mais pas d'épée, elle est en pyjama.

« Eugène ?! C'est une vraie passion de surgir de nulle part chez toi !  »

Sa pose se décontracte progressivement jusqu'à ce qu'elle semble parfaitement calme. Bizarrement, en sa présence, elle se sent en sécurité - "bizarrement" parce que mam lui déconseille encore d'éviter de trop s'approcher de lui. Les mains derrières le dos, elle glisse le plus discrètement possible vers le cupcake tout en restant face à Eugène pour maintenir l'illusion.

« Une petite faim toi aussi... ? »

Sa petite main se pose sur le cupcake et essaye de l'amené hors de la vue de Loose Canon.

"Aha j'suis toujours là où tu t'y attends pas sache le..."

Il voit la petite se décaler étonnamment et il s'approche d'elle nonchalamment.

"Mais faut pas qu't'aies peur t'as rien à craindre... j't'ai d'jà sauvé une fois non ?"

Puis il montre Bullet et le moineau sur ses bois.

"Une grosse faim d'loup plutôt. Faut bien qu'j'mange si j'veux garder tous ces biscottos. R'garde Jill c'que j'ai trouvé dans la rue en rev'nant d'Tortuga. Un p'tit moineau qui lâche plus Bullet... j'écris qu'il va faire un nid."

Bullet s'approche respectueusement de Jillian sous l'ordre d'Eugène. Il laisse les yeux de la petite s'habituer à l'obscurité.

"Il a pas d'nom j'me disais qu't'aurais pu lui en donner un ..."

Puis il se déplace laissant son Kao, la petite et le moineau ensemble et il ouvre des placards en se déplaçant dans la cuisine.

"Bon qu'est-ce que j'peux bien manger ici... Z'ont pas laissé grand chose dis moi."

Et son œil performant voit le Cupcake. Un sourire s'élargit sur son visage pendant qu'il se rapproche de nouveau du petit groupe qu'il vient de quitter. Il ébouriffe ses cheveux comme il le fait souvent.

"Ah bah ... s'pèce de petite maline tu m'cacherais pas quelque chose..."

« C'est plutôt ton gros bidon que tu vas entretenir si tu manges n'importe comment ! »

Lui répond-elle en ricanant dans un premier temps. Puis elle s'approche du moineau doucement pour le voir de plus près sans l'effrayer.

« Oooooh ! Il est mignon...  »

Elle réfléchit quelques instants alors qu'Eugène lui propose de nommer la créature puis lève le doigt au moment où une idée lui vient.

« Chaton ! C'est rigolo comme nom pour un oiseau ! T'en penses quoi ? »

En s'approchant elle ne remarque pas qu'elle laisse le cupcake complètement visible et oublie qu'Eugène a une prothèse qui lui permet de voir mieux que la moyenne. Elle baisse la tête quand il essaie de lui ébouriffer les cheveux.

« Je l'ai vu en premier ! Trouve autre chose à manger ! »

Puis elle garde le cupcake vers elle, l'éloignant d'Eugène comme pour le protéger de la faim du maitre artilleur. Elle regarde ensuite l'oiseau qui semble intéressé par la pâtisserie lui aussi.

« Je crois qu'il a faim. Ça risque pas de le rendre malade un petit bout de cupcake ? »

Il hausse les épaules en rigolant à demi.

"Ça m'va. Chaton ça sera son p'tit nom."

Quand Jillian évite la main d'Eugène, il n'insiste pas et la laisse s'échapper en récupérant.

"On fait un bras d'fer pour voir qui peut l'manger sinon ?"

Son grand sourire moqueur brille dans la nuit mais il lui laissera le Cupcake. Il le reconnaît de toute façon, et des Cupcakes comme ça, il peut en avoir à volonté grâce à son Cupcake à lui. De toute façon il voit une baguette à demi entamée, s'en brise une large part et prend trois grosses lamelles de viande séchée. Tout en s'occupant il répond de dos à sa question.

"Eh bah tu préfères nourrir ce p'tit piaf que moi ? Pourtant j'suis aussi mignon. Et t'as raison il piaille, il doit avoir faim, moi j'sais pas trop quoi lui donner. Et j'pense pas qu'il s'ra malade j'lui ai d'jà donné un bout d'gâteau c'matin."

Ce sandwich fait maison lui convient mieux. Il revient vers elle en levant une main en l'air, symbole d'innocence.

"Allez promis j'te l'prends pas... ou p't'être le dernier croc ?"

« Nan... Il est plus mignon ahah » ricanne-t-elle en donnant des petit morceau de cupcake à l'oiseau qui a l'air ravi.

De son côté elle observe le cupcake et à quelques remords pour Eugène mais lorsqu'il s'approche et fait mine d'en vouloir encore. Elle lèche le gâteau et prend un croc dedans avant de reprendre - la bouche pleine.

« Noooooon... Délicieux ! Et à moi... »

Elle s'arrête, alertée par les bruits de l'oiseau. Elle s'en approche, il est couché et à l'air de souffrir.

« Chaton ? Chaton ?! Qu'est-ce qu'il a ?! Tu m'avais dis qu'il ne serait pas malade ! »

Eugène s'approche tout de suite de l'oiseau. Tout comme Bullet qui d'un reniflement se met à siffler sans s'arrêter. Elle tape des sabots en se reculant vivement. La mousse blanche qui sort de l'oiseau qui convulse ne présage rien de bon. En un instant le moineau n'est plus qu'un cadavre.

"Bah enfin ... J'lui en ai donné c'matin."

Puis les liaisons cérébrales se font...

"N'en mange surtout pas Jill !"

Mais bien sûr qu'elle a la bouche pleine, Bullet paniquée qui regarde tour à tour Eugène et Jillian. Il lui prend les poignets et la secoue un peu.

"Crache tout de suite ! Faut qu'tu craches ça !"

Tristesse et panique se mélangent alors qu'Eugène la secoue pour lui faire recracher le contenu de sa bouche. Avec les mouvements elle rend presque machinalement le morceau de cupcake qu'elle a maintenant beaucoup trop mâchouillé mais il est déjà trop tard.

La douleur commence dans son estomac et se répand progressivement dans son corps. Elle est supportable au début puis de plus en plus forte. Jillian s'éloigne lentement d'Eugène en reculant dans une saccade de mouvement qu'elle contrôle à peine avant de s'effondrer sur elle même, au sol.

« Aaah... app... appelle... app... »

La douleur diminue légèrement et son souffle se fait court, elle à peine à articuler une phrase ou ne serais-ce que quelques mots. Nouvelle vague de souffrance plus forte que la précédente.

« MAMAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAN ! »

Son hurlement résonne dans les couloirs endormis du Némésis. C'est maintenant insupportable et elle convulse en spasmes de douleurs au sol alors qu'elle perd progressivement connaissance de ce qui l'entoure.

Jillian crache une majeure partie de ce qu'elle avait dans la bouche mais s'il reste du cupcake dans son estomac ou sa gorge ...
Eugène n'a pas le temps de réfléchir à ce que cela veut dire. Il entend les derniers mots de la petite qui hurle à la mort pour appeler sa mère et se rapproche assez rapidement pour empêcher sa tête de heurter violemment le sol.
Sa tête sur ses genoux, il l'empêche de se cogner suite aux convulsions et en prenant une immense goulée d'air il se lance en un cri contrôlé et puissant.

"CAPITAINE JEZABEL !"

Pour lui, aucun doute que son instinct de mère va la réveiller. Jezabel est la meilleure mère qu'il ait jamais connu et il n'est même pas son enfant. Son attention se retourne vers mini Jezabel qui ne doit pas mourir. La souffrance se lit sur ses traits. Il faut l'emmener à l'infirmerie et vite. En attendant, Eugène tourne la petite sur le côté.

"Tu dois vomir c'que t'as mangé p'tite."

Sans même y penser à deux fois, ni avoir peur pour ses propres doigts, il lui enfonce deux doigts dans la gorge et les retire aussitôt. La réaction ne se fait pas attendre, il a touché la glotte. Une flot de vomi mélangé de bouts de gâteau pas encore digérés et d'une soupe du dîner. Il en a sur son pantalon mais ne s'en soucie pas. Il attend avec hâte la capitaine pour courir réveiller Jadis.

Il me semble l'entendre une première fois. Un cri. J'ouvre les yeux, encore engourdie par le sommeil. Je me redresse subitement, le coeur enserré par un mauvais pressentiment. La cause est sans nul doute à imputer à un cauchemar. Néanmoins, je me lève et je pose ma cape sur mes épaules ; comme souvent lors de mes nuits agitées, je ressens le besoin de m'assurer que Jillian va bien, qu'elle vogue paisiblement dans le monde des rêves. Cette fois-ci, je n'en ai guère le temps : quelqu'un m'appelle. Quelqu'un hurle. Eugène. Jillian. Mon sang se glace, mon coeur rate un battement, et sans réfléchir davantage, j'attrape une de mes épées et je cours vers l'origine des cris. Les cuisines.

Je file aussi vite que je le peux, mon épée à la main. Et lorsque j'arrive, il me semble que le temps s'arrête un instant. Un. Mon coeur cogne contre ma poitrine avec une violence inouïe. Deux. La force me quitte et mon épée glisse de mes mains, tombant par terre avec fracas. Trois. Là, allongée sur les genoux d'Eugène, Jillian.

- Seigneur.

J'accours vers ma fille, la prenant délicatement contre moi, maintenant sa tête pour ne pas qu'elle s'étouffe, caressant ses cheveux.

- Je suis là Jill, tout va bien ma chérie, tout va bien aller, je te le promets.

A la fois folle de chagrin, de douleur, d'inquiétude et de colère, je lève les yeux vers Eugène.

- Eugène, allez chercher Jadis ! ALLEZ CHERCHER JADIS ! MAINTENANT !

Je n'ai pas bougé de ma chaise. Yeux fixés sur l'écran, mon coeur bat la chamade. Les deux silhouettes semblent discuter, la fille a toujours le cupcake dans la main. Je tremble lorsqu'elle en donne un bout à ce pauvre petit animal, je jubile lorsqu'enfin elle croque dedans.
Seulement, le petit oiseau commence à convulser. Il est raide, vivant, souffre. Mon visage se déforme sous la colère, mes yeux brûlent de haine. Et Eugène comprend bien vite, les images se succèdent devant mes yeux fous. De rage, je me lève, me retiens de frapper contre le mur. En silence, je tourne en rond et prie à qui pourrait bien m'entendre que la sale gamine ait ingéré assez de poison pour la tuer.

Je me retourne vers l'écran et à l'instant, je hais Eugène. Je le hais d'être venu ce soir dans les cuisines, d'être si gentil, de sauver la vie de la précieuse petite Jillian. Et lorsque le premier cri résonne dans le vaisseau, je tremble. Celui de l'artilleur me glace le sang.
Que vais-je faire?
Je suis plantée là, devant mon écran. Incapable du moindre geste. Dois-je y aller? Quelle serait la meilleure solution?

Et je La vois. Celle que je crève de voir souffrir, arriver, prendre sa gamine contre son coeur, la serrer, folle de douleur. Mes lèvres s'étirent sur mon visage, affichent un sourire malsain.

Toujours consciente, elle flotte entre deux mondes, les yeux clos. Son esprit perçoit des sons et des mouvements autour d'elle. Elle sent Eugène l'aider à vomir le contenu de son estomac, peut être plus. Mais maintenant elle tremble comme de froid, peut être la fièvre qui monte pour essayer de lutter face au poison dans son corps.

Puis un mouvement venant de l'extérieur, le sentiment de panique tout autour, une étreinte chaude et rassurante et une voix apaisante et familière.

« Mam... mam... j'ai... froid... » laisse-t-elle échapper, très faible et le souffle saccadé.

Nouvelle vague de convulsion plus importante et ininterrompue. La douleur s'insinue partout dans son petit corps, sa conscience coulant vers le fond avec celle-ci.

Au deuxième ordre de la capitaine, Eugène est déjà sur ses pieds et court à l'infirmerie. Jadis, il la connaît très bien. Il entre en coup de vent dans sa chambre.

"Jadis y'a la p'tite à la capitaine qu'a été empoisonnée aux cuisines. Faut qu't'ailles la sauver !"

Jadis, prête à fulminer se retient alors, prend une grosse tasse de café ou d'alcool, Eugène ne saurait dire et lui enjoint d'aller chercher un apprenti. Les pas lourds d'Eugène résonnent alors en une course effrénée, il réveille tout de suite un apprenti en l'attrapant par le col. Encore en pyjama celui-ci se dirige tout de suite aux cuisines. Eugène passe chez les artilleurs et réveille Tilu et Harry. Il leur fait pleinement confiance et ce sont des gros bras. En arrivant aux cuisines, Jadis est déjà à l'œuvre, Jezabel à ses côtés.
Eugène rassure d'une caresse Bullet à ses pieds.

"Bah t'as eu l'nez fin ma belle. J'l'ai échappé de peu."

Il se tourne ensuite vers Tilu.

"Va chercher la seconde pis toi Harry j'veux qu'tu m'réveilles Anouk et qu'tu m'le traînes à l'entrée. Tu lui dis rien."

Eugène fouille son esprit pour trouver qui d'autre pourrait aider à comprendre ce qu'il s'est passé. Peut-être y-a-t'il encore un risque ou des ennemis sur le bateau... Il s'approche vers le petit groupe sans s'imposer.

"Comment ça va ? Y'a deux d'mes gars qui sont allés chercher vot' seconde pis Anouk."

Le monde semble se ternir autour de moi, tandis que je demeure immobile et incapable de faire quoi que ce soit d'autre que de bercer tendrement ma fille, mon trésor, contre mon coeur. Lorsqu'elle m'annonce qu'elle a froid, je détache ma cape pour la couvrir avec. Je lui offre des paroles qui se veulent rassurantes ; fort heureusement, Jadis ne tarde guère à faire son apparition, et je suis bien trop inquiète pour lui faire la moindre réflexion. Immédiatement, elle prend Jillian en main, et je ne peux rien faire d'autres qu'observer en lui tenant la main.

Je fais tout juste attention à monsieur de Chateaubriand qui donne des ordres derrière moi, à ma place. En d'autres circonstances, une telle scène m'aurait assurément agacée. Pour l'heure, je lui suis infiniment reconnaissante de prendre cette charge que je ne puis assurée en de telles circonstances. J'ai une entière confiance en ma médecin ; elle fera tout ce qui est en son pouvoir pour que ma fille survive. Et si elle échoue... La question d'Eugène me sort de ma torpeur, l'ombre d'un instant.

- Merci, Monsieur de Chateaubriand. Nous allons emmener Jillian à l'infirmerie ; lorsque son état sera stabilisé, je veux que tout l'équipage soit réuni dans la salle commune. Monsieur Gaalswyk est trop intelligent pour vouloir empoisonner la fille du capitaine dans sa propre cuisine. Néanmoins, tant que nous n'en saurons guère davantage, vous serez tous suspects. Priez pour que Jillian ne trépasse point. Priez pour vos vies.

La capitaine est enfin sortie de sa torpeur et Eugène bien qu'attentif relâche la pression. Il a su prendre les décisions qu'il fallait en temps voulu. Il a très envie de questionner Anouk. Il l'aime bien ce cuisinier mais s'il a voulu empoisonner une gamine... Eugène lui fera un plaisir de lui faire comprendre que ça ne se fait pas. Et puis même si la capitaine dit qu'il est plus malin que ça on sait jamais.
Il se propose pour porter Jillian. Il a beaucoup fait de sport et pris en masse ces derniers temps. Depuis son accident à la jambe il ne cesse de gonfler. La gamine pèse pas lourd.

"Pour l'équipage j'f'rais passer l'mot au quartier-maître. Pis j'm'occupe d'mes artilleurs. Jill va s'en sortir j'lui ai tout fait r'cracher."

Un silence l'accompagne pendant qu'ils vont tous à l'infirmerie, croisant Harry et Anouk. Eugène ouvre la bouche vers Anouk mais la présence de la capitaine l'arrête. Il la laissera lui dire ce qu'elle veut. Il pense qu'heureusement qu'Azel était pas là. Ils se seraient battus pour l'avoir et il lui aurait peut-être laissé. Ou quoique ... elle a l'habitude d'en faire donc il peut en prendre facilement. Et puis il doit plus se nourrir qu'elle.
Il réfléchit une seconde fois. Pourquoi il y avait un cupcake d'Azel dans la cuisine ? Pourquoi le cupcake de son cupcake a failli tuer la gamine ? Y'a une anguille sous roche. Même pour Eugène. Il va falloir qu'il ait une discussion avec sa chérie.

Je n'ai pas le temps de me laisser à ma haine. Je retourne à mon clavier, referme les vidéos de surveillances. Je supprime mon historique, en créé un autre. Je termine de mettre en place mon alibi, supprime toutes les preuves. Rien ne pourra me raccorder à cette tentative... ou ce meurtre. Le sourire malsain qui s'étend sur mes lèvres espère qu'elle n'en réchappera pas.
A l'instant, je remet la vidéo de surveillance de la salle informatique en route, je commence le jeu. Comédienne, je mime la surprise au bruit infernal qui survient dans les couloirs lorsque j'entend des pas pressés devant la porte. Je me lève, je vais jeter un coup d'oeil dans le couloir, ne voit personne. Et je retourne dans la pièce, visage inquiet. Je reprend un travail laissé sur mon écran.
Je tente de calmer mon coeur, j'y parviens lentement. Et mes pensées finissent irrémédiablement par toucher un visage.
Celui de mon Eugène. Pourvu qu'il ne lui arrive rien... puisqu'il était avec cette sale gosse à l'instant fatidique.

J'étais profondément enfoncée dans la monde d'Orphée lorsqu'on entre dans ma chambre. Je plainds le pauvre gosse qui était venu me quérir, car il a presque eu un arrête cardiaque lorsque ma dague est venu se planter au mur, juste à côté de sa tête. Je le regarde, les yeux fous et le souffle court.

- QUOI ?!
- L-L... La f-f-ille d-du c-c-apitaine...

Je le laisse à peine finir sa phrase que mon regard se morphe en une expression de haine.

- Qu'est-ce qui est arrivé ? PARLE !

Quelques instants après, une fois que le mec m'ait expliqué vite fait ce qui était arrivé, je sors de mon lit, ne prennant même pas la peine de m'habiller. C'est en camisole et en sous-vêtements que je me rends à l'infirmerie, les yeux brûlants comme de la braise. Là où tout le monde est atroupé autour de Jillian et Jezabel, je m'approche, l'une de mes dagues fétishes à la main.

- QUI A FAIT ÇA ?!

Mes yeux parcourent chacun des membres présents dans la salle qui me fixent avec beaucoup de surprise, voir même de la peur. Mon regard se porte ensuite sur Jillian et je sens mon coeur se serrer. Jill... Pourquoi toi ? Pourquoi il fallait que ça t'arrive ?

Je demeure auprès de ma fille, ma main agrippée à la sienne, seulement à demi consciente de l'agitation autour de moi. Rien ni personne d'autre qu'elle ne compte à cet instant. Je ne remarque qu'à peine la présence de Nadya, et même cela ne parvient pas à m'apaiser. La colère gronde dans ma poitrine, d'abord sourde et diffuse ; il semble d'ailleurs que je suis calme. Bien trop calme. Je caresse doucement la joue de Jillian, tandis que Jadis s'affaire autour d'elle. Je ne la quitte pas des yeux.

- Nadezh'da. Je veux voir tout le monde sur le pont. Immédiatement.

Eugène redescend en vitesse dans le dortoir des artilleurs, il sort son sifflet du sac de Bullet. Il ne l'utilise jamais. Le bruit surprend quelques artilleurs et il frappe la carcasse métallique qui résonne.

"Les gars faut qu'vous vous préparez, dans 5 minutes faut qu'on soit dans la salle commune. Ordre de la cap'taine. Pis va pas falloir faire les malins."

De la part d'Eugène c'est étonnant d'entendre ça mais il ne rigole pas, il réfléchit. Il aide ses frères, lance des t-shirts à la volée et réveille les retardataires qui sursautent violemment. Il n'a pas l'air en colère ou particulièrement nerveux lui-même, juste indifférent. Ils seront un peu en retard, comme beaucoup dans ce vaisseau, ou en tout cas il l'espère. Il essaie de les presser sans grande conviction. Son esprit est ailleurs. Il sait que c'est Azel qui a fait ce cupcake. Mais il ne comprend pas pourquoi. Il aurait aimé la voir, lui demander. Mais il fera ça après le rassemblement.
C'est une troupe à moitié réveillée qui arrive dans la salle commune, Eugène en premier. Il a donné quelques informations vagues, il laisse la capitaine s'occuper du discours.
Tout le monde est là, les abordeurs ont l'air d'être au top de leur forme contrairement aux artilleurs débraillés. Tous se demandent ce qu'ils font là. Eugène passe compulsivement sa langue sur sa canine. Et il cherche une demoiselle aux cheveux roses dans la foule. Il croise son regard mais la capitaine commence à parler.

Et tout s'accélère. Lorsque Katy débarque en trombe dans la salle informatique, je me retourne vivement, mon coeur fait un bond gigantesque dans ma poitrine. Je la regarde, l'air terrassée par le travail. Elle me jette un regard inquiet, me dit qu'il faut qu'on aille immédiatement dans la salle commune, ordre de la Capitaine.
Sans blague... Je viens de tenter d'assassiner sa fille chérie. Son petit ange, mademoiselle parfaite. Cette petite garce, oui. Innocente? Elle doit être aussi innocente que sa mère, celle-là. Elle doit cacher son jeu, comme elle.
Paranoïaque? Bien sûr que oui. Comment ne pas l'être lorsque pendant tant d'années j'ai tremblé sous mes draps d'enfant à scruter le moindre bruit de pas derrière la porte de ma chambre?
Je suis paranoïaque, je n'accorde pas ma confiance au premier venu. Et surtout pas aux menteuses. Gnagnagna je fais une fête pour ma fille chérie, gnagnagna je fais mine de souffrir de sa perte... Mon oeil.

Je sors de ma transe colérique lorsque Katy me prend par la main pour me tirer de mon siège.

- Magne, Azel, faut pas déconner là. Ca a l'air vraiment sérieux.

Je commence à paniquer. Je force mon corps à ne pas succomber aux tremblements de peur. J'ai pensé à tout. Normalement, ils ne devraient pas savoir. Mais si... Non. Ce n'est pas possible.

Une fois dans la salle commune, nous rejoignons Lionel et Vince. Je tourne la tête dans les rangs, je croise le regard d'Eugène...

Je suis dans la merde...

Ma question est ignorée. Peut-être pour le mieux, d'ailleurs. Mon corps entier tremble de rage. Bien que Jillian n'est pas ma fille, que je n'ai aucun lien de sang avec elle, elle reste un membre de ma famille, au même titre que Jezabel... et quelqu'un a osé s'attaquer à ma famille. Mes poings se serrent, je quitte l'infirmerie en trombe, va m'enfiler un pantalon vite fait avant d'aller réveiller tout le monde. Je cris, je traine les gens par le bras pour les envoyer à la salle commune.

- Aller c'est pas l'temps de traîner ! La capitaine vous veux tous dans la salle commune ! GROUILLEZ !

Ma colère se fait sentir dans chacun de mes mots, chacun de mes gestes. Les gens me regardent et savent que quelque chose de grave s'est produit. Tant mieux, parce que c'est quelqu'un de présent sur le vaisseau qui a fait ça à Jillian, j'en suis persuadée, et je veux que cette personne sache à quel point elle a commis une grave erreur...

J'arrive dans la salle commune. Tout le monde arrive et je me place à côté dela capitaine, un peu en retrait sur la côté. Mon regard sombre se promène sur les membres de l'équipage, comme pour cerner leurs âmes. La plupart évitent mes yeux, ce qui ne fait qu'accroître ma paranoïa. Quelqu'un ici est coupable, et je le trouverai et je le ferai payer...

Je dépose un baiser sur le front de Jillian, lui promets que je reviendrais auprès d'elle au plus vite. Je la quitte pour aller m'apprêter à grande vitesse dans mes quartiers. Demeurer parfaite. Toujours. En toutes occasions. Je rejoins ensuite la salle commune, et les quelques retardataires n'ont nullement l'audace de me faire m'impatienter. Debout devant mes hommes, je toise chacun d'entre eux, un à un. Le calme avant la tempête. L'ouragan qui n'est guère pressé d'attraper ceux qui ne peuvent fuir.

- La plupart d'entre vous doit ignorer, je l'espère, ce qui justifie votre présence ici. Cependant, au moins l'un ne le sait que trop bien.

Je ris. Un rire glaçant, qui se stoppe net.

- Qui a fait ça ?

Le silence est pesant. L'orage gronde.

- Je vous ai ouvert mes portes. J'en ai sauvé plus d'un d'entre vous. Je vous ai offert une nouvelle vie, une bonne situation, une réputation, et par-dessus tout, je vous ai offert ma confiance. Et vous m'avez trahie. Vous m'avez trahie !

Silence.

- Chacun sait que mes filles sont ce que je possède de plus précieux. S'en prendre à Jillian est l'acte le plus immonde que vous auriez pu commettre. Je ne le redirai qu'une seule fois, et j'attends de vous que vous montriez le peu de courage qui aurait pu servir à vous en prendre à moi, plutôt qu'à ma fille. Lâche. Lâche ! LÂCHE ! LEQUEL D'ENTRE VOUS A TENTÉ D'ASSASSINER LA CHAIRE DE MA CHAIRE ?!