L'aube d'une renaissance

"Bonne question. Peut-être que comme ils sont Mo'ats et que le Txep est connu dans leur culture n'ont-ils pas de problème avec ce dernier? Néanmoins, comme Vanguard est déjà très touristique, votre idée est excellente. Peut-être prennent-ils les suggestions?"

La brune lui sourit de nouveau et prend sa première bouchée de poisson. Ce dernier est aussi délicieux que dans ses souvenirs et Laylia ne peut s'empêcher de fermer les yeux quelques instants de plaisir. Elle coupe ensuite un nouveau morceau puis avec un léger sourire joueur, se souvenant de la proposition de son client un peu plus tôt, tend sa fourchette dans la direction de Jaziel.

"Vous voulez essayer?"

« Peut-être » Mais ce n'est pas lui qui la laissera, que l'idée soit bonne ou non. Pour le moment, il veut surtout qu'on l'oublie, marquer les esprits le moins possible, se comporter en fantôme dans le monde. Juste rester assez visible pour gagner des galons dans son équipage et apprendre. Apprendre le plus possible. Apprendre tout le temps. Jusqu'à ce qu'il se sente prêt à avoir son propre équipage et le mener comme il se doit. Il se lève de sa chaise, sans un mot et prend la bouchée qu'on lui propose, savourant le poisson nacré avec curiosité. Toujours apprendre. Il la mange sans hâte, proposant à son tour une boulette piquée sur la fourchette à la jeune femme. Il ne l'a pas encore goûtée. Ainsi, si c'est trop épicé, elle saura le lui dire.

La brune sourit doucement en le voyant savourer le poisson. Il semble apprécié, aussi elle note mentalement de lui proposer d'échanger subtilement leurs assiettes si jamais le piment Txep l'a dégoutté de la sienne.

"Alors, qu'en dites-vous?"

Lorsqu'il lui présente sa fourchette à son tour, Laylia imite son geste en se redressant tout en prenant délicatement la bouchée entre ses dents. Les saveurs de fruits de mer se mariant parfaitement entres elles emplissent aussitôt sa bouche , délicieuses également.

"Mmm. Excellent. Ne vous inquiétez pas pour les Txeps, ceux-ci n'ont donné qu'une légère note relevée à l'ensemble, très subtile. Et les huîtres sont particulièrement savoureuses ce soit."

"C'est très bon." Malgré la platitude de sa voix, il le pense. Cela faisait des années qu'il n'avait pas pris la peine de se nourrir pour le "plaisir". Il mangeait par habitude, ce qu'on lui servait au mess parce qu'il était important de nourrir son corps pour rester alerte. Avec une préférence pour les poissons et le bon vin, certes. Et là, il était servi. Il reprit sa fourchette et une bouchée de son propre plat.

"Je ne suis pas inquiet." Ce ne sont que des piments. Et il reste du yaourt. Pour prouver son calme, il reprit une nouvelle bouchée. Une huitre cette fois. Qui en effet était très bonne.

"Votre profession vous fait souvent manger dans des restaurants de ce standing ?"

La brune sourit doucement à sa réplique et prend une nouvelle bouchée de son propre plat. Malgré l'incident du piment, le dîner semble pour l'instant être une réussite. Elle se félicite mentalement pour le choix du restaurent, et note mentalement de recommander ce dernier à ses collègues de la Guilde.

"Parfois, oui, mais cela varie grandement selon les circonstances. Je vous avoue que je n'ai pas eu souvent l'occasion de pouvoir apprécier une nourriture de cette qualité particulière. Vous transmettrez mes remerciements à vos amis, c'est leur cadeau qui nous offre cette soirée."

Elle a en effet l'habitude des bons restaurants. Après tout, les clients pouvant se payer les services d'un Compagnon, même débutant et ne demandant pas des prix exorbitants comme Laylia - qui préfère la qualité d'esprit de ses clients à celle de leur porte-feuille - ne sont généralement pas des habitués de cafétéria. Néanmoins, le restaurent ou ils se trouvent actuellement est l'un des meilleurs, des plus recommandés et des plus chers de Vanguard. Si certaines Compagnonne ne s'attendent pas à moins que ce standard pour leur travail, ce n'est pas le cas de Laylia.

Ils mangent a un bon rythme, se passant régulièrement des morceaux, comme promis, ce qui – outre salir la nappe – donne une convivialité inusité au repas. Bonne idée de partager les assiettes qui sont déléctables. Piments mis à part. Surpris, Jaziel hausse cependant un sourcil à la notion d'amis. S'ils ont payé également pour le repas, la soirée a dû leur coûter très cher. Mais pourquoi ont-ils fait ça ? Cela va un peu loin pour une blague potache à base de « déniaisons le cartographe ». Et ils savent bien qu'il n'y aura jamais aucun traitement de faveur.

« Je me demande quelle bêtise ils m'ont cachée pour m'offrir une soirée comme celle-ci en si agréable compagnie. »

Fait le jeune homme à voix haute pour expliquer le probable froncement de sourcil qui vient momentanément assombrir son visage.

"Peut-être espéraient-ils seulement faire plaisir?"

La brune ne les a jamais vus et ne leur a jamais parlé, aussi, elle ne peut ainsi pas deviner leurs arrière-pensées. Un instant, elle pense à émettre l'idée que ce n'est que le salaire relativement peu élevé qu'elle se réserve sur les frais à payer, qui leur permet ce luxe, mais elle ne dit rien. Une des règles de bienséance de base de la Guilde étant de ne parler de paiement qu'avant et après le temps passé avec le client, elle s'abstient.

Leur assiette terminée, le serveur vient les desservir et leur suggère la carte des desserts. Laylia lance un regard vers Jaziel afin de déterminer le degré d'envie.

En effet. Parfois, les gens font cela. Des choses pour faire plaisir, sans chercher à obtenir quelque chose par derrière. C'est rare cependant. La plupart du temps on espère au moins un retour d'ascenseur ou l'on cherche à obtenir quelque chose. Mais surtout, c'est un geste que l'on fait par affection et de l'affection, il ne sait pas où ni comment il a pu en gagner. Il n'est pas méchant envers eux, ce n'est pas sa façon de faire. Il est intelligent, honnête, exigeant, critique, parfois avec un compliment ou deux lorsqu'ils sont mérités. Il n'a pas la Flamme dont on lui rebat les oreilles depuis qu'il s'est engagé dans la piraterie. Et il est toujours « bizarre ». Il ne l'oublie pas.

« Peut-être. » concède-t-il doucement pendant qu'on lui reprend son assiette et qu'on leur tend la carte des desserts. Il la regarde un moment, plus pensif qu'attentif aux intitulés qui – soyons honnête – ne lui apprennent pas grand chose.

« Quelque chose a-t-il accroché votre regard ? »

La brune analyse un moment la carte, une moue pensive au coin des lèvres, puis pointe deux noms mo'at sur le menu.

"J'ai déjà goûté ces deux-là. Le premier est une sorte de samossa frit aux fruits de la région, donc idéal pour gouter à ceux-ci, quoi qu'un peu lourd si vous n'avez pas encore beaucoup d’appétit. Le second est une simple glace recouverte de sirop d'Apxa Te Krüu, le baobab rouge de Renaissance. Subtile, simple et délicieux, parfait après un repas riche en saveurs."

Elle repose son menu et une lueur joueuse s'allume dans ses prunelles bleues.

"Je ne connais malheureusement pas les autres options présentées. Nous pouvons toujours demander au garçon de nous offrir les descriptions, si vous le désirez. Néanmoins... nous pouvons également commander quelque chose à l'aveugle, la découverte culinaire est toujours quelque chose d'excitant."

Il y aura donc un dessert puisqu'elle semble avoir envie de continuer à lui faire gouter de nouvelles choses. Mais s'il est toujours curieux, car expérience vaut savoir, il a bien envie de ne plus se sentir seul élève. Il l'écoute donc, sans regarder la carte, décidant de lui faire confiance puisqu'il l'a suivie jusqu'ici et qu'il espère bien la suivre encore une bonne partie de la nuit. Il a aussi des choses à apprendre de ce côté là. Sa première expérience n'avait été que d'une nuit, sur le basique, quant à son mariage, c'était lui qui avait enseigné des choses à Erika.

« Puisque cette soirée est sous l'aune des premières fois, je propose de commander à l'aveugle les deux desserts que vous ne connaissez pas et de se les partager ensemble. Prenez-vous des boissons chaudes après les repas ou bien n'est-ce pas traditionnel ? »

Il aimait bien terminer sur une tisane, peu sucrée, aux plantes pour se laver la bouche. Depuis sa mort, il n'en avait plus pris et puisque ce soir il revenait au luxe de sa jeunesse...il en avait bien envie.

La brune sourit en grand lorsque Jaziel accepte sa proposition d'essai à l'aveugle. Elle est bien heureuse de découvrir en ce client quelqu'un d'aussi agréable et ouvert. Il est... particulier, certes. Il y a d'abord ses yeux qui ne clignent pas souvent et qui lui donnent alors l'impression qu'il l'observe toujours intensément. Néanmoins, le plus étrange chez lui est son manque d'émotions. Non, plutôt, son manque d'expressivité émotive. Laylia reste convaincu qu'il ressent des émotions comme tout être humain - quoiqu'il les ressent peut-être un peu différemment? -, mais il est doté d'une impassibilité rare. Elle n'a, en fait, jamais rencontré quelqu'un comme lui, mais Laylia ne voit pas en cela des défauts.

"Les traditions varient d'une tribu Mo'at à une autre, mais celle du chef a pour coutume de servir un thé à la fin des repas. Vous pouvez néanmoins prendre ce qui vous fait le plus plaisir, bien entendu."

Laylia se penche de nouveau sur le menu et choisit au hasard un dessert qui lui est inconnu et dont le nom chantant lui est agréable.

"Je crois que je vais essayer le Ozä'si. Et vous?"

La tribu du chef ou bien est-ce une coutume de chef ? Et puis il comprend. La tribu du chef...cuisinier, bien sûr. Logique. Rouvrant la carte, il lui jette un coup d'oeil, décidé à choisir le premier mot qui accrocherait son regard sans même en lire le descriptif.

« Un Mi.. Mid'heem... Mid'èm... ? C'est ainsi que cela se prononce ? Et deux tisanes du chef pour accompagner. »

Son mojat est hésitant au mieux et déformé par un fort accent de Tyrion qui s'accentue sur ces syllabes peu familières. Il laisse passer. Parfois, c'est en voulant cacher des choses que l'on attire sur elles une attention non désirables. Il apprendrait à articuler correctement. Peut-être dès ce soir si la jeune femme qui l'accompagnait se faisait son professeur. Un serveur approche, Jaziel lui confie les commandes et décide de tester un petit peu sa compagne.


« Avez-vous un morceau de papier sur vous, Mademoiselle ? »

Laylia écoute Jaziel prononcer le mot mo'at avec un léger sourire encourageant. Elle-même a un accent lorsqu'elle tente de parler Mo'at, mais elle en a suffisamment entendu pour reconnaître relativement bien les bonnes ou mauvaises prononciations. Il semble bien s'en sortir, d'ailleurs.

La demande de son partenaire la surprend légèrement et elle hausse un sourcil, intriguée, en tentant de deviner à son expression ce qu'il a derrière la tête. Il reste très difficile à lire, mais elle croit percevoir une lueur de défi. Curieuse et joueuse, elle sort un petit calepin de son sac et le lui tend, puis attend.

Il arrache précautionneusement une feuille vierge du calepin, sans tenter de lire ce qui peut bien être écrit avant ou après, prenant soin de ne pas laisser de bout de papier dépasser ni de fragiliser la structure de l'objet. Il a toujours eu un grand respect pour les choses, bien plus que pour les hommes. Les choses ont un but clair et défini. Elles peuvent être détournées mais elles ont été créées avec une idée. Simple. Les hommes au contraire se créent autour des idées et plutôt que de se détourner, les déforment. Sans regarder ses mains, il trace une diagonale et coupe un carré parfait dans la feuille récupérée.

« Faisons un jeu, voulez-vous ? Sans réfléchir, vous aller me donner un animal et puis me dire ce qu'il évoque à vos yeux et pourquoi c'est à lui que vous avez pensé. »

Le portrait chinois n'est pas un exercice d'une grande originalité si ce n'est qu'il ne lui a pas demandé de se décrire mais bien de donner sa première idée. La justification après coup, en plus de lui donner le temps de faire ce qu'il veut faire pour la surprendre lui permettra d'en savoir plus sur son raisonnement et ses valeurs. Parce qu'un beau corps n'a jamais suffit à Jaziel, il lui faut aussi un bel esprit.

Un jeu? Bien sûr, elle est toujours partante pour ce genre de propositions. Elle est agréablement surprise d'ailleurs, Jaziel lui ayant semblé quelqu'un de trop sérieux pour vouloir "jouer", mais lorsqu'elle comprend ce qu'il souhaite faire, un sourire se dessine sur ses lèvres et elle sait qu'elle ne s'est pas trompée. Le "jeu" n'en est pas tellement un plutôt qu'un exercice psychologique pour apprendre à mieux la connaitre. Et ça, c'est tout pile dans le profil de l'homme aux cheveux blancs qu'elle se dessine. Laylia se prête donc au jeu et fait un effort pour ne pas réfléchir à la question et répondre le plus spontanément possible, ce qui reste assez peu aisé avec son esprit analytique.

"Mmm, intéressant. Le premier animal qui me vient en tête est un Aket'huan. J'ai toujours apprécié de les voir voler. Ils sont un peu des représentants de la grâce et de la tranquillité, pour moi, je suis toujours sereine, paisible même, quand je peux les observer. Et, sans surprise, je pense à lui parce que nous en avons vu une volée au loin, pendant notre promenade sur la plage."

Elle observe ensuite ses gestes avec le papier, se demandant ce qu'il va en faire et ce qu'il va conclure de sa réponse.

« Un animal de Renaissance. » Intéressant. Comme si ce système était une part d'elle-même alors que lui regrette sa planète natale depuis le jour où il l'a quittée des yeux. Alors même qu'il n'y avait jamais vécu, puisqu'il avait grandi dans une station spatiale autour, proche des cercles de l'Empereur. « Echassier » il déplie deux coins qu'il commence à rouler comme de longues pattes en plis alternés et inversés pour leur donner leur solidité. « Végétarien, ce que vous n'êtes pas. » il continue son pliage. Pour le moment, cela ne ressemble pas à grand chose. La magie de l'origami c'est de délivrer sa forme avec les derniers plis lorsque tout se met en place d'un coup. « Son chant est connu pour être agréable et mélodieux. Chantez-vous bien Laylia ? »

Ses gestes sont précis et surs, efficace. Il n'a jamais besoin de revenir sur un plis, à peine de regarder ce qu'il fait. On voit à présent clairement deux pics pour les pattes,un corps informe et un autre long pic qui fera plus tard le cou et la tête. On ne s'en rend pas compte mais il travaille aux ailes. Il est concentré, ses paupières a demi-baissées sur ses mains, ses yeux froids vaguement pensifs. Doit-il ou non placer un compliment ?

« Dans tous les cas,leur plumage ne valent pas vos yeux. »

Tant qu'il le pense, il peut bien le dire. Ca ne mange pas de pain.

Fascinée, Laylia regarde les gestes précis de Jaziel plier le papier. Au rythme de ses paroles et de son analyse, un oiseau prend lentement forme entre ses doigts. L'origami est un art qu'elle n'a que malheureusement peu pratiqué, mais qu'elle a toujours trouvé incroyablement magnifique. La patience, la précision et la délicatesse que l'exercice demande, sans même parler du savoir-faire et de la pureté des lignes du produit final, ont tout son respect. À la question de son client, Laylia ne détache pas les yeux des mains de l'homme et répond sur un ton bas, presque de confidences, comme hypnotiser par ses mouvements.

"On m'a souvent dit que oui. Je vous laisserais en être le juge, plus tard, si vous le désirez."

Puis il la complimente. Le sourire de la brune revient touché. Jaziel semble être quelque de juste, mais plutôt avare de compliments, si elle ne se méprend pas. C'est souvent le cas avec les gens très sérieux et peu expressifs. S'il lui offre celui-ci, c'est donc qu'il doit réellement le penser, surtout qu'en sa qualité de Compagnonne, c'est à elle de le charmer, et pas l'inverse.

"C'est un magnifique compliment, je vous en remercie."

Un petit moment de silence passe et l'oiseau prend de plus en plus forme entre les doigts de l'homme, puis Laylia demande :

"Vous pratiquez l'origami depuis longtemps? Votre technique est remarquable."

"Más tarde, sí."

Il reste de longues heures d'une nuit qu'il regarde toujours comme unique. Une parenthèse de son ancienne vie offerte par la nouvelle. Il ne dirait pas que cela lui a manqué, une conversation intelligente, des plats travaillés et un univers de luxe, parce qu'il y goûte pour la première fois sans la peur de la mort rodant derrière lui. Il sait que cette soirée est une illusion éphémère qui sera chassée aux premières lueurs de l'aube. Il sait que l'argent a payé l'intérêt de la belle femme devant lui. Il ne s'en inquiète pas, laissant échapper quelques mots dans le langage de ses ancêtres. Ne plus être sur ses gardes. Ne plus surveiller son accent. Ne plus effacer son éducation. Il ne peut pas être lui-même, il ne l'a jamais plus mais déposer l'un de ses masques est reposant. Ressourçant. Il se rappelle de ce qu'il a abandonné. Il se rappelle pourquoi. Et cela renforce sa détermination. Il s'élèvera, il le sait, il est né pour régner. Né pour conduire d'autres hommes à se dépasser. Il est là son orgueil impérial. Dans la foi totale qu'il a en ses capacités. Celles du sang De Asturias. Et les siennes propres. Il continue son pliage.

« Depuis que je sais lire les instructions. » Il a su lire tôt et a souvent offert des poupées de papiers à ses cadets. Un moyen simple de les calmer et de s'attacher leur affection. « Vous vous accompagnez d'un instrument lorsque vous chantez ? »

Laylia aime ces clients qui lui font presque oublier qu'elle travaille. Elle prend énormément de fierté et de plaisir dans ce qu'elle fait, mais considère également que si elle-même passe réellement un bon moment, ce doit être tout aussi vrai pour son client. L'illusion fait partie du travail de Compagnon, pour faire oublier à l'autre qu'il a payée pour sa compagnie, mais Laylia se plait à jouer avec les limites de cette illusion.

La brune admire la fine sculpture de papier plié avec la forte impression que Jaziel pourrait être l'un ce ses clients avec lesquels elle peut facilement jouer de cette illusion. Elle lui sourit donc, sincère, avant de répondre à sa question.

"Parfois oui. Je suis violoncelliste."

Le serveur arrive alors avec leur dessert, et Laylia attend d'avoir remercié ce dernier et qu'il se soit éloigné avant de reprendre.

"J'aurais aimé amener mon violoncelle avec moi aujourd'hui, néanmoins, comme vous devez vous en douter, ce genre d'instrument n'est pas aisé à transporter. Tout dépendant d’où vous souhaitez aller après le repas, il nous est possible d'aller au Conservatoire de la Guilde. Je pourrais alors jouer pour vous, si vous en avez l'envie. Sinon, ce peut être pour une prochaine fois."

Sa dernière phrase la trahit un peu, comme Laylia ne dirait pas non à l'idée de le revoir. Elle construit encore sa liste de clients, certes, et si l'intérêt reste professionnel, c'est surtout leur complicité et leur compatibilité d'esprit naturelle qui la motivent.

Il est surprit et si cela n'interrompt pas le ballet de ses doigts, on peut le lire sur son visage calme. Le violoncelle n'est pas l'instrument qu'il aurait imaginé pour la jeune femme. Il la voyait légère avec une flûte aux sons cristallins. Ou dansante au son d'un violon léger. Ou encore, s'il fallait l'imaginer assise, devant une longue harpe qu'elle ferait tinter de ses doigts blancs. La surprise passe et disparaît. Il pousse alors devant sa compagne du soir l'oiseau doucement plié, jusqu'au détails de la crête de plume et les ailes mobiles alors que l'on apporte les desserts. Il réfléchit, profitant de goûter son plat – un étrange truc rose et...violet avec des fleurs cristallisées en sucre – pour peser le pour et le contre de la proposition. Une partie de lui n'a pas envie de passer au Conservatoire, de voir d'autres gens, de s'embourber dans des platitudes. C'est la partie la plus humaine. Cela va faire sept ans qu'il n'a pas partagé le lit d'une jeune femme.

L'autre partie, l'intellectuelle, est curieuse et sait bien que cette prochaine fois à laquelle la jeune femme fait allusion est un mirage, comme l'est cette illusion qu'elle pourrait l'apprécier et qu'il n'y avait pas entre eux d'argent. Un mensonge qu'il entretien aussi seulement il sait déjà qu'il n'aura pas l'argent pour la revoir.

« Nous verrons où nous mèneront nos envies respectives et s'il nous reste assez de temps une fois nos autres activités terminées. Voulez-vous poursuivre notre jeu ? »

Laylia lit la surprise sur les traits de Jaziel et sourit doucement, s'amusant de l'effet provoqué tout en dégustant son dessert, une sorte de crème brûlée aux fruits exotiques. Le violoncelle n'est pas l'instrument le plus communément joué par les Compagnons, qui préfèrent généralement le violon, le piano ou la flûte, aussi il n'est pas rare qu'elle suscite ce genre de réaction. Néanmoins, cela n'a jamais arrêté Laylia d'apprendre cet instrument qui la fascine depuis le jour ou elle l'a entendu pour la toute première fois. Ses notes graves et riches de ténor qui résonnent dans la poitrine, glissent contre la peau et vous enrobent pour vous transporter ailleurs n'ont pas leur égal à ses yeux. Le violoncelle est également pour elle l'instrument se rapprochant le plus de la voix humaine, ce qui la touche profondément, et l'étendue des choses pouvant être réalisées sur cet instrument n'ont d'égal que le large éventail des voix humaines.

Laylia semble déceler autre chose derrière les pupilles glacées de son client. De l'intérêt, certes, mais aussi... De la déception? Non. De l'envie. Et alors elle comprend. Malgré sa curiosité, il a envie d'elle, mais n'ose probablement pas le dire pour ne pas paraître vulgaire. La jeune femme détourne alors un instant les yeux pour les poser sur l'origami avec fascination. D'une main, elle vient délicatement le soulever pour mieux l'observer, et de l'autre elle trouve celle de Jaziel pour la caresser de manière faussement distraite.

"Bien sûr. Quelle est la suite?"

Ce n'est pas la main sur la sienne qui le perturbe un peu, bien que le contact lui soit agréable. Ce n'est pas non plus la beauté de son visage lorsqu'elle est concentrée sur les détail de l'oiseau, mais bien ses paroles qui surprennent une nouvelle fois le jeune homme, peu habitué à ce genre d'exercice. N'était-il pas coutumier que ce genre de portrait chinois soit dans les deux sens ? Mais en même temps, veut-il vraiment se dévoiler ? Non. S'il était de mauvaise foi, il rétorquerait qu'elle a gâché sa question à demander la suite. Il envisage cette possibilité et la repousse. Son assiette rose et violette est à présent à moitié vide et il la pousse doucement sur le côté pour la lui donner, plus tard.

« Maintenant, c'est à vous de m'offrir une part de vous en échange d'une information de ma part. Vous avez le choix de la question et du présent que vous donnez en échange, il n'y a ni limite de taille, ni de temps à part celui qui nous est alloué, ni de forme, vous êtes libre. De mon côté, je répondrais à n'importe quelle question qui ne soit pas directe. »

Jaziel semble surpris de sa réponse et Laylia regrette de ne pas connaitre davantage ce jeu auquel il semble apprécié de s'adonner. Elle note mentalement d'aller se renseigner sur le sujet plus tard, surtout qu'il est particulièrement intéressant et pourrait lui être utile dans son métier, puis se concentre sur les instructions de l'homme aux cheveux blancs.

La jeune compagne réfléchit un instant, ne souhaitant pas lui lancer une question trop hâtive et irréfléchie. Prendre le temps de réfléchir n'est pas une preuve de stupidité, comme certains adeptes de la spontanéité pourraient suggérer, mais plutôt d'un réel intellect et du sérieux des réflexions. Laylia dépose l'oiseau de papier sur la table, puis pose les deux mains sur celle de Jaziel. Doucement, elle se met à masser subtilement les doigts de l’homme entre ses pouces alors que ses prunelles bleues ne quittent pas les siennes.

"À votre tour alors, et sans réfléchir vous aussi. Donnez-moi le premier instrument de musique qui vous vient en tête, ainsi que le style de musique qu'il joue, puis pourquoi c'est à lui que vous avez pensé ainsi que ce qu'il représente à vos yeux."

Le silence qui s'installe entre eux est un silence plein de pensées, le genre d'atmosphère qui plait à l'homme de cabinet qu'il n'a jamais pu être. S'il est intelligent, Jaziel n'a jamais eu cette pensée instantanée de certains génies, il travaille, il retient, il compile, il réfléchit et ensuite seulement, il parle. Elle fait de même et c'est un bon point pour elle, s'ils étaient vraiment dans un jeu de séduction où des points compteraient. Sans l'interrompre, il attrapa sa tisane, posant ses mains dessus comme pour boire la chaleur à travers la paume. Et puis, elle se plie au jeu.

Il serait trop facile de répondre le violoncelle parce qu'ils viennent d'en parler. Rapidement, le navigateur regarde autour de lui. La mer s'impose. La mer qui lui rappelle... « Le hautbois » qui pourtant n'a rien à voir, ayant un son doux et grave mais décidément terrien. Tant pis, c'est dit, il ne se dédiera pas.

« Je cherchais un instrument qui me rappelle la mer, ses vagues qui gonflent vers les lunes, jouant de la gravité. Le hautbois n'a rien à voir avec cela, pour moi il évoque la forêt, la nuit et le mystère. Pour la musique, j'étais sur une musique impressionniste, qui décrit la nature. »

Laylia adore le hautbois. Si elle n'était pas tombée amoureuse du violoncelle, c'est sans aucun doute l'instrument qu'elle aurait appris. Elle en a joué un peu, comme elle a également touché au piano et à la harpe, mais ne le maîtrise pas à un niveau suffisant pour en jouer devant public. Peut-être un jour, si elle parvient à s’entraîner suffisamment, pourra-t-elle le compter à son répertoire. Pour l'instant néanmoins, Laylia s’adonne à la même analyse que lui plus tôt avec sa réponse.

"Un instrument classique, qui demande une très grande maîtrise personnelle pour être bien joué."

Comme lui, en fait, si elle ne se trompe pas à son sujet. Elle fait une brève pause sans détacher son regard du sien et sans cesser les gestes fins de ses doigts sur la main de Jaziel.

"L'impressionnisme est caractérisé par sa tonalité très recherchée et sa grande sophistication, tout comme l'est l'Impérium, ainsi que par une écriture non linéaire dans le temps en successions d'impression."

Y aurait-il plusieurs visages à Jaziel de Nieves? Plusieurs masques qu'il se plait à prendre ou n'a, au contraire, pas le choix de revêtir? Tout le monde porte son lot de masques, bien sur, mais certains bien plus que d'autres.

"Pour ce qui est de cette part de moi que je souhaite vous offrir en échange, vous allez devoir attendre un peu puisque je ne l'ai pas sur moi. Mais si nous avons terminé ici, nous pouvons aller la chercher."

Laylia ne déçoit pas. Elle saisit au bond la métaphore et l'explicite comme lui l'avait fait pour l'oiseau. S'il n'oublie pas qu'elle est payée pour le faire se sentir bien par rapport à lui-même, il apprécie – plus que les compliments en eux-même – l'intelligence dont fait preuve la jeune femme ainsi que sa fine perception des gens. En effet, il est un homme classique appréciant la maîtrise personnelle avait toute chose. Pour l'impressionnisme, il était pas allé aussi loin mais son analyse est trop juste pour qu'il se montre mauvais joueur. Avec un sourire qui ne touche pas ses yeux mais éclaire tristement son visage, il termine sa tisane, salue la jeune femme, se lève et vient lui tirer la chaise et lui tendre le bras, gestes qu'il n'avait pas fait depuis très longtemps mais qu'une éducation comme la sienne ne lui permet pas d'oublier.

« Ma soirée vous appartient, Señora. Commandez et je vous suis. »