L'aube d'une renaissance

« C'est mon anniversaire ce soir. » En quelque sorte. Ne dit-on pas que la mort est une seconde renaissance ? S'il accepte de mettre de côté l'identité de sa naissance, il ne veut pas perdre le compte des années et s'est décidé sur la date de l'attentat pour renaître de neige. Alors c'est officiel, ce soir, il a vingt-sept ans. Et encore tout à construire. « Mes camarades ont voulu marquer le coup, me pousser à sortir un peu de mes manuels de navigation. » et aussi parier sur s'il saurait ou non quoi faire d'une femme dans son lit, probablement. Ils ignorent qu'il a été marié. Tout ce qu'ils savent c'est qu'ils ne l'ont jamais vu avec personne, fille ou garçon. Et pour cause. La séduction est bien trop chronophage pour être rentable. Cela ne veut pas dire qu'il a tout oublié de ce que son épouse lui avait enseigné.

Pour preuve. Comme le vent face au large est plus violent encore, il enlève sa veste, la posant simplement sur les épaules de la jeune femme. « Votre amie aurait-elle su répondre à mes poèmes ? »

"Vos camarades ont eu une bonne idée, sortir et se divertir un peu est tout aussi important que le travail. Je m'assurerais que vous ne regrettiez pas votre soirée d'anniversaire.

La brune serre légèrement ses doigts autour de ceux de Jaziel tout en réfléchissant aux changements dans ses plans que cette nouvelle information implique. Si elle avait réussi à rapidement se défaire de son anxiété de départ, celle-ci repointe maintenant le bout de son nez. Si pour elle, en théorie, cela ne change rien à son contrat, Laylia est une femme profondément humaine qui a toujours vu ses clients pour plus que simplement son travail. Avec eux, elle veut construire des relations positives, qui font du bien et qui font grandir, leur faire oublier leurs soucis et leur offrir une oasis à part de leur monde ordinaire.Pour elle, chaque personne est unique et spéciale et mérite qu'on s'y attarde. Aussi, elle souhaite réellement se surpasser maintenant qu'elle connait l'importance de cette date pour Jaziel.

Ce dernier passe sa veste sur ses épaules dans un excès de galanterie que Laylia s'empresse de remercier en profitant de l'occasion pour attirer de nouveau son visage à elle. Doucement, elle lui offre un nouveau baiser ne lui répond qu'une fois celui-ci terminé, tout en gardant leurs visages près l'un de l'autre.

"Très certainement, mais peut-être à tous. Neruda reste mon poète préféré, j'avais donc d'office une longueur d'avance"

Spoiler:

Il n'est pas certain d'être en phase avec son affirmation. Sortir et se divertir sont des travaux lorsque l'on est en représentation constante...ou de la noblesse impériale. Il n'a pas souvenir d'avoir tellement joué, à part dans son enfance, avec ses sœurs, pour les garder calme. Mais cela aussi était le travail d'un ainé, décharger les parents des tâches non-importantes et créer du lien dans la famille. Ses propres divertissements, il les avait remisés avec son ancienne vie. Terminée la musique que l'on écoute en s'instruisant. Fini le calme d'une partie d'échec. Il ne lui restait que les origamis pour concentrer son esprit et libérer ses pensées.

C'est alors qu'elle l'embrassa et toute réflexion interne fut immédiatement interrompue. Il n'y eu soudain plus qu'elle, la douceur de sa peau, la suavité de son odeur, ses cheveux qui chatouillaient sa joue, sa main sur lui. Sa main sur elle. L'instant de surprise passé, il lui répondit comme il l'avait fait au baiser précédent, avec la douceur impérieuse qui était la sienne. Sa respiration, lorsqu'ils se séparèrent, était à nouveau plus rapide. Il remit une mèche de cheveux d'obsidienne derrière une oreille laiteuse, ses yeux clairs plantés dans les siens, avec tout le sérieux du monde.

« Alors j'ai gagné au change, Señora. » Il reprit sa main dans la sienne. « Avançons cependant. La nuit ne rajeunit pas et nous avons une table à attraper. » Malgré ses paroles, son ton restait calme. Il exposait des faits, simplement.

Laylia lui sourit doucement. Il est flatteur, ce Jaziel De Nieves. Néanmoins, ce n'est pas tant le compliment qui la fait sourire, mais plutôt le soulagement et la joie de voir que son approche avec lui réussit. Car, s'il la regarde comme ça, c'est qu'elle fait bien les choses. Comme pour chacun de ses clients, son but principal est de leur faire oublier le reste du monde et leurs soucis. Ce n'est que lorsqu'elle les a suffisamment attirés dans son propre monde, par ses paroles, ses gestes ou sa musique, qu'ils peuvent réellement se détendre, apprécier le moment et vivre une expérience unique. Alors qu'il ne voit plus qu'elle jusqu'à s'en oublier lui-même ce soir. La réalité reviendra demain matin, mais pour l'instant, elle peut attendre.

"Bien sûr. Le restaurant dont je vous parlais est juste là, au pied de la falaise."

La brune lui désigne de sa main libre l'un des édifices aux grandes baies vitrées qui longent la plage un peu plus loin. Une falaise de roches rouge s'élève derrière eux puis les contourne vers la plage avant de s'élancer dans la mer. Même dans le calme de la nuit, quelques cris d'oiseaux de mer se font entendre, au et dessus de l'escarpement, juste au-dessus des vagues, quelques silhouettes noires planent en cercle avant de se poser pour la nuit sur leur perchoir habituel. Laylia tente de suivre leurs mouvements des yeux tout en dirigeant Jaziel vers leur destination.

"Vous avez déjà goûté à la nourriture locale?"

Ils reprennent le chemin tous les deux et le jeune homme repense a la douceur du sourire de la jeune femme. Ce qu'il devait être facile de se laisser emporter par une telle beauté. Elle ne devait plus compter les clients tombant amoureux de ses charmes. Surement, ça ne devait pas être facile à gérer avec un métier pareil. Elle avait été formée à éveiller le désir et l'oubli et y arrivait remarquablement bien. Que faisaient les autres lorsque le temps était venu pour la parenthèse de se refermer ? Lui savait qu'il reprendrait sa vie sans difficultés majeures, simplement débarrassé d'une tension dont il n'avait pas eu conscience jusqu'ici. Dommage qu'elle soit si chère et lui si pauvre. Il écarta l'avenir de ses pensées et suivit des yeux le vol gracieux de quelques oiseaux nichant sur les falaises à l'horizon.

« Cela dépend de votre définition du local. J'ai une certaine habitude des spécialités autochtones. » Agrémentées, il n'en doutait pas, d'une certaine adaptation aux goûts impériaux. Alegria était une station de plaisirs et ses restaurants renommés ne se seraient pas laissés aller au risque de présenter des plats sauvages tels quels. L'Empire aimait le raffinement. « Mais de Vanguard, je n'ai fréquenté que les tavernes du port » et leurs plats sans goûts et tous identiques. Il resta grave. « Je dois vous avouer toutefois qu'après deux semaines de nutrisoja, vous partez avec un avantage. N'importe quelle nourriture me semblera délicieuse. »

"Je suis ravie d'apprendre que notre soirée vous sauve du nutrisoja!"

Laylia est également heureuse de savoir qu'elle n'est très probablement pas tombée sur quelqu'un de difficile niveau culinaire, ou fermé aux nouvelles expériences. Ne pas avoir peur d'essayer de nouveaux goûts, de s'ouvrir et de découvrir sont des qualités qu'elle apprécie grandement chez les autres, contrairement aux personnalités plus conservatrices ayant peur de l'étranger, qu'elle trouve triste et désolant.

"Par local, j'entendais effectivement un peu plus ciblé que les grandes spécialités Mo'at. Le Vent du Large sert principalement des plats cuisinés avec des poissons et crustacés pêchés ici même sur la côte. Le chef est également un métis ayant la réputation de préparer la nourriture selon les traditions de son clan."

L'endroit a bonne réputation et il ne suffit que d'apercevoir l'établissement, propre et sombre malgré un certain luxe sans extravagances, et les tables pleines de clients au travers les grandes baies vitrées pour le réaliser. Fort heureusement, à mesure qu'ils se rapprochent, Laylia constate que le restaurant n'est pas bondé. L'ambiance sera donc plus calme et intime, ce qui est idéal.

Du poisson frais. Un luxe qu'il ne s'était pas offert depuis extrêmement longtemps. Il se demanda combien coûtait le menu et si le repas était compris ou non dans la prestation qu'on lui avait réservée et puis il se rappela du cadre, au bord de la mer et se dit qu'il saurait faire avec ce qu'on lui avait préparé. Après-tout, cela aussi avait fait partie de son éducation, faire comme si les basses considérations matérielles n'avaient aucune importance même si ce n'était pas le cas.

« Alors non, je n'ai pas encore eu ce plaisir. Et je vous avoue la plus grande ignorance concernant les peuples mo'at, les tributs, les clans et leurs spécificités, peut-être pourriez-vous m'en dire plus ? »

Autour de Tyrion, les peuplades autochtones de Dorado n'avaient d'intérêt que pour être exhibées en salon ce qui, depuis l'engouement esclavagiste trinitaire était très mal vu par la bonne société. A son arrivée dans le système, il avait eu d'autres choses à faire et à penser et s'il y avait quelques natifs sur les vaisseaux qu'il fréquentait à présent, il se voyait mal leur poser des questions. Il faisait de son mieux pour ne se lier avec personne et ne pas se laisser trop approcher. Mais elle... « vous êtes bien liée par le secret professionnel, n'est-ce pas ? »

L'interrogation l'a surprend, puisque les Compagnons sont particulièrement reconnus pour leur discrétion et que leur réputation est principalement basée sur ce principe de respect de la confidentialité, mais il n'est pas son premier client à émettre des inquiétudes à ce sujet.

"Effectivement, la confidentialité est le principe le plus sacré de ma Guilde. Vous n'avez rien à craindre, tout ce qui se dira ou se passera ce soir restera entre nous."

Elle lui sourit pour le rassurer, ne trouvant pas nécessaire de lui préciser que le seul cas de figure où la confidentialité serait brisée est s'il ne respecte pas les closes de leurs contrats : s'il ne la paie pas - ce qui a déjà été fait à l'avance par ses amis - et s'il la violente. Et encore, ceux qui transgressent ne sont pas dénoncés publiquement, mais simplement ajoutés à la liste noire de la Guilde, qui elle-même est gardée secrète pour tout non-membre. La brune n'a jamais eu besoin de rapporter le nom d'un de ses clients et elle est sûre que Jaziel ne se révélera pas être agressif une fois en privé.

Ils sont maintenant arrivés devant le restaurent et Laylia prend le temps de répondre à sa première interrogation avant d'entrer par la porte que vient de leur ouvrir un serveur.

"Bien sûr. Je ne suis pas une experte en ethnologie ou en histoire Mo'at, mais il me fera plaisir de partager mes connaissances sur le sujet avec vous. Prenons place à table d'abord?"

La réaffirmation de ce principe fondamental de la Guilde le rassérène effectivement un peu. Il sait que c'est un vestige de son ancienne éducation, mais il accorde beaucoup d'importance à la parole donnée, surtout à voix haute. Ce n'est pas tant qu'il a peur de se trahir ou de donner des informations qui permettraient de le retrouver (on n'est jamais mieux caché que lorsque l'on est mort) mais s'il doit accepter d'avouer des ignorances, il préfère encore savoir qu'elles ne feront pas le tour de la galaxie. Il apprécie également qu'elle ne cite pas les closes contre la violence et le non-paiement. La vraie autorité n'a besoin que de quelques exemples bien choisis et il a beau avoir très envie de goûter la peau de la jeune femme, un refus de sa part ne sera assez pour le faire sortir de ses gonds.

Ils arrivent rapidement devant le restaurant. Hochant la tête, le navigateur se redresse et lâche la main de la jeune femme pour lui proposer son bras. C'est lui qui s'avance devant le maître d'hôtel, demandant une table, lui qui choisit celle qu'il veut parmi les disponibles. Proche de la verrière, vue sur la mer, mais son siège à lui a une colonne dans le dos et n'est pas visible depuis la plage. Il se place derrière la jeune femme, lui tenant sa chaise avant de s'asseoir, attrapant la carte, celle des vins coincée sous son coude.

"Si nous commencions par la gastronomie ? Que me conseillez-vous ?"

Laylia laisse Jaziel prendre les rênes à leur entrée dans le restaurant. Subtilement, elle aborde le serveur avant qu'il ne les laisse s'installer à leur table et lui glisse sa carte de Compagnonne, agissant telle une carte de crédit pour payer leur repas. Les frais de transports ou récréatifs étant à la charge du client, les amis de Jaziel ont inclus un montant suffisant pour couvrir les frais de la soirée. Laylia a préparé sa carte à l'avance, comme toujours, ne souhaitant pas que la question des crédits vienne gâcher l'ambiance. Le serveur, habitué d'avoir affaire avec la guilde, lui sourit simplement avant de hocher la tête puis de s'éloigner pour accueillir de nouveaux clients.

La brune remercie Jaziel pour sa galanterie puis prend quelques instants pour apprécié la décoration du restaurent ainsi que la vue sur la plage que leur table près de la fenêtre leur offre. Comme à chacune de ses visites, le regard bleuté de Laylia est attiré par la sculpture mo'at de bois sur le comptoir de l'entrée. Magnifiquement réalisée et représentant un Toor'kraan, celle-ci est la pièce centrale de la décoration, donnant le ton au reste de la pièce ou l'on retrouve iconographie et artisanat mo'at.

"Si vous souhaitez vous immerger dans la cuisine mo'at, le filet de Teya à la braise est un des favoris du chef. Si vous souhaitez plus de variété, et essayez plusieurs choses, je vous conseille l'assiette de dégustation."

Il ne s'aperçoit pas de son manège avec le serveur, remarquant simplement la carte et se disant tranquillement qu'il s'agissait de la sienne propre. Après tout, elle était jeune et devait encore se faire un réseau, c'était compréhensible et ne le dérangeait pas outre mesure. Ses yeux calmes, loin d'admirer la mer, se posent sur la beauté qu'il en face de lui. Une femme aussi belle ne doit pas avoir besoin de faire beaucoup d'efforts pour crouler sous les clients. Figurativement parlant, évidemment.

« Et vous que prendriez-vous ? » Il réfléchit puis ferme la carte qu'il pose calmement sur son assiette. Toujours, son éducation perce sous le vernis léger du pirate. Plus il est avec elle et plus il oublie l'explosion, la perte de son nom, de son identité et sa disparition dans l'illégalité la plus sauvage. Il attrape la carte des vins qu'il ouvre, curieux de voir ce qu'ils pourraient proposer d'intéressant. Il apprécie beaucoup le vin. Bien plus que le rhum.

« Sinon, si cela vous convient et qu'il n'y a pas de Teya dans l'assiette dégustation, nous pourrions prendre un de chaque et partager les deux plats ?» 

Il y a quelque chose de terriblement convivial à se passer des fourchettes par dessus la table. Ce n'est pas très bien élevé mais dans un contexte de séduction, les frôlements et le début de partage ont quelque chose de très érotique. Du moins à son avis.

« Vous aimez le vin blanc ? Nous pourrions rester dans la même optique. Prendre un verre chacun.»

"Excellente idée. Je prendrais donc l'assiette de Teya, elle avait déjà attiré mon attention de toute façon."

L'idée du partage lui parait en effet une très bonne idée, tant pour leur offrir l'opportunité de se rapprocher, devenir plus complices, que pour mieux apprécié la cuisine du restaurant. La tête toujours dans les poèmes échangés plus tôt, sa proposition lui inspire quelques vers et elle hésite quelques instants, incertaine s'il apprécierait ses créations personnelles. Elle ne prétend pas du tout avoir la plume de ceux qu'elle cite, mais son amour des mots lui fait depuis plusieurs années déjà gribouillées quatrains et autres rimes dans un cahier qu'elle garde toujours près d'elle. Finalement, elle lui offre un sourire en coin, un peu espiègle, et tout en glissant un oeil vers la carte des vins laisse les mots filer distraitement entre ses lèvres.

"Si vous ne craignez point le naufrage,
Dans les rues de Vanguard rejoignez-moi,
Nos pas porteront notre émoi,
Délicieux mets et douces paroles en partage."

Elle fronce ensuite les sourcils, concentré sur les petits caractères du menu, puis son expression s'illumine alors qu'elle trouve un nom de vin qui lui plait.

"Le vin blanc sera parfait avec les fruits de mer, vous avez bon goût.À moins que vous l'envisagiez vous même,
je crois bien que je prendrais un verre de La Belleza Del Mar."

Il jette un nouveau coup d'oeil à la carte des vins pour repérer le Belleza et un vin blanc « mo'at » dont l'intitulé trinitaire le surprend un peu. Il repose ensuite les morceaux de cartons, attendant le serveur alors que ses yeux s'égarent sur la mer au loin. Elle l'attire, cette infinie mouvance d'eau salée. L'horizon n'est pas un spectacle dont il a réussi à se lasser jusqu'ici. Surtout celui, plein, d'une planète en opposition avec le vide infini de l'espace où il passe à présent le plus clair de ses journées. Un mouvement ramène son attention à la jeune femme qui reprend un poème étrange, un curieux sourire aux lèvres.

« Je ne connais pas cet auteur. »

Le rythme n'est pas celui d'un Neruda ou d'un Hugo, les vers sont moins construits et le discours plus moderne. Cela ne veut pas dire que c'est déplaisant pour autant. Et lorsqu'elle sourit et qu'une lumière dorée semble émaner de sa peau d'albâtre, il lui répond en silence, posant sa main tranquille sur la sienne, caressant du pouce la chair douce entre son poignet et son petit doigt. Le garçon arrive alors et le jeune homme annonce la commande sans hésitation, avec le ton définitif de ceux qui savent commander et pour qui assurance et politesse ne sont pas exclusifs.

« Les mo'at ont-il une littérature ou une culture orale ? »

Une sourire énigmatique et amusé étire les lèvres de la jeune femme lorsqu'elle lui répond simplement :

"Elle n'est pas encore connue, mais cela ne lui déplaît pas, elle a encore beaucoup de travail à faire."

Son sourire s'accroche à ses lèvres alors que la main de Jaziel vient se poser sur la sienne, et la brune ne fait aucun mouvement pour la lui retirer même lorsque le serveur arrive pour prendre leur commande. Laylia ajoute aux paroles de Jaziel de leur apporter une eau gazéifiée également, leur marche sur la plage lui ayant donné soif, avant que son regard soit de nouveau attiré vers la mer. Il est en effet difficile de ne pas se laisser happé par la grandeur et la profondeur d'un aussi joli paysage, mêmes sous si peu de lumière.

"Ils ont un système d'écriture, mais leur culture est principalement orale. Ils ont donc beaucoup de contes, de légendes et de chansons pour transmettre leur histoire et leurs croyances. Malheureusement et bien que j'aimerais l'apprendre d'avantage, je ne parle que très peu Mo'at, seulement quelques mots. Néanmoins, je connais plusieurs de leurs chants et leurs significations. C'est une langue magnifique, très chantante. L'avez-vous déjà entendue?"

La culture Mo'at la fascine en réalité depuis toujours. Partager leur planète depuis sa naissance doit y être pour quelque chose, mais c'est principalement l’esthétique particulière de leur culture qui touche la brune. Leurs sculptures, chants, danses et autres sont uniques, différents de tout ce qui se fait dans la galaxie.

Il n'est pas assez stupide pour ne pas comprendre qu'elle parle alors d'elle-même ou d'une amie proche et se contente donc de hocher poliment la tête, peu soucieux de faire une erreur diplomatique en commentant le quatrain cité. Trop de compliments ou pas assez pouvaient donner des réactions allant jusqu'à l'hystérie et il n'avait pas envie de hasarder une bonne soirée à une phrase de trop.

A la fois concentré et un peu ailleurs, il la laissa donc demander de l'eau gazeuse mais reporta son attention sur elle lorsqu'elle répondit à sa question. La culture autochtone était quelque chose qu'il connaissait très mal. L'Empire, ou du moins sa famille et leurs alliés avait tendance à ignorer purement et simplement les habitants de Renaissance ou ce qu'en faisaient les trinitaires. C'était l'Union qui s'élevait vigoureusement contre l'esclavage. A Tyrion, on enseignait que le sang destinait l'élévation des gens. C'était une leçon qu'il apprenait petit à petit à remettre en cause. Quelque chose faisait que certains étaient naturellement au dessus des autres, de cela il était persuadé, mais ce n'était ni le sang, ni la naissance. C'était...autre chose.

« Un peu. Il y avait quelques mo'at dans mes différents équipages et j'ai surpris des discussions entre eux mais je doute qu'ils parlaient poésie ou belles lettres. »

La brune sourit, amusée.

"Même pour dire des banalités, cette langue est particulièrement agréable à l'oreille, vous avez de la chance."

Comme son compagnon de la soirée semble s'intéresser réellement à la culture mo'at, Laylia se permet de laisser libre court à ses paroles, qui laissent paraître alors sa réelle passion pour le sujet, tout en gardant un oeil sur les réactions de Jaziel. Au premier signe d'ennui, elle changera de sujet, ou au premier indice d'incompréhension, elle le laissera poser ses questions ou tentera d'expliquer ce qu'elle sait plus en détail.

"Les mots sont très importants pour eux, comme on peut s'en attendre d'une culture orale. Aussi, le nom des individus l'est particulièrement, d'autant plus qu'il est attaché au clan, et donc à la famille. Saviez-vous que leurs noms sont toujours composés d'un prénom suivi du nom du clan auquel ils appartiennent? De ce fait, les individus sans clans ou bannis n'ont seulement qu'un prénom. Ils considèrent cette absence de filiation comme un sacrilège, car, pour les mo'ats, la famille est sacrée. Ils se révèlent être une société profondément altruiste prenant soin de leurs aînés, adoptant les orphelins chaleureusement et préférant aider leurs clans voisins plutôt que se faire la guerre, par exemple."

Elle était musicale, c'était vrai, accentuée et chantante mais surtout, elle lui était encore incompréhensible et ça, ce ne devait pas, ça ne pouvait pas rester en l'état. Lorsqu'il deviendrait Capitaine, il se devrait d'être en capacité de comprendre le moindre de ses membres d'équipage. Il n'avait que trop vu ce que produisait l'excès de confiance. Il était mort une fois, pas deux. Pour l'instant cependant, il porte son verre à ses lèvres, écoutant la jeune femme avec une attention soutenue. Et autant il est familier avec l'importance des Familles dans l'Empire,autant le concept d'une coopération à grande échelle entre familles et sans le système délétère des vendettas l'étonne. Faut-il qu'ils prennent des leçons de civilisation de la part de sauvages ?

« Si l'adoption est l'entre-aide sont si généralisés que vous le dites, alors il ne devrait pas y avoir de mo'at sans clans, quiconque se retrouverait seul et donc orphelin serait adopté. Et si la famille est sacrée, alors quels sont les actes jugés assez horrifiques pour justifier un bannissement ? »

Son ton est toujours aussi neutre mais les questions sont bien la preuve de son intérêt pour la question. Il ne questionne d'ailleurs pas du tout la véracité de ses dires, demandant simplement des précisions qui lui permettrait de comprendre davantage ce peuple.

Aux questions de Jaziel, la petite étincelle dans les yeux de Laylia se met à briller plus fort. Psychologie, histoire et sociologie ont toujours été des sujets qui l'ont passionnée. Elle a orienté ses études en ce sens, au Conservatoire, mais même maintenant qu'elle n'y est plus, elle continue à lire sur ces sujets. Certes, elle n'a pas la prétention d'être psychologue ou historienne. Néanmoins, discuter de ce genre de questions la fait vibrer tout autant que si elle était professionnelle. Elle qui tient si fort à son professionnalisme se perd alors dans son enthousiasme. Une erreur de débutante.

"Mmm, excellentes questions. Je ne connais pas en détail le système de justice et pénal des communautés Mo'ats, mais il serait intéressant de faire des recherches. Bien sûr, ils restent humains, alors il serait absurde de croire que tous les individus de ce peuple se conforment à la même norme morale, mais je sais qu'ils ne connaissent pas la peine de mort, d'où le bannissement. Ces cas sont assez rares d'ailleurs, de ce que j'ai pu comprendre, et le seul crime que je connaisse qui puisse l'entraîner est le meurtre."

Sans s'en rendre compte, Laylia a laissé connaitre sa position politique vis-à-vis des Mo'ats en les catégorisant d'emblée "d'humains". Si elle parle régulièrement politique avec ses clients, elle évite généralement d'exposer ses propres idées avant de connaitre les positions de ces dits clients, le sujet pouvant être sensible pour certains.

Sans s'en rendre compte, il s'était penché vers elle, comme un assoiffé devant un ruisseau d'eau claire, il écoutait sa passion se glisser entre leurs paroles. Quelque chose avait changé, il ne savait pas quoi ou ce qu'il s'était passé mais soudain, elle était plus chaude, plus vivante, plus belle encore. Il reprit sa main dans la sienne, concentré sur ce qu'elle lui apprenait. Clairement, elle ne voyait pas de différence entre les autochtones et le reste du monde civilisé. Lui-même, n'avait aucune raison de les croire fondamentalement différents. Seule la culture et l'avancée technologique étaient différentes et c'était quelque chose que l'on retrouvait – dans une moindre mesure – entre les factions.

« C'est assez paradoxal, ne trouvez-vous pas, qu'un peuple vivant sur une planète aussi hostile à la vie humaine que l'est Renaissance puisse accorder à la vie de l'individu une telle importance qu'elle réserve à qui la prendra la plus dure de leur sentence ? Mais n'est-ce pas un peu hypocrite ? Je ne connais de Renaissance que les parties domptées par la technologie mais cela ne m'empêche pas de m'interroger, condamner au bannissement n'est-ce pas une formé détournée de condamnation à mort ? Sans famille et sans soutient, un homme peut-il vraiment y survivre seul ? »

Absorbée par la conversation qui la passionne, Laylia ne réalise pas qu'elle continue son manquement professionnel en s'engageant plus avant sur le terrain glissant de la politique.

"Oui, je le crois aussi. Il faut aussi dire que toute justice pénale est paradoxale en son sens profond, après tout. Serait-il plus acceptable et moins hypocrite s'ils les emprisonnaient à vie? S'ils les forçaient à faire du travail communautaire ou encore s'ils appliquaient la peine de mort directement? Je crois que chaque alternative a sa part d'incohérence. Chaque culture y va donc avec ce qu'elle considère être le moindre mal, j'imagine. L'éducation et la réhabilitation sociale restent la seule option viable pour rester cohérentes avec ses principes humanistes, et celle que j'encouragerais pour tous. Néanmoins, beaucoup diront que cette méthode n'est ni garantie, ni toujours possible..."

Elle rit doucement avant d'ajouter, mettant un peu plus les pieds dans les plats de ses principes de professionnalisme.

"... et les mauvaises langues que cela coûte beaucoup trop cher."

Ce n'est qu'après l'avoir prononcé qu'elle réalise la portée de ses paroles et se mord la langue. Ses joues rougissent légèrement sous le coup de la honte et elle se cache momentanément derrière son verre d'eau. Jusque là, Jaziel ne semble pas s'être offusqué de ses paroles, mais elle va devoir changer l'angle de cette conversation rapidement avant de s'enfoncer davantage et commettre un impair irréparable. Heureusement, c'est le moment que le serveur choisit pour arriver avec leurs assiettes, lui offrant l’échappatoire idéale.

Jaziel l'écoute encore. Il n'a pas d'avis tranché sur la question. La vie et la mort des autres ou même leur douleur est quelque chose qui le laisse profondément indifférent. Il l'a bien vu lors des abordages quand certains de ses camarades vomissaient tripes et boyaux en voyant les dégâts sur les ennemis et qu'il restait de marbre. Il n'aimait même pas particulièrement voir les autres souffrir, pas comme d'autres camarades encore moins fréquentables que lui. Il reconnaissait l'intérêt de la souffrance de l'autre tout comme il en avait déjà compris les limites. On dit n'importe quoi pour que la douleur s'arrête. Pour avoir la vérité, c'est l'esprit qu'il faut atteindre. Il sourit à l'entendre rire, un peu mécaniquement, d'un sourire qui n'atteint pas ses yeux. Le repas qu'on leur sert alors interrompt le débat. Il lâche sa main pour attraper ses couverts, piquant dans sa fourchette, sans regarder, un morceau de légume trompeusement vert.

Il n'y a d'abord rien qu'un parfum d'épice puis une chaleur qui lui vient du fond de la gorge. Sa bouche est sèche, quelques larmes, rares, virent perler au bord de ses yeux. Il attrape un verre d'eau, le vidant d'un coup pour éteindre l'incendie. Pendant une seconde, sa bouche redevient normale. Et d'un coup, c'est pire. Cette fois son ventre se met de la partie. Il se sent rougir mais il est venu pour apprendre, non ? Sauf qu'il n'arrive pas à parler. Il n'y a que ses yeux froids, troubles, qui appellent à l'aide.

Laylia remercie le serveur et est soulagée de constater que Jaziel ne relance pas le débat. Ses professeurs du Conservatoire auraient fait de ces têtes s'ils l'avaient vu commettre cet impair! D'autres jeunes Compagnons - ou plus âges d'ailleurs - ne se sentiraient pas mal pour si peu, mais Laylia a toujours mis son sens professionnel au sommet de ses priorités, comme quelque chose de sacré à ne pas tromper. Elle a encore beaucoup à apprendre, certes, mais elle s'excuse difficilement à elle même son manque de contrôle.

Alors que la brune découpe délicatement un morceau de son filet de Teya, elle remarque le mouvement précipité de son client vers son verre d'eau. Elle réalise rapidement à son expression et sa couleur changeante qu'il vient d'engloutir l'un des piments forts de son assiette de dégustation. Rapidement, elle fait signe au serveur et lui demande de leur apporter rapidement un bol de yaourt nature, ce qu'il s'empresse de faire.

"Prenez ceci plutôt que de l'eau, vous irez rapidement mieux."

Du yaourt ? Mais pourquoi du yaourt ? Il regarde la substance blanche derrière les larmes de douleur. Quand on a mal, on fait n'importe quoi pour que la douleur s'arrête. Il attrape une cuillère, mange le dessert qui semble couler sur sa langue à vif. Une autre. Puis une autre. Petit à petit, tout s'apaise. Il essuie ses yeux d'un revers de la main, se force à abaisser les paupières pour en chasser les dernières larmes et reprend, d'une voix étranglée.

« Merci. »

D'autres auraient pu se sentir stupide ou vexés de s'être fait avoir mais pas lui. Il a voulu tester...il teste. Il saura maintenant. En cas de piment trop fort, du yaourt.

« Comment...s'appelle cette chose ? »

Sans relever la tête, il a prit sa fourchette et a commencé à enlever précautionneusement tous les morceaux verts un peu louches pour les mettre dans un coin. S'il n'est pas vexé, il reste un homme prudent. Qui apprend de ses erreurs. Tout ça.

« Et pourquoi du yaourt ? »

Laylia sourit doucement, amusée et soulagée de le voir reprendre progressivement une couleur normale. Elle ne rit pas de lui, bien sûr, mais puisqu'il ne semble pas s'offusquer de s'être fait surprendre ainsi par un aliment, elle laisse le côté humoristique et léger de la situation s'installer.

"C'est un piment local appelé Txep si je ne me trompe pas. Il est reconnu pour être particulièrement piquant, mais il offre un goût unique et seulement légèrement relevé aux aliments avec lesquels il est préparé. Il y a donc une forte demande d'exportation hors de Renaissance pour lui."

La compagne affiche une expression désolée et ajoute :

"Je suis désolée, j'aurais dû vous prévenir qu'il ne faut en manger que de petits bouts à la fois, et avec autre chose en même temps. J'ai vécu la même chose que vous lorsque j'y ai goûté la première fois. C'est à ce moment que j'ai appris que le yaourt était la solution aux brûlures des plats pimentés. Tous produits laitiers non dégraissés peuvent aident en fait, apparemment, mais le yaourt est généralement utilisé en restauration puisqu'il accompagne mieux le gout des plats. L'eau n'aide malheureusement pas avec les piments forts puisque leur capsaïcine, qui donne la sensation de brûlure, n'est malheureusement pas soluble.

Le Txep. Vraiment, pas son légume préféré mais il est là pour sortir un peu sa tête des cartes de navigation et des étoiles alors autant découvrir de nouvelles choses et il ne se vexe pas de son sourire. Il illumine son visage. Il reprend une bouchée de poisson, dégustant tranquillement le reste de l'assiette tout en écoutant attentivement son professeur de la soirée.

« C'est bon oui. » Après la nourriture de bord et le nutrisoja, il aurait aimé n'importe quelle réelle nourriture mais en plus,celle-ci est raffinée et il se rend compte que cela lui avait manqué. Pas au point de lui faire renoncer à son plan mais tout de même, un peu. « Pourquoi ne pas servir un verre de boisson alcoolisée au lait alors pour accompagner leurs plats ? »

"Bonne question. Peut-être que comme ils sont Mo'ats et que le Txep est connu dans leur culture n'ont-ils pas de problème avec ce dernier? Néanmoins, comme Vanguard est déjà très touristique, votre idée est excellente. Peut-être prennent-ils les suggestions?"

La brune lui sourit de nouveau et prend sa première bouchée de poisson. Ce dernier est aussi délicieux que dans ses souvenirs et Laylia ne peut s'empêcher de fermer les yeux quelques instants de plaisir. Elle coupe ensuite un nouveau morceau puis avec un léger sourire joueur, se souvenant de la proposition de son client un peu plus tôt, tend sa fourchette dans la direction de Jaziel.

"Vous voulez essayer?"