Mémoire enflammée

15.04.112

Déjà deux jours qu'ils étaient coincé ici. If'har appréciait plutôt Tortuga, mais il détestait y être bloqué par un stupide météore. Il etait comme un chat enfermé dans une pièce. Il n'avait pas spécialement envie de sortir, mais il voulait pouvoir le faire.

Ses mécaniciens étaient incapable de résoudre la crise a eux seuls, ils avaient donc posé une annonce pour trouver un meccano plus compétent, mais c'était loooooong. Et pendant ce temps, Reya avait décidé d’essayer de trouver la fuite elle même et elle passait son temps dans la soute.

If'har s'ennuyait. Il n'avait même pas envie de boire, comme tout pirate qui se respectait.

A la place, il se dirigea vers son mess et eu la joie d'y trouver la Flamme de sa vie. A ne pas confondre avec la Femme de sa vie.

Surtout ne pas confondre. Ou on ne retrouverait même pas son cadavre.

"Way'si! Comment vas tu ma sœur?"

J'étais au mess, picorant des céréales et des graines tout en mélangeant des herbes pour un remède qui manquait à l'infirmerie. Mes pensées étaient loin, bien loin, dans ma jungle natale, à me rappeler les comptines de mon enfance et les les herbes que l'on m'avait appris à reconnaître. Derrière, je réfléchissais à tout ce que j'avais vécu, aux histoires qu'il faudra que je construise autour de tout ça.

La voix du Capitaine me fit lever la tête. Je lui souris chaleureusement. J'aime sa présence, calme, rassurante. Je sais qu'il me protègera quoi qu'il arrive. C'est un homme bon, un vrai héros. Il en a la discrétion et l'assurance.

"Mon frère Capitaine. Je vais bien, merci. Et toi ? Et Reya ?"

La guérisseuse lève la tête et m'offre un sourire rayonnant qui me va direct au cœur. J'ai une chance insolente d'avoir gagné l'amitié de cette bien belle Ame. Dans un corps splendide.

"Reya va bien... Elle cherche la fuite..."

Cette satanée fuite. Alors qu'une seconde plus tôt, je m’émerveillais de la chance d'avoir Way'si dans ma vie, je m'assombrit.

"Quelle poisse ce fichu caillou..."

"Qui sait ce qu'avait en tête la Dame lorsqu'elle nous l'a envoyé. Peut-être est-ce une chance pour Reya, ou pour toi, ou pour l'équipage. Peut-être y a-t-il quelque chose à découvrir pendant que nous sommes coincés ici mais si nous nous fermons à la Dame, alors nous risquons de passer à côté." Je posais ma main sur celle de mon Capitaine assombri pour lui remonter le moral. J'avais moi-même du mal avec l'enfermement, surtout entre des plaques de métal mais je m'efforçais de me dire qu'il y avait une raison, toujours, à tout. "Assied-toi, partage donc mon repas mon frère."

"Je suis un fervent croyant, Way'si, mais j'ai du mal a voir la Dame dans chaque tracas du quotidien. Parfois un caillou est juste un caillou."

Il s'installa cependant en face de l'Exaltée et lui piqua quelques graines.

"Dis, tu as vu l’état de Tortuga? Les Mutants ont fait du dégât, ici aussi."

"Et parfois notre Dame est en nous et c'est à nous de transformer le Caillou en chance." Voir ou non la Dame dans les tracas du quotidien est une philosophie que l'on peut avoir ou non, cela ne change rien au résultat final. Soit c'est elle, soit ce n'est pas elle. Qu'on y croit ou non. Mais ce que l'on fait des opportunité de la vie, cela, c'est toujours nous. Je hausse les épaules, doucement, pas plus émue par Tortuga que Vanguard. "Toutes les structures étrangères ont été touchées, et Renaissance aussi sur les terres abîmées. As-tu des nouvelles des tribus ? Sais-tu si elles aussi ont eu des pertes ?"

If'har soupira:

"Aucune des tribus amies des Mawey'txon n'a été touchée. Ils visaient clairement plus les factions que nous."

Un petit sourire passa que le visage du Capitaine.

"Pour une fois que ce ne sont pas les Mo'at qui morflent..."

La réponse du Capitaine renforça ma propre opinion. Je hochais la tête. "Calypso a envoyé les monstres de chair pour combattre les monstres des étoiles. C'est la preuve que leur présence n'est que passagère. Dans 100 ans, Renaissance aura repris ses droits, et nos descendants ne verront qu'une pierre sous une racine ou le reste d'un H-com qui sera jeté car il n'aura plus aucune utilité. Et nos descendants ne craindront plus les lumières du ciel." J'ai de l'espoir, beaucoup. Les horreurs de Vanguard m'en ont donné, curieusement. La mort, pour moi, fait partie de la vie, c'est une chose qui est, qui fait mal, qui fait peur mais la vie fait mal et fait peur. Au moins les monstres n'ont torturé personne, ils ont tué pour se nourrir, sans malice, contrairement aux Chasseurs.

"Oula."

If'har fronça les sourcils devant l’opinion de sa guérisseuse.

"Je te trouve bien optimiste. Il y a un pas important entre "Les Mo'ats n'ont pas trop souffert de l'attaque" et "Elle était là pour nous libérer".

D'une part, les Mo'ats présents sur les lieux des crashs n'ont pas été épargné. Dois-je te rappeler le mort de 5 de nos camarades de bord?

D'autre part, je voit mal Calypso attaquer Tortuga avec le même acharnement que Paradis. Tu oublies que Calypso aime aussi la piraterie."

Il fronce les sourcils, je baisse les yeux par réflexe. La déception du Capitaine n'est pas quelque chose que j'apprécie. Pourtant je reste dans mes convictions. Il a oublié la cruauté de la Dame, son aveuglement aux personnes pour le groupe. Il a oublié Motuani.

"La mort de nos camarades est une catastrophe pour nous mais au niveau de tous les mo'at, ce n'est qu'une poussière. Combien de nos frères et soeurs succombent sous les coups de fouet et les horreurs de l'esclavage ? Leur mort pour moi a plus de valeur si je me dis qu'ils sont tombés dans un effort pour repousser l'envahisseur. Après tout c'est pour ça qu'ils sont restés au lieu de retourner dans la nature où est notre véritable place." J'ai pourtant perdu des amis. Il faut croire que le monstre dans mon coeur a mangé une partie de mon humanité. J'ai les yeux pleins de larmes quand je les relève. "Ne crois pas que je ne sois pas triste de leur départ ou pour chaque mo'at qui a été pris dans la tempête mais je pense à notre monde avant tout."

"Way'si, comment veux tu que j'oublie les horreurs de l'esclavage? Dois-je te rappeler que j'ai passé moi même plusieurs mois en esclavage dans une plantation? C'est triste a dire, mais là bas, nos frères et sœurs passent plus de temps a essayer de survivre qu'a résister."

Après tout c'est pour ça qu'ils sont restés au lieu de retourner dans la nature où est notre véritable place? Qu'est ce qu'elle voulait dire par là? If'har ne comprenait pas.

"Et je ne voit pas ce que tu veux dire par rester au lieu de retourner dans la nature, de qui tu parles, toujours des esclaves?"

Puis elle se met à pleurer. Une partie d'If'har a envie de la consoler et de la réconforter, en envoyant la discutions de faire foutre, mais il se retient, il sait que ce n'est pas sain, il sens que Way'si a besoin de parler de tout cela.

"Je ne doute pas de ton affection pour nos camarades tombés. Mais je pense que tu saute aux conclusion sur les Mutants. Peut être seront ils bon pour notre peuple. Peut être. Mais pour le moment, ils ne l'ont pas montré. Ils ont juste montré qu'ils étaient l'ennemi des Factions et des pirates. L'ennemi de mon ennemi n'est pas forcement mon ami, Way'si."

If'har caressa le bras de Way'si en un geste apaisant:

"Et une fois de plus, les pirates sont les alliés de la Dame. Majoritairement. Je comprend mal qu'ils aient attaqué Tortuga s'ils sont ses alliés aussi."

Les mots d'If'har, même s'il ne le sait pas, font vibrer quelque chose chez moi. J'avais soigneusement évité le sujet des pirates car c'est celui qui me trouble le plus. L'un d'entre eux en particulier. L'un d'entre eux surtout. Un pirate.

"Père de mon coeur, es-tu sûr que les pirates sont les alliés de la Dame ? Ils sont des envahisseurs comme les autres, même s'ils sont contre l'esclavage, ils sont eux-même esclaves de leur technologie, ils perdent leur conscience dans des machines, ils ont des morceaux en métal."

J'aimerais tellement que ce soit possible. Que mon instinct soit bon. Que le Toor'kran sans tâche soit mo'at dans l'âme comme il est étranger dans son corps. Je sens qu'il est des notres, c'est évident à mes yeux mais le doute joue dans mon coeur et je ne sais pas si c'est la partie humaine ou monstre qui s'exprime. Je suis perdue.

"Père de mon cœur". Il n'était pas si vieux qu'il puisse être son père, quand même. J't'en ficherais des "père de mon cœur". Groumpf.

"Je... Je ne suis pas Mystique, la Dame ne me l'a pas confirmé directement, mais oui, je pense que ces gens là sont de ses alliés. La dame, via les Mystiques, les aide. Ils lui renvoient l'ascenseur en aidant notre peuple... Je pense qu'on peut parler d'une alliance."

Il soupira:

"Quand à leur rapport à leur technologie, ma fois... Je ne pense pas que la technologie soit intrinsèquement mauvaise. Moi même, je sais que j'ai eu du mal à supporter la vie dans un clan, après avoir vécu dans l'espace. Traite moi d'esclave si tu veux, mais je suis plus heureux sur le pont de ce vaisseau que dans la jungle. Est ce que ca fait de moi moins un Mo'at? Moins un allié de la Dame? A toi de voir."

Des alliés. Vont-ils partir une fois les autres renvoyés dans leurs étoiles où vont-ils s'installer ? Est-ce la volonté de la Dame qu'ils fassent évoluer de force les tribus qu'ils touchent de leur présence ? Dame, que veux-tu pour ton peuple ? Je suis perdue et tu ne me parles pas. Je soupire à mon tour, en écho au sien. Je vois bien que son monstre est la technologie. Après tout, il m'a donné un bouclier, un cube de communication et il pilote un vaisseau. "Aucun de nous n'est autant mo'at que nous l'avons été avant notre capture. Et nous le savons, c'est pour cela que nous sommes ici et pas retournés sur notre planète. Quelque chose flambe en nous et le contact avec l'envahisseur nous a changé. Mais est-ce que c'est parce que nous sommes les précurseurs de ce que notre peuple va devenir ou est-ce que nous devons nous tenir loin des nôtres pour ne pas les entraîner, je l'ignore. Et je ne te le reproche pas, pas plus qu'à aucun de nos frères et soeurs ici. Nous ne sommes pas responsables de ce qui nous est arrivés. Pour autant,c'est arrivé. Nous devons être honnête avec nous-même. Nous utilisons la technologie, nous tuons, nous ne sommes plus qu'un avec la nature qui nous entoure."

"Etre Mo'at ce n'est pas seulement vivre dans la jungle. C'est honorer la Dame. Je ne me sens pas moins Mo'at qu'avant ma capture. J'ai découvert une autre part de moi et aujourd'hui, cette part de moi me permet d'aider notre peuple."

Le grand Mo'at soupira un instant.

"Je vois bien que tu ne partage pas cette opinion, Way'si. libre à toi. Mais prend garde à ne pas te laisser enfermer dans la haine de toi sous pretexte que tu n'est plus "assez Mo'at". C'est un poison qui nous est instillé par nos ravisseurs et que nous devons combattre. Ils ne nous ont pas souillé. Quoi qu'ils nous aient fait, nous restons nous même."

La haine de moi ? Je m'étonnes à cette suggestion qui ne m'est jamais venue par elle-même. Mon mentor a l'air sérieux, inquiet presque aussi, je retrouve rapidement mon sérieux, prenant les mains du Capitaine dans les miennes, les serrant sans violence entre mes doigts. "Je suis moi-même, Père de mon coeur, et je ne m'en veux pas. Je ne suis pas responsable de ce qui m'est arrivé. Je pense qu'il s'agit de quelque chose prévu par la Dame même si j'ai du mal à comprendre son but. Je ne dois pas être la seule car maintenant que nous sommes libres, qu'est ce qui nous aurait empêché de fonder notre propre tribu sur notre propre planète ou de retourner parmi les notres pour ceux qui en ont encore si ce n'est cette pudeur ?"