Trinkets [Way'si]

Tu vas voir, lui a écrit le marchand, j’ai tout ce qu’il te faut. Et c’est tout ce qu’il voulait quand il l’a contacté : savoir qu’il pourrait mettre la main sur ce qui l’intéresse sans qu’on ne lui pose de questions est le seul critère assurant de sa clientèle.
Qui est bizarre, il faut bien le dire. Il a demandé de quoi s’occuper lorsque le Némésis n’est pas à terre et qu’il n’est pas pris à faire son travail. Ca a l’air innocent, dit comme ça. Dans les faits ça l’est moins.
Il a demandé des os.
Et de la fourrure.
Ou des caracasses, peu importe, il sait se débrouiller avec.
Et le marchand a dit pas de soucis, passes quand tu veux.

Donc il passe dès qu’il peut.
La boutique est louche, et minuscule et étouffante. C’est à peine s’il arrive à rouler entre les présentoirs pleins de… De trucs, il n’a pas d’autre mots pour ce qu’il voit. Des piles d’objets dont il ne comprend ni la fonction ni la forme, et qu’il ignore donc très volontairement en se dirigeant vers le type derrière le comptoir. Il n’a qu’à dire son nom pour que l’homme disparaisse dans l’arrière boutique pour récupérer ce qu’il te faut, tout ce qu’il te faut, t’as qu’à choisir !
Restent donc Suu et son absence manifeste de curiosité dans la boutique.

"Tu vas voir", m'a dit un frère, "il aura tout ce qu'il te faut". Alors j'ai souri, j'ai remercié le frère et, dès notre arrivée sur Tortuga, je suis descendue, seul. Mon bouclier personnel sur le côté pour tranquiliser le Capitaine, un sac battant sur mon pantalon vert forêt, faisant un peu plus tomber l'encolure de ma tunique écrue sur mon épaule droite ainsi dévoilée. J'ai ma jolie ceinture en cuir avec sacoche pour tout bijou et je marche, légère, en sandales, ignorant les regards étranges de certains hommes sur mon passage. Personne n'ose m'aborder aujourd'hui. C'est tant mieux. Je suis souriante mais déterminée. Il me manque plein de matériaux de Mo’tanui. Des choses qu'on ne trouve pas dans les boutiques de simple, qui font "peur" bêtement car elles sont naturelles.

Je me remémore les indications de mon frère, tourne dans une ruelle, passe devant la boutique sans la voir, revient en arrière, rentre. L'endroit est petit, étouffant, avec des odeurs ambrées qui prennent au nez et à la gorge. J'ouvre les yeux, touche un objet, repère alors un homme assit. Je fronce les sourcils, m'approche.

"Toi ici mon frère ?" fais-je sans juger ni cacher ma surprise.

Tiens ! Il connaît cette voix. C’est le son des étoiles et des contes, ça, celui de…

- Hey, Way’si.

Un petit mouvement en avant pour venir à sa rencontre, qui manque de lui faire tomber dessus un sac de quelque chose -de graines ? D’yeux ? Mystère !- rattrapé d'extrême justesse dans ses bras.

- Manifest’ment moi ici. Je m’attendais pas à t’y voir aussi.

Comme ça ils sont deux à être surpris, c’est parfait.

- Tu as besoin de…

Il observe le sac qui lui est tombé dessus, parfaitement dubitatif, en essayant de deviner à quoi il sert.

- Hmmmm, de peu-importe-ce-que-c’est-ça ?

Il se souvient de mon nom et sa voix m'arrache un souvenir de sourire, celui qu'on avait dans la nuit. Le voir à la lumière du jour ne change finalement pas grand chose. Il n'est pas plus Khiysa'd que moi. Je suis des yeux le sac tombant dans ses bras et voit l'endroit avec un regard nouveau soudain. Ce n'est pas plus beau, c'est plus pittoresque, comme si d'un coup nous avions été transporté dans un lieu de conte et d'histoire. Je m'approche et me permet de prendre une poignée de ce qui est dans la besace. C'est marron, séché et rond.

"Du Musc de Tìtxur'ngä. C'est une petite glande qui se trouve sous l'appareil génital des mâles, dans une poche sous leur cou et derrière la couronne d'os. Elle sert à...raviver leurs couleurs, marquer leur territoire, ce genre de choses. On s'en sert avec parcimonie, les Tìtxur'ngä sont des animaux qu'il ne faut pas blesser sans raison mais c'est extrêmement efficace dans certains parfums, poudre et onguents." Mais je n'en veux pas, pas aujourd'hui, merci.

Okay, il a donc un sac de glandes des gros primates dont il a vu quelques photos. C’est à la fois fascinant et un peu répugnant, même s’il a fait bien pire dans le genre répulsif. Suu prend donc une des billes et la sent… Et fronce les narines en reposant l’objet.

- C’est… Fort.

Doux euphémisme. Les noix de bestiau ça pue, fait son fil de pensées qu’il mouche sèchement. Ca ne se dit pas.
Par contre il peut reposer le glande qu’il a prise et se reconcentrer sur la conteuse. Peut-être même lui sourire. Allez, il lui sourit, il est content il n’y a pas de raisons de ne pas le faire.

- Comment tu vas ?

Et puis soudain, l’illumination. Elle vient faire des emplettes, pas discuter avec un type bizarre qui attend des os et fait tomber des objets parce que son fauteuil et juste un peu trop large pour la boutique !

- Le gérant est en train de récupérer des trucs dans l’arrière-boutique, lance-t-il pour expliquer le fait qu’il était tout seul là. Pour moi.

Il a la curiosité des manuels, ceux qui doivent toucher, sentirn, goûter. Et ses grandes mains saisissent une glande. Il la porte à son visage, la renifle. Je ne vais pas lui dire qu'on l'utilise rapée. J'en ai assez dit je pense et lui assez expérimenté. Je lui souris avec douceur. C'est fort, c'est fait pour, ça ne sent pas très bon mais c'est très potent et c'est ce qui importe. Peut-être un jour sentira-t-il cette odeur dans les bois. Peut-être se rappellera-t-il de moi et des singes couronnés, les gardiens de Renaissance. Peut-être que cela lui sauvera la vie. Les voies de Calypso sont imprévisibles. Je m'incline doucement.

"Je vais bien. Je suis heureuse de te revoir." C'est vrai. Je ne cherche pas à l'expliquer. Mes yeux se lèvent alors qu'il parle du gérant et de l'arrière boutique. Bon. D'accord. Pourquoi pas ? "Tu es guérisseur ?"

- Pas trop non.

Et l’idée le fait rire. Lui, guérisseur. Il sait dans quel sens est supposée être une jambe, comment faire un garrot, comment désinfecter une coupure… Mais c’est du bricolage. Il rafistole, il ne guérit pas.

- Je cherche de quoi m’occuper pour quand je repars dans l’espace. Des os ou des fourrures pour travailler. C’est sensé être une boutique pour guérisseurs ?

Si oui, il est au mauvais endroit. Oups.

- On m’avait juste dit qu’il aurait ce que je cherche…

Double oups. Au moins Suu a-t-il le mérite d’avoir l’air contrit à l’idée d’avoir fichu les roues dans le plat.

"C'est une boutique qui a ce que l'on cherche." Nous ne cloisonnons pas comme les envahisseurs ont l'habitude de le faire. Cette boutique importe en contrebande des produits végétaux et animaux plus ou moins légaux, venus de Renaissance. Il y a de tout, et comme les guérisseurs se servent de ce genre de choses... c'est aussi une boutique de guérisseurs. Mais pas que. Je souris doucement à la question naïve de l'homme. "Il y aura des os et des fourrures. A quoi est-ce que tu t'en sers, si ce n'est pas pour guérir ? Il y avait déjà un petit os, dans ta main, quand tu m'as donné le caramel. Je me souviens qu'il m'avait interrogé mais je n'avais pas osé demander."

Cette fois-ci, ça me vient naturellement aussi je n'ai aucune inquiétude à poser la question. Au milieu de la faune séchée de ma planète natale, perdue dans une boutique au bazar opressant et odorant, je me sens chez moi. Calme. Comme si je faisais, moi aussi, parti de cet étrange étalage de culture mo'at. J'attrape pensivement une sorte de gri-gri en bois flotté que je regarde en attendant ma réponse.

Au moins est-il au bon endroit, s’il y a ce qu’il cherche, si ce n’est pas réservé aux guérisseurs. Ou aux natifs de Dorado. Quelque part, ça le rassure.

- Cet os ?

En fouillant dans la poche de son pull, il le sort puis le tend à Way’si pour qu’elle le prenne si elle veut. Ce n’est qu’une phalange sans valeur à ses yeux, un petit bout de chose morte dont la seule caractéristique intéressante est le travail qu’il a fait dessus : sur toute sa surface des vagues dansent, gravées dans le matériau. Certaines sont maladroites, d’autres bien plus affirmées, toutes sont manifestement faites de sa main.

- Je m’occupe comme ça.

Un instant pour réfléchir en silence, puis la suite de ses pensées.

- J’aime bien rendre la mort jolie, je crois. Pas utile, juste jolie, alors j’en fais des choses agréables à avoir. Ils disent que c’est bizarre, mais…

Mais il s’en fiche, il hausse les épaules. Il a le droit d’avoir un rapport étrange à la mort.

- Je sais pas. Mais je ne tue pas pour les os ou la fourrure, je t’assure, j’ai des principes.

Je prends l'os dans mes mains, le caressant du pouce, délicatement comme pour ne pas le salir avec l'acidité de ma sueur. Une phalange sculptée pour rappeler la mer. Je souris. Je ne l'ai jamais vue, la mer. Je ne sais que ce que l'on raconte sur elle mais j'apprécie de sentir les vagues sous la pulpe de mon doigt.

"C'est honorer la vie que de donner une beauté et une utilité à tout ce que nous offre la mort. La viande pour nous nourrir, la fourrure pour nous chauffer, les boyaux pour faire des cordes ou de la musique, les os pour des canes ou des objets d'art, l'animal entier est respecté s'il est utilisé au maximum. Tu prends la mort, et tu en fais une expression, quelque chose qui te ressemble. Je ne trouve pas ça bizarre, c'est très mo'at comme façon de faire."

S'il tuait uniquement pour des dents, des yeux ou une langue, laissant le reste, alors il serait un criminel mais ces os ne servent plus à personne. Il n'y a pas de honte à les rendre beaux.

C'est avec regret que je lui rend l'objet de son travail, mon pouce toujours sur les sculptures.

"Pourquoi est-ce que ce serait bizarre ?"

- Parce qu’on a peur de la mort, dans les étoiles.

On ce n’est pas lui. Ce n’est plus lui depuis longtemps, depuis qu’il a dû apprendre à ne plus y faire trop attention.
Ca l’a cassé, disent les médecins. Ca l’a aidé, trouve-t-il. Quelque part ça le rassure de penser qu’une culture toute entière trouve normale sa manière d’aborder les os et la fourrure.

- On trouve irrespectueux et effrayant de toucher les choses mortes.

Le petit bout d’os saute de main en main, poc-poc-poc régulier pour lui occuper le corps pendant que son esprit mouline.

- C’est pas facile de se souvenir qu’on peut mourir n’importe quand alors on préfère ne pas se souvenir que ça, fait-il en immobilisant la phalange et en la tendant de nouveau à Way’si, c’était vivant et qu’on peut finir pareil. On préfère le réduire en poudre et en faire de la nourriture pour poissons. C’est idiot.

Et dans sa logique, c’est surtout triste. Il sourit quand même à la conteuse.

- Vos artistes font quoi avec les os ? Des bijoux ?

"La mort est une expression de la vie. Sur votre Renaissance, elle est partout. On la voit, nourricière, naturelle. Alors certes, il est triste de perdre ceux que l'on aime mais d'un autre côté, la mort donne de la valeur à la vie, si nous n'avions pas de fin, nous n'aurions pas de moteur pour avancer, pour progresser, pour nous regrouper ou nous reproduire. La mort, la vie, le jour, la nuit, tout s'imbrique. Fermer les yeux, l'oublier, ça ne change rien à tout ça, c'est comme un enfant qui met ses mains sur les oreilles pour ne pas entendre une vérité qui ne lui plait pas. Parfois, malgré toute sa technologie, j'ai l'impression que ton peuple n'a jamais grandi."

Ma voix est douce, sans haine pour cette fois, parce que je suis triste de le voir dans ce peuple, de l'imaginer comme les autres. Il est différent à mes yeux, c'est un frère d'âme.

"Nous en faisons des bijoux, oui, des outils, des aiguilles pour coudre par exemple ou des boutons pour fermer les vêtements. Nous en faisons des pointes de flèche, des haches, des racloirs. Mais aussi des flûtes et des instruments de musique, des manches de couteaux, des incrustations..."

Sans métal, la pierre et l'os restent des matériaux de choix. S'ils savaient. S'ils savaient que nos outres sont souvent en estomacs et nos cordes en boyaux...

- Mon peuple est une bande d’enfants.

Ca le fait sourire. Les siens sont des gamins, il n’en a jamais vraiment douté puisqu’il est né sur l’équivalent d’une dispute de cour de récréation. Et cette fois il ne s’exclut pas de son peuple : il est un enfant comme les autres. Il a appris quelques tours et un peu de philosophie de vie mais ça ne fait pas de lui quelqu’un de meilleur. Qu’il croit.

- J’avais pas pensé à en faire des instruments… Des boutons c’est facile mais des flûtes…

Avec un fémur ? Un os d’oiseau ? Oh la bonne idée.

- En Ni’huan…

Si c’est trouvable. Et pour savoir ça, il ne peut compter que sur le tenancier de la boutique, qui… A disparu depuis quelques temps maintenant. Bizarre. Suu fronce les sourcils en déposant son sac en équilibre précaire sur un tabouret.

- S’il en a. S’il ne s’est pas fait manger par son stock. Il faudrait p’t’être aller voir non ?

Je souris. En Ni'huan. Il aime les prédateurs et le danger, ce frère étrange que j'ai là. Et en même temps ce qui me dérangerait chez les autres m'amuse chez lui comme on regarde un petit faire des bêtises que l'on devrait gronder, et puis non. C'est un drôle de sentiment qui gonfle le coeur.

"Le Ni'huan c'est le nom de mon vaisseau" fais-je d'une voix pensive en réfléchissant à totalement autre chose et sans vraiment remarquer que j'en disais beaucoup, peut-être trop, avec cette simple information. Parfois, les mots expriment tout haut une pensée que l'on ne veut pas admettre dans le silence de nos âmes. Parfois. J'inspire, essaie de revenir au moment présent, celui que je perds à trop me poser de questions.

"Je ne suis pas certaine qu'il apprécie que l'on vienne voir les secrets de sa réserve." D'un autre côté, c'est vrai qu'il en met, du temps. J'hésite. Au pire, ce sera une histoire à raconter. "Mais tu as raison." J'avance à mon tour, soulève la planche-trape qui permet de passer de l'autre côté du comptoir. C'est tout juste assez large pour le fauteuil. Il va se pincer les doigts à y aller seul. "Je te pousse ?"

Oh, un vaisseau ? Suu relève le nez, des questions plein la tête mais aucune sur la langue. Il n’est pas du genre à fouiller dans les affaires des autres, pas non plus du genre les forcer à parler, certainement pas. Si Way’si veut parler de son Ni’huan, elle le fera. Il n’en doute pas.

- Mmmh.

Evaluation rapide de la place disponible. Il tient à la peau de ses doigts.

- S’il te plaît, oui.

Il replie donc ses bras, pour les croiser sur ses jambes et laisser les roues faire leurs vies.

- Je crois que je vais autant comprendre ce qu’il a dans la réserve que ce qu’il a dans sa boutique, ça devrait le rassurer. Sauf s’il a des bestioles vivantes...

Sourcils qui se froncent, il retient son envie de mettre la main sur la lame que lui a donné Jezabel juste au cas où.

Des bestioles vivantes ? Non, peu probable. S'il est un frère comme on le lui a dit, il n'aurait pas fait ça, ce serait à la fois contre-productif et peu culturel. "Il y a peu de chance. Nous ne mettons pas les choses en cage. Nous pouvons apprendre à des bêtes à vivre parmi nous, suivant nos règles, et encore, nous le faisons rarement mais les enfermer c'est affamer leurs âmes, c'est contraire à la Dame." Après, je sais que certains d'entre nous ont été irrémédiablement abîmés. Je le pousse doucement, calculant au plus près notre trajectoire, continuant, pensive. "Aucun humain ne ferait ça." Mon allusion aux monstres dont nous avions parlé le soir précédent est tout à fait consciente. Je me demande s'il va saisir. Une part de moi aimerait que oui. Une part de moi aimerait que non. "Je ne l'ai jamais vu, as-tu un nom que nous pourrions appeler ?" Nous entrons dans la réserve. Il fait sombre. Nous sommes des proies faciles. Mais avec son siège dans les mains, je n'ai pas peur.

- Mais les monstres se fichent d’enfermer quoi que ce soit…

Oh, il la voit l’allusion. Aussi claire que les étoiles dans un ciel d’été, aussi triste qu’un adieu, il la voit. Et il se prend à espérer que le boutiquier n’est pas devenu un monstre, parce qu’il ne doute pas que Way’si en serait attristée.

- Il y en a dans les étoiles. Ils mettent des animaux rares et précieux dans des cages, ils appellent ça un zoo, et ils font payer des enfants pour les laisser entrer et s’émerveiller devant les bêtes.

Et ils s’étonnent que les créatures dans les cages meurent vite; et ils s’étonnent que lorsqu’elles en sortent elles soient folles de rage, prêtes à leur sauter à la gorge. Il y a une morale là dedans, c’est certain. C’est juste pas le moment de la formuler.

- Ils m’ont dit… Euh. E’ko…? Ey’ko.

Son accent est déplorable, c’est certain, surtout qu’il ne fait pas l’effort d’essayer d’imiter l’intonation Mo’at. Ce serait ridicule. Malvenu aussi.
Suu parcourt du regard la réserve plongée dans les ombres, tentant d’apercevoir une forme humaine. Des sacs, des sacs, des-

- Là !

Un truc qui bouge à droite, il pointe dans sa direction générale tout en posant l’autre main sur son arme. On est jamais trop prudent.

- Ey’ko ? C’est vos clients. Wou-houuu ?

Il termine ma phrase. Il ne s'est par contre pas rendu-compte que j'ai failli dire mo'at à la place d'humain, ce qui n'aurait pas été juste pour les quelques uns de part delà les étoiles qui sont nos frères et soeurs d'âme. Il y en a puisqu'il en fait partie. Calypso nous avait prévenu de nous méfier des monstres. Elle avait oublié de nous dire qu'ils étaient dans des humains.

"Oh." Je suis assez abasourdie par cette révélation. Ils apprennent aux enfants à trouver les cages merveilleuses, à y voir des opportunités et ensuite s'étonnent qu'ils mettent tout dans des boites ? Avec des papiers pour leur rappeler qui ils sont ? Peut-être ne s'étonnent-ils pas, peut-être est-ce leur esprit qui est en cage aussi, casé dans des boites. Je n'ai pas le temps de le dire à voix haute, je le reprends sur son accent. "Ey'ko."

Une ombre sous des sacs. Un gorgnement. Le corps a une position curieuse. Debout mais pas...pas habitée. Je lâche le fauteuil et je m'approche, à côté de mon ami qui a sorti son arme. "Ey'ko, mon frère ? Ici Way'si du clan Tompa, nous nous faisions du soucis..." Pas de réponse. Je retente la même phrase dans la langue de l'envahisseur. Toujours rien. Je m'avance. Un sac tombe à mes pieds. Je sursaute bêtement. Ey'ko tombe à son tour, sur le sac. Je m'agenouille. Il est vivant. Mais tout raide. "Peux-tu me trouver de la lumière s'il te plait ?"

- Ey’ko.

Accent corrigé à la volée. C’est pas encore ça mais il y a clairement du mieux, parce qu’il commence aussi à comprendre la logique derrière les sons. Sauf que c’est bien beau de dire proprement le nom du boutiquier, si c’est pour qu’il ne réponde pas c’est un peu inutile. Il a pourtant l’air d’être bien là… Il est vivant au moins ? Aux côtés de la conteuse, Suu s’avance, sa garde bien proprement levée au cas où il s’agisse d’une embuscade.
Le sac qui tombe manque donc de se prendre un coup. Le pauvre type paralysé qui suit le mouvement court exactement le même risque, l’espèce de sifflement d’alligator hargneux qui sort de la gorge du pilote en plus.

Okay. C’est bon, pas de danger. Redescendre c’est bien, faire ce que lui demande Way’si c’est mieux.

- J’te fais ça.

Il n’a rien sur lui mais il retourne vers l’entrée de la réserve et en tâtonnant, en appuyant un peu partout sur le mur, il arrive à trouver un interrupteur qu’il écrase pour obtenir de la lumière.
C’est une vieille ampoule anémique dans un coin, c’est mieux que rien.

- Il respire… ?

Retour vers les deux autres personnes au milieu du capharnaüm, l’épée toujours levée au cas où.

"Il respire." Difficilement, je le sens derrière ses membres raides. La lumière que m'a trouvé mon frère n'est pas des plus vivaces, seulement, à défaut d'autres choses, elle suffira. Agenouillée sur le sol, je me penche sur lui, reniflant l'haleine s'échappant de sa bouche entre-ouverte. L'odeur, curieusement agréable éveille immédiatement mes soupçons. Quelqu'un a fait des bêtises. "Fait attention à toi, il y a quelque part, ou bien une plante immense et magnifique, ou bien des dards qui en proviennent, ou bien un bocal contenant un liquide blanc luminescent d'une texture de sève qui vient de cette plante. Elle est carnivore, les dards contiennent la sève qui est hautement paralysante."

A moins que quelqu'un ne se soit amusé à créer une sarbacane de dards de Keiehu'toor Te Liva. Ou que l'odeur ne soit qu'un leurre et qu'une bête rôde réellement. Ou bien qu'il y ait une autre raison, quelconque...

"Tu me prêterais ton couteau ?" Je ne trouve pas son nom "vrai" à ce frère, et cela m'agace.

- Bah, un peu plus, un peu moins paralysé…

Ouais, ou alors il va éviter les blagues débiles dans ce genre avec Way’si. L’humour cynique ça passe bien tout seul -et encore, un psy lui avait dit d’éviter ce genre de bêtises- mais pas forcément en société.

- Pardon. Je fais attention si je vois une plante très belle ou un bocal louche ou des dards. Et je te passe mon couteau.

Qu’il pioche dans son pantalon, déploie, et tend manche en avant à la conteuse avant de s’éloigner pour fouiner. S’il y a une plante mangeuse d’hommes dans le coin, il préfère savoir où. Sauf que ça semble louche, si le type n’est pas un monstre, qu’il garde ce genre de saletés.

- S’il a pas d’animaux vivants, il a pas trop de raisons d’avoir une plante vivante qui veut le transformer en snack, non ?

Tiens, un truc attirer son attention. Il se hisse comme il le peut sur un bras pour le récupérer en hauteur.

- Ou alors il aime vraiment beaucoup le danger.

L’affirmation n’est pas gratuite : il soulève le crâne de Gorl’k pour bien le montrer.

- Je mise sur le danger.

Je souris à sa réponse, doucement. Cet humour me plait, il ne se prend pas au sérieux, il dédramatise l'existence tout en prenant acte de mes paroles. Je sais qu'il va y accorder de l'attention. Et je le remercie de se soucier de la tension entre nous. J'attrape le couteau, remercie poliment d'une inclinaison souple du haut du corps et déchire le haut du gérant, à la recherche d'un point de liaison ou d'une morsure quelconque. Je ne vois rien et continue avec le pantalon, absolument pas gênée de la nudité de cet inconnu dans ms bras.

"Il n'y a pas de différence entre une "plante vivante" ou un animal vivant. Je suppose que tu parles des plantes qui bougent car pour nous, les arbres sont aussi vivants que le reste, n'évoluent-ils pas au gré des saisons ?" Je secoue la tête, toujours à la recherche de marques sur le corps inanimé, sans penser à ce que peux en déduire mon camarade. La nudité n'est pas un tabou, ni chez les guérisseurs, ni chez les Tompa. C'est un état. "Je pense qu'il aime le danger oui. Comme toi." Ma voix est un peu douce, un peu chaleureuse. Je ne suis pas des plus téméraires, je ne recherche pas l'excitation, je n'aurais jamais pensé à un Toor'kran rose. Cependant, j'aime cette vision chez lui. "Et l'argent. Mais les dards de venin peuvent aussi venir d'une personne malhonnête. Et le parfum peut-être récolté sur une plante morte." Je fouille dans ma sacoche.

Le crâne est reposé après un petit tapotement sur les dents, un remerciement pour sa bienveillante coopération, et Suu repart à ses recherches.

- Le danger c’est un vieux copain pour moi, j’avoue que j'aime bien le revoir de temps en temps. Lui laisser l’occasion de me mordre les orteils un coup s’il veut.

De le faire se sentir un peu vivant. Ou de lui rappeler qu’il tient à sa peau. Ca dépend des fois.

- Les seules plantes mortes c’est celles qu’on me confie au bout de deux mois... Mais il a des trucs qui ressemblent à des fleurs séchées là. Ca compte un peu.

Des fleurs séchées et oh ! Un bocal cassé par terre. Avec du liquide bizarre qui a l’air de s’être répandu partout par terre. Décidément jamais à court d’initiatives, le pilote attrape une cuillère en bois qui traîne et la trempe dans le liquide pour en transporter un échantillon jusque Way’si.

- Hey, Way’si, j’ai trou- Tiens il est à poil ? J’ai trouvé ça, fait-il en montrant la cuillère, manifestement non impressionné par la nudité du boutiquier, c’est pas super luminescent mais je sais pas… ? Le bocal était cassé.

Ces orteils qu'il ne peut plus bouger. J'hésite à faire une remarque drôle et spirituelle sur le fait seulement rien ne me vient du tout, ce qui n'est pas habituel. Tant pis, le moment est passé, je le sens dans le rythme de nos conversations. Il reviendra ou pas selon ce que la vie nous apporte. Je continue donc à examiner l'homme devant moi, bien partout, sans remarquer de signe de piqure, même fine. Enfin, à part celles des puces. Il devrait désinfecter son lit, cet homme.

Mon frère revient, il fait à peine une remarque ce que j'apprécie et me tend une cuillère de liquide étrange. Sans vraiment réfléchir, je le renifle d'abord, puis plonge mon doigt dedans pour en poser une demi-goutte sur mes lèvres, concentrée. Mm.

"Non, ce n'est pas ça. Cela dit c'est intéressant, tu pourrais m'en prendre que je l'analyse plus tard s'il te plait ?" J'attrape ma besace et en sort un petit "tube à essai" ils appellent ça, en verre, avec un bouchon de liège que je lui tends. Ainsi qu'un joli "grattoir" en os. C'est une sorte de couteau au fil très fin mais avec l'intérieur creusé en un sillon qui se finit en tube dans un manche en bois. J'adore cet outil, il est très pratique pour recueillir de la sève, par exemple. "Moi je dois le soigner avant que le blocage n'atteigne ses poumons."

Hey hey heeeey elle fait quoi là ? Les doigts dans le liquide, non, vraiment ? Elle s’y connait c’est évident, ça n'empêche pas Suu de manquer de glapir de frousse en voyant la conteuse risquer de mettre un truc toxique sur sa peau.

- … Oui, je te fais ça.

Vu la hauteur de ses sourcils, il n’est pas encore remis de l’expérience. Mais ça va aller, vu qu’il repart avec le tube et le grattoir pour prendre l’échantillon demandé.
Le sol est bas, quand même...

- Tu as un truc pour le soigner ?

Et c’est parti pour de la contorsion de compétition pour correctement récupérer de l’étrange liquide.

- … T’as regardé dans ses cheveux ? Si je devais mettre de la sève paralysante sur quelqu’un mettons pour… Je sais pas, lui voler des objets, ou me venger, je planquerais ça sur la tête.

Du coup il se redresse, essaie de regarder en haut : sur les étagères, sur les piles de bazar, il y a facilement la place de se cacher. S’il ne trouve pas de plante tueuse d’ici quelques minutes, il pourra chercher dans ce coin.