Trinkets [Way'si]

Hey hey heeeey elle fait quoi là ? Les doigts dans le liquide, non, vraiment ? Elle s’y connait c’est évident, ça n'empêche pas Suu de manquer de glapir de frousse en voyant la conteuse risquer de mettre un truc toxique sur sa peau.

- … Oui, je te fais ça.

Vu la hauteur de ses sourcils, il n’est pas encore remis de l’expérience. Mais ça va aller, vu qu’il repart avec le tube et le grattoir pour prendre l’échantillon demandé.
Le sol est bas, quand même...

- Tu as un truc pour le soigner ?

Et c’est parti pour de la contorsion de compétition pour correctement récupérer de l’étrange liquide.

- … T’as regardé dans ses cheveux ? Si je devais mettre de la sève paralysante sur quelqu’un mettons pour… Je sais pas, lui voler des objets, ou me venger, je planquerais ça sur la tête.

Du coup il se redresse, essaie de regarder en haut : sur les étagères, sur les piles de bazar, il y a facilement la place de se cacher. S’il ne trouve pas de plante tueuse d’ici quelques minutes, il pourra chercher dans ce coin.

Je ne me rends pas compte de la frayeur de mon frère, concentrée que je suis sur le produit en question. C'est vraiment curieux, je ne connais rien qui ait à la fois cette couleur, cette texture et ce goût. L'idée de faire des analyses et surtout d'en apprendre davantage me fait plaisir. Sans réfléchir, je continue à examiner l'homme. J'ai commencé par les pieds, j'en suis à la tête, regardant attentivement entre les mèches de cheveux. Derrière l'oreille, je vois un tout petit trou. Presque invisible. Derrière l'oreille. Ce n'est pas un endroit que l'on peut atteindre à distance...si ?

"C'est pour cela qu'on a les cheveux très courts dans la jungle. Et les insectes." Je repense à la tignasse que j'ai à présent, qui m'a été imposée par mes geôliers et que j'ai décidé de garder. Je suis un mélange de mes expériences. "Il a un trou derrière l'oreille mais je n'arrive pas à savoir comment c'est arrivé là. Votre peuple se fait des piercing à cet endroit là ?"

Ils aiment les décorations corporelles au delà des étoiles.

- Ca a l’air logique.

C’est le même principe que les coupes réglementaires, au final. Il peut parfaitement comprendre pour avoir eu le crâne rasé longtemps et pour avoir gardé quelque chose d’utilitaire à son retour à la vie civile.
Quand à la question des piercings… Il se concentre pour se souvenir des décorations corporelles qu’il a déjà vues. Rien derrière les oreilles.

- Là comme ça, c’est louche le trou. Ou alors…

Ou alors Suu passe la main sur son avant-bras, là où se trouve l’entrée de son interface. Il a vu plus bizarre que derrière l’oreille pour ce genre de bêtises.
Il revient donc vers Way’si et lui tend le bras pour qu’elle puisse y voir les branchements. On a fait plus joli comme ouvertures, plus discret aussi, mais c’est vachement plus pratique pour expliquer au moins.

- Si ça se trouve il a une interface lui aussi. Une plus chère. Mmmh.

Ca sera plus pratique s’il descend pour voir. La remontée sera peut-être agaçante mais c’est pas si grave… Ouais, décision prise. C’est parti pour la descente du fauteuil.

- Je peux mieux t’aider à regarder si je suis à son niveau.

Oui enfin là tu vas surtout te vautrer par terre, Suu.

Suu a une machine dans le bras. Parfaitement dissimulée, je ne l'aurais pas cru. Timide soudain face à ce mélange d'homme et de technologie, je frôle le bras qu'il m'offre. C'est toujours Suu. Il n'est toujours pas un monstre et pourtant je n'arrive pas à comprendre. De l'index je caresse la peau autour, pour sentir ce qu'en dit le corps réel de l'homme en face de moi. Mes yeux bruns hurlent un "pourquoi" sans jugement mais terriblement étonné que je n'ose pas articuler. Entre temps il semble vouloir descendre sur le sol. Je pose notre frère et me lève, par réflexe. "De l'aide mon frère ?" fais-je avec politesse mais surtout sans pitié puisque je n'en éprouve pas.

Ha oui, il s’y attendait au regard de Way’si, il lui répond en souriant. Juste ça. Un jour peut-être qu’il lui dira qu’avec l’interface, il a l’impression de courir, qu’il est redevenu utile, plus que son fauteuil.
Peut-être.
Pas aujourd’hui.

- S’il te plaît.

Suu cesse de forcer sur ses bras comme un idiot et se tient immobile, les pieds déjà à terre, la moitié du postérieur hors du fauteuil.

- Merci, Way’si.

Je ne pourrais pas oublier rapidement qu'il est mi-machine mais il est mon frère et Calypso lui a ôté l'usage de ses jambes aussi il m'est naturel de lui venir en aide tout comme je demanderais la sienne si j'avais un jour besoin de ce qu'il peut faire mieux que moi. Je l'attrape avec aisance, me souvenant des gestes pour changer les lits des alités et déplacer ceux qui étaient trop malades pour le faire eux même et le dépose délicatement près d'E'ko. Il est lourd, c'est certain. L'expérience me permet de ne pas me faire mal. Puis je déplace le corps inerte de façon à ce que sa tête repose sur les cuisses de mon camarade. "Voit cette marque derrière le lobe de son oreille juste derrière l'articulation de la mâchoire, elle n'est pas naturelle et je ne la pense pas récente..."

Transfert effectué avec brio. En guise de remerciements, il touche gentiment le bout des doigts de Way’si avant de se coller à l’examen de la tête de leur mystérieux boutiquier.

- J’ai.

Ses gestes sont bien moins délicats que ceux de la conteuse, mais Suu examine à peu près professionnellement l’homme sur lui, passe les doigts sur sa marque, longe l’articulation, finit sur la colonne. Chez lui il y a quelques irrégularités dues à l’interface, peut-être que…

- Oh le petit cachotier… Je pense que c’est son entrée, ouais. Soit c’est ça soit c’est une autre opération. Dans les deux cas… Pas naturel confirmé.

Il se penche un peu sur E’ko, comme s’il pouvait le voir.

- Tu veux pas nous répondre, monsieur… ?

Non. Clairement pas. Soupir.

- On a donc un boutiquier Mo’at dans les vapes, une entrée potentielle d’interface, une éventuelle plante tueuse. Cool. Tu crois qu’il fricote avec des braconniers ? L’interface pour piloter facile dans la jungle, les spécimens rares pour revendre, et ils l’ont empoisonné pour garder…. J’sais pas, allez, un Toor’kraan pour eux ?

Dans tous les cas il y a une priorité, et c’est empêcher la mort au pauvre homme.

- Je peux faire quoi pour t’aider à le débloquer ?

"C'est plus que probable en effet. Je me demande ce qu'il lui est arrivé pour qu'il oublie à ce point qui il est." Je me sens terriblement triste. Triste pour lui, qui a été dévoré par un ou plusieurs monstres. Doucement, je lui ferme les yeux. "Oh mon frère, qu'as-tu fait ? Pourquoi nous as-tu tourné le dos ainsi ?" S'il a désobéi, il est possible que son état soit dû à la vengeance de la Dame, à celle de ses anciens partenaires, à un hasard inexpliqué ou à l'appat du gain qui aurait eu raison de sa prudence naturelle. Je ne connais pas E'ko. Je ne connais pas son histoire. J'ai peur qu'il soit trop tard pour cela. "Je pourrais le soigner mais il me faudrait un lit, de l'eau chaude, des bols, un pilon, un torchon ou au moins un endroit avec de l'espace..." A défaut de trouver ce qui le bloque...je connais des plantes qui débloqueraient un mort. "Un autre client peut arriver d'un moment à l'autre. Et son agresseur pourrait revenir. Que préconises-tu ?"

Penser vite, ne pas laisser la tristesse de Way’si le perturber, réfléchir hors des sentiers battus. C’est bon, il peut faire. Une, deux secondes pour réfléchir, et Suu est lancé.

- Il doit avoir des fourrures. On peut lui faire un lit avec ça. De l’eau pour nettoyer ses produits, les bols et les pilons au pire j’ai vu des os, ça s’arrange. Ca sera moins pratique mais ça s’arrange.

Et pour la porte… Pour la porte ça c’est facile, c’est lui qui va être utile pour une fois.

- Je m’occupe de fermer la boutique et de ceux qui l’ont mis dans cet état s’ils reviennent. Je peux être une saloperie s’ils cherchent la bagarre.

L’idée de mettre des coups à des sales types le met en joie. Parfois, le pilote a mauvais fond.

- Ca ira tu crois ?

"Je ne sais pas" réponds-je simplement à sa question. Je ne sais pas mais sa force me fait du bien et nourrit ma détermination. Il a raison, quoi qu'il se soit passé, un homme est blessé et il est de mon devoir de le soigner de mon mieux, simplement. Je n'ai pas à juger de ses raisons ou de sa valeur. Ces notions ne sont pas les miennes et cela ne m'aurait jamais arrêté avant. Je refoule les restes de haine ou de colère qui pourraient obscurcir mon esprit. Je souris à l'homme au sol avec tendresse. Il sait me rappeler ce qui est important. "Mais nous ferons notre possible et ce sera déjà ça."

Je repousse avec douceur le frère sur mes genoux et me lève.

"Puis-je t'aider à retourner sur ton fauteuil ? Puis je trouverais de quoi lui faire un lit et le soigner"

- Faire d’son mieux c’est la moitié du travail, remarque tout bas Suu.

Il sourit à Way’si, le bout des doigts toujours distraitement à la recherche des signes d’une interface sur le boutiquier avant de finir par arrêter. Il le repousse sans méchanceté, en faisant attention à ne pas le cogner, et tend un bras pour prendre une des mains de la conteuse et la serrer tout doucement.

- Hey ? Ca va aller.

Il en est vraiment certain. E’ko ira bien avec des soins, personne ne viendra, ils repartiront avec ce qu’ils cherchent et des réponses en plus. Ca va aller.

- Je veux bien un coup de main pour le fauteuil. Puis j’irais pour la porte et pour trouver de quoi le soigner. Bon plan.

Et simple, avantage non négligeable. Il croit même se souvenir d’avoir croisé un genre de bol en cuivre en cherchant la plante mangeuse de petits enfants. Ca ira vite.

Je préfère le possible au mieux, ce dernier a une notion de qualité qui me déplait et sous entend que l'on puisse faire autrement qu'au mieux. Là encore, les différences de culture passent par des détails mais là où les autres envahisseurs s'en servent pour s'écarter de notre chemin, Suu le rejoint toujours. Même là.

Il a parlé à voix basse, je fais semblant de ne pas entendre. Pourtant, je me sens rassurée. Comme une chaleur dans la tristesse qui m'étreint à l'idée que les monstres aient transformé un autre de mes frères. Il le sent, me touche le bras, me communique sa force. Je lui souris en retour. Son contact est naturel. Normal. Doucement, je viens le prendre dans mes bras pour le remettre sur le fauteuil. Tout se passe bien jusqu'à ce que je me baisse pour le réinstaller. Et là, le vent, ma maladresse, la Dame. L'outil bouge, je suis déséquilibrée et je tombe. Je n'ai que le réflexe de me glisser dessous pour alléger sa chute à lui. Son poids sur moi, le sol sous mon dos vident mes poumons d'un coup.

Ca va vite, un peu trop vite. A un moment il se laisse relever, tâchant tant bien que mal de soulager Way’si d’une partie de son poids, et l’instant d’après son coude claque sur le sol.
Mais que son coude.
Le reste de sa personne a été protégée par…

- Soeur ?

Oh. Oh, elle a d’encore plus beaux traits de près, elle est agréablement tiède et c’est tout sauf le moment de penser ça ! Vraiment, la situation se prête pas aux remarques qui éclatent dans la tête de Suu comme autant de bulles de savon tout sauf utiles. Les observations sur le fait qu’elle a de très jolis cils n’ont rien à faire là.

- Merde !

C’est le moment où il voudrait pouvoir se lever sur ses jambes, tendre son bras vers la conteuse pour l’aider elle aussi. Il rattrape l’idée, la fiche dans la boîte “n’arrivera jamais” et opte pour rouler aussi vite que possible sur le côté.

- Way’si, ça va ? Tu t’es pas fait mal ?

A la force des bras, il se redresse tout seul pour tâcher d’évaluer la situation. Si elle s’est cognée la tête… Mais non, il a dit que ça irait, elle ne s’est sans doute pas ouvert le crâne.

Le mot mo'at me ramène dans le présent. Il est lourd mon frère. Je souris tout en tentant de retrouver mon souffle ce qui n'est pas si facile mais se fait, petit à petit, tandis que mon coeur se calme. Par chance, son contact n'est pas de ceux qui me font horreur. C'est celui d'un proche. Je le fixe avec douceur, sans réfléchir, simplement occupée à respirer. Je ne pense plus. Je n'ai pas de mots. Juste une chaleur entre nous. Une chaleur étrange. Il se roule et l'air est froid soudain sur mon ventre et mes cuisses, là où il était. Je me dresse sur mes bras, assise et remplit mes poumons à fond.

"Ca va." Je suis simplement essoufflée, rien de grave. "Je m'excuse de ne pas avoir bloqué le fauteuil. Me fais-tu confiance pour réessayer ?"

- Tu… ?

Elle s’excuse ? Mais de quoi, exactement ? C’est confusant. Way’si s’excuse beaucoup trop de choses qui ne sont pas de sa faute.

- C’est pas très grave et tu n’as pas fait exprès. Ca arrive. Tu n’as pas à t’excuser parce que des choses se passent, personne peut les prévoir.

Sinon ce serait trop facile. Ou trop triste ? Les deux à la fois, sans doute, décide un Suu parfaitement philosophique. Il a un peu l’impression que ses rencontres avec la conteuse font de lui quelqu’un de plein de réflexions métaphysiques.
Il se repositionne bien. Et il observe la jeune femme en face, plein de confiance, plein de tout le calme de ce monde.

- Je te fais absolument confiance, soeur, pour ça comme pour le reste.

Il n'est pas question de prévoir mais de faire bien ou non. Faire mal est plus destructeur souvent que de ne pas faire. Abandonner aussi est mauvais et la douceur de son ton m'assure plus que ses mots de l'absence de colère de son côté. Je peux donc approcher. Même si nous sommes l'un sous l'autre, l'un près de l'autre, l'involontaire et le conscient sont deux choses très différentes. Je retrouve ma confiance dans la sienne. La même force entière. Je le porte à nouveau, et cette fois le pose doucement dans le fauteuil. Sans commenter, laissant passer la gêne comme le courant emporte les feuilles mortes, je le laisse vaquer à ses occupations et retourne aux miennes.

Pas de chute. Pas de drame. Il avait confiance en la conteuse, ça ne l’étonne pas beaucoup.

- Merci.

Concis, simple, efficace. Il n’oublie pas qu’ils ont un homme à aider et pas le temps de se répandre en échanges de regards de merlan frit -ou en tout cas en regards de merlan de sa part.
Il y a une porte à fermer.
Il y va donc, passant l’étroite entrée de la réserve en se lançant à toute allure et en rabattant ses bras sur ses genoux au dernier moment pour ne pas perdre de bouts de peau. Le reste des manoeuvres est beaucoup plus simple : porte fermée, loquet tiré, son arme à portée de main au cas où. Tout a l’air…

- Calme. Tout est calme, fait-il en revenant vers Way’si, et y’avait personne dans la rue. Je te trouve des fourrures. C’est plus facile à transporter sur roues.

Et hop, il repart, l’air conquérant et prêt à fouiller dans les affaires bizarres du boutiquier pour y trouver ce qui leur faut. Au point où il en est, il entasse juste ce qui lui semble utile sur ses jambes, y rajoute distraitement ce qui lui a l’air intéressant comme des fleurs bizarres séchées et un bol en bois.

Je pense un "de rien" que je ne prononce pas, ce n'est pas la peine, il est dans mes yeux. Nous nous séparons à nos tâches successives. Pendant qu'il roule vers la porte, je fais mes propres tâches. Je trouve de quoi soigner, de l'eau, un bol, des plantes. Je m'assied doucement près de mon frère, rangeant mes jambes sous moi pour être plus efficace. Rapidement, je me perds dans mes travaux. Son retour m'arrache un doux sourire, sans rien d'autre. Je le laisse faire ce qu'il doit. J'ai toute confiance en lui. J'attrape les fourrures qu'il m'apporte, le bol et les fleurs. Je fais un tri rapide. Pétales intéressants, pétales dangereux, pollens, sève, la nature est un vivier immense de soins et de morts. Je déchire la manche de ma tunique, l'imbibe du mélange et pose le tout sous le nez de l'homme. Il inspire et, soudain, tousse. Le voilà qui se réveille. "Couvre-le, s'il te plait. Sa pudeur pourrait s'offusquer de son état."

Il y a des mots dans la gorge de Suu.
Juste là sur sa langue, ils se tiennent prêts à sortir, à affirmer qu’un mourant devrait s’en fiche d’avoir les fesses à l’air, qu’il sera pas content s’il veut mais que c’est la vie.
Et tout reste bien dedans, là où c’est poli.

- Oui.

C’est tout ce qui sort. Oui, il récupère une nappe sur une table à côté après avoir bougé ce qui trainait dessus et la pose sur le boutiquier qui reprend connaissance. Qui redevient un potentiel danger.
Très calmement, le pilote sort de son fourreau l’épée donnée par sa capitaine. Il tient une garde détendue, à la limite du je-m’en-foutisme histoire de ne pas sembler menaçant, mais il ne lâche pas des yeux leur trop étrange ex-comateux.

- Salut, le prince du lac.

Ca ne se fait pas de brusquer les gens lorsque Way’si regarde, c’est la seule raison pour laquelle Ey’ko ne se fait pas sauter dessus pour s’expliquer au plus vite. A la place il a juste une présence très vaguement effrayante pas trop loin de lui pour l’encourager à ne surtout pas sauter à la gorge de celle qui le soigne.

- On est de ton côté. Il nous entend au moins ?

Ca aurait été plus intelligent de demander ça avant, monsieur Galwaïn...

Je regarde l'épée nue sur les jambes de ce frère étranger. C'est presque indécent dans la violence tranquille qui est déployée. Bien plus que la nudité maintenant pudiquement cachée de mon patient du jour. Je vérifie sa toux, pas de sang. Je regarde ses pupilles, dilatées, par la peur ou autre chose ? Je pense autre chose même si la peur a forcément sa place. Dans sa tranquillité, l'homme est différent, plus mortel. Il ressemble aux Toor'kran qui le fascinent tellement. Je devrais le détester pour cette violence et pourtant non, elle me parait naturelle, comme les dangers de ma planète. C'est une violence à sa place. C'est curieux. Je retourne mon attention vers les mots prononcés.

"Il nous entend mais je ne sais ce qu'il comprend. La drogue semble avoir un effet sur ses capacités. Veux-tu que je traduise en vraie langue ?"

- Je veux bien, s’il te plait.

Vraie langue. Il l’accepte sans se poser de question. C’est celle d’ici, c’est lui l’envahisseur. Il ne va pas se mettre à se vexer pour quoi, parce que Way’si dit la vérité ? Pfft. A un autre la défense d’un honneur conquérant débile.

- Faut peut-être lui expliquer comment on l’a trouvé ? S’il panique on saura qu’il faut avoir peur nous aussi.

C’est qu’il a l’air d’avoir peur, leur boutiquier louche. C’est bien pour ça qu’il est surveillé comme du lait sur le feu, parce que les gens qui ont peur sont autant capables de fondre en larmes que de blesser pour s’enfuir. On fait difficilement moins dangereux qu’un type acculé.

- Sush, sush, Ey’ko…

On a trouvé mieux comme voix apaisante… On va dire un point pour la tentative et un autre pour la bonne volonté, Suu.

- On est de ton côté. On ne va pas te faire de mal.

Il regarde vers la porte. Le danger est dehors ?

- Et on a fermé la boutique. On te défend. Sush, sush, allez...

Je n'ai pas fait attention à mon vocabulaire. Avec lui je m'oublie et il ne me reprend pas. Alors je hoche la tête et je me laisse prendre par le flot. Il ne faut pas questionner les voies de Calypso. Elle se sert des outils sous sa main, elle sait ce qu'elle fait et elle le fait pour Renaissance. Avant que je ne puisse trouver mes mots, il met les siens. Son ton est en parfaite dissonance et, sans que je sache pourquoi, cela me fait rire, sans moquerie, sans méchanceté, simplement parce que c'est drôle et que je n'ai pas peur de le blesser en étant moi-même. "La Berceuse du Toork'ran" fais-je à voix basse une fois mon calme revenu, en langue standard, puis en vraie langue. Ey'ko me regarde curieusement. Je lui explique dans notre langue qu'il était inconscient et qu'on a fermé la boutique en attendant et est ce qu'il se souvient de quelque chose. Il bafouille, ce qui rend sa réponse difficilement compréhensible. Combien de drogue a-t-il prit de lui-même et combien lui a-t-on infligé. Je le guide un peu, d'une voix douce, maternelle, oubliant un instant mon prédateur et sa présence pourtant chaude sur le côté où il est. Puis je lève la tête vers lui et lui sourit.

"Il ne se souvient pas vraiment. Il était parti chercher votre commande et s'est réveillé dans mes bras." Ey'ko rajoute un compliment qui me fait froncer les sourcils et que je ne traduits pas.

Elle rit. C’est un joli son. Il ne sait pas ce qui a provoqué le bruit et ne veut pas chercher à comprendre -ni ça, ni le sens des mots qui suivent- mais il peut juste constater que c’est joli. Que ça lui fait plaisir.
Il peut ensuite se concentrer sur Ey’ko. Sa manière de bouger, ses regards, sa détente face à Way’si alors qu’il semble s’attendre à se prendre des coups face à lui. La discussion lui échappe, mais pas ce qui est dit sans mots. Genre les sourcils froncés de la conteuse.
Suu fait donc les gros yeux au boutiquier.

- Il nous aide pas beaucoup...

Quel manque de praticité. Enfin il peuvent faire avec, ils ont assez d’indices pour avoir une vague idée de la situation.

- Attaque surprise, le danger est dehors, j’étais là et j’ai vu personne sortir de l’arrière-boutique alors je dirais que c’est encore dedans, quoi que ce soit.

Il espère que c’est un piège, le Toor’kran à roues, parce que s’il c’est quelqu’un ils risquent leurs vies.
Ouais, en fait ils risquent leurs vies tout court.

- Way’si, demande-t-il avec douceur, est-ce que tu penses qu’on peut transporter notre ami groggy ?

Non, il ne nous aide pas beaucoup. Il me fait un peu honte à avoir oublié ainsi d'être un vrai mo'at. Avec sa drogue et tout le reste. Enfin, ce n'est pas le sujet. Le sujet c'est le danger et mon frère l'a bien compris. Je souris à nouveau, ce qui chasse les vilains nuages sur mon visage. "Je vais chercher à mon tour." Si c'est une plante, alors je pourrais la trouver. Si c'est quelqu'un il se cachera peut-être moins à mon approche qu'à celle du Toor'kran. "On peut le déplacer mais pour le mettre où ?"

-J’aurais aimé le sortir mais…

Mais mouvement de main vers la porte. Danger. Risques. Ils ne vont pas courir potentiellement entre les balles pour un vendeur trop louche.

- Derrière le comptoir. Il sera hors de vue si quelqu’un arrive par la porte de devant, il sera en sécurité le temps que tu cherches.

Et que lui la protège pendant la fouille. Il ne va pas risquer la peau de Way’si alors qu’il peut être ne serait-ce que vaguement utile !

Le sortir n'est en effet pas envisageable, nous sommes tous les deux d'accord. Mais derrière le comptoir...je ne vois pas tellement l'intérêt de la manoeuvre, elle doit être tactique. Je fais instinctivement confiance à cet homme, je pense qu'il sait mieux que moi. Je me lève souplement, gardant l'homme dans les bras, contre mon torse, comme un blessé. Il est lourd, plus que moi et je marche comme une femme enceinte. J'ai perdu dans le Vaisseau du muscle que je n'ai pas encore retrouvé. Je le pose délicatement et me retourne pour commencer ma fouille.

Je tourne au détour d'une grande plante en pot lorsque quelque chose sur mes pieds attire mon attention. Je me baisse et effleure la poussière du bout du doigts. Des grains rouges s'y collent. Je suis prise d'une légère appréhension et les porte à mes lèvres. L'effet est immédiat. "Oh, oh..."

Ey'ko, mon frère, qu'est ce que tu as fait...